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Vous avez peut-être entendu parler de cette publication dans la revue Nature qui a fait beaucoup parler d'elle au début juin. Et pour cause : elle a fait vieillir notre espèce, Homo sapiens, de 100 000 ans, rien que ça ! Autrement dit, on est « juste » 50 % plus vieux que l'âge qu'on croyait avoir (environ 300 000 ans au lieu de 200 000).

C’est une nouvelle technique de datation qui a permis de réévaluer l’âge des restes humains en provenance d’un site archéologique marocain découvert en 1961, mais où l’on a fait de nouvelles fouilles à partir de 2004. Comme le rapporte le site web hominidés.com (dont je vous avais dit grand bien ici) :

les hominidés de Jebel Irhoud maîtrisaient le feu et ont brûlé un grand nombre d’éclats de silex. C’est une opportunité importante, car les chercheurs ont pu utiliser, sur ces morceaux de silex une méthode de datation dite par thermoluminescence. Jean-Jacques Hublin indique « on a pu établir une datation, pour les niveaux d’où proviennent les restes humains, autour de 315 000 ans (± 34 000 ans) ». Par ailleurs, cette datation a été confirmée avec l’utilisation d’une deuxième méthode dite par « résonnance électronique de spin. »

La professeure Ariane Burke du département d'anthropologie de l'Université de Montréal fait d’ailleurs cette remarque éclairante sur la stratégie méthodologique ayant permis cette découverte :

Depuis une vingtaine d’années, on a vu beaucoup de progrès dans les méthodes de datation. Les sites fouillés plus récemment peuvent être repris, parce que des sédiments ont été laissés en place en prévoyant qu’il y aurait peut-être des avancées dans les techniques archéologiques qui nous permettraient de revenir sur les lieux et de poser de nouvelles questions.

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Parmi les restes des 5 individus qui ont été trouvés (3 adultes, un adolescent et un enfant), il y avait un squelette d’adulte avec des morceaux du visage et une boîte crânienne déformée par les mouvements de terrain et un autre adulte dont on a découvert entre autres une mandibule presque complète et de nombreuses dents. Suffisamment d’éléments, donc, pour qu’il n’y ait aucun doute que ces fossiles appartiennent bien aux premiers représentants de l’espèce Homo sapiens (et non des Néandertaliens ou des Homo erectus qui existaient aussi à cette époque).

Du côté de leur cerveau, on a pu faire certaines inférences à partir du volume et de la forme de l’intérieur de leur boîte crânienne. Celle-ci serait plus allongée que la nôtre, mais clairement dans la fenêtre de variabilité du volume cérébral des humains actuels, mais avec un cervelet qui serait nettement plus petit que le nôtre. Donc encore une fois, un cerveau qui diffère de celui des Néandertaliens et d’Homo erectus, mais qui a tout ce qu’il faut pour se situer juste en « amont » de la lignée des Homo sapiens.

Si l’on parle ici d’une véritable révolution sur les origines d’Homo sapiens, ce n’est pas seulement à cause de l’énorme « coup de vieux » que notre espèce vient de prendre. C’est aussi à cause de l’endroit où l’on a découvert ces fossiles, le Maroc, donc le nord-ouest de l’Afrique. En effet, les plus vieux restes humains avant ceux-ci (ceux que l’on datait autour de 200 000 ans) avaient été découverts en Éthiopie. L’Afrique de l'Est était donc considérée depuis comme le berceau de l'humanité. Il semble donc plutôt que ces premiers hommes modernes se sont disséminés dans plusieurs régions du continent africain, dont le nord-ouest qui était à cette époque beaucoup moins désertique qu’aujourd’hui. Le berceau de notre espèce reste donc toujours l’Afrique, mais probablement très vite toute l’Afrique, et pas seulement la partie est.

* * *

L'année 2017 avait commencé avec un autre « scoop », plus modeste peut-être, mais qui va dans le même sens d'une origine plus ancienne. Il s'agit cette fois de l'arrivée des premiers humains sur le continent nord-américain par le détroit de Béring. Et le recul n'est pas de 100 000 ans, mais bien de 10 000. Mais toute proportion gardée, c'est quand même énorme puisque cette arrivée était estimée jusqu’ici à environ -14 000 ans selon les plus vieux sites archéologiques datés, alors qu'on l'estime maintenant plutôt à -24 000 ans, c'est-à-dire pendant que la dernière ère glaciaire était à son maximum.

C’est la même anthropologue citée plus haut, Ariane Burke de l’Université de Montréal, avec la contribution de son étudiante de doctorat Lauriane Bourgeon et du Dr. Thomas Higham, qui ont publié cette découverte en janvier dernier dans PlosOne sous le titre : " Earliest Human Presence in North America Dated to the Last Glacial Maximum: New Radiocarbon Dates from Bluefish Caves, Canada "

Comme le résume cet article de Jacqueline Charpentier :

C’est à l’aide d’artéfacts provenant des grottes du Poisson Bleu, situées sur les rives de la rivière Bluefish dans le nord du Yukon près de la frontière de l’Alaska, que les chercheurs ont fait leur découverte. Ce site a été l’objet de fouilles archéologiques entre 1977 et 1987 par l’archéologue Jacques Cinq-Mars. À partir de datation d’ossements animaux au carbone 14, le chercheur avait alors avancé l’hypothèse audacieuse d’une occupation humaine de cette région à une date aussi lointaine que -30 000 ans. [...]

Lauriane Bourgeon a voulu tirer la chose au clair et a passé en revue les quelque 36 000 fragments d’os prélevés sur le site et conservés depuis au Musée canadien de l’histoire à Gatineau. Un travail titanesque qui l’a tenue occupée pendant deux ans. Un examen approfondi de certaines pièces effectué au Laboratoire d’écomorphologie et de paléoanthropologie de l’Université de Montréal a révélé, sur 15 ossements, des traces indéniables d’intervention humaine. Une vingtaine d’autres fragments montrent également des traces probables de même type d’intervention.

Comme l’ont souligné plusieurs anthropologues et archéologues suite à ces deux publications remarquables de la première moitié de l'année 2017 (sur lesquelles l'émission de radio Les années lumière a fait deux bons reportages, ici et là) : l'histoire de l'humain réserve encore bien des surprises...

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