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Secret, Whisper : que trouve-t-on sur les nouveaux réseaux sociaux « anti-Facebook » ?

Avec ces nouvelles applications pour smartphones, les utilisateurs peuvent poster et discuter tout en restant strictement anonymes.

Publié le 15 avril 2014 à 17h55, modifié le 16 avril 2014 à 16h48 Temps de Lecture 9 min.

Pour se créer un profil Facebook, Twitter ou Google, il faut une photo, un nom, une ville, un âge, un sexe, si possible conformes à une identité réelle. Avec Facebook, il s'agit même d'une obligation, le réseau social interdisant « les fausses informations sur vous-même ». Conséquence, le droit à l'oubli « n'existe plus », assène Eric Schmidt, de Google, dont les services reposent sur des données utilisateurs très précises.

Sont pourtant arrivées ces derniers temps des applications pour smartphones qui entendent prouver exactement le contraire, sur la promesse de l'anonymat permettant de ne pas avoir à se soucier des traces numériques laissées sur les réseaux sociaux.

« ÊTRE SOI-MÊME »

Après une année 2013 qui a vu Snapchat déferler sur les smartphones et confirmé le succès du réseau Ask.fm, Whisper (« chuchotement » en français) et Secret ont ces derniers mois particulièrement retenu l'attention.

Le principe de ces deux applications : n'importe qui peut y écrire n'importe quoi, sans être identifiable et sans risquer d'être retrouvable par la suite. Les utilisateurs voient défiler quantité de posts mêlant textes et images, classés selon leur popularité ou leur localisation géographique, qu'ils peuvent aimer et commenter. Dans les discussions qui s'ensuivent, personne n'a de vrai nom.

« Cela permet d'être soi-même, de pouvoir s'exprimer sans limite », nous assure l'un des créateurs de Secret, Chrys Bader, qui reprend, peut-être sans le savoir, l'un des slogans de l'application concurrente Whisper.

Capture d'écran du site de l'application Whisper.

Le succès est au rendez-vous. En mai 2013, les créateurs de Whisper parlaient d'1,5 milliard de pages vues sur l'application par mois. Les derniers chiffres qui circulent, non confirmés, en évoquent 3 milliards, et une forte popularité chez les jeunes Américains. Lancée en décembre 2012 et accessible en France, Whisper a été valorisé en mars à 200 millions de dollars.

Quant à Secret, il s'agit d'une des dernières réussites foudroyantes de la Silicon Valley. Chrys Bader parle d'une communauté actuellement très active à San Francisco et à New York, et prédit un nombre d'utilisateurs qui se chiffrera en « millions » d'ici à l'été. Avec son associé David Byttow, ils ont réussi à lever près de 10 millions de dollars en quelques semaines. Tout ceci deux mois à peine après avoir lancé l'application aux Etats-Unis – en France, elle doit l'être d'ici à fin avril.

RAPIDITÉ ET SIMPLICITÉ

Un tel engouement peut surprendre. Les routards du Web ne verront dans ces services qu'une reprise du principe de n'importe quel forum ou canal de discussion permettant de discuter sous pseudonyme, qui fonctionne encore très bien sur JeuxVideos.com, 4chan ou Reddit.

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Secret et Whisper y ajoutent toutefois des fonctionnalités bien précises liées aux smartphones, pour lesquels ces applications sont conçues, et qui conditionnent le contexte dans lequel se libère la parole. La création d'un compte se fait extrêmement rapidement, ne nécessite pas de mot de passe – tout au plus un code PIN non-obligatoire sur Whisper, qui peut permettre d'éviter d'être reconnu lorsqu'on se fait voler son téléphone. Les messages ne sont, finalement, pas autre chose que des tweets ou des textos, sans qu'ils soient liés à un nom ou à un numéro.

Sur Whisper, l'utilisateur anonyme envoie son « chuchotement » dans un flot ininterrompu de publications venant du monde entier. Il lui suffit d'écrire son texte pour qu'une image prétexte lui soit proposée automatiquement, de même que des mots-clés liés au contenu écrit. Ces derniers servent à répertorier le message en question, l'insérant parmi tous les autres sur le même sujet. Un autre filtre proposé est celui de la localisation, qui permet de classer les messages postés par lieu.

Flux de publications sur Whisper.

Parmi tous ces « chuchotements », peu d'entre eux parviennent à rentrer dans la catégorie des messages les plus populaires, récoltant des milliers de « J'aime » et des centaines de réponses. C'est ce que l'on voit en premier lorsqu'on ouvre l'application. En regard, les autres flux des dernières publications regorgent de billets apparemment vierges de toute réaction, entre mauvais plans drague et confidences qui tombent à plat. Ils peuvent toutefois générer des discussions en privé, grâce à la messagerie (tout aussi anonyme) dont disposent les utilisateurs.

Sur Secret, l'audience potentielle des messages postés est plus resserrée. Pour chaque utilisateur, l'application construit un flux unique des derniers « secrets » à lire, qui se génère grâce à sa localisation géographique et aux données de son cercle d'amis (il faut, avant de l'utiliser, permettre à Secret d'accéder à vos contacts téléphoniques).

Les messages qui s'affichent à l'ouverture de l'application constituent un savant mélange de popularité et de proximité : si un ami aime votre « secret », alors ses amis pourront le voir, si l'un d'entre eux l'aime aussi, ses amis pourront le voir, et ainsi de suite. « Savoir que ce qu'on poste anonymement sera lu par des personnes de son entourage change la donne », assure le fondateur, Chrys Bader.

« Ce n'est pas une histoire d'anonymat, mais plutôt de pouvoir s'exprimer rapidement et librement devant ses proches, afin de rechercher du soutien ou provoquer des débats. Quand tu es triste, énervé, heureux, et que tu balances ça sur Twitter ou Whisper, tout le monde s'en fout. Quand tu postes ça sur Secrets, tu sais que ce seront des personnes de ton cercle de contacts qui te liront. Cela permet de nouveaux échanges qu'on ne voyait pas ailleurs. »

COURSE À L'ÉMOTION

A l'usage, Secret comme Whisper sont toutefois des applications où l'on retrouve les mêmes types d'expressions libres. Les plus plébiscités, et les plus visibles, y sont les messages courts, percutants, drôles ou déroutants. Ils décrivent des anecdotes censées être inavouables ou des sentiments liés à la vie professionnelle, amoureuse, sexuelle, familiale, dans un style qui rappelle, en France, le site Vie de merde. Contrairement à Facebook ou Twitter, où l'expression est souvent contrôlée, tous types d'émotions, des plus joyeuses aux plus négatives, s'y accumulent.

On le voit, l'anonymat permet de se lancer dans des discussions sans limite de bon goût ou d'intimité. Mais il rend aussi impossible toute vérification sur l'authenticité des expériences partagées.

« Il est bien possible qu'un nombre important de messages soient faux, ou embellis par rapport à la réalité, note le New York Mag. Mais aucun utilisateur ne semble y donner d'importance. Comme s'ils s'étaient habitués à un environnement 'post-réel', dans lequel ils sont davantage intéressés par les émotions qu'ils ressentent et dans lesquelles ils se retrouvent, plutôt que de savoir si ces messages sont vrais. »

Le journaliste du New York Mag a d'ailleurs fait le test, en postant deux messages sur Whisper, le premier étant un vrai secret, le second un mensonge inventé de toutes pièces (« Ma femme aimerait bien que je trouve un travail, mais elle ne sait pas que je suis un millionnaire en bitcoins. »). Si le faux « secret » a accumulé les « J'aime » et les réponses, le vrai est resté lettre morte et s'est perdu dans les méandres de l'application.

ANONYMES MAIS PUBLICS

Les dernières évolutions de Whisper poussent la logique de la popularité encore plus loin. Le 24 mars, l'application a officialisé un partenariat avec Buzzfeed : une équipe de quinze personnes va désormais s'occuper de fouiller les messages du réseau social pour en faire des listes (voir, par exemple, les « 17 inquiétantes confessions de vengeance » trouvées sur Whisper) ou en étudier les données, comme l'a repéré le site Slate.

S'ils sont anonymes, tous ces billets peuvent devenir très publics, d'une manière sciemment organisée par les équipes aux manettes de l'application. Le même phénomène est en marche avec Secrets, dont un compte Twitter publie régulièrement les messages les plus notables.

« Ne pas avoir de nom, ça ne veut pas dire être anonyme et intraçable », rappelle Chrys Bader de Secrets. Tout ce qui est posté est ainsi conservé sur les serveurs des entreprises, accompagné de certaines données utilisateurs (comme les dates et lieux de connexion). Ces données sont chiffrées et sécurisés, mais n'en restent pas moins utilisables ou piratables, note le Wall Street Journal. Sur Whisper, elles vont par exemple être utilisées pour afficher des publicités ciblées.

« Si les autorités nous demandent des informations dans le cadre d'une enquête, parce que quelqu'un a pu poster un message annonçant quelque chose d'illégal, comme un meurtre, nous collaborerons et donnerons toutes les informations nécessaires à son identification », promet le créateur de Secrets, dans la lignée des conditions d'utilisation de Whisper.

RETOUR AU LYCÉE

Si de telles extrémités n'ont pas (encore ?) eu lieu, les dérives de la libre expression anonyme, et les risques de harcèlement ou de dénigrement constituent les principales inquiétudes qui entourent ces services.

Aux Etats-Unis, Whisper a déjà été interdit dans certaines écoles en raison d'attaques personnelles trop fréquentes. Pour tenter d'éviter ça, le service assure employer des dizaines de modérateurs, supprimer les messages incitant à la haine, bannir les utilisateurs trop violents, et interdire l'utilisation des noms propres autres que ceux des célébrités (ces dernières en sont pour leurs frais : en février, une rumeur sur la vie sexuelle de l'actrice Gwyneth Paltrow a été reprise dans les médias). 

Sur Secrets, les outils de prévention des abus sont pour le moment plus légers. Seul un système de signalement peut conduire à l'éventuelle suppression de messages litigieux. Résultat : certains déplorent de la « haine » et des messages violents. « C'est comme un retour au lycée », regrette un ancien utilisateur interrogé par le New York Times après avoir effacé l'application.

Un employé d'un grande entreprise basée à San Francisco nous l'assure : « C'est assez transparent, car les utilisateurs sont nos amis et nos collègues. Il est facile d'identifier de qui ou de quoi parlent les messages, même si rien de précis n'est écrit. »

Exemple de message posté sur Secrets.

Un blogueur de la Silicon Valley s'est dit frappé par le nombre de ragots et de messages négatifs concernant des personnes du secteur, dont il a posté une sélection. « Je travaille chez Path. Tout le monde est malheureux. Dave parle comme de la merde à tous ceux qui réussissent quelque chose et pense qu'il est le prochain Steve Jobs. Je démissionne bientôt », peut-on lire sur l'un d'eux.

En mars, une salariée en conflit avec son entreprise a pu voir tourner un « secret » très critique la concernant, se réjouissant de son départ alors que l'information n'avait été annoncée qu'à quelques personnes.

BARRIÈRES JURIDIQUES

« 90 % des messages postés sur Secrets ne posent pas de problème », répond Chrys Bader lorsqu'on lui parle de ces exemples dérangeants. Il compte sur la « responsabilité » des utilisateurs qui savent qu'ils postent « des messages dans un espace public, consultables par leur entourage », ce qui assure, selon lui, des barrières naturelles efficaces.

« L'anonymat permet davantage de franchise, et aux gens d'exprimer ce qu'ils pensent vraiment. Je suis persuadé que les gens gagnent à être complètement honnêtes devant leurs amis. Alors oui, parfois, il y a des choses moches, c'est dans la nature humaine. Mais tout le monde ne se permet pas n'importe quoi. Il y a aussi énormément de choses positives qu'on ne retrouve pas dans les médias : des rencontres, du dialogue, des problèmes qui sont résolus grâce à l'aide d'autres membres anonymes, etc. C'est un nouveau niveau de communication qu'il faut apprivoiser. »

Avec ses équipes, Chrys Bader consulte toutefois activement des spécialistes juridiques et des ingénieurs afin de pouvoir créer un maximum de garde-fous pour faire face aux 10 % de messages problématiques. Ils étudient aussi de près les contextes juridiques et culturels des pays dans lesquels l'application doit être lancée. Même si « le besoin d'être franc et honnête devant ses proches est quelque chose d'universel », selon lui, les réactions des Français face à Secret, qui sortira sur iOs dans quelques semaines, reste une inconnue.

A la vue de ce qui est posté sur Whisper depuis Paris, on peut s'attendre à tout.

Exemple de messages Whisper postés à Paris, le 14 avril.
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