Cap Ferret : Son seul concurrent, le paradis
Pendant trois semaines, Match vous accompagne dans des hauts lieux de vacances à la mode. Avant Mykonos et Ibiza, promenade iodée au bord de l'Atlantique. Au Ferret, loin du bling-bling, l'argent est discret, le luxe dissimulé et le bon goût revendiqué.
Les coordonnées de son coin de paradis, 44° 37’ nord, 1° 15’ ouest, Joël Dupuch les a gravées au fil bleu sur le col de sa vareuse. Dans «Les petits mouchoirs» , film à succès de Guillaume Canet, il joue – presque – son rôle sous le nom de «Jean-Louis», l’ostréiculteur taiseux. Depuis, le gérant des Parcs de l’Impératrice est devenu l’une des figures de la presqu’île : sa haute silhouette, ses pieds nus, son panache et sa grosse voix font de lui une icône du Cap Ferret, au même titre que le phare historique rouge et blanc.
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Joël et «le Ferret», c’est une histoire qui date : sixième génération de marins-ostréiculteurs à pêcher dans les eaux sombres du bassin et celles, plus capricieuses, de l’océan, il n’y a pas de meilleur guide pour découvrir l’endroit. Et nous l’expliquer. C’est Napoléon III qui encourage le développement de l’ostréiculture, mais, jusqu’à la fin du XIXe siècle, la presqu’île est le terrain de chasse et de pêche préféré de la bourgeoisie bordelaise. L’arrivée du train à Arcachon et, bien plus tard, un long-métrage, vont lever ce secret bien gardé. Beaucoup d’artistes vont y puiser leur inspiration. Le Cap Ferret, écrit Jean Cocteau, est un «Far West», un «rivage nègre» où l’«on se croirait aux premiers âges du monde». Avec ses horizons acidulés, ses senteurs iodées et ses cabanes rustiques, à quelques dizaines de kilomètres de Bordeaux, on y respire des parfums d’Afrique, d’Océanie ou des Antilles. Une parenthèse hors du temps, étonnamment préservée. Mais «gare aux apparences, le Cap Ferret ne se donne pas à tout le monde, il s’apprivoise», confie Pascal Bataille, animateur et producteur, propriétaire de l’hôtel quatre étoiles Côté Sable, entièrement décoré par son épouse, Adra. Avec Christian Moguérou, il est l’auteur du «Guide de survie au Cap Ferret»*, fort utile pour amadouer cette manche de sable qui s’étire entre bassin et océan. Les onze bourgs – Lège, Claouey, Le Four, Les Jacquets, Petit Piquey, Grand Piquey, Piraillan, Le Canon, L’Herbe, La Vigne, Le Cap Ferret – font comme autant de boutons. Neuf mille âmes y sont attachées à l’année, jusqu’a treize fois plus en juillet et en août.
"Ici, on se cache, en famille. C’est ça, l’esprit du Ferret"
Une seule route mène au bout de la presqu’île. «Sans feu rouge», précise-t-on. L’hiver, elle est déserte; l’été, saturée. Il faut parfois plusieurs heures, au pas, pour parcourir ces 25 interminables kilomètres. Reste le vélo. Des bancs de cyclistes arpentent les rues étroites, pelotons attirés chaque matin par le marché. C’est là, à l’aube, que nous retrouvons Paquita et Alain Torres. Depuis trente ans, sœur et frère vendent leurs fruits et légumes, comme leurs parents avant eux. Ils sont les témoins privilégiés des visiteurs anonymes ou célèbres. Alain, la cinquantaine, ne cite aucun nom, respectant la loi de la discrétion. « Ici, on se cache, en famille. C’est ça, l’esprit du Ferret. On laisse jouer les enfants sans surveillance, on embarque grands-parents, oncles, tantes, cousins, pour partager une bonne table et des moments agréables. Les gens sont libres, ils ne craignent rien. C’est rare… Ceux qui apprécient le Ferret veulent de l’authenticité, de la simplicité, du silence et de la nature.» «On vient manger des racines!» lance Philippe, un Parisien tombé sous le charme. Loin de l’actualité, du reste du monde. On vient surtout manger des huîtres. Sur place, au bord des parcs, dans de vieilles cabanes de pêcheurs qui, pour certaines, sont devenues des lieux de dégustation branchés.
En un siècle, la population des visiteurs s’est toutefois transformée. «Les anciens propriétaires, se plaint un habitant, ont vendu à prix d’or leurs maisons aux Parisiens et autres touristes, obligeant les locaux à se délocaliser à plusieurs kilomètres de là. Aujourd’hui, les tarifs très élevés sont surtout accessibles aux financiers et aux étrangers, beaucoup d’Américains et de Russes. » Les prix ont flambé, jusqu’à 10 à 15% par an, pour culminer à 40 000 euros le mètre carré en «première ligne», au bord du bassin. L’hectare se négocie entre 1 et 3 millions d’euros. Et c’est encore plus cher dans les «44». Les 44, c’est le nombre d’hectares entre le Mimbeau et la pointe du Ferret. Le sable le plus cher de France, vendu par l’Etat au siècle dernier à de riches Girondins qui ont débarqué dans leurs pinasses à voile. Un terrain de chasse et de pêche, et des plages vierges. Cent ans plus tard, le paysage est resté intact. Pas de bitume mais une piste cabossée, trouée d’ornières, presque impraticable les jours de pluie. Les résidents des 44 sont peut-être les plus riches et les plus snobs ; ils n’en revendiquent pas moins un statut de Robinson pour des vacances hippies chics, pieds nus au milieu des pins et des cigales. Comme à l’époque du Saint-Tropez encore sauvage de BB.
Chez Hortense, on respire l'iode mais aussi l'Histoire
Face à eux, les plus belles vues : l’île aux Oiseaux, le banc d’Arguin, la dune du Pilat. Et, pour lieu de rendez-vous, Chez Hortense, une institution. On n’y respire pas seulement l’iode mais aussi l’Histoire. Au départ, il y eut Hortense Lescarret, qui ouvrit l’établissement à la fin de la Première Guerre mondiale. Depuis, quatre générations se sont succédé, dont la dernière représentante est Bernadette, sans aucun doute une des femmes les plus connues de la commune. Impossible de la louper, dans une robe à fleurs multicolore. Auprès d’elle, François et Olivier, ses deux fils, et Frédéric, son neveu. Midi et soir, la terrasse affiche complet. Les tables sont réservées dix jours à l’avance.
Beaucoup de stars françaises et internationales de la télévision, du cinéma, de la politique ou de l’art se retrouvent au Cap Ferret. Certaines ont acheté leur morceau d’éden. Pascal Obispo, Guillaume Canet et Marion Cotillard, Laurent Delahousse et sa compagne Alice Taglioni, le designer Philippe Starck… Bernard Martin les connaît bien. Il est le plus célèbre des chefs de chantier du Ferret. Comme Etienne, son grand-père, puis Michel, son père, le patron de Bernard Martin Constructions a bâti pléthore de maisons. Modernes ou traditionnelles, presque toutes en bois. «Mes clients rachètent des terrains avec des bâtisses qu’ils font détruire pour en construire des nouvelles, plus ou moins contemporaines, plus ou moins luxueuses, mais toujours en respectant la nature.»
Un décor précieux qui perd des mètres de plage, grignoté par les eaux
«C’est chic, certes, mais décontracté», insiste Laurent Tournier, gérant – avec sa femme Alexandra – du Pinasse Café, restaurant à juste titre recommandé, avec son chef étoilé Pascal Nibaudeau. Le couple organise des soirées insolites et des apéros luxueux, au coucher du soleil, à bord d’un bateau, un magnifique Beacher. Cyril, volubile marin du «Cap 114», est à la barre. Depuis la mer, on distingue la pointe, un banc de sable immaculé. Un décor d’autant plus précieux qu’il est fragile. Chaque année, ce joyau perd des mètres de plage, grignoté par les eaux. Un des premiers à s’en être alarmé est Benoît Bartherotte. Après avoir fait fortune dans la couture et les chantiers navals, il est devenu « l’Indien de la pointe», dépensant sans compter dans l’édification d’une digue censée protéger son rivage. Pour financer ce colossal projet, Benoît loue ses cabanes en bois (haut de gamme), entre 15 000 et 20 000 euros la semaine au mois d’août. Albert de Monaco, Charlotte Casiraghi, Isabelle Adjani, Pierre Palmade, Gad Elmaleh en ont été les hôtes. Le soir, on peut les croiser dans les bars et restaurants huppés. Notamment chez Greg, au Wharfzazate, une des meilleures tables de la presqu’île. Mais, au Ferret, l’argent se fait discret, le luxe se dissimule derrière de hautes palissades et d’épaisses forêts de pins. D’origine ou importé, le Ferretcapien revendique le bon goût, loin des bling-bling Mykonos, Saint-Tropez ou Ibiza. Ni show off ni «m’as-tu-vu». Une soirée au Cap Ferret, c’est en famille ou entre amis, chez les uns ou les autres, autour d’une bonne table, d’un jeu de cartes. C’était déjà vrai pour Lino Ventura, Jane Fonda, Jean-Paul Belmondo, Johnny Hallyday. Ça l’est encore pour Laura Smet, Matthieu Chedid, Audrey Tautou, Leonardo DiCaprio…
Mais, riches ou pauvres, le spectacle est le même : qu’y a-t-il de plus beau que regarder, depuis sa terrasse ou depuis la plage publique, le ciel, l’eau et le sable se teinter de rose? Un rose nacré, couleur perle. Le vrai trésor du Cap Ferret.
* «Guide de survie au Cap Ferret», éd. Vents salés.