« L’obsolescence des connaissances est un risque mais pas la formation ! »

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Docteur en droit et fort de son expertise mise à profit pour différentes missions pour le BIT, la Banque mondiale, l’Union européenne, ancien directeur du service juridique de Centre-Inffo puis directeur de la formation et de l’emploi au sein de la Caisse des Dépôts et Consignations et professeur associé à l’Université de Paris X-Nanterre, Jean-Marie Luttringer revêt depuis deux décennies l’habit de consultant en droit et politique de formation via sa société JML CONSEIL. Suite à la promulgation au Journal officiel de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie, nous avons interrogé cette référence incontournable du secteur sur la place de la formation professionnelle en France, ses fondements, les « décrocheurs », la notion de droit à l’employabilité qu’il partage avec Me Barthélémy…  

 

Avant de s’interroger sur les conséquences pratiques de la réforme de la formation professionnelle, il est utile d’identifier sa place dans la société, pour le monde de l’entreprise et pour l’individu et de l’articulation entre la formation initiale et la formation professionnelle.

 

Quels sont les 3 fondements de la formation professionnelle ?

Contrairement aux pays anglo-saxons ou nordiques, nous souffrons en France d’un manque de porosité entre la formation initiale et la formation continue. Nous pouvons définir la formation ainsi :

 

  • La formation comme bien public : financée par l’État, c’est la formation initiale.

En France, elle est bloquée à 25 ans, ensuite il n’y a quasiment plus d’échanges avec l’université par exemple. Les Suédois comme les Anglais sont eux dans une logique de formation récurrente, ce qui serait appréciable de développer en France.

 

  • Comme bien privé collectif : financée par l’entreprise dans une logique d’investissement classique avec une traduction fiscale, comptable.

Elle apporte également une garantie sociale au salarié contre le risque d’obsolescence des compétences pouvant entraîner un risque d’inemployabilité.

 

  • Comme bien privé : financé par l’individu comme un patrimoine immatériel (ma qualification, ma compétence) via le compte personnel de formation (CPF), se substituant au DIF, qui ne s’est pas imposé dans les usages.

Le CPF ouvre la perspective, au-delà de son financement actuel insuffisant, à toute personne de contribuer à son capital de qualifications par son épargne personnelle. Ce choix pourrait être assorti d’une incitation fiscale. Ces trois fondements mettent clairement en évidence la question de la responsabilité de chacun : la collectivité publique, l’entreprise et les personnes elles-mêmes.
Comme le précisait la première thèse de la contribution d’Entreprise&Personnel au débat public sur la réforme de la formation professionnelle, publiée en mai 2013, : « il est de l’initiative et de la responsabilité des pouvoirs publics de se préoccuper, avec les moyens qui sont les siens, du respect du principe d’égalité en matière d’éducation en particulier pour le ‘’rattrapage’’ des inégalités de la formation initiale. L’entreprise pouvant y contribuer au nom de sa responsabilité sociale. » Les entreprises ne sont plus uniquement des acteurs économiques, à travers une démarche volontaire, elles développent leur responsabilité sociale (RSE).

Comment équilibre-t-on côté entreprise entre la sphère dite publique et la sphère entreprise avec ses objectifs essentiels de compétitivité ?

Au fil des années, la nature fiscale de la participation des entreprises à la formation (1,6% de la masse salariale actuellement et 1% suite à la réforme) a conduit les pouvoirs publics à assimiler les politiques de formation à des politiques publiques. La modification des règles de financement aura pour effet de donner davantage d’autonomie, et donc de responsabilités, aux entreprises.  

 

On entend souvent (trop souvent) que les fonds récoltés ne bénéficient pas à ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les jeunes « décrocheurs » (NDLR : 140 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans diplôme, selon de Ministère de l’Education nationale) les « mal formés ». La réforme apporte-t-elle de nouvelles réponses en la matière ?

La mise en place, à partir de 2015, du CPF peut être une solution à condition que les régions honorent leur « droit de créance » que toute personne sortie du système scolaire (formation initiale) sans qualification puisse désormais leur opposer en vertu du continuum entre le service public de l’éducation (formation initiale) et le service public régional de l’orientation et de la formation professionnelle. Il faut toutefois relativiser l’impact du CPF pour les jeunes sans qualification. Le modèle économique du CPF, tel qu’il est constitué, ne permet pas de financer les formations longues qualifiantes. À titre d’exemple, le coût d’une formation AFPA niveau V (CAP/BEP) se situe dans une fourchette de 15 à 20 000 euros, quel jeune peut se l’offrir ? Il faut également faire monter les voies de l’alternance : développer l’accueil des jeunes dans les entreprises mais la situation économique est tendue et les embauches, même en contrat d’alternance, sont peu nombreuses. La réforme tend à mobiliser les collectivités publiques pour que l’apprenti et l’alternance prennent toute leur place.

 

Êtes-vous d’accord avec Me Jacques Barthélémy et Gilbert Cette sur la notion de droit à l’employabilité (Réformer vraiment la formation professionnelle) ? Ce droit serait opposable à qui et comment ?

Je partage l’avis de Jacques Barthélémy sur cette question. C’est d’ailleurs une ancienne question dont on peut trouver une illustration dans une décision du conseil des prud’hommes de Forbach, en 1974. Un employeur, après avoir modifié l’organisation du travail suite à l’introduction de nouveaux équipements, avait licencié un salarié pour insuffisance professionnelle en arguant que le salarié n’était plus en mesure d’effectuer le travail. En l’occurrence, le salarié n’avait bénéficié d’aucune formation pour s’adapter aux nouveaux outils. L’employeur est pourtant tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail et a l’obligation d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois. Le salarié, de son côté, est également tenu de se former lorsque l’évolution de l’emploi l’exige. Autre exemple, dans les années 1980, une société d’aviation privée a licencié un pilote d’avion à hélices car il n’avait pas les compétences pour piloter un avion à réaction. L’employé a attaqué l’entreprise et a gagné car le salarié n’en avait pas non plus bénéficié. Depuis les années 1990, la jurisprudence précise une obligation de former à la charge de l’employeur qui doit veiller à l’adaptation de son salarié au poste et à sa capacité à occuper un emploi surtout s’il évolue. (Cf. l’édito VIII de JM Luttringer daté du 9 mars 2013).
Depuis la jurisprudence s’est développée, mais l’employeur n’a pas l’obligation de remédier à l’insuffisance de formation initiale. Il est lié par le périmètre du contrat de travail. La CFDT précise dans ses propositions sur la réforme que l’employeur doit mettre en place une organisation du travail apte à faire progresser les compétences de ses salariés. Le risque d’« inemployabilité » du salarié diminue grâce aux entretiens individuels, pour tous les salariés au minimum tous les deux ans, prévus par la loi et grâce à la mobilisation du compte personnel du salarié. La nouvelle loi vient de créer un « droit procédural » dans l’entreprise pour anticiper et donc pallier le risque d’obsolescence des connaissances de ses salariés. Désormais, le nouvel entretien professionnel, le CPF ainsi que le CEP à l’extérieur de l’entreprise « font système » et permettront de mieux prévenir les risques d’inemployabilité.
Sources : Propositions de la CFDT sur la négociation de la réforme de formation professionnelle

 

 

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Crédits photo : DR

 

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