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L’Entreprise Collaborative : quels enjeux pour les responsables RH ?

Daniel Piana |

Nouvelles générations, nouvelles technologies, nouveaux usages : l'Entreprise Collaborative se veut désormais inéluctable. Elle se voit pour autant confrontée à l'héritage d'organisations et de processus internes que la Direction des Ressources Humaines, plus que toute autre, devra savoir transformer profondément et durablement.

"Le XXIe siècle sera collaboratif ou ne sera pas. Après cinquante ans de consécration de la performance pure, d'exacerbation de l’individualisme et de la concurrence au sein des entreprises, le management vire sa cuti pour valoriser confiance, collaboration et partage".

Un paradigme évidemment caricatural : si les aspirations et usages collaboratifs tendent en effet à se multiplier, le management prône depuis longtemps l’esprit d’équipe, avec notamment l’intégration de cette composante dans les objectifs qualitatifs et quantitatifs de ses collaborateurs.

Cependant, force est de constater le fossé qui sépare ce beau discours de la réalité moins flamboyante de l'entreprise. Cette démarche reste en effet contrainte par de puissantes fondations, qui s’appuient tant sur la structure même des entreprises que sur les profils individuels qui la composent.

Des contraintes multiples et protéiformes

L'organisation qui prévaut au sein des entreprises, tout d'abord, ramifie les relations humaines en de multiples niveaux juxtaposés ; en créant des nœuds hiérarchiques, elle valorise la détention de l’information plutôt que sa communication et son partage. Elle se révèle par conséquent peu compatible avec les réseaux à plat des outils 2.0, qui tirent leur force de la circulation horizontale de l'information.

Ensuite, la construction des enveloppes salariales vient alimenter la concurrence interne : avec un budget défini à chaque niveau de granularité d'une entreprise, des directions métier à chacun des services, toute augmentation salariale au mérite (qui, le plus souvent, ne récompense qu’une partie des salariés) amène obligatoirement une mise en concurrence des collaborateurs sur leurs prestations, et donc leur évolution salariale. Ainsi, leur progression ne peut structurellement se construire qu'en limitant in fine celle de son voisin : si, au quotidien, cette logique ne détermine pas forcément les actions de chaque salarié, elle constitue néanmoins une contrainte prégnante pour les impulsions de collaboration et d'entraide sur le long terme, pourtant précieuses dans la contribution globale des salariés à la performance de l’entreprise.

Les processus d’intéressement et de participation, les budgets d’augmentation générale et les objectifs communs (au sein d’un service ou d’un département) tentent d’atténuer cette contrainte. Pour autant, l’action de chaque salarié est trop diluée dans la performance globale de l’entreprise pour que le lien de causalité soit réellement perceptible…

L'importance croissante – et parfois irraisonnée – des enjeux de la propriété intellectuelle (brevets et autres secrets industriels) constitue également un frein puissant aux démarches collaboratives : face au risque d’espionnage industriel et commercial lié à une concurrence toujours plus exacerbée, la communication et le partage de l'information restent des sujets sensibles pour les directions financières, marketing et Recherche & Développement, qui sont souvent enclins, tant en interne que vis-à-vis des partenaires, à en restreindre la portée.

Enfin, nous avons tort de considérer que la fameuse génération Y est une masse uniforme, centrée sur les réseaux sociaux et la valorisation de sa vie privée. Si certaines tendances de fond se dégagent en effet, tous ne se moulent pas dans cette logique, loin de là : entre l'esprit de compétition fortement développé pour certains et l’importance donnée à la culture du secret pour d'autres, nombreux sont les salariés qui ne peuvent souscrire pleinement à l'état d'esprit collaboratif.

Pour autant, malgré ces freins puissants, le désilotage des activités via des démarches et outils collaboratifs devient incontournable pour l’entreprise, qui doit se donner toutes les chances de développement, tant pour la reconnaissance de sa Marque Employeur que pour sa performance opérationnelle...

De la nécessité d'établir une stratégie long terme, basée notamment sur une réelle vision de la fonction RH vis-à-vis de l'entreprise 2.0

Si les initiatives dites "2.0" sont légion, elles doivent pour autant s'inscrire dans une démarche visant à transformer profondément et durablement les usages et la culture interne de l'entreprise. Tout plan d'action opportuniste ne génèrerait au mieux, qu'un succès au périmètre et à la pérennité restreinte, au pire un rejet massif des salariés et du management.

Ainsi, le "2.0" et la collaboration au sens large ne peuvent se décréter sans une réelle analyse de l'entreprise en amont, dans toutes ses composantes : sociale, culturelle, politique et opérationnelle. L'identification préalable des futurs points de blocage, des freins et appréhensions de l'ensemble des collaborateurs de l'entreprise, se révèle déterminante. Avec, bien évidemment, une implication toute particulière de la Direction Générale et celle des Ressources Humaines.

La fonction RH se retrouve en effet au cœur même d'une stratégie collaborative. Car si l'implication de la Communication, de la DSI et des autres directions Métier est nécessaire, elles s'attachent avant tout à orchestrer opérationnellement ces nouveaux usages. Les Ressources Humaines, en revanche, se doivent d'accompagner l’évolution culturelle de l'entreprise, aux effets décisifs à long terme. Elle doit le faire, bien sûr, en concertation permanente avec toutes les autres directions.

Si l’accompagnement aux nouveaux usages et le respect de la vie privée peuvent évidemment être pris en charge par les Directions des Ressources Humaines, l’organisation de l’entreprise peut être adaptée elle aussi à ces nouveaux enjeux. En particulier, elle se doit de proposer un processus transverse visant à faire émerger et valoriser les initiatives internes, sans les restreindre à des cercles de réflexion cloisonnés. Les "boites à idées", parfois rétribuées, sont ainsi depuis longtemps proposées dans certaines entreprises, notamment dans les groupes industriels où les effets de volume sur les lignes de production génèrent des gains rapidement visibles.

Pour autant, cette démarche collaborative valorisante se doit d’être étendue à l’ensemble des entreprises, même pour celles dont les bénéfices sur les activités sont moins directement quantifiables.

Une des réponses principales aux contraintes structurelles de l’entreprise trouve sa source dans un des domaines clefs de la fonction RH : le processus d’évolution des rémunérations. Impossible de concevoir une transformation des pratiques et des usages vers le collaboratif sans une modification profonde des processus existants. Les Ressources Humaines doivent amener le management à repositionner son appréciation du salarié à l'aune de sa contribution réelle à la performance globale de l'entreprise, et non plus simplement sur celle de son environnement immédiat.

À ce titre, l'appréciation continue et collective pourrait – et doit – se positionner progressivement et de façon complémentaire dans le processus d'évaluation des salariés, pour y qualifier les activités imperceptibles pour le management. En effet, à l’opposé d’une évaluation formelle, le plus souvent centrée sur les résultats du collaborateur et de son équipe, ce nouvel usage collaboratif peut désormais permettre aux salariés de notifier les contributions de leurs collègues au-delà des structures organisationnelles établies, en dehors des canaux de communication classiques souvent monopolisés par quelques communicants. Les technologies existent, le seul véritable frein à la mise en œuvre est aujourd’hui d’ordre humain.

Un bouleversement difficile, mais nécessaire se dessine : outre sa contribution complémentaire à l'entretien annuel, parfois considéré comme source de stress pour les salariés et le management, outre également sa contribution à sociabiliser l’environnement de travail en favorisant les échanges et la relation de confiance entre les salariés, ce vecteur d’information innovant dans le processus d’évaluation permet surtout de mieux percevoir l'impact positif du salarié en dehors de son cercle de travail immédiat. Et ainsi de valoriser explicitement le travail collaboratif.

Un facteur de réussite pour y parvenir : la fonction RH doit se positionner comme un partenaire stratégique, capable de proposer une vision affirmée, ambitieuse et innovante de la transformation collaborative de l’Entreprise. Une vision non seulement sur les usages des outils sociaux et collaboratifs, mais également sur les nécessaires évolutions des organisations et des processus de gestion des talents, carrières et rémunérations.

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