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La révolution « fast good »

Quand la restauration rapide privilégie la qualité et le goût en réinterprétant kebabs, hamburgers et pizzas.

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Publié le 01 février 2014 à 09h59, modifié le 03 février 2014 à 10h08

Temps de Lecture 6 min.

Le Grillé a ouvert en juillet 2013, rue Saint-Augustin (Paris 2e).

Elle a beau avoir rassasié des armées d'estomacs, cette broche verticale a tourné tant de fois dans le sens de l'indigeste qu'on ne s'en approche plus qu'avec circonspection. C'est pourtant bien devant le cylindre carné d'un döner que se pressent les clients de Grillé (traduction de « kebab » en français), au 15 de la rue Saint-Augustin, artère bourgeoise du 2e arrondissement de Paris.

Dans un décor de carrelage bleu et blanc, employés de bureau et hipsters en goguette salivent devant la galette à base de froment et d'épeautre étalée et cuite sous leurs yeux, dans le tempo du veau taillé sur la rôtissoire, avant d'être à nouveau grillé sous la salamandre et déglacé au citron. Herbes, épices, crudités, sauce au fromage blanc et raifort, ou à la tomate, oignons doux et piment, garnissent également le pain encore chaud, roulé pour dégustation immédiate.

Plus coûteux (8,50 euros) et moins copieux que le « grec » cher aux adolescents, ce sandwich procure des plaisirs gustatifs auxquels ne nous avait pas habitués, à Paris, cette spécialité d'origine ottomane. Si Grillé étrenne la notion de kebab gourmand, cette échoppe, ouverte en juillet 2013, témoigne des mutations qui secouent la restauration rapide.

Longtemps synonyme de stress urbain, de petit budget et de malbouffe, le fast-food n'échappe pas aujourd'hui à l'obsession générale du mieux-manger. Au point qu'on rebaptise parfois « fast good » ce qu'il n'y a pas si longtemps n'était que junk food. « L'idée m'est venue après avoir dégusté de délicieux kebabs au Moyen-Orient », se souvient Fred Peneau, cofondateur de Grillé avec Marie Carcassonne et le boucher vedette Hugo Desnoyer. « Pourquoi ne pas trouver d'équivalent à Paris ?  » A l'époque, Fred Peneau est l'associé du chef Inaki Aizpitarte au Chateaubriand (Paris 11e), restaurant pionnier d'une nouvelle génération « bistronomique ».

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AGNEAU DE LAIT, TOME DE SAVOIE, AUBERGINE GRILLÉE

« J'ai retenu du Chateaubriand, l'envie d'apporter au kebab un geste de cuisinier », dit-il. Avant le long assemblage de la broche (cinq heures de travail), les tranches de poitrine de veau sont d'abord marinées dans un mélange de citron, romarin, ail, huile d'olive et sauce tamari (sauce soja traditionnelle japonaise) favorisant la caramélisation des sucs. « Contrairement à la tradition, nous arrosons le kebab comme un rôti », explique celui qui proposera bientôt une version au porc.

Avant ce kebab de luxe, le burger a sans doute été le premier à faire sa révolution. Il y a deux ans environ, une première vague de cantines ambulantes, les foodtrucks (Le Camion qui fume, Cantine California…), avait revalorisé ce symbole de l'uniformisation agroalimentaire.

La ville de Paris limitant les activités de ces camions-cuisines, c'est en boutique que se sont ensuite développés ces « concurrents » de McDo. Si l'hystérie burger est un peu passée, les bases de ce succès sont solides, à en croire les queues devant de nouveaux venus comme Bioburger (Paris 9e et 2e) ou de jeunes institutions comme Blend (Paris 2e) ou Big Fernand (Paris 9e).

Ce dernier, à l'accueil aussi sympathique que ses « hamburgés » sont goûteux (tel l'Alphonse avec agneau de lait, tome de Savoie, aubergine grillée, coriandre et sauce légèrement sucrée), doit lancer un spacieux restaurant à Neuilly (Hauts-de-Seine) et pourrait même taquiner les New-Yorkais sur leur propre terrain. En espérant que Fernand règle d'ici là le problème de l'irrégularité de ses frites, tantôt croustillantes, tantôt grasses et molles. Un défaut observé dans tant de restaurants de ce type (Grillé inclus) qu'on enverrait bien les cuisiniers faire des stages en Belgique.

Pour l'instant, la petite maison mère du Big Fernand (et sa succursale, Little Fernand, spécialisée dans le hot-dog) reste installée rue du Faubourg-Poissonnière, devenue un véritable laboratoire du « fast good » parisien. Pas une semaine en effet sans que s'ouvre dans cette longue artère un restaurant ou une échoppe destinés à nourrir rapidement, avec goût et à prix relativement modéré, les employés ou bobos du quartier.

CASSE-CROÛTE, BRICKS ET BOULETTES DE POISSONS

Bagels, sandwicheries, bar à ravioles, pizza à la coupe, snack thaï, japonais, vietnamien, libanais, végétarien, juif tunisien (le pittoresque Bob de Tunis, dans la rue Richer – 9e arrondissement –, voué depuis trente-deux ans aux fricassées, casse-croûte, bricks et boulettes de poissons d'un incomparable rapport qualité-prix)… Les propositions sont infinies, d'une originalité souvent de qualité, comme chez Lo Zio, proposant sa version de la piadina, spécialité de l'Emilie-Romagne presque inconnue en France, constitué d'une galette de pâte non levée (façon pain azyme) farcie d'un mélange de fromage, de charcuteries et de légumes à la plancha.

Trop souvent d'une banalité formatée, la pizza retrouve du peps en lorgnant vers la « street food ». On trouve rue du Faubourg-Poissonnière (9e arrondissement), un excellent comptoir à pizza al taglio (à la coupe), Fonzarelli, mais on préfère encore celle de Di Loretta, installé à proximité, rue Rodier et rue Lafayette. Le patron, David Azoulay, y rend hommage à sa maman romaine, car c'est dans la Ville éternelle qu'ont été popularisés ces grands rectangles cuits sur tôle, découpés et vendus au poids (environ 4 à 5 euros la part individuelle).

La pâte, délicieusement fine et croustillante, garde ce qu'il faut de moelleux. En garniture, les bons produits font encore une fois la différence. A goûter absolument : l'étonnante pizza aux pommes de terre, parfumée au romarin et à l'huile de truffe.

Ce parti pris de plats simples, faciles à assembler, à transporter et à manger, conditionne souvent une logique de monoproduit. The Sunken Chip (10e arrondissement) est ainsi l'un des rares fish & chips parisiens. Ouvert en 2013 par l'Anglais Michael Greenwold, jeune chef du néobistrot le Roseval, le lieu est inconfortable, plutôt desservi par l'accueil, mais la mythique spécialité britannique brille par la fraîcheur du poisson et la qualité de sa pâte à beignet.

TAPAS À LA FRANÇAISE

Comme son nom l'indique, le restaurant Balls, ouvert, début janvier, rue Saint-Maur (Paris 11e), se consacre aux boulettes (agneau, poulet, boeuf, porc, végétariennes), à déguster, pour 10 euros l'assiette, dans un joli décor de bois blanc ou à emporter. Sympa, même si (par définition) on en fait vite le tour.

Souvent lancés par des néophytes de la restauration, ces enseignes étoffent souvent leurs offres quand elles sont dirigées par de vrais cuisiniers. C'est le cas avec le Frenchie to Go, du chef Gregory Marchand, toque remarquée du restaurant Frenchie avant de lancer ce diner-deli d'inspiration américaine où l'on dévore sur place ou à emporter hot-dog, pulled pork, lobster roll, fish & chips ou sandwich au pastrami à s'en lécher les babines et les doigts.

C'est le cas aussi avec la Pointe du groin, de Thierry Breton, chef colonisant la rue de Belzunce (Paris 10e) – comme Gregory Marchand colonise la rue du Nil (Paris 2e). Entre ses deux restaurants, Chez Michel et Chez Casimir, bien installés dans l'histoire de la bistronomie parisienne, ce cuisinier complice de la bande d'Yves Camdeborde a réussi le pari d'ouvrir un « bar à hors-d'oeuvre », réponse originale aux enjeux posés par le renouvellement de la restauration rapide.

Avec des jetons (les « groins ») retirés à un distributeur, on peut commander à l'immense comptoir d'une cuisine apparente, une ribambelle de tapas à la française, consommés au rythme qui nous chante, dans une ambiance grouillante de convivialité. Le pain fait maison permet de fabuleux sandwichs (à partir de 4 euros), mais on déguste aussi, assis ou debout, à la main ou à la fourchette, charcuteries du patron, salades, galette-saucisse, fruits de mer, groin pané, agneau ou palombe à la plancha, que Thierry Breton prépare devant vous. Un peu à la manière d'un patron de kebab.

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