Loto du patrimoine : qui sont les gagnants ?

Publicité

Loto du patrimoine : qui sont les gagnants ?

Par
Tickets à gratter "Mission Patrimoine", qui seront mis en vente à partir du 3 septembre
Tickets à gratter "Mission Patrimoine", qui seront mis en vente à partir du 3 septembre
© AFP

Le gouvernement français, sous la houlette de l'animateur Stéphane Bern, vient de lancer un loto du patrimoine pour restaurer une partie du patrimoine en péril. Le jeu, organisé en septembre, devrait permettre à l'Etat de récolter entre 15 et 20 millions d'euros. Mais il n'est pas le seul gagnant.

Un mécénat populaire pour sauver notre patrimoine en péril. C'est le concept sous forme de loterie, avancé depuis les années 2000, qui vient d'être lancé par le président de la République, Emmanuel Macron, et l'animateur Stéphane Bern, chargé de mission sur le patrimoine. A partir du 3 septembre prochain et pendant plusieurs semaines, un loto du patrimoine va être organisé. Des tickets de jeu à gratter seront proposés dans des points de vente de La Française des jeux et sur Internet, avec aussi un tirage spécial le 14 septembre à l'occasion des Journées du patrimoine. Sur le principe, le système est le même qu'un loto "traditionnel" : il s'agit d'un jeu de hasard, avec des gains à la clé pour les clients. Sauf que cette fois, la part, revenant habituellement à l'Etat, contribuera à restaurer certains monuments. A qui profite ce loto du patrimoine ? Décryptage d'un concept, où toutes les parties prenantes sont gagnantes.

Les monuments

La Fondation du patrimoine, qui œuvre à la sauvegarde et à la valorisation du patrimoine, a identifié environ 2 000 bâtiments en péril, puis en a sélectionné 269. Dix-huit d'entre eux ont ensuite été jugés "prioritaires" en termes de restauration, un par région. Parmi eux figurent notamment l'ancien Hôtel-Dieu à Château-Thierry dans l'Aisne, la maison de Pierre Loti à Rochefort, en Charente-Maritime, le château de Carneville dans la Manche, le Fort-Cigogne de Fouesnant, dans le Finistère, le domaine de Maison Rouge à Saint-Louis, sur l'île de la Réunion, la Rotonde ferroviaire de Montabon, dans la Sarthe, l'hôtel de Polignac à Condom, dans le Gers, la maison d'Aimé Césaire à Fort-de-France, en Martinique, ou encore la villa Viardot à Bougival, dans les Yvelines.

Publicité

"Il y a tout type de patrimoine, des châteaux et abbayes évidemment car cela forme un tissu très fort de notre histoire patrimoniale. Mais il y a aussi des usines, des maisons et des lieux de mémoire", se réjouit Alexandre Gady, historien du patrimoine et président de l’association Sites et Monuments, dans Les Matins.

Au total, la Française des jeux a estimé que le loto du patrimoine devrait permettre de récolter entre 15 et 20 millions d'euros. A chaque ticket acheté 15 euros, 1,52 euro sera reversé à la Fondation du patrimoine. "Nous ne sommes pas très inquiets sur le fait qu’on recueillera cette somme. Mais il y a un autre challenge : les besoins financiers de tous ces 270 bâtiments représentent plus de 20 millions d’euros. Il y a en fait à peu près du double à trouver", précise Célia Vérot, la directrice générale de la Fondation du patrimoine, interrogée dans notre journal de 22h. Quand la France compte par exemple quelque 44 000 petits ou grands monuments classés.

© Visactu
L'Invité des Matins (2ème partie)
23 min

L'Etat

Le concept du loto du patrimoine est déjà utilisé dans de nombreux pays. C'est le cas de la Grande-Bretagne, qui l'a mis en place depuis une vingtaine d'années. Le Royal Albert Hall, une salle de concert, a par exemple été rénové et agrandi grâce aux fonds récoltés à travers ce système. Avec le lancement du loto du patrimoine, Emmanuel Macron met donc en avant une politique volontariste en matière de préservation du patrimoine. Françoise Benhamou, spécialiste de l'économie de la culture, met en garde contre une vision "angélique" de cette action. "_Il y a une politique de communication évidente autour du grand patrimoine__. Cette instrumentalisation sert manifestement un soft power qui est pas inutile, c'est dans l’ADN de la politique culturelle française. Le patrimoine, c’est une représentation du pouvoir, de l’histoire, ce sont des signaux que l’on envoie_", analyse-t-elle. 

Le président de la République le reconnaît lui-même, ce mode de financement de la restauration du patrimoine n'est pas anodin. Lors de la soirée de lancement du loto, organisée au Palais de l'Elysée, Emmanuel Macron a ainsi déclaré : 

Quand on parle de notre patrimoine, on parle de l’identité de notre pays. Nous avons eu beaucoup de débats sur l’identité. Souvent, ces débats ont pu diviser, tant on veut faire de cette identité une seule interprétation de l’histoire, quand on voudrait la ramener à tel ou tel symbole à telle lecture. Mais l’identité française réside dans ce palimpseste qu’il y a partout, à travers nos régions qui est notre patrimoine. Cette identité-là elle réconcilie. 

Discours analysé par Ludovic Piedtenu dans son Billet politique

Le Billet politique
4 min

Alexandre Gady, historien du patrimoine, parle de concept concernant et "inédit". "A la tête de l’Etat, on parle du patrimoine positivement, avec un affichage médiatique très fort grâce à Stéphane Bern, qui met de la lumière sur tout ce que nous faisons. Nous nous réjouissons de ce loto du patrimoine : c'est une vieille idée que nous réclamons depuis plusieurs décennies", affirme sur notre antenne le président de l'association Sites et Monuments.

En prenant le problème de la restauration du patrimoine "à bras-le-corps", l'Etat français a tout à y gagner en termes d'image. Une action "symbolique", selon Brice Couturier, chroniqueur sur France Culture, qui a publié le livre Macron, un président philosophe l'année dernière :

Macron est hanté par l'idée que la France est victime d'une crise civilisationnelle et culturelle, autant sociale et économique. Il faut donc réconcilier les mémoires nationales et restaurer une fierté nationale. Et la fierté nationale s'incarne évidemment dans nos monuments, autant que dans notre culture et langue. Donc il reçoit Vladimir Poutine au château de Versailles, il se rend au Fort de Brégançon, qu'il est en train de restaurer, pour y passer des week-ends. Il fête son anniversaire au château de Chambord. Il visite le château de Voltaire, à Ferney-Voltaire, à la frontière suisse. C’est toujours lié au côté économique avec Emmanuel Macron. Nous sommes une grande destination touristique dans le monde, les étrangers ne viennent pas que pour nos plages et nos installations d’art contemporain mais pour notre patrimoine, détaille-t-il.

Vladimir Poutine et Emmanuel Macron, dans la galerie des Batailles au château de Versailles, le 29 mai 2018.
Vladimir Poutine et Emmanuel Macron, dans la galerie des Batailles au château de Versailles, le 29 mai 2018.
© AFP - STEPHANE DE SAKUTIN

D'autres voix tirent la sonnette d'alarme : c'est le cas de François de Mazières, maire de Versailles, qui a fait du loto du patrimoine un combat depuis les années 2000. L'ancien directeur général de la Fondation du patrimoine se réjouit évidemment que sa proposition ait enfin été entendue, mais il craint que le gouvernement en fasse un mauvais usage :

Le danger, c’est la baisse des dotations consacrées au patrimoine du ministère de la Culture. Les collectivités territoriales, notamment les communes, ont vu leurs recettes complètement baisser ces dernières années, dû au fait des baisses de dotation de l’Etat. Sauf que les communes sont au premier rang pour l’entretien du patrimoine. Aujourd’hui, ce loto est un atout supplémentaire, mais il ne peut être qu’une politique d’accompagnement, parce qu’il va rapporter au mieux 20 millions d’euros. Alors que les crédits d’Etat consacrés au patrimoine chaque année sont de l’ordre de 400 millions d’euros. C’est pour cela qu’il ne faut pas que l’arbre cache la forêt, même si l’arbre est beau et que l’on s’en réjouit, met en garde François de Mazières.

Le Billet économique
3 min

Les joueurs

Les joueurs qui achèteront un ticket du patrimoine ont également beaucoup à gagner. Deux types de jeux seront organisés à partir du 3 septembre. 

Le premier, "Mission patrimoine", sera décliné en trois tickets différents, illustrés par des lieux emblématiques du patrimoine français. Chaque ticket coûtera 15 euros et sera imprimé au format XXL : 15,2 cm de large sur 20,3 cm de haut, pratiquement au format A5. Les gains pour ce jeu de grattage pourront atteindre jusqu'à 1,5 million d'euros. "Jamais un tel gain maximum n’a été proposé sur un ticket à gratter", affirme la Française des jeux dans un communiqué. A titre d'exemple, il est possible de gagner jusqu'à un million d'euros avec le jeu du Millionnaire. La Française des jeux précise également que "ce jeu à gratter bénéficie de l’un des plus forts taux de retour aux joueurs (72% des mises retournés aux joueurs sous la forme de gains) et de la meilleure fréquence de gain : 1 chance sur 2 millions de gagner le jackpot de 1,5 million d'euros et 1 chance sur 2,92 de remporter un gain". Pour résumer, le joueur a une chance sur trois d'empocher un gain d'au moins 15 euros, soit le prix d'achat du ticket.

L'autre jeu, le tirage spécial du loto, sera organisé le 14 septembre, juste avant le week-end des Journées Européennes du Patrimoine. Il sera doté d'un jackpot de 13 millions d'euros. 

La Française des jeux

Selon François de Mazières, qui porte ce projet depuis presque vingt ans, le loto du patrimoine n'est pas dénué d'intérêt pour la Française des jeux, qu'il est actuellement question de privatiser partiellement. 

"Quand j’avais lancé ce projet, j’avais vu la patronne de la FDJ. Elle m'avait dit qu'elle était intéressée car elle voyait bien que c’était un moyen de donner un nouveau souffle à la FDJ : ils cherchaient de nouvelles gammes de jeux. Et nous savons que c’est un domaine très intéressant car il y a douze millions de Français qui participent aux Journées du Patrimoine, donc c’est un très bon moyen de publicité", analyse le maire de Versailles. Un bonne opération pour l'image de la société qui fabriquera ses billets dans un site ultrasécurisé à... Détroit, aux États-Unis.