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Aaron Swartz lors d’une conférence à Washington en 2012.
Peretz Partensky / CC BY 2.0

L’esprit d’Aaron Swartz plane toujours sur le Web

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Publié le 23 mars 2017 à 12h11, modifié le 24 mars 2017 à 09h42

Temps de Lecture 7 min.

« La vraie question n’est pas de savoir quel effet a eu le travail que l’on a accompli, mais à quoi ressemblerait le monde si on ne l’avait jamais accompli. » A 19 ans, Aaron Swartz écrivait ces lignes sur son blog, dans un texte nommé « Héritage ». Quatre ans après son suicide, s’il est impossible de savoir à quoi ressemblerait le monde sans lui, une chose est sûre : Internet ne serait pas tout à fait le même sans le génie de ce jeune Américain, dont le combat pour la liberté de l’information et de la connaissance a, in fine, contribué à sa mort.

L’ouvrage Celui qui pourrait changer le monde, paru mardi 21 mars en France aux éditions B42, regroupe une série de textes d’Aaron Swartz. Rédigés dès l’âge de 14 ans, ils témoignent non seulement de l’intelligence précoce de ce programmeur, mais aussi d’une page d’histoire de l’Internet, peut-être sur le point de se tourner aujourd’hui.

« Il représente à la fois l’idéalisme d’Internet et son côté sombre, explique au Monde Brian Knappenberger, auteur d’un documentaire consacré à Aaron Swartz, The Internet’s own boy. Ses idées et son talent représentent tout ce qu’il y a de bien sur Internet. Les forces qui ont agi contre lui, comme le système judiciaire américain, représentent tout ce qui peut dérailler. »

Les réseaux sociaux toujours en deuil

Aaron Swartz, lors d’un événement consacré à la licence Creative Commons, qu’il a contribué à mettre en place.

Le 11 janvier 2013, Aaron Swartz est retrouvé mort, pendu dans son appartement. Depuis deux ans, ce militant de l’accès à la connaissance pour tous est « harcelé » par le FBI, selon les termes de ses proches. La raison ? Avoir téléchargé en masse des articles scientifiques de la plate-forme payante JSTOR à partir des locaux du Massachusetts Institute of Technology, où ces documents sont accessibles gratuitement.

Aaron Swartz défendait bec et ongles l’idée que les connaissances scientifiques devaient être mises à disposition de tous et exécrait le fait que celles-ci soient « aux mains d’une poignée de sociétés privées », écrivait-il dans un texte publié en 2008 et repris dans le livre. Dans ce même texte, il appelait toutes les personnes ayant accès à ces ressources à les « partager avec le reste du monde », qualifiant cette démarche d’« impératif éthique ». « Il faut nous emparer du savoir, où qu’il soit, effectuer des copies et les partager avec le reste du monde. »

Chaque année, des milliers de messages sont publiés en hommage à Aaron Swartz

Si aucune preuve ne vient confirmer qu’Aaron Swartz comptait publier les articles qu’il avait téléchargés, le FBI s’est servi de ce texte pour appuyer ses poursuites. Arrêté en 2011 puis libéré sous caution, Aaron Swartz s’est suicidé deux ans plus tard, avant la tenue de son procès. Depuis, le mouvement d’« open access » (accès libre), qui défend la mise à disposition de tous des articles scientifiques, n’a cessé de progresser.

« Quand il s’est suicidé, il y a eu tant de peine exprimée en ligne, c’était massif. Je n’avais jamais vu les réseaux sociaux réagir ainsi », se souvient M. Knappenberger, qui ne connaissait pas personnellement Aaron Swartz. Depuis, chaque année à la même date, des milliers de messages sont publiés sur les réseaux sociaux en hommage au jeune homme. « C’était plus que perdre un ami, ils perdaient quelqu’un qui avait une vision de ce que pouvait devenir Internet, qui croyait dans les promesses initiales d’Internet. Ils ont eu l’impression de perdre l’un de leurs premiers combattants. »

« Il a laissé ses empreintes partout sur Internet »

Enfant du Net, biberonné à l’informatique, Aaron Swartz devint dès son adolescence « un des architectes d’Internet », de la deuxième génération. S’il n’a pas contribué à sa naissance, il a pris la suite de ses grands fondateurs : « Il a grandi dans l’Internet, c’est un produit de l’Internet, estime Brian Knappenberger. Les grands ingénieurs, comme Tim Berners Lee [considéré comme le père du Web] ont reconnu en lui un esprit brillant et l’ont pris sous leur aile, en l’élevant dans cet univers. » Depuis, assure-t-il, « il a laissé ses empreintes partout sur Internet ».

Le forum Reddit, les licences Creative Commons et la technologie RSS font partie de son héritage

Très tôt, il contribue à façonner le réseau tel qu’on le connaît aujourd’hui. Dès 14 ans, il participe à la création du RSS, une technologie permettant de recevoir en direct les mises à jour des sites Web et qui a inondé la Toile. Il contribue également à la création de Reddit, devenu entre-temps un des plus grands forums du monde, et dont les péripéties font aujourd’hui régulièrement l’actualité.

Aaron Swartz fait aussi partie de l’équipe ayant lancé, avec l’intellectuel Lawrence Lessig, l’un des grands penseurs d’Internet, les licences Creative Commons, massivement adoptées depuis, qui permettent aux créateurs de contenu de distribuer librement leurs créations. Parmi ses nombreuses autres réalisations qui perdurent encore aujourd’hui, on peut également nommer SecureDrop, une plate-forme permettant aux lanceurs d’alerte de fournir informations et documents aux journalistes de façon sécurisée, utilisée par des médias comme le New Yorker, le Washington Post ou encore le Guardian.

Aaron Swartz, lors d'une manifestation contre le projet de loi SOPA en 2012.

Mais l’héritage d’Aaron Swartz ne réside pas seulement dans les technologies variées qu’il a mises en place ; il se trouve aussi dans ses idées, et son engagement politique qui n’a cessé de croître avec le temps.

Militant de l’ouverture de l’accès aux données, qui a progressé ces dernières années, il a aussi lancé un mouvement pour encourager les citoyens à contacter massivement les membres du Congrès pour défendre différentes causes – il a ainsi été l’un des acteurs en 2012 de la chute très médiatique du projet de loi antipiratage SOPA, qui menaçait d’imposer d’importantes restrictions aux éditeurs de sites Web.

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Ses multiples apparitions publiques, dans des manifestations ou plateaux de télévision, ont fait de lui une icône d’Internet – sa mort en aura fait le premier « martyr » du réseau des réseaux, comme l’ont qualifié certains.

En relisant ses textes, à l’heure où les discours de haine et les fausses informations prolifèrent sur Internet, on ne peut que se demander si Aaron Swartz n’était pas un peu naïf, ou exagérément optimiste, quand il imaginait que le Web pourrait permettre de faire émerger la vérité face aux mensonges, et encourager le discours argumenté et serein pour améliorer le débat démocratique.

« Nous aussi on y a cru, on a cru très fort qu’Internet allait être cet outil de mobilisation, d’innovation, de démocratisation, d’accès au savoir, reconnaît M. Knappenberger. Et ça l’a été ! Mais on n’avait pas vu venir le côté sombre. On assiste à la fin de cette ère. » Toutefois, assure-t-il, Aaron Swartz était un visionnaire :

« Il nous a fait voir la surveillance avant Edward Snowden ; il s’est inquiété de la neutralité du Net bien avant que la plupart des gens n’entendent ce mot. C’est pourquoi sa parole nous manque. J’aimerais son avis sur ce qui se passe aujourd’hui. »

« Il reste une somme infinie de travail à accomplir »

Après son suicide, la communauté des défenseurs des libertés numériques s’est mobilisée et a mis en cause, comme sa famille, la procédure du FBI. De grands noms du Web, comme Lawrence Lessig ou Brewster Kahle, fondateur d’Internet Archive, ont publiquement rendu hommage au jeune homme. Ce dernier a décidé, avec Lisa Rein, une amie d’Aaron Swartz engagée dans les mêmes combats, de lancer une journée annuelle consacrée à sa mémoire, l’Aaron Swartz Day.

« Il y avait tellement d’énergies positives et de brassages d’idées et d’actions autour d’Aaron qu’il nous a paru important de tenter de maintenir ce réseau et de le faire prospérer », explique Lisa Rein. Un événement dont l’objectif est « à la fois de faire le point sur les problèmes qui l’intéressaient, mais aussi sur ceux qui ont mené à sa disparition, pour que les autres puissent mieux s’en protéger à l’avenir. »

Pour elle, le drame vécu par Aaron Swartz aura au moins appris à la communauté « que rester silencieux quand vous êtes malmenés par les autorités n’augure rien de bon ». Elle précise :

« Aaron est resté relativement silencieux sur cette affaire, pour ne pas nous impliquer dans cette chasse aux sorcières, mais le résultat fut en fait que le réseau d’amis qui aurait pu le protéger n’a jamais eu l’opportunité de le faire. »

Lisa Rein et Aaron Swartz, alors qu’il était encore adolescent.

Par conséquent, « ce même réseau d’amis a refusé de faire la même erreur, et s’est mobilisé pour Chelsea Manning et pour faire connaître sa situation, au point d’avoir réussi à obtenir sa réduction de peine ». Chelsea Manning est l’ancien soldat qui avait transmis à WikiLeaks des milliers de documents confidentiels de l’armée américaine que le site avait ensuite rendus publics. Ce qui lui avait valu en 2013 une condamnation à trente-cinq ans de prison, avant que Barack Obama ne décide, trois jours avant la fin de son mandat, de lui accorder une réduction de peine lui permettant de sortir en mai.

« Chelsea, comme Aaron, a servi “d’exemple” et a été attaquée avec toute la force des autorités américaines. Chelsea est de la même génération qu’Aaron. Elle croit énormément à l’accès à l’information, comme Aaron », souligne-t-elle. Lisa Rein voit en cette lanceuse d’alerte une des nouvelles figures de proue capables de succéder à son ami. D’autant plus qu’Aaron Swartz avait soutenu la lanceuse d’alerte dans la tourmente.

Pour Lawrence Lessig, qui a rédigé la préface de l’ouvrage, l’influence d’Aaron Swartz « s’est frayée un chemin à travers les vies d’un nombre incroyable d’esprits très différents ». Et conclut : « Nous lui devons énormément encore aujourd’hui. Il reste une somme infinie de travail à accomplir. Pour cet écrivain, ce penseur, cet activiste, ce hacker, ce précieux ami, nous le ferons. »

Plus d’informations sur le livre : Aaron Swartz, le testament politique d’un enfant du Net

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