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Le lendemain de la veille urbaine #4: la maison

Le lendemain de la veille urbaine #4: la maison

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Le lundi matin à heure fixe, Urbain, trop urbain donne sous forme de chronique un petit résumé des meilleurs liens glanés sur Internet lors de la semaine écoulée. Le fonctionnement est simple : le taux de consultation des URL diffusées sur notre compte Twitter fait le partage statistique, charge au rédacteur de trouver un fil rouge dans les liens ainsi sélectionnés par cet arbitraire de l’audience…


Non seulement il n’y a pas de compteurs à air chaud, de bouches d’aération ou de radiateurs

électriques, à bain d’huile, en fonte, fer forgé ou autre, ni de systèmes de refroidissement

— condensateur, bobines de réchauffage, convecteur chauffant, humidificateur,

concentrateur, solution diluée, échangeur de chaleur, absorbeur, évaporateur,

pompe à solution, pompe évaporatrice de recirculation — ou toutes sortes de tuyaux,

que ce soit à spirale, à système involuté vertical, tuyaux isolés dans les parois,

ou tuyau rond à chemise intérieure perforée, isolation et revêtement extérieur;

pas de système de HVAC, même un grossier système de distribution d’air

— il n’y a pas de fenêtres — pas d’alimentation en eau, de collecteurs, de baignoire,

d’urinoirs, d’éviers, de fontaines, de chauffe-eau, ou de réfrigérants, de bacs à expansion,

de régulateurs de débit, de conduit de dérivation, de tuyau d’évacuation, de tuyère au sol,

ou de trop-plein, ni d’équipement anti-incendie: détecteurs de fumée, arroseuses, détecteurs

de débit, régulateur O.S. & Y. Gate, alarme-moteur à eau, appareils à signalisation visuelle,

tambour d’enroulement à valve 2 1/2 ou 1 1/1, générateur de mousse, système de suppression

gazeuse; ni aucun signe de câblage en chaîne ou en étoile ou de tubage métallique électrique (TME),

tuyau rigide, tuyaux de barre collectrice, tuyaux sous-plancher, plancher cellulaire,

plancher surélevé, ou même de compteurs électriques, interrupteur à variateur de lumière

ou à distance, disjoncteur ou fusibles, que ce soit en plomb, fer blanc, cuivre, argent,

porcelaine, etc., ni même de lampes, électriques, à incandescence, à combustion,

à arc ou à gaz, pas de lampe standard, halogène, réflecteur E27, tube fluorescent, linolite,

starter, appliques, réglette fluorescente, détecteur de mouvements IP 44 « Plexo »,

projecteur « Goliath 38″, « Star 350 P », bâton fluorescent, baladeuse caoutchouc;

pas de châssis à soufflet, basculant, à vantail, oscillo-battant, plein cintre;

on n’y trouve pas non plus de (…) [1]


La semaine dernière, je dénichai un article de Reyner Banham, « A Home Is Not A House », publié initialement en 1965 dans la revue Art in America. Banham est l’un des plus grands critiques de l’architecture et de l’urbanisme du XXe siècle. Dans ce texte, il constate que l’habitat contemporain est devenu un complexe de réseaux, tuyaux, flux, imputs et outputs, signaux Hi-Fi, convecteurs, interrupteurs, broyeurs de déchets, antennes, mobiliers électroménagers, services domestiques, etc. Longtemps, les architectes ont considéré tout cela de façon pudibonde, remisant les entrailles ou ne les laissant apparentes et grossièrement peinturlurées que dans le fatras d’un cellier. Aucun des grands slogans architecturaux — Form Follows Function, accusez la structure, Firmitas, Utilitas et Venustas, Truth to Materials, Weniger ist Mehr — n’était à même de relever le grand défi de la mécanisation domestique. Ou alors, en négatif peut-être, avec le mot d’humour prêté à Le Corbusier : «Pour Ledoux, c’était facile — pas de tubes».

La propension de l’American way of life à dépenser toujours plus en services qu’en structure devrait conduire, selon toute apparence, à la disparition plus ou moins évidente des formes solides et contraintes de la maison. Sans doute les progrès du packaging de l’habitat prônés par Buckminster Fuller dans les années 1960 seront-ils de nature à nous faire oublier la boîte architecturale «maison», poursuit Banham: la maison comme monument architecturé a-t-elle encore un avenir? On se demande pour notre part quel sérieux accorder aux interrogations de Banham (truffées d’humour) en contemplant par exemple les photographies naturalistes de William Eggleston, qui leur sont contemporaines, et l’impression de non-évidence — “I am at war with the obvious” — que laissent ces scènes pourtant ordinaires, dépeignant un âge qu’Eggleston a lui-même qualifié de «démocratique».

Eggleston voit pourtant les mêmes choses que Banham: des maisons individuelles de banlieue, des copains buvant un coup sur le pas de porte, des barbecues en famille, des vélos en désordre dans un garage… Rien de plus vieux que le futurisme, qui considère toujours son temps d’énonciation comme un état transitoire vers des aspirations que la durée matérielle et sociale englue en fait — et pour longtemps! — dans des contrées plus prosaïques.

Dressage et usage

«La technologisation croissante de l’environnement au sein de l’habitat — “la maison intelligente connectée”, qui hante les esprits depuis une vingtaine d’années —, n’a pas été cet opérateur magique attendu», constate Amandine Brugière dans un article consacré à la Maison intelligente. L’habitat prétendument «à l’écoute» de ses habitants, dont les capteurs devanceraient même les attentes, fonctionne à rebours de nos espaces bricolés, contingents, aux logiques d’appropriation floues. On se demande quelle domestication la domotique vise en définitive, celle des technologies ou bien la compliance des hommes à leur pharmakon?

«Le plombier est devenu le contremaître de la culture américaine» aurait dit Aldof Loos. Le grand maître viennois estimait que l’architecture est rarement un art et quand elle l’est, c’est souvent en qualifiant des lieux inhabités. Comme si le commun du lieu, le besoin d’habiter et la nécessité d’un espace «à vivre» n’appelaient en définitive qu’une architecture commune, banale, usuelle. Le design, ou art de la commodité, n’est pas un art pour Loos. Le lieu habité dépend des caprices de son propriétaire et des valeurs d’usage dont il peut être investi, selon l’air du temps ou le jeu de la nécessité, de sorte qu’on ne peut le fixer comme «œuvre». Ironie du sort, la villa Müller, construite à Prague en 1930 pour un riche d’industriel, a eu plusieurs vies, de la maison familiale au musée en passant par des bureaux, et même le siège de l’institut Marxiste-Léniniste. Ces derniers occupants, se souciant d’ailleurs peu de l’universel «chef d’œuvre» architectural que cette maison incarne aujourd’hui, placèrent un frigidaire on ne peut plus commun au beau milieu d’un des murs du séjour. Aujourd’hui la maison est «sauvée», mais sauvée de quoi, en définitive? De son occupation, essentiellement. Comme le souligne très justement Charles Holland, son histoire l’a donc amenée à la reconnaissance artistique d’oeuvre architecturale, qui est celle qu’on peut accorder à un monument… ou à un ancien tombeau.

La semaine dernière, parmi les beaux liens urbains, il y avait aussi…

Cartographie interactive: une estimation de la population par bâtiment résidentiel en Île-de-France http://ow.ly/33P90 // On s’enthousiasme pour cette petite boutique à Rome http://ow.ly/33p1D Aux mêmes dimension, j’ai bien mieux http://ow.ly/33p1E // Barber shops http://ow.ly/33F6g // Exposition virtuelle de la Cité de l’architecture sur l’histoire des logements sociaux http://ow.ly/33eWE // À écouter en ligne, « Le temps des villes » avec Thierry Paquot, François Chaslin et Jean Richer http://ow.ly/33McS // Interview illustrée du photographe Stanley Greenberg qui s’intéresse à la ville invisible http://ow.ly/351xe // Peter Ackroyd’s London: comment le grand Incendie et les bombardements ont remodelé #Londres http://ow.ly/353t4 // La rue comme support http://ow.ly/33eSS // NY meets Fuji, NY meets Rio: découvrez chez Bunnkr le travail du photographe Ciro Miguel http://ow.ly/33eU7 // Il y a 35 ans tout juste, Pasolini était assassiné http://ow.ly/33fhk // Ont beau être vieux, les monorails conservent toujours leur look futuriste http://ow.ly/351oh // « La vue haptique, c’est la vue proche qui saisit la forme et le fond sur le même plan également proche » http://ow.ly/353nM // Ne nourrissez pas les oiseaux-caméras de surveillance! http://ow.ly/353xl // La machine à souvenirs http://ow.ly/353pN // Les États américains en filmographie: deux cartes sinon rien http://ow.ly/353r0 // Portrait de ville en couleurs, une ville en nuancier: le cas de Zurich http://ow.ly/33eXz // Ne comptez pas vous orienter à #Pyongyang grâce au plan du métro http://ow.ly/33eVt // L’urbaphobie, constante de l’histoire de France, a fait l’objet d’un colloque. Interventions en ligne: http://ow.ly/33F5M // Parametricism as the Architectural Logic of Late Neoliberalism http://ow.ly/33Vaf // Du ciment flexible pour un habillage béton http://ow.ly/34UJO // Voir sous la jupe de la Tour http://ow.ly/353oQ // Scènes de parking et arts visuels http://ow.ly/353tT // Une promenade à Rome, derrière Termini http://ow.ly/353vm // Visiter un classique: l’Indian Institute of Management par Louis Kahn http://ow.ly/353s0 // Consultez les trouvailles du net de John Foster, « Accidental Mysteries ». Vous ne le regretterez pas http://ow.ly/33Brt // Les nuit tokyoïtes de Katsumi Watanabe http://ow.ly/33imS

***

[1] La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski, pp.121/123/125/127/129/131.

Auparavant

Plomberie, art de vivre et métaphysique

Ensuite

Pas folles, les herbes #1 Stockholm

3 Commentaires

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par aleph187b, dpr-barcelona, URBAIN trop URBAIN, Laure JEGAT, URBAIN trop URBAIN et des autres. URBAIN trop URBAIN a dit: Bonjour! Consultez notre meilleur de la veille urbaine de la semaine écoulée, sur Urbain, trop urbain http://ow.ly/35Wly #links […]

  2. […] // Un livre dont l’édition dépasse largement en complexité la « Maison des feuilles » http://ow.ly/3asH0 // Des installations luminescentes sur les murs http://ow.ly/3a7zM […]

  3. […] structures permanentes de nos villes. Le refrain n’est pas vraiment nouveau : nous avions parlé ici-même d’un article de Reyner Banham, « A Home Is Not A House », publié initialement en 1965 dans […]

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