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Aujourd’hui, qui veut être manager ?

Philippe Détrie |

La nature du management des hommes a fortement évolué, due aux nouvelles attentes des entreprises et des salariés, ceci dans un environnement qui bouscule tout le monde. Le management est aujourd’hui plus personnalisé, plus contextuel, plus agile… Cela crée un risque de découragement voire de désengagement des managers peu préparés culturellement et pas toujours bien outillés ni accompagnés.

1) Manager est difficile

1-1) L’entreprise demande beaucoup au manager

Le manager a de plus en plus de mal à concilier de nombreuses et nouvelles doubles contraintes en matière de management :

- Favoriser le collectif avec des collaborateurs à qui on demande d’être autonomes.

- Faire progresser ses collaborateurs au risque de les perdre : il s’agit de développer l’employabilité puisque plus une entreprise ne promet l’emploi à vie.

- Développer la proximité relationnelle avec chacun, mais comment se tenir entre "contact et distance" selon l’expression d’Hubert Beuve-Méry.

- Faire preuve de souplesse dans l’application des procédures.

- Appliquer et faire appliquer toutes les décisions de la Direction. D’autant que la stratégie n’est pas toujours claire, elle est parfois fluctuante, voire confuse… Elle peut aussi aller contre les valeurs du manager et nous nous souvenons bien par exemple du refus de nombreux managers d’EDF de promouvoir l’actionnariat interne.

Ces injonctions paradoxales créent des situations empreintes de masochisme et de schizophrénie. Aujourd’hui, le manager doit être un héros, investi de responsabilités de plus en plus nombreuses et exigeantes, garant de tout ce qui se passe dans son entité malgré des moyens limités et un environnement contraint... Il doit tout faire : le résultat, le commercial, la prod, la qualité, la sécurité, la bonne entente des équipes, leur employabilité, leur santé physique et morale…

Il doit être pilote, commercial, gestionnaire, animateur, contributeur, développeur, coach, leader, communicant, ambassadeur, policier, pompier, assistant social… Tous les métiers du monde ! Et on ne parle pas des relations avec les clients, la direction, les fonctionnels, les syndicats… Ni de l’atteinte de ses propres objectifs.

L’entreprise demande de construire du solide avec du malléable, d’être durable dans un monde qui bouge, de trouver du temps alors qu’on réduit les effectifs. Les missions fixées au manager deviennent irréalistes, il est corvéable à merci, joignable à toute heure et partout, la pression des objectifs est omniprésente…

1-2) Les managés veulent du progrès et du plaisir

Les salariés deviennent de plus en plus et légitimement exigeants. Les attentes sont nombreuses : du sens, de la reconnaissance au sein d’une communauté choisie, de l’employabilité, la convivialité et du bien-être dans le travail, de l’exemplarité…

L’affinitaire a remplacé le statutaire. Vive le réseau, la communauté et la tribu. Comme le dit Jean Viard : "On est passé du devoir conjugal au plaisir sexuel. On passe du travail-devoir au travail-plaisir".

Les salariés veulent aussi progresser. Le management des hommes est l’art d’animer une équipe pour atteindre un objectif et de permettre à chacun de progresser. Ce deuxième volet est souvent oublié. Le plus souvent, on attend en priorité d’un manager d’obtenir les résultats qui lui sont demandés plutôt que de faire progresser des personnes. Manager devient beaucoup plus qu’encadrer des moyens.

Aujourd’hui, pour un manager, réussir c’est faire réussir. La base de données Inergie (600 000 salariés représentés) donne une réponse de 69 % à la question : "Mon manager me donne envie de m'investir dans mon travail". Il reste que 31 % des salariés pensent le contraire… les progrès sont immenses ! Et l’enjeu ! Ce qui fait dire à Hervé Sérieyx : "On rejoint une entreprise pour son image, on y reste pour l’intérêt du travail, on la quitte à cause de son management."

1-3) L’hyper-foisonnement de l’environnement déstabilise

Cela bouge très vite et très fort. Le management des hommes et des organisations est fortement impacté par les métamorphoses puissantes et irréversibles de notre monde :

1) Accélération : perte de nombreux repères.

2) Mondialisation : hyper-compétitivité.

3) Explosion des moyens de communication à distance : relativisation de toute autorité, modes collaboratifs.

4) Effritement des institutions et des idéologies collectives : à chacun sa vision du monde.

5) Financiarisation : hypertrophie de la recherche d’efficacité.

6) Développement durable : exposition face non seulement à son marché, mais à la société.

7) Montée de l’émotion sur la raison : importance de la relation.

8) Féminisation du monde : le masculin l’emporte de moins en moins sur le féminin !

9) Vieillissement de la population : cohabitation de plusieurs générations.

10) Émergence du droit au bien-être au travail : incitation au développement personnel.

Ces dix mouvements impactent durablement le manager à qui on va demander d’être agile, relationnel, pédagogue... Elles déstabilisent nombre de managers : le manager n’est plus un sachant, il encourage la collaboration. Il cadrait le travail, il fait partager un défi, un challenge. Il réduisait l’impact de l’incertitude, il explique l’incertitude et accompagne le changement.

2) C’est la grande dépatouille pour le manager

Le manager n’est pas bien préparé à ce nouveau management personnalisé et situationnel. C’est le grand bidouillage : dans le brouillard, être débrouillard. Maurice Thévenet parle du manager-bricoleur. Pourquoi ?

2-1) Nos managers ne sont pas culturellement préparés à la relation

Quels sont les profils de nos managers ? Des QI de plus de 100, des QR voisins de 0 (quotient relationnel).

L’école enseigne des disciplines intellectuelles et non comportementales. L’école n’apprend pas à travailler en groupe, à rendre service, à être aimable (où est le prix de camaraderie ?). La plupart de nos grandes écoles, universités et autres MBA font des têtes bien faites rationnellement. Apprend-on à animer des collaborateurs, à développer leurs compétences, à traiter de situations sensibles ?

Non, nos études ne nous ont pas formés à l’importance de la relation. À l’intelligence relationnelle : l’aptitude à communiquer, à comprendre ses émotions et celles de ses interlocuteurs, à vivre les uns avec les autres... En France, on a trop souvent tendance à ne valoriser qu'un seul type de talent : la réussite scolaire, et pour être caricatural, le talent mathématique. Dans notre culture, nous dépensons plus d’énergie à corriger nos défauts qu’à développer nos talents. Nous sommes les rois de la critique. On se bat souvent contre, rarement pour. C’est le contraire de l’enthousiaste.

2-2) Les méthodes managériales bégaient des solutions

Les nouveaux apports managériaux depuis 10-15 ans sont indéniables : l’attention portée à l’homme, au contexte et aux impacts. Les concepts déclinés se traduisent en développement durable, gouvernance, éthique, santé au travail, diversité…

Mais en fait, le management évolue très peu, depuis que le monde est monde. Aux éternelles questions de management, il n’existe pas de réponses définitives : il n'y a chaque fois que des décisions plus ou moins risquées, plus ou moins pertinentes de managers confrontés à des personnes et à des situations différentes.
On s’adapte en fait plus qu’on ne change.

2-3) Nos organisations s’y prennent mal et sont confuses

L’entreprise est suiveuse. On a dû faire des lois pour condamner le harcèlement, créer des quotas pour casser les plafonds de verre de la masculinité managériale… Sa réponse est confuse, les process RH ne sont pas clairs.

1) Elles ne recrutent pas des managers, mais des compétences rassurantes

On recrute du savoir et du savoir-faire, on approxime le savoir-être, il faudrait recruter le vouloir faire ou mieux, l’aimer-faire. C’est ça le talent, ce que vous faites mieux que les autres sans vous lasser.

2) Elles évaluent mal

Les critères des entretiens d’évaluation ont du mal à quitter le terrain du résultat chiffré. Éric Albert l’écrivait dans Les Échos : "L’outil de travail des managers dont le métier est de "faire faire" est la prise en compte des comportements… Nier la subjectivité, c’est nier l’humanité. Ne ramener la performance qu’à du quantitatif, c’est mettre l’individu au niveau de la machine".

Elles mesurent les capacités managériales à l’envers : paradoxal que cela soit le N+2 qui évalue les capacités managériales du N+ 1 !

3) Elles rémunèrent la performance individuelle au détriment du collectif, elles valorisent peu le résultat d’équipe

Les contrats d’intéressement sont quelquefois des simulacres d’association financière. À payer des grandes parts variables, on obtient des chasseurs et non des éleveurs.

Le MBA, le manager by accident

4) Elles nomment managers des salariés qui ont en fait réussi d’autres fonctions. Et il y a là un énorme quiproquo.

L’obtention d’un poste de manager vient souvent d’une double méprise :

- La reconnaissance d’un travail réussi plus que d’une aptitude avérée. On privilégie des critères rationnels : le diplôme au service rendu et l’ancienneté à l’humanité. Critères de fonctionnaire…

- L’acceptation du promu d’en passer par cette obligation de management pour progresser en termes de responsabilités, de carrière, de rémunération…

5) Elles ne forment pas toujours, elles préfèrent le compagnonnage implicite, vecteur de reproduction des mauvaises pratiques existantes

Et quand elles forment, c’est à la va-vite. Un manager suit en moyenne 17 jours de formation managériale dans sa vie professionnelle. Et le plus souvent, c’est du fast-food ou du take-away de consultants.

6) Elles développent la communication interne comme un ersatz de dialogue

Face à la jachère relationnelle, le dialogue social s’installe difficilement et à coups de lois. C’est de l’humain massifié et institutionnalisé alors que le salarié attend une relation humaine individualisée à sa situation. La communication interne, par définition collective ne compense pas la demande de lien personnalisé.

Courage, parlons-nous…

Avec de tels faits, comment pouvons-nous donner envie de manager ? Comment éviter une désaffection de la fonction ? Comment le ressourcer ? Quel soleil lui offrir pour réaliser la photosynthèse qui lui permettra de transformer son CO2 en O2 ?

Passons de l’outil à la relation !

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