BAD BUZZLes salariés doivent-ils se méfier des réseaux ?

Eboueur licencié à Paris : Les salariés doivent-ils se méfier des réseaux sociaux?

BAD BUZZUn éboueur licencié après une photo ayant circulé sur les réseaux sociaux a porté son cas devant les Prud’hommes
Des agents d'entretien à Paris
Des agents d'entretien à Paris - JOEL SAGET / AFP
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Un agent d'entretien a été licencié après un cliché publié sur Twitter.
  • L'affaire, jugée mardi aux Prud'hommes a été mise en délibéré au 19 juin.
  • Dans certains cas, des photos prises dans un cadre privé peuvent également se retourner contre les salariés.

La photo, prise en septembre 2018, n’avait pas été particulièrement virale, à peine plus d’une centaine de partages lors de sa publication sur le réseau social Twitter. Elle a pourtant coûté son CDI, signé sept ans auparavant, à son unique figurant, Adama Cissé. Cet agent de propreté, vêtu de la traditionnelle tenue verte et jaune, y apparaît assoupi, les pieds nus, appuyé contre le rebord d’une vitrine. Un mois plus tard, il était licencié pour « faute grave », son employeur Derichebourg arguant notamment que son attitude avait nui à l’image de la société et à celle de leur client, la mairie de Paris. L’ancien salarié, lui, affirme que la photo a été prise sur son temps de pause.

Un cliché, volé de surcroît, est-il suffisant pour justifier un licenciement ? La question sera tranchée le 19 juin par le conseil des Prud’hommes de Créteil mais pose la question de la protection des salariés. « Aujourd’hui, on a des juges à chaque coin de rue avec leur smartphone », a déploré, mardi, lors de l’audience, Joachim Scavello, l’avocat du mis en cause. A ses yeux, le licenciement d’Adama Cissé relève ni plus ni moins de la peur d’un « bad buzz ». La mairie de Paris qui a averti son prestataire de l’existence de ce cliché ne s’est pas plaint « d’une mauvaise prestation, mais d’une mauvaise image », poursuit-il. L’entreprise, elle, affirme que le salarié n’a pas suivi le règlement intérieur et avait déjà fait l’objet d’un avertissement pour non-respect des règles de sécurité et d’une notification d’absence injustifiée.

« Les réseaux sociaux amplifient ce risque »

« Qu’une photo prise à l’insu d’un salarié puisse lui nuire, cela n’a rien de nouveau. Ça a même été l’objet d’un film ! », sourit Yves Nicol, avocat spécialiste en droit du travail. Papparazzi, sorti en 1998, relatait les déboirs de Patrick Timsit, photographié à un match de football au lieu d’être au travail. Licencié, il se mettait à la recherche de l’auteur de la photo. « La nouveauté, c’est que les réseaux sociaux amplifient ce risque, non seulement qu’un tel cliché soit pris mais également qu’il soit à l’origine d’un emballement », poursuit le conseil. Reste que si une photo peut être un élément de preuve, il faut pouvoir en préciser le contexte : « On ne peut pas savoir, en voyant ce cliché, précisément quand il a été pris, ni combien de temps a duré la pause. Or, le doute profite toujours au salarié », rappelle Julien Boutiron, auteur du Droit du travail pour les nuls.

Récemment, la question s’est également posée pour des photos prises dans le cadre privé. Début janvier, deux employés de la société Le Slip Français ont été mis à pied après avoir été photographiés en train de participer à une fête intitulée « Viva Africa », l’une arborant un black face – le visage grimé en noir – l’autre portant un costume de singe. Les photos, bien que prises dans un cadre privé, sans lien avec l’entreprise, étaient rapidement devenues virales et accompagnées du hashtag #BoycottLeSlipFrançais. « La procédure est toujours en cours », précise la marque.

Atteinte à l’image de l’entreprise

Théoriquement, pourtant, le droit du travail protège les libertés individuelles, ce que fait le salarié hors de son temps de travail ne peut être retenu contre lui, y compris s’il le fait publiquement. En 2017, la Cour de cassation a même jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié travaillant dans une association chargée de l’accueil des personnes handicapées, soupçonné d’avoir commis des violences sur sa femme et leur enfant. L’employeur avait pourtant appris l’affaire par voie de presse.

Mais l’entreprise – et c’est ce sur quoi s’appuie le Slip Français – peut faire valoir qu’un comportement privé peut créer un trouble au fonctionnement de l’entreprise ou une atteinte à son image. Ce fut, par exemple, le cas lorsque Dior a licencié en 2011 le couturier John Galliano lors d’insultes antisémites dans un café parisien. La scène avait été filmée et publiée sur les réseaux sociaux. Dans ce cas, le salarié n’est pas licencié pour faute professionnelle, il s’agit d’un licenciement individuel classique, avec indemnités et préavis.

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