Bolewa Sabourin : la danse au service de la cité

Danseur et « artiviste », militant et homme engagé, Bolewa Sabourin a fait de l’art un puissant instrument de thérapie. Il veut aller plus loin en mettant ses dons au service des autres, à travers son association Loba. Rencontre.

 A 31 ans, Bolewa Sabourin a trouvé sa devise. Il faut dire qu’il a déjà vécu plusieurs vies. Il en a partagé une partie sur la scène du dernier TEDx Champs-Elysées Education, qui s’est tenu à la Maison de la Radio autour du thème « Harmonie ».

Petite alchimie des anticorps

Après ce puissant « talk » – que je vous invite à voir d’urgence ! – je bouillonnais de questions. Sur scène, il avait suscité des interrogations, ouvert des brèches et des parenthèses… J’en suis sortie convaincue qu’il y avait là une sacrée histoire optimiste à raconter. On s’est revus et il m’a répondu longuement, de toute son « honnêteté radicale ».

Bolewa l’exprime par le discours autant qu’il l’incarne par son corps : la danse est sa « rage de vivre », son « premier langage ». « C’est le fil conducteur de ma vie, mon médicament, ma solution, me raconte-t-il. Grâce à elle, j’ai pu travailler mes anticorps. » Des anticorps contre quoi ? La douleur, la maladie, la folie, la dépression…

Né à Paris d’un père congolais et d’une mère rochelaise, il grandit au Congo de l’âge de 1 à 6 ans. Il se construit entre deux cultures sans toujours savoir où sont ses racines. Il devient un homme solide malgré les failles. Qui se fait tout seul, mais avec les autres. Il rate son bac, décroche. Et s’engage. Il co-crée Cité en mouvement, participe aux collectifs Stop le contrôle au faciès et Jeudi Noir, prend des responsabilités dans un mouvement politique de jeunes, devient collaborateur d’élu.

Il compense le manque (de stabilité de son père, de présence de sa mère) par un attachement viscéral aux tribus qu’il constitue partout où il passe : « Je ressens une solitude aussi extrême que l’amour qui m’est parfois donné par ailleurs. », confie-t-il. Au fil des années, il trouve « ses gens », une famille aux contours multiples qui l’encourage, l’accompagne autant qu’il est présent pour elle.

Après 20 ans loin du Congo, Bolewa décide d’y retourner. « J’en avais marre qu’on me renvoie sans cesse à l’Afrique, dont je n’avais que des souvenirs, lointains et vagues, même si je me sens profondément africain. » Et de préciser : « je me suis éjecté de la France comme je me suis éjecté de moi-même ». Il prévoit de rester plusieurs mois, près de sa grand-mère, qu’il retrouve. Mais la pression est forte autour de celui qui donne à cette famille congolaise l’illusion de la réussite matérielle. 

Un leader différent

danse

Le voilà donc reparti sur les routes après seulement 15 petits jours, pour remonter vers la France, en passant par 10 pays d’Afrique. Un voyage qui forge sa jeunesse et le confronte à des questionnements existentiels : « Livré à toi-même, tu ne peux pas y échapper. Tout ce que tu n’as pas le temps de traiter au quotidien te revient en tête. » Pendant tout son périple, il consigne par écrit ses aventures et ses réflexions. Sur l’île sénégalaise de Gorée, il se prend une claque en découvrant le passé esclavagiste de la Rochelle. « J’étais donc à la fois nègre et négrier. » Il veut comprendre.

Il rentre d’Afrique motivé pour reprendre des études, persuadé qu’il lui manque encore des concepts et des références théoriques pour renforcer le pouvoir d’agir qu’il a déjà au sein des organisations dans lesquelles il s’engage. La seule chose qui l’intéresse, c’est d’avoir de l’impact : « Si j’arrive à toucher rien qu’une personne, je suis tranquille ! » Il s’inscrit en Master de Sciences Politiques à la Sorbonne grâce à la validation des acquis de l’expérience. Il étudie en même temps qu’il développe au sein de Passeport Avenir le programme de réussite « Different Leaders », qui accompagne des jeunes de quartiers populaires dans leur découverte des grandes écoles et du monde de l’entreprise.

Fidèle à sa devise, il sculpte son corps et aiguise son esprit : il dévore des livres aux thématiques variées ; il danse (hip-hop, danse congolaise) et s’entraîne (yoga, crossfit). Il supprime aussi toute substance qui peut « altérer son jugement ». Il arrête de fumer et ne boit plus – même une goutte – d’alcool depuis un an. Une ligne de conduite qu’il s’impose aussi pour sa petite sœur et les jeunes qu’il inspire.

Il fait sienne cette phrase d’Albert Schweizer qui irrigue les « Different Leaders » :

 Une volonté d’acier qui ne l’empêche pas d’envoyer bouler les normes des milieux dans lesquels il évolue. Sa chevelure frisée n’a pas vu un coiffeur en 5 ans ; sa barbe fournie lui vaut parfois d’être pris pour un islamiste alors que « la même sur un blanc, ça fait hipster. » C’est aussi ça l’exemplarité, façon Bolewa : assumer pleinement qui l’on est. Et renvoyer les gens à leurs préjugés et leurs contradictions.

La résilience : la thérapie par la danse

danse

Il obtient son diplôme. Mais chamboule bientôt son quotidien. Il quitte Passeport Avenir peu de temps après le décès d’un proche, début 2016. Sa décision coïncide aussi avec la rencontre de Denis Mukwege, un médecin qui soigne gratuitement les femmes victimes de violences sexuelles au Congo, dont l’action a été rendue publique par le documentaire L’homme qui répare les femmes.

Il veut faire pour les autres ce qui a marché pour lui : utiliser la danse comme un « artivisme », « une médecine alternative, une manière de réparer les esprits », plus adaptée que les psychothérapies occidentales qui ne prennent pas en compte les spécificités des cultures africaines. En parallèle des cours et des ateliers de danse qu’il développe avec ses complices de l’association Loba – « Exprime-toi » en lingala – il se consacre à la construction d’un projet, en lien avec la fondation du Docteur Mukwege.

En 2017, il publiera un livre pour raconter son histoire. Il partira surtout plusieurs mois pour le Congo, avec une amie photographe. Accompagnés d’une autre acolyte journaliste, ils travailleront main dans la main pour aider les femmes soignées par la Fondation à se reconstruire grâce à l’art. L’objectif : monter un spectacle avec celles qui y seront prêtes et contribuer ainsi à leur rendre leur estime d’elles-mêmes.

Optimiste et ambitieux, il en rêve déjà : il veut les emmener en représentation aux quatre coins du monde. Mais pas n’importe où : en Afrique du Sud, sur les traces de Nelson Mandela ; à Cuba, sur celles du Che ; aux Etats-Unis, pour explorer le parcours de Malcom X ou en Inde pour rendre hommage à Gandhi… Pas facile de laisser de la place là-dedans pour la famille nombreuse qu’il veut créer ! Et s’il rencontre une femme ? « Elle n’aura qu’à s’adapter. Ou à me quitter ». Au moins, elle est prévenue !

Bolewa Sabourin le dit volontiers : la danse, c’est « sa résilience », ce processus de guérison, cette capacité à rebondir après un traumatisme, jamais vraiment fini. « Ma vie est un chaos harmonieux dont je ferai une œuvre.», affirme-t-il sur la scène du TEDx. Et on le croit ! En l’écoutant, cette phrase du philosophe Friedrich Nietzche que j’aime beaucoup résonne dans ma tête :

 Danse, Bolewa, danse.

Conférence Tedx à retrouver ici !

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flora-clodicFlora Clodic-Tanguy, Slasheuse heureuse, j’ai fait le choix du journalisme positif. Mon bouillon de culture: des nouveaux médias optimistes et tournés vers l’avenir; des initiatives d’innovation démocratique, sociale ou écologique ; des entrepreneurs inspirants. Twitter @FloraClodic
 


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