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Google glass
Le Monde.fr

Ma semaine avec des Google Glass

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Publié le 19 juillet 2014 à 17h08, modifié le 19 janvier 2015 à 12h18

Temps de Lecture 10 min.

Google a annoncé la semaine dernière une profonde refonte de son projet Google Glass. Ce lundi est le dernier jour où il est possible d'acheter la première version des lunettes connectées du géant du Web. Une refonte de cet objet fascinant, qui n'a pas vraiment trouvé son public, a été confiée à l'ancien responsable de l'iPod d'Apple. Nous les avions testées extensivement cet été.

« T'as l'air con. » Collègues, amis, passants, l'avis est unanime. Les gens que je croise dans la rue ne le disent pas comme ça, mais je vois bien dans leurs regards en coin que j'ai vraiment l'air d'un crétin. J'y ai eu droit tout au long de cette semaine ; j'ai vu le déni (« C'est vraiment des Google Glass ? »), la colère (« Ça enregistre, là ? Tu me filmes ? »), la négociation (« Ah non, tu les enlèves pour manger »), la déprime (« Dans un an, tout le monde portera vraiment ces trucs ? »), l'acceptation (« Tu me les prêtes ? »). Bienvenue dans le monde des porteurs de Google Glass.

Le réglage desdites lunettes n'est pas des plus simples – il faut régulièrement les réajuster. Le paramétrage est en revanche assez simple quand on est américain. Après avoir sorti les lunettes de leur boîte, avoir allumé l'objet, les ennuis débutent : il faut synchroniser les lunettes avec un téléphone et un compte Google. L'application n'est pas disponible sur les magasins d'applications européens, j'ai donc dû ruser pour pouvoir l'installer, et le paramétrage a échoué une première fois : impossible de relier les lunettes à un profil Google si Google+ n'est pas activé. Une désinstallation et une réinstallation plus tard, les lunettes sont connectées à Internet, et à tous mes paramètres Google. Les choses sérieuses commencent.

Google Glass côté week-end

Premier constat : les lunettes créent soit une curiosité insatiable, soit un désintérêt profond. Le déballage des lunettes au bureau avait suscité un vif intérêt. Les courses du week-end relativisent fortement cet engouement.

 Avec des Google Glass, faire ses courses devient aussi fun qu'une partie de Call of Duty. Ou pas.

A l'exception d'un couple me montrant du doigt pas très discrètement, la clientèle du supermarché n'a que faire de mes lunettes. La caissière du Simply Market, qui en a probablement vu d'autres, non plus.

Niveau utilité, on repassera : une vague tentative d'utiliser la liste des courses dans Google Keep se heurte rapidement à un défaut : comment supprimer des objets de la liste une fois qu'ils ont été achetés ? Le papier et le crayon emportent la première manche.

Dimanche, direction Chartres, pour passer la journée chez des amis. En voiture, les lunettes révèlent leur première fonction vraiment utile : le GPS. La carte s'affiche nettement à l'écran, les indications sont plutôt réactives – bref, ça marche aussi bien... que Google Maps sur smartphone. Le fait d'avoir la carte à disposition en permanence en tapotant sur la branche est tout de même très pratique.

 

Au volant, c'est plutôt pratique.

Ça, c'est ce qui marche. Mais, avant d'en arriver là, il faut passer par le choix de la destination. Faute de clavier, ce choix ne peut se faire que grâce à la reconnaissance vocale, uniquement disponible en anglais pour l'instant. Après dix tentatives infructueuses pour tenter de deviner comment les Américains prononcent « Chartres », je finis par faire la recherche sur mon téléphone, puis par la partager avec les lunettes via l'application MyGlass. Tout fonctionne, mais mieux vaut avoir fait les réglages avant le départ : une fois dans les bouchons après avoir pris la mauvaise sortie, devoir s'y reprendre à plusieurs fois pour reparamétrer une destination, avec la reconnaissance vocale, a de quoi rendre fou le plus placide des conducteurs.

Photos, vidéoS : facile mais qualité discutable

Je crois qu'elle se doute de quelque chose.

Mes lunettes bizarres suscitent l'intérêt de mes hôtes, mais leur fille, bientôt 1 an, se montre plus circonspecte. Elle a vite repéré que le visiteur portait un truc pas tout à fait normal et qui fait un peu peur. Les photos ne seront pas terribles, comme la plupart des photos prises avec les lunettes, d'ailleurs.

L'appareil photo est clairement moins bon que ceux qui équipent les téléphones portables récents, et l'on a tendance à prendre des photos plus instinctivement, sur le vif. Résultat : énormément de photos floues et sous-exposées, notamment à la lumière artificielle. Plus ennuyeux mais plus facile à corriger, le cadrage des lunettes est contre-intuitif : la zone définie sur l'écran est trompeuse, les photos sont prises en fait un peu plus bas que ce que laisse voir le viseur.

Une fois qu'on l'a compris, on peut compenser la différence, mais on garde le sentiment que les prises de vues se font un peu au jugé. En contrepartie, les photos en extérieur sont plutôt correctes, et la facilité du déclic rend la prise de vues assez agréable, à défaut d'être discrète.

Avec un peu de pratique et en lumière naturelle, les photos sont correctes.

Pour prendre une photo, on peut appuyer sur un bouton au-dessus de la branche droite des lunettes, ou bien tapoter sur le côté des lunettes pour activer le menu et naviguer jusqu'à l'appareil photo. Dernière option : cligner des yeux. Après un calibrage rapide, l'appareil peut prendre une photo d'un simple battement de paupière – avec le risque de prendre des photos sans le vouloir. Et lorsque les lunettes bougent, la fonctionnalité cesse subitement de fonctionner.

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L'enregistrement des vidéos souffre globalement des mêmes défauts : cadrage pas toujours facile à maîtriser, qualité moyenne, surtout en lumière artificielle. Mais enregistrer des vidéos est simple et intuitif, et le son est plutôt correct. Par défaut, les lunettes n'enregistrent en revanche que des vidéos de dix secondes – il faut « cliquer » sur la branche pour prolonger. Comme pour les photos, les Google Glass conviennent donc plutôt bien au tournage de petites vidéos « sur le fil », mais ne sont pas franchement adaptées à l'enregistrement de films haute qualité.

Le feu d'artifice du 14 juillet. Le mauvais cadrage est en partie attribuable à l'effet trompeur des Google Glass, et en partie au manque de talent de l'auteur.

Google Glass côté semaine

Les collègues, les amis et les passants trouvent que j'ai l'air con et n'ont pas tort, il faut bien le reconnaître. On se sent bizarre avec ces lunettes qui donnent l'air d'un cyborg. D'autant plus que le petit écran, situé pile à la périphérie du champ de vision, ne vient pas directement devant l'œil ; il faut donc regarder en l'air pour voir ce qui s'affiche. Perturbant pour l'interlocuteur lorsqu'une notification attire le regard en plein milieu d'une conversation.

Entendu cette semaine : "Tu remontes le niveau de cette réunion avec tes lunettes".

Au bureau, les moqueries le disputent à la curiosité. Les lunettes deviennent l'attraction dans les réunions, où elles brillent pourtant par leur inutilité. Impossible de prendre des notes avec, d'accéder à des documents ou de naviguer sur Internet. Et si regarder discrètement son téléphone est plutôt une pratique admise, fixer un mini-écran en louchant légèrement, voire en fermant l'œil gauche pour mieux voir l'est beaucoup moins. Portées toute la journée, les lunettes donnent quelque peu mal au crâne – on fixe régulièrement un point qui bouge et qui clignote.

Pour commander cette bière, j'ai dû ôter mes lunettes.

En dehors du monde de l'entreprise, les réactions sont très variables, entre indifférence, curiosité et rejet. Dans le métro parisien, il en faudrait plus pour rompre la règle tacite qui dit qu'à moins d'un tremblement de terre chacun reste les yeux fixés sur son téléphone, son livre ou le sol. Mais dans d'autres espaces publics, les réactions peuvent être plus violentes. A la terrasse d'un café, le serveur est arrivé, m'a vu et a commencé à s'énerver. « Ah ça y est, ça commence. Et mon droit à l'image ? Dans trois ans, ça sera partout, ce truc, on n'aura plus de vie privée. » J'ai dû enlever les lunettes pour avoir le droit de commander.

Cela peut sembler anecdotique et facile à mettre sur le dos de la légendaire bonne humeur des garçons de café parisiens, mais la scène était symptomatique du reste de la semaine. Un midi, je suis sorti déjeuner avec un collègue du service informatique, peu suspect de technophobie. Le patron du restaurant a voulu essayer les lunettes, on en a discuté avec un des clients, et on s'est assis pour commander. Au bout de trois minutes, mon collègue m'a demandé d'enlever les lunettes, il se sentait mal à l'aise. La sensation de se sentir en permanence observé déconcerte, agace, énerve. Un peu comme si l'on pointait en permanence une caméra ou son smartphone vers le visage des gens. Peu le prennent bien.

Même pour le porteur, les questionnements sur la vie privée sont loin d'être anecdotiques. Les Google Glass ne sont ni plus ni moins invasives que le smartphone auquel elles sont reliées. Mais elles sont l'objet Google ultime, connecté en permanence à tous les outils de l'entreprise : le réseau social Google+, le système d'information Google Now, les notifications Gmail... Les vidéos sont conçues pour être publiées sur YouTube, les photos synchronisées automatiquement avec le compte Google et géolocalisées.

Le magasin d'applications pour Google Glass.

Une impression encore renforcée par le manque d'applications non Google sur cette version bêta : quelques services existant sur Android sont d'ores et déjà présents dans le magasin d'applications Glass, comme Shazam ou Facebook, mais beaucoup de logiciels manquent encore à l'appel, dont de nombreux services taillés pour les lunettes comme Instagram. Plus étrange, l'application YouTube ne permet pas de regarder de vidéos, uniquement de charger ses propres images sur le service...

Notre vie numérique défile devant nos yeux

L'interface même des lunettes, très déroutante au début et finalement très bien pensée, accentue ce sentiment. Un glissement du doigt vers l'avant donne accès aux fonctions principales (photo, message...). En glissant vers l'arrière, on fait défiler tout l'historique d'utilisation des lunettes – et du téléphone – dans l'ordre antéchronologique. On navigue ainsi du coup de téléphone passé il y a dix minutes à la photo prise il y a une heure, puis à la vidéo prise un peu avant et à la notification d'e-mail reçue encore avant. Résultat : l'impression de voir défiler toute sa vie numérique devant ses yeux – au sens propre comme au sens figuré.

Bienvenue chez les cyborgs ?

Au final, après une semaine de test, les lunettes de Google sont bien ce qu'elles semblent être : elles donnent une tête de cyborg (on m'a appelé plusieurs fois « Robocop » ou « Terminator » au cours des sept derniers jours), et elles proposent effectivement une expérience – certes encore limitée – de « vie augmentée ». Bien plus encore qu'avec un téléphone, elles donnent l'impression d'être toujours connecté au réseau, de pouvoir immortaliser et numériser chaque moment du quotidien, du plus intéressant au plus futile.

La version prototype des lunettes est hors de prix pour ce qu'elle permet pour l'instant d'accomplir : à 1 500 dollars pour la version bêta, peu d'utilisateurs, même parmi les plus accros aux produits de Google, y trouveront leur compte, à moins d'évoluer dans un milieu où le simple fait de porter un accessoire high-tech a une valeur en soi. Mais on entrevoit assez vite le potentiel de ce type d'objet : avec une meilleure caméra, une meilleure connectivité, tous les outils sont réunis pour des applications vraiment révolutionnaires.

L'étiquetage nutritionnel des aliments, à l'instar de ce qui se fait déjà pour l'habitat ou l'électroménager, devrait être l'une des mesures phares du projet de la loi de santé qui sera présenté en conseil des ministres mi-octobre.

Avec la reconnaissance faciale, identifier quelqu'un dans la rue sera un jeu d'enfant ; avec des applications de conduite assistée, on pourra non seulement choisir son itinéraire mais calculer des trajectoires en vélo ou en voiture. Les golfeurs pourraient optimiser leur swing en affichant calculs de trajectoire et force du vent en temps réel, les services de secours pourraient faire analyser automatiquement une blessure en quelques secondes... Les possibilités sont infinies.

Mais elles posent aussi des questions inquiétantes. Personne ne souhaite avoir un objectif pointé sur lui en permanence, surtout lorsqu'il est difficile de savoir si la caméra enregistre ou non. La norme évoluera peut-être ; mais paradoxalement, plus les applications pour ce type d'objets se développeront, plus les questions se poseront avec insistance, y compris devant les tribunaux et les régulateurs, qui en Europe considèrent avec méfiance l'évolution de la reconnaissance faciale.

Dans tous les cas, l'invasion des cyborgs n'est pas encore tout à fait pour demain. Google n'a pas encore confirmé la mise en vente de ses lunettes en Europe. A San Francisco, près du siège du géant du Web, le fait de porter des Google Glass est suffisamment mal vu – aussi et surtout parce que l'entreprise est accusée de faire flamber les prix dans la ville – pour que les bars refusent les clients qui les portent. Les Google Glass sont-elles l'avenir ? Etrangement, de Robocop à Terminator en passant par Dragon Ball Z, les lunettes connectées sont, dans l'imaginaire collectif, surtout ancrées dans les années 1980 et le début des années 1990. Les lunettes connectées, un rêve démodé ?

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