Le 18 mais 2016, à Paris, le gardien de la paix Kevin Philippy est agressé par une quinzaine de manifestants.

Le 18 mais 2016, à Paris, le gardien de la paix Kevin Philippy est agressé par une quinzaine de manifestants.

AFP/JOEL SAGET

Le 18 mai 2016, quai de Valmy, dans le Xe arrondissement parisien. Il est un peu plus de 12h30 quand un individu encapuchonné donne un premier coup de pied dans la portière arrière droite de la voiture de police. Dans son sillage, une vingtaine de personnes grimées, casquées, se mettent à secouer le véhicule sérigraphié. Un homme défonce la fenêtre côté conducteur.

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Au volant, l'adjoint de sécurité Kevin Philippy tente plusieurs manoeuvres pour se dégager. En vain. Un individu cagoulé lui décoche coups de pied et de poing au visage. Les projectiles s'abattent sur la voiture. Un homme lance un plot de stationnement et défonce la vitre arrière, un autre jette un objet incendiaire dans le véhicule. La voiture s'embrase. Côté passager, l'adjointe de sécurité Allison B. crie à Kevin Philippy de sortir. L'ADS tente alors de parer les coups de barre de fer qui pleuvent.

"Poulets rôtis"

Un homme extirpe Allison B. du véhicule en feu, elle ordonne à son adjoint de se replier. Quelques minutes plus tard, devant la voiture incendiée, quelqu'un a déposé sur la chaussée un panneau sur lequel est écrit: "Poulets rôtis". Au printemps dernier, ces images, tournées en marge d'une manifestation de policiers dénonçant "la haine anti-flics", ont fait le tour du Web et l'ouverture de tous les JT. La guerre que se livraient depuis des semaines militants anti-loi Travail et forces de l'ordre sur fond d'état d'urgence avait atteint son paroxysme.

Huit personnes ont déjà été mises en examen dans ce dossier -, L'Express revient sur le profil de trois des protagonistes du quai de Valmy. Les deux premiers, Antonin Bernanos, 22 ans, et son petit frère Angel, 19 ans, sont soupçonnés de compter au rang des meneurs de l'attaque. L'aîné comparaît libre après avoir été incarcéré à Fleury-Mérogis: il est accusé d'avoir frappé le fonctionnaire et défoncé le pare-brise arrière du véhicule, ce qu'il dément. Le troisième, Kevin Philippy, 31 ans, promu et décoré par Bernard Cazeneuve de la médaille de la Sécurité intérieure, vient de sortir de l'école des gardiens de la paix de Sens et attend sa nouvelle affectation.

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Ce colosse de 1,83 m et de 130 kilos ne s'est jamais exprimé officiellement, même si l'on a cru un temps qu'il avait accordé une interview exclusive à RTL, dans laquelle il déclarait n'avoir "aucune haine" contre ses agresseurs. La station avait en réalité été victime d'un usurpateur. Le vrai Kevin Philippy -que les frères Bernanos se le tiennent pour dit- n'a aucune mansuétude pour ceux qui l'ont attaqué. "J'aimerais comprendre pourquoi ils ont la haine, nous souffle- t-il. Plus tard, quand ils seront plus matures, quand ils auront une vie de famille, si je les recroise en garde à vue, j'aimerais vraiment comprendre..." C'est peu dire que le policier, en couple avec une infirmière et père d'une petite fille de 19 mois, est tombé des nues en découvrant le profil des deux frangins, descendants directs de Georges Bernanos, illustre écrivain catholique, ex-militant de l'Action française devenu antifranquiste.

Jeunes gens modèles

L'aîné, lunettes et air sage, a passé son bac ES au lycée autogéré de Paris, dans le XVe arrondissement, où il a laissé le souvenir d'un élève "impliqué, dont la large culture est mise en valeur par sa capacité d'analyse, un élément moteur dans le groupe".

Au moment des faits, Antonin était inscrit en licence de sociologie à Nanterre et directeur adjoint d'un centre de loisirs à Issy-les-Moulineaux. Son frère Angel, une boucle à chaque oreille et le regard noir, étudiait en 1re année de géographie à Tolbiac et travaillait le mercredi comme animateur au pied de la cité Pablo- Picasso, à Nanterre, ville dont leur mère, Geneviève, est directrice de l'aménagement et du développement. Leur père, Yves, petit-fils de l'auteur des Grands Cimetières sous la lune, est réalisateur de documentaires, engagé sur les problématiques sociales. Partout, les deux frères - qui habitent toujours chez leur mère, dans le XIVe arrondissement de Paris -font l'unanimité: même les mères de leurs petites amies respectives, Swan et Joséphine, ne tarissent pas d'éloges sur ces jeunes gens modèles.

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"Ces deux frères ont grandi avec une cuillère en argent dans la bouche!" s'étonne Kevin Philippy, découvrant à la faveur de l'enquête les traits d'une bourgeoisie aussi culturellement favorisée que viscéralement engagée à l'ultragauche. Car, pour les policiers, l'implication des deux frères dans des groupuscules violents comme Action antifasciste Paris-Banlieue ne fait aucun doute: durant les six mois qui ont précédé leur interpellation, ils ont été repérés une douzaine de fois dans des manifestations qui ont dégénéré. Antonin milite depuis ses 15 ans dans divers mouvements, "pour la justice sociale", dit-il, sans jamais développer. Il a été arrêté à plusieurs reprises pour des faits de port d'arme prohibé et de violences aggravées, notamment commises en marge de manifestations en hommage à Clément Méric ou à Rémi Fraisse.

Fiché S

"Il aime la nature, la lecture, les grandes marches, la pêche, les activités contemplatives, et cette réalité est pour moi en totale contradiction avec l'image qui est donnée de lui aujourd'hui", assurait son père aux enquêteurs, le 20 mai dernier. Quant à Angel -que sa mère qualifie dans une lettre adressée à la juge d'"incapable de violence"-, il se dit peu politisé et "intéressé par le social, les maraudes pour les SDF à Stalingrad, les migrants"... mais il est fiché S pour son appartenance à "la mouvance contestataire antifasciste susceptible de se livrer à des violences". En perquisition, les enquêteurs ont retrouvé 248 tracts, 24 affiches d'actions antifascistes, et 13 casques posés sur une étagère du balcon... à côté des raquettes de tennis.

Le 29 juin dernier, au bout de 42 jours de détention, Angel est sorti de prison: Nicolas F., 40 ans, venait d'avouer les faits dont un témoin sous X -policier des renseignements parisiens (DRPP)- avait chargé le cadet. Un soulagement pour sa mère, qui multipliait les lettres dénonçant les conditions de détention de son fils, privé de ses médicaments alors qu'il souffrait d'eczéma, rencontrant des difficultés à cantiner "fruits frais et biscuits secs"... Son grand frère, "Anto", lui, est passé par Fleury-Mérogis. Celui qui refusait de donner aux enquêteurs les codes de déverrouillage de son iPhone s'est effondré lors de ses dernières auditions avec la juge d'instruction, lâchant "c'est un cauchemar" à travers ses larmes... En prison, il s'occupe, travaille à la cuisine et continue sa licence. A l'époque, sa mère se réjouissait: "Il ne parvient pas à étudier correctement dans sa cellule mais a obtenu de pouvoir passer une heure par jour à la bibliothèque pour trouver le calme."

Un profil qui rappelle Julien Coupat

Il a été très soutenu par ses profs de fac, qui ont rédigé une pétition pour réclamer sa libération. Un écrivain en lice pour le prix Renaudot, Fabrice Guénier, a également rédigé une attestation en sa faveur. Un soutien des milieux intellectuels qui rappelle celui dont avait bénéficié en 2008 Julien Coupat, militant d'ultragauche fils de médecins, poursuivi pour "association de malfaiteurs" au moment de l'affaire Tarnac. Antonin s'est d'ailleurs, un temps, attaché les services du même avocat, Jérémie Assous. La "journée de soutien aux inculpé-e-s du mouvement social", rassemblant professeurs, journalistes et militants, qui s'est tenue le 2 mars dernier à la faculté de Nanterre pour réclamer la libération d'Antonin Bernanos, fait écho aux comités de soutien qui s'étaient portés au secours de Coupat, diplômé de l'Essec et doctorant à l'EHESS. Si les proches d'Antonin Bernanos se mobilisent, c'est qu'ils sont sûrs qu'il est "victime de l'acharnement policier". En face, l'avocate de Kevin Philippy, Michèle Launay, lui a toujours déconseillé de s'exprimer dans les médias. "Il n'est pas structuré pour ça. C'est un garçon simple, il n'a jamais été dans la lumière, ne saurait pas s'y prendre", juge-t-elle.

Ce 18 mai, sur les rives du canal Saint-Martin, Antonin et Angel, militants "antifa", ont croisé l'enfant de "prolos" devenu flic -né en Martinique, il a été élevé par une mère seule, auxiliaire de vie... Il y a quelque chose de Pasolini dans cette histoire. S'adressant aux étudiants après une bataille qui les vit affronter la police dans un rassemblement sur les hauteurs de Rome, le 1er mai 1968, le cinéaste et intellectuel les avait tancés: "A Valle Giulia, hier, il y a eu ainsi un fragment de lutte de classe: et vous, mes chers (même si de la part de la raison), vous étiez les riches, tandis que les policiers (qui étaient de la part du tort) étaient les pauvres. Belle victoire, donc, que la vôtre!"

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