Accueil

Culture Cinéma
Cinéma : l'été, il n'y a pas que des navets !

Cinéma : l'été, il n'y a pas que des navets !

Par

Publié le

On oublie les clichés… Depuis quelques années, la période estivale n'est plus maudite pour les bons films. Elle est même devenue une terre promise pour les distributeurs audacieux. La preuve avec plusieurs pépites qui illuminent les salles obscures.

Longtemps, l'amateur de cinéma s'est couché de bonne heure en été. Et, en cas d'insomnie, il n'avait que ses yeux pour pleurer et sa serviette de plage pour éponger ses larmes. Rien à découvrir sinon une poignée de blockbusters hollywoodiens et de nanars baptisés « sorties techniques », ces films qui ne sont programmés dans les salles que pour être ultérieurement diffusés en DVD ou à la télévision. Résultat : le cinéphile, durant deux mois, pouvait rester chez lui et réviser ses classiques sur son petit écran. L'été, répétait-on sur tous les tons, était une saison maudite pour les exclusivités dignes de ce nom. Le public ? En vacances. Les médias censés assurer la promo ? En plein sommeil. Les films ambitieux ? Il valait mieux les dévoiler à la rentrée, au risque de provoquer un embouteillage monstre sur les écrans en septembre et octobre.

“Les grandes transhumances estivales appartiennent au passé. Et il y a des spectateurs à séduire dans toute la France.” Eric Lagesse, distributeur

AUDACES RÉCOMPENSÉES

Mais, depuis quelques années, changement de programme ! Les distributeurs n'hésitent plus à occuper les écrans durant la période estivale. Une politique justifiée par deux constats. D'abord, les spectateurs potentiels partant en vacances pendant plus d'un mois sont ultraminoritaires. Ensuite, le public est curieux en toutes saisons et, l'été, il est plus disponible pour les découvertes. « Les grandes transhumances estivales appartiennent au passé, explique Eric Lagesse, le responsable de la société de distribution Pyramide, qui sort Eté 93, de Carla Simon Pipo, le 19 juillet, et Une vie violente, de Thierry de Peretti, le 9 août (lire, ci-contre). Les gens prennent désormais leurs vacances sur des périodes plus courtes et, l'étéil y a des spectateurs à séduire dans toutes les grandes villes de France. Le reste de l'année, la rotation des films sur les écrans obéit à une logique démentielle. Pourquoi s'interdire ces deux mois où le nombre de sorties est moindre et où les possibilités d'inscrire les films dans la durée sont plus nombreuses ? Depuis plusieurs années, les distributeurs indépendants misent sur cette période et ils ne le regrettent pas. »

L'audace est en effet souvent récompensée au box-office. Dès le début du siècle, des francs-tireurs arpentaient avec bonheur l'itinéraire bis estival plutôt que l'autoroute automnale. Et des films ambitieux comme H a r r y, un ami qui vous veut du bien , de Dominik Moll, la Tourneuse de pages, de Denis Der-court, ou l'Adversaire, de Nicole Garcia, ont triomphé dans les salles en juillet et août : plus de 1 million d'entrées dans les trois cas. Depuis, beaucoup d'autres auteurs, comme Joachim Lafosse avec l'Economie du couple (sortie sur les écrans le 10 août 2016), ont pu constater qu'ils n'avaient rien à perdre en dévoilant leurs nouvelles fictions lors des grandes chaleurs. Certains d'entre eux, pourtant, étaient sceptiques.

« Les clichés ont la peau dure et des réticences existent toujours du côté des réalisateurs, note Eric Lagesse. Comme si sortir un film en été signifiait que l'on ne croyait pas en sa bonne fortune commerciale. Ce poncif est contredit par les faits et par les chiffres. Un exemple récent : la Belle Saison, de Catherine Corsini, sortie le 19 août 2015. Nous avons obtenu d'excellents chiffres les deux premières semaines d'exploitation, près de 300 000 entrées, ce qui n'aurait probablement pas été le cas si nous avions programmé le film un mois plus tard. A la mi-août, pour la promotion, nous avons même pu obtenir un 20 heures pour Cécile de France, l'actrice principale, ce qui aurait été inconcevable à la rentrée où les têtes d'affiche se bousculent au portillon et ont toutes quelque chose à vendre. »

TROUVER SON PUBLIC

Films d'auteurs, fictions ambitieuses, documentaires atypiques : selon une étude récente du Centre national du cinéma (CNC), 60 films d'art et essai sont sortis en moyenne chaque été pendant la décennie 2006-2015, ce qui représente la bagatelle de 53,7 % de l'offre globale sur les écrans pendant cette période ! Pour les films sans stars au générique, ceux dont le succès dépend en partie d'un bouche-à-oreille favorable, il n'y a pas de meilleure saison que l'été. Au printemps, en automne ou en hiver, les « œuvres » se succèdent sur les écrans à un rythme si frénétique que certains titres disparaissent des radars une semaine après le début de leur exploitation. L'été, quand les sorties sont moins nombreuses, ces « petits » films ont plus de chances de pouvoir trouver leur public. Autre atout non négligeable : les coûts de la promotion. Entre la mi-juillet et la mi-août, les frais d'affichage sur les colonnes Morris ou sur les dos de kiosque coûtent 40 % moins cher ! Des économies substantielles pour les distributeurs qui peuvent ainsi investir dans la diffusion d'un nombre plus grand de copies ou dans le financement de campagnes de publicité dans la presse.

Pour les films sans stars au générique, ceux dont le succès dépend du bouche-à-oreille favorable, il n'y a pas de meilleure saison que l'été.

Phénomène révélateur : il est désormais fréquent de voir des films célébrés en mai au Festival de Cannes débouler sur les écrans en juillet ou en août. La Palme d'or 2014, Winter Sleep, du réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan, a ainsi été distribué le 6 août de la même année et a séduit 360 000 spectateurs. Un chiffre important pour un film réalisé par un cinéaste inconnu du grand public et dont la durée était de… 3 h 16. « Winter Sleep est un cas exemplaire, note Eric Lagesse. Les salles se sont engagées à le diffuser plusieurs semaines d'affilée. Du coup, le film a pu s'installer pendant tout le mois d'août et séduire les spectateurs, plus disponibles à cette période que dans le stress de la rentrée. »

Même constat l'an passé avec Toni Erdmann, de l'Allemande Maren Ade, la révélation de Cannes 2016, sortie le 17 août et qui a enchanté 340 000 spectateurs. Cette année, le mouvement s'amplifie puisque le Français Robin Campillo (Cent vingt battements par minute) et l'Américaine Sofia Coppola (les Proies) deux des stars de l'édition cannoise 2017, occuperont simultanément les écrans dès le 23 août. Les blockbusters saisonniers plébiscités par les multiplexes et les vendeurs de pop-corn -la Planète des singes. Suprématie, Valérian ou Cars 3 - ne seront donc pas seuls dans les salles cet été. Personne ne s'en plaindra

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne