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EnquêtePesticides

En Bourgogne, les hélicoptères à pesticides sont de retour

Malgré son interdiction depuis 2009, l’épandage aérien de pesticides continue, provoquant la colère des riverains et des associations de protection de la nature. A Mâcon, la coopérative agricole vient de déposer sa demande à la préfecture. Enquête au pays des vins de Bourgogne.


Entouré d’un vignoble de cinq mille hectares et fort d’une production de quarante-neuf millions de bouteilles par an, Mâcon est bien connu des vinophiles qui viennent de loin pour la plus ancienne Foire nationale des vins, en France. Au sud de la Bourgogne, son paysage offre un entrelacement de villages et de vignes ondulant au gré des monts couronnés de masses pierreuses. On y cultive les cépages de chardonnay pour les blancs et de gamay pour les rouges.

Le 24 mars, la Coopérative agricole du Mâconnais Beaujolais (CAMB) a déposé à la préfecture de Saône et Loire une demande de dérogation d’épandages aériens de produits phytosanitaires pour lutter contre le mildiou, l’oïdium et le black-rot, maladies communes de la vigne, pour une période temporaire de quatre mois entre le 22 avril et le 4 août 2014.

Cette dérogation porte sur des parcelles situées sur six communes : Davayé, Fuissé, La Chapelle-de-Guinchay, Pruzilly, Saint-Véran, Solutré-Pouilly et Vergisson. La société Giragri doit effectuer l’épandage par hélicoptère.

- La Roche de Solutré -

« Si on doit épandre des pesticides dès qu’il y a du mildiou dans les vignes, on n’a pas fini d’en voir ! »

« L’année dernière il y avait eu des dérogations pour traiter la flavescence dorée. On avait été prévenu trop tard et on n’avait pas pu s’organiser. Cette année, ce qui m’inquiète, c’est que l’arrêté concerne un ensemble de maladies assez banales comme le mildiou », dit Lucienne Haese, présidente de l’association Autun Morvan Ecologie. « Si on doit épandre des pesticides quand il y a du mildiou on n’a pas fini d’en voir ! ».

« L’an dernier, ce sont les associations qui ont prévenu les écoles des épandages aériens, afin qu’elles gardent les enfants à l’intérieur » renchérit Thierry Grosjean, président de la CAPEN 71, qui fédère les associations de protection de l’environnement de la région.

A Mâcon, la demande de dérogation pour traitement par voie aérienne est instruite par le Préfet du département de la Saône-et-Loire. Avant de prendre sa décision, celui-ci convoque le Comité départemental d’évaluation des risques sanitaires et technologiques (Coderst). Réunissant les services de l’Etat, les associations, les services vétérinaires, et la coopérative agricole qui fait la demande (CAMB), cette commission donne son avis sur le projet tout en sachant qu’il n’a pas de valeur décisionnaire.

Lucienne Haese représentait les associations de protection de la nature au Coderst. En sortant de la réunion le 17 avril à midi, elle raconte : « C’était bien d’être là. Même si n’on a pas eu le droit de voter, on a pu faire des observations qui seront rapportées au préfet. UFC que choisir et les services vétérinaires étaient contre la demande, comme nous, et ils ont rappelé que l’épandage aérien était très dangereux pour la santé. Ces dérogations remettent en cause la loi européenne. Avant, c’était des dérogations pour des insectes précis et maintenant c’est pour toutes les maladies ».

L’épandage aérien est en fait interdit depuis 2009 et l’adoption du « paquet pesticides », règlement européen qui encadre l’usage de ces produits dans les pays de la communauté. En France, il a fallu attendre juillet 2011 pour que cette directive sur l’utilisation durable des produits phytosanitaires soit transposée en droit français.

De plus, d’ici à 2018, le plan Ecophyto, né du Grenelle de l’Environnement, vise une réduction de moitié de l’usage des pesticides en France. Selon le ministère de l’Agriculture, les épandages aériens ont baissé de 25 % entre 2012 et 2013, mais en réalité les demandes de dérogations continuent d’arriver à jet continu dans les préfectures.

Comment faire respecter la loi, quand l’Etat lui-même octroie les dérogations ? Selon France nature environnement (FNE), l’arrêté du 23 décembre 2013 du ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll qui devait modifier le système d’autorisation des épandages aériens, n’a rien changé et n’a pas pris en compte la consultation publique.

La consultation publique, un outil de démocratie mal connu

François Veillerette, porte-parole de l’association de lutte contre les pesticides, Générations futures, témoigne : « Depuis 2010, nous recevons énormément de plaintes de gens vivant à la campagne qui voient toujours des pulvérisations aériennes près des villages. »

Sous la pression de la société civile, depuis le 5 août 2013, l’article L120-1-1 oblige le préfet à organiser une consultation publique relative aux demandes d’autorisations préfectorales.

Ainsi, entre le 2 et le 17 avril 2014, sur le site internet de la préfecture de Saône et Loire, la consultation sur la demande d’épandage aérien sur certaines parcelles de vigne a recueilli des commentaires.

Selon Lucienne Haese, « il y a eu seize commentaires : quinze contre et un pour. Je suis sûre que cela peut influencer le Préfet. »

Encore faut-il être au courant. Dans les villages concernés par les épandages, le 15 avril, plusieurs maires découvraient la nouvelle. Reporterre l’a ainsi appris à Roland Vaisse, maire de St Vérand : « Je n’avais pas été prévenu, je ne suis pas au courant et je ne suis pas le seul ». A Vergisson, le maire Roger Lassarat « ne se souvient pas d’avoir lu quelque chose à ce sujet ». Il va demander à sa secrétaire. Vérification faite, un courrier vient d’arriver, deux jours avant la fin de la consultation.

Cependant, M. Lassarat juge que « le risque est minime, car les parcelles sont petites et situées en dehors du bourg. L’hélicoptère n’est pas plus nuisible qu’un autre appareil ».

C’est aussi ce qu’affirme Julien Giroux, attaché commercial de la coopérative agricole (CAMB) qui a déposé la demande : « On stigmatise l’hélicoptère mais c’est un moyen qui permet d’utiliser moins de produit sur les cultures. On le fait depuis trente ans et c’est sur une toute petite partie de la terre agricole de cette région. La superficie totale concernée n’est que de 9,72 hectares. Que l’on prenne l’hélicoptère ou pas, on va traiter la vigne de toute façon. On utilise ce mode quand il n’y a pas d’accessibilité terrestre et il y a une pénibilité énorme d’y aller avec un bidon à dos. C’est dangereux pour la personne qui applique le produit. »

Pour répondre aux accusations, l’année dernière la coopérative agricole a invité les décideurs au niveau administratifs (DDT, Préfet, Coderst) des régions de la Saône et Loire et du Rhône, à assister à un épandage aérien avec hélicoptère : « Tous sont repartis en disant : on ne pensait pas que c’était ça. Les gens s’imaginent qu’il est à vingt mètres du sol, en fait il vole à moins d’un mètre au-dessus des plantes. »

Les épandages aériens sont dangereux pour la santé des riverains

Malgré ces efforts louables, le service vétérinaire du Coderst est formel : « Quand ils disent que l’hélicoptère rase la vigne et qu’il n’y a pas de risques de contamination des parcelles riveraines, ça ne tient pas. On a retrouvé des traces de pesticides d’épandages traditionnels à des kilomètres des zones traitées ». Car même un vent faible emporte une grande quantité de produit aux alentours des zones traitées.

Sur la carte de la topographie des zones d’épandages, mise à la disposition du public, sur la commune de Solutré Pouilly, une des parcelles (en orange sur la carte) est à moins de 100 mètres du site des Roches de Solutré, classé Natura 2000 (en rouge sur la carte). Une autre touche la zone du parc des Roches de Vergisson. Des autres parcelles jouxtent le cours d’eau La Denante.

« Les roches de Solutré sont un lieu de promenade très prisé. Est-ce qu’ils vont interdire les balades sur ce site pendant les 72 heures avant et puis le temps de l’épandage et encore 48 heures après ? Pourquoi n’utilisent-ils pas des produits moins dangereux ? » a demandé Lucienne Haese à la CAMB lors du comité Coderst. Personne n’a répondu.

Des solutions alternatives existent

A Saint-Vérand, non loin de là, Nicolas Rousset travaille les vignes selon les méthodes de la biodynamie, une forme d’agriculture Biologique, en suivant les rythmes du calendrier lunaire. Il raconte : « Je vois les hélicoptères épandre des produits chaque année. Sur nos vignes, nous utilisons uniquement des produits de contact qui ne polluent pas mais qui ont le désavantage d’être facilement lavés par la pluie. Les produits phytosanitaires qu’ils utilisent ont une rémanence de quatorze jours, donc ils n’ont pas à refaire le traitement si souvent. En 2012 l’année a été très pluvieuse avec une recrudescence de maladies et du coup en 2013, il y a une grosse pression des viticulteurs pour refaire des traitements intensifs ».

Pour Jean-Claude Bévillard, chargé des questions agricoles à la FNE, « Il faut que le ministre de l’Agriculture se décide à promouvoir les pratiques alternatives aux épandages aériens - rotation des cultures, observation des parcelles, épandage par voie terrestre - et tienne tête aux marchands de chimie. »

Pour Pierre-Michel Perinaud, médecin qui travaille sur l’impact des pesticides sur la santé, le lobby des industries de produits phytosanitaires est bien réel : « Les coopératives agricoles sont infiltrées par les industries de produits phytos. En Limousin, les coopératives vendent les produits et en plus ce sont elles qui décident s’il faut traiter ou pas. Ce n’est pas l’agriculteur qui va dans son champ et décide s’il a besoin d’un traitement. Les coopératives agricoles se basent sur leurs études pour organiser les traitements, en interne. »

Julien Giroux, de la CAMP, confirme son rôle de pourvoyeur d’études : « On répond à la demande des viticulteurs. On est équipé d’un logiciel informatique qui prévoit la météo avec un système de modélisation qui va nous donner les données agronomiques liées aux maladies et qui nous indique si il faut traiter ou pas ». Ce système a été mis au point par un centre de recherche privé.

Dans le dossier de demande de dérogation déposée par la CAMP, les produits proposés à l’épandage sur les vignes du Mâconnais sont nommés : Mandipropamide, Métrafénone, Tébuconazole, Trifloxystrobine, Sulfate de Cuivre, Folpel Quinoxyfène, Soufre Mouillable, Fosétyl Al, Cymoxanil.

Si l’on se réfère à l’article de Johan Spinosi (Institut de veille sanitaire, laboratoire Umrestte, revue santé au travail), le tebuconazole est classé CMR, catégorie « reprotoxique » suspecté (cat. 2) (risque possible pendant la grossesse d’effets néfastes pour l’enfant) et c’est aussi un perturbateur endocrinien (selon la classification Mac Kinlay).

Le traitement met aussi en danger les insectes pollinisateurs. « Quand j’ai parlé des abeilles au représentant de la coopérative agricole, il m’a répondu qu’il n’y avait pas de fleurs dans la vigne donc pas d’abeilles ! Mais les fleurs et les arbres voisines des parcelles traitées sont pollués par les pesticides. Dans les dérogations, il est stipulé qu’il faut prévenir les apiculteurs soixante-douze heures avant l’épandage, mais allez transporter deux cents ruches en deux jours. C’est impossible », rétorque Lucienne Haese.

Les pesticides en France, un problème négligé par le gouvernement

Si l’épandage aérien de produits phytosanitaires est à proscrire, il est à rattacher au problème plus général de l’usage des agents phytosanitaires en France. Le docteur Pierre-Michel Périnaud a lancé en Limousin, un appel en 2012 pour sensibiliser les consommateurs, les producteurs et les autorités sur les dangers des pesticides dans l’environnement.

Au fait de la situation, il partage sa vision de la situation en France aujourd’hui : « Les épandages aériens ne représentent pas une grande quantité de la consommation des pesticides en France et même si elle est en régression il faut noter que la consommation globale de pesticides en France augmente. Nous sommes toujours le premier pays européen consommateur de pesticides. En particulier les Antilles consomment trois fois plus de pesticides à l’hectare que la moyenne française. La consommation ne baisse pas alors qu’elle aurait dû se réduire avec les lois Grenelle. En décembre, le ministère de l’agriculture a dit que la consommation avait baissé ; en fait si on lit les statistiques sur plusieurs années, on n’observe pas de diminution. »

Pour Jean-Marc Ménard, directeur de recherche à l’INRA, la consommation de pesticides ne baissera pas pour des raisons agronomiques et économiques. L’intensification et le manque de rotations des cultures entraînent un besoin d’apports chimiques toujours plus effréné. C’est tout le modèle de production qui est à revoir.

Dans le Mâconnais, la réponse du préfet concernant l’autorisation d’épandage aérien sera connue dans les prochains jours. A suivre...


La suite de l’histoire : Le 6 mai 2014, le Conseil d’Etat a interdit les dérogations à l’interdiction d’épandage de pesticides.

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