la boîte à archives du rl 23 avril 2004, l'adieu aux mineurs

Le 23 avril 2004, la fermeture de la mine de La Houve, à Creutzwald, marquait la fin de l'aventure du charbon français. Le Républicain Lorrain vous propose une plongée dans les archives pour marquer cette date anniversaire.
Service Documentation - 23 avr. 2014 à 14:33 | mis à jour le 24 avr. 2014 à 00:34 - Temps de lecture :

Le Républicain Lorrain vous propose désormais d'entrer dans les archives de votre journal. Revivez un événement marquant, grave ou léger tel qu'il était paru dans nos colonnes.

Culture, sport, faits-divers, politique, vie quotidienne… Avec "La boîte à archives du RL", retrouvez un article original d’époque, retranscrit pour vous faciliter la lecture et vous permettre de plonger dans les actualités régionales et Grande Région qui ont marqué les pages de votre quotidien.

 

• Notre supplément spécial : "Charbon, une aventure humaine" [Républicain Lorrain du 22 avril 2004]

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• Les mineurs chez les medias nationaux [Républicain Lorrain du 23 avril 2004]

Du fond au grand jour 

Le dernier bloc de charbon français sera symboliquement extrait aujourd’hui du puits de La Houve, à Creutzwald. Il s’agira du coup d’envoi de trois journées d’hommage aux "gueules noires". Quatre anciens mineurs du Bassin houiller ont été, hier, les porte-parole de générations de camarades. A l’instar du Républicain Lorrain avec son supplément, la plupart des grandes radios et télévisions nationales ont salué une corporation au travers des témoignages de Patrick, Jean-Marie, Richard et Guiseppe. Reçus en direct par Jean-Pierre Pernaut, dans le journal de 13 heures sur TF1, les Lorrains ont adressé un « Glück Auf ! » ému aux Français.
 

Les premiers surpris, hier matin, furent sans doute les employés de la voirie affairés à nettoyer les avenues à grande eau, ou les quelques courageux qui prenaient déjà, dès potron-minet, leur café en terrasse sur les avenues. Et pourtant, il fallait bien accepter l’évidence: ces loupiotes se balançant en rythme, ces casques blancs, ces chemises à carreaux, ces pas déterminés étaient tout ce qu’il y a de réel... Des mineurs lorrains, pour une dernière fois, foulaient – en tenue – le pavé parisien. Oh ! Pas une manifestation... Juste quatre témoins d’une époque presque révolue, venus, à l’initiative du Républicain Lorrain, rencontrer nos confrères de la presse audiovisuelle pour leur parler des réalités de leur métier.

Membres de l’association freymingeoise Solidarité Gueules Noires, Patrick, Jean-Marie, Richard et Guiseppe ont ainsi eu l’occasion de remettre dans chacune des rédactions visitées un morceau de charbon extrait de La Houve ainsi que notre édition spéciale d’hier, qui incluait notre supplément historique de 16 pages. Une tournée-marathon débutée aux aurores, donc, et qui dès le début s’est teintée d’une curiosité profonde à l’égard de ce pan de notre histoire. Les mineurs comptaient rencontrer Jérôme Godfroy à 6h30 sur RTL; ils y croiseront un Alain Duhamel étonné mais ravi, puis un Philippe Robuchon interrompant la préparation de sa revue de presse pour leur présenter un ouvrage sur les mines... écrit par son père, originaire de Saint-Etienne. Comme un fait-exprès, au détour d’un couloir, le groupe tombait ensuite nez à nez avec Edmond Maire, l’ancien leader de la CFDT, qui ne se fit pas prier pour une séance photo !

Confiance

Après un passage par Europe 1, le périple se poursuivait par une halte prolongée à la Maison de la Radio. L’occasion d’un échange chaleureux avec Stéphane Paoli et Bertrand Vannier, directeur de la rédaction de France Inter mais aussi de gagner en confiance, dans ce monde des médias dont ils ignoraient tout quelques heures auparavant. C’est ainsi que quelques étages plus haut, les "gueules noires" s’immergaient après quelques taquineries dans la rédaction de France Info, où une conversation pleine d’allant se nouait avec le directeur de la station, Michel Polacco. En gage de sympathie, les mineurs lui remettront d’ailleurs une boutonnière à leur emblème : celui de deux marteaux croisés.

Mais l’émotion sera aussi du voyage, comme quand une journaliste anonyme glissera spontanèment, au passage du groupe, un discret "Cela m’a touché, votre histoire"...A France 2, l’équipe rencontra Daniel Bilalian, qui n’hésita pas à quitter la conférence de rédaction de son 13h pour faire quelques révélations... étonnantes ! "Je suis admiratif d’un métier où l’on risquait sa vie chaque jour, expliqua le présentateur. Du côté de ma mère, il y avait des mineurs dans ma famille, puisque mon oncle était porion. Quand il descendait, ma tante ne recommencait à sourire que lorsque la sirène de fin de poste résonnait..."

L’expérience se poursuivit sur les plateaux de LCI et TF1, où les mineurs eurent l’occasion de se voir détailler le fonctionnement des petites "astuces" de la télé, comme le fonctionnement des écrans bleus de la météo. Puis vint le moment très attendu du journal de Jean-Pierre Pernaut, grand-messe parfaitement rodée dans laquelle les mineurs purent faire passer le seul message qui leur importait vraiment : un "Glück auf" à leurs camarades. Au sortir du gigantesque bâtiment de verre et d’acier, les quatre hommes prirent encore le temps de serrer des mains et d’expliquer aux curieux le fonctionnement de leur appareil d’évacuation autonome, indispensable, précisaient-ils, "aux mineurs de maintenant". Décidément, il n’est sans doute pas pour tout de suite, le temps où, dans les cœurs lorrains, la mine appartiendra au  passé...

Ils ont dit...

Daniel Bilalian (France 2) : "J'espère que vous continuerez à trouver dans votre vie autant de joies que votre métier a pu en apporter".
Catherine Matausch (France 3) : "Je suis bien consciente que le vrai coup au moral, ce sera le jour de la fermeture".
Yvon Deleau (France 3) : "Avant d'être secrétaire général de la rédaction de France 3, j'étais grand reporter. Et durant ce temps, il y a toujours eu deux métiers qui m'ont impressionné : mineur et pêcheur".

De nos envoyés spéciaux Matthieu Kedzierski et Philippe Riedinger [Républicain Lorrain du 23 avril 2004]
 
 

• La première des Enfants du Charbon [Républicain Lorrain du 24 avril 2004]

Les enfants du charbon entrent dans l’Histoire

Lors de la cérémonie de fermeture du carreau minier de La Houve, hier soir, la première représentation du spectacle Les Enfants du Charbon a été donnée devant un parterre d’officiels et les mineurs de La Houve. L’émotion était au rendez-vous.

Le chevalement est antique. Cathédrale de fer oubliée dans une plaine de Lorraine, les touristes viennent de loin pour découvrir la curiosité. Il y a 1000 ans, c’est sous les pieds de l’ouvrage que des hommes puisaient leur énergie. A la force des bras, puis des machines. Porte d’entrée du spectacle mis en scène par Sylvie Dervaux et joué par les familles de mineurs sous le chapiteau du carreau minier de La Houve, ce chevalement traverse l’Histoire. Merveille, telle une pyramide, dans le futur. Machine d’extraction dans le passé. Sur scène et sous cette toile tendue où 2 500 personnes ont pris place hier soir, le passé minier n’a pas tout à fait rejoint l’histoire.

Noir. Nous voici plongés dans l’ère carbonifère, le feu est découvert. Reste à trouver la matière, ce charbon dont la mise à jour a plongé les hommes sous terre. Sur les planches, les pépites sont autant de danseuses, des corps en mouvement, camouflés sous capes noires. La fresque délivre la saga minière sous l’œil averti des mineurs de La Houve invités pour la première. Elle parle avec le timbre lyrique de Sylvie Dervaux. Elle vit sous la forme de 150 bénévoles, elle vibre car aucun ne joue la comédie, trop soucieux de restituer l’histoire de leurs aînés. Ils ne jouent pas, ils sont les Enfants du charbon.

Feu. Les premières galeries sont creusées. "Le mineur se forge une âme, comme ils forgent des armes, pour combattre, détourner, dompter l’eau, la terre, l’air, le feu", dit la voix de Sylvie. Une galerie boisée, un boutefeu, l’explosion. Les mineurs du public connaissent cette histoire. Et pourtant, ils sursautent encore.

"Il faut mourir un peu..."

Guerre. Les mines du bassin minier sont mises sous séquestre, la population connaît l’exode, les prisonniers russes et polonais vivent le calvaire. Sur scène, une Simca traverse la plaine, les charrettes vont cahin-caha, les chœurs russes ébranlent le public.

Et l’histoire continue. Comme un cours magistral dont il ne faut pas perdre une miette car il n'y en aura pas d'autre. Nationalisation, modernisation, récession, tensions, les tableaux livrent chaque épisode en jouant sur l’émotion. Jusqu’à ce que la boucle se boucle. "Il fallait bien que ça arrive, ce mois, ce jour, cette heure. Ce dernier tête à tête du haveur avec sa haveuse". Sur scène, trois tableaux encore. Le temps que défilent quelques Smart, symboles de la reconversion, le temps aussi pour Sylvie Dervaux de faire monter les larmes dans le public : "Il faut mourir un peu à cette vie mystérieuse (...)".Le spectacle gagne en émotion mais perd en puissance. Mais peut-être est-ce encore le reflet de la réalité. Sous ces grandes toiles provisoires, où les acteurs-mineurs éteignent un à un leurs lampes frontales en guise de dernier salut, il est l’heure d’accepter la fin du charbon. Sur scène, le passé minier vient de rentrer dans l’histoire...

Article signé Céline Killé [Républicain Lorrain du 24 avril 2004]
 
 

• Editorial [Républicain Lorrain du 23 avril 2004]

Nouveaux défis

Les mineurs le disent avec un juste souci de précision : aujourd'hui ce n'est pas une page qui se tourne dans le Bassin houiller lorrain, mais c'est un livre qui se ferme. Il raconte un siècle et demi d'aventure collective étroitement liée à l'histoire sociale et industrielle de la France. C'est de la sueur et du sang, ce sont des luttes qui ont forgé une tradition ouvrière et syndicale, c'est aussi la conscience d'avoir participé au développement économique du pays au sortir de deux guerres. L'adieu à l'ultime puits de mine français, celui de La Houve à Creutzwald, porte dans ses veines les dernières phrases poignantes de l'épopée mythique du charbon. Si elle a trop souvent inspiré des romanciers, conditionné les politiques et parfois donné naissance à un lyrisme misérabiliste à faire bondir d'effroi les hommes du fond, elle a surtout profondément modelé le paysage et les hommes. Les souffrances, les deuils, mais également la solidarité, les fêtes et les joies partagés ont fourni racine commune à toute une population.

Comme d'ailleurs ces cités où tout le monde était logé à la même enseigne et vivait avec la peur au ventre. Comme la médecine de la mine, la fanfare et les terrains de sport des Houillères. Comme les enfants qui prenaient la succession du père, sans se poser de questions. Etau ou cocon peu importe, car les mineurs sont riches de leur passé.

Ce monde cependant s'efface doucement et invite le Bassin houiller à s'inventer un nouvel avenir, trouver des projets pour empêcher l'exode des jeunes, et se construire une nouvelle identité. Il n'a d'ailleurs pas attendu pour démarrer sa reconversion en attirant les investisseurs, car la fin de La Houve n'est pas un coup de grisou dans une galerie tranquille. Elle était prévue, programmée. Mais le plus gros reste à faire pour assurer un nouvel élan. Entre le patrimoine foncier à réhabiliter, le traitement des friches industrielles, l'environnement à soigner, les formations scolaires à repenser, la poursuite de la réindustrialisation, et pourquoi pas le développement d'un tourisme basé sur la mémoire de la mine, il y a du pain sur la planche. Et beaucoup d'espoir aussi. Dans le Nord, le pays minier confronté autrefois aux mêmes défis relève la tête. Les Lorrains que l'on sait âpres au travail n'hésiteront pas à retrousser leurs manches. Pour peu qu'ils soient soutenus par les pouvoirs publics...

Article signé Antonella Krebs [Républicain Lorrain du 23 avril 2004]
 
 
 

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