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Reparlons de cette fameuse altérité

De même qu'il y a un point Godwin, il y a clairement un point-Altérité, et tant pis si le mythe de Narcisse est un chouïa plus ancien que le Pacs.

Je découvre via Libé le Tumblr BoyfriendTwin, où des couples posent pour montrer à quel point ils se ressemblent – ce qu'on assimile habituellement plutôt aux petits vieux. Sauf que ceux-là sont jeunes, plutôt gays, ils portent les mêmes fringues, ont adopté la même coupe et la même barbe...

Résultat troublant, ambigu, très beau selon mes standards personnels (je passais la semaine dernière devant un bar bear à Paris, et l'homogénéité avait généré cette même impression de tableau zen, les clients comme des vagues toutes un peu pareilles et toutes un peu différentes, et bon sang ! Quels beaux gars !).

C'est normalement le moment où les anti-gays triomphent : « Et voilà ! Les homosexuels sont incapables de gérer la différence, ils n'aiment qu'eux-mêmes, leurs couples ne pourront donc pas enseigner l'altérité aux enfants ! » De même qu'il y a un point Godwin, il y a clairement un point-Altérité, et tant pis si le mythe de Narcisse est un chouïa plus ancien que le Pacs.

Rappelons donc que l'assimilation n'est pas du tout propre aux homosexuels. En Corée du Sud, les couples hétéro se livrent aux exactes mêmes manigances siamoises. La tendance s'appelle Keo-Peul Look : GoogleImages pour vous servir. Si vous voulez acheter des fringues identiques, ou avec rappel de motif, ou qui carrément se complètent, il y a un site dédié à la question. Avec des couples hétéros.

N'oublions pas au passage l'assimilation intellectuelle : vous connaissez tous des couples qui se mettent à penser pareil, voter pareil, écouter la même musique, lire les mêmes bouquins, et terminer la phrase de l'autre. (Assommant ou mignon, je vous laisse décider.)

Ce n'est pas parce que notre culture occidentale récente érotise la différence physique que cette différence est autre chose qu'un stéréotype : des filles fragiles à la peau claire, des mecs baraqués et barbus et bronzés, et zyva que je balance selfie sur selfie de nos empreintes de pieds dans le sable parce que c'est trop cute de voir le gros pas lourd du bonhomme à côté de la trace superficielle, quasi-elfique, de sa copine. Vous grincez des dents ? Moi aussi. Vous avez déjà vu cette photo mille fois ? Moi aussi.

Qu'on veuille fusionner, ça peut se comprendre. C'est agréable de se sentir moins seul. Qu'on veuille se différencier, ça peut se comprendre aussi. Mais on érotise ce qu'on veut, et hiérarchiser nos attirances paraît absurde : personne n'est plus malin pour choisir une option ou l'autre – ne serait-ce que parce que les deux options sont inaccessibles. La fusion est un leurre. La différenciation aussi. Nous sommes tous un peu identiques, un peu uniques. L'altérité pure n'existe pas. (Sauf si vous pouvez absolument me démontrer, au premier degré, que nous venons de planètes différentes.)

A l'arrivée, il reste une simple question de style et de confort. On aime, ou on n'aime pas. On pose son altérité dans son physique ou dans son intellect, ou dans les deux, ou alors on tente de gommer cette altérité. On est excité par la ressemblance, ou par la différence. Mais politiquement l'argument est inutilisable, et c'est pareil avec cette histoire de narcissisme : si j'aime le bleu et que mon amoureux aime le bleu, ça ne signifie pas que je m'aime moi-même. Ensuite, je peux apprécier que mon amoureux aie des goûts similaires, mais ça n'empêche pas mon amour d'être tourné vers lui.

Bref. Si l'altérité est une condition de l'amour, si l'altérité est le marqueur d'une vie sentimentale saine, alors je veux qu'on définisse à partir de combien de divergences physiques et intellectuelles un couple a le droit d'être un couple. Je sens qu'on va bien rigoler.