Consacré par la loi Travail, le droit à la déconnexion doit permettre aux salariés de préserver un équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle, via un usage raisonné des outils numériques.

Consacré par la loi Travail, le droit à la déconnexion doit permettre aux salariés de préserver un équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle, via un usage raisonné des outils numériques.

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Beaucoup vous le diront, la démocratisation du télétravail après l'arrivée du Covid-19 a été une avancée majeure. Mais cette évolution dans la manière de travailler s'est aussi accompagnée de quelques points noirs. A commencer par la porosité de plus en plus accrue entre la vie professionnelle et la vie privée. Pour autant, le droit à la déconnexion, consacré par la loi travail de 2017, s'applique tout autant dans le cadre du télétravail.

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Pour Benjamin Louzier, avocat associé au sein du cabinet Redlink Avocats, si le droit à la déconnexion est de mieux en mieux pris en compte par les entreprises, il y a encore beaucoup de progrès à faire concernant la formation des managers. Selon lui, ils sont souvent les premiers à empiéter sur la vie privée de leurs équipes hors des horaires de travail habituels, pendant les congés et même pendant les arrêts maladie, le plus souvent pour des demandes qui ne s'avèrent finalement pas urgentes.

Quels sont les droits des salariés au regard du droit à la déconnexion ?

Le droit à la déconnexion est assez peu réglementé. Et c'est un droit qui n'est pas du tout défini par la loi. Les droits des salariés dépendent de l'effectif de l'entreprise. Dans une entreprise avec un délégué syndical et plus de 50 salariés, l'employeur a l'obligation chaque année ou tous les quatre ans, en fonction des accords internes à l'entreprise, d'ouvrir une négociation sur le droit à la déconnexion. Cela permet de mettre en place un accord collectif pour définir des périodes pendant lesquelles les salariés ont le droit de déconnecter du travail.

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Pour les entreprises où il n'y a pas de délégué syndical mais où il y a plus de 50 salariés, la seule obligation qui existe est d'avoir une charte. Enfin, pour les entreprises de moins de 50 salariés, il n'y a aucune obligation, mais on peut dire qu'il y a une obligation générale pour l'employeur de veiller à ce que ses salariés ne se connectent pas à des horaires impossibles.

Dans les entreprises de moins de 50 salariés, comment peut-on faire valoir ses droits ?

Il faut faire valoir ses droits : dans les entreprises, il doit exister un document unique sur l'évaluation des risques d'un professionnel dans lequel il doit être prévu de traiter ce problème de la déconnexion parce que cela fait partie d'un risque et cela participe à la sécurité du salarié. Il peut déjà se présenter auprès de son employeur en avançant qu'il a par exemple un horaire de travail de 35 heures. Etant donné que le Code du travail prévoit 35h, il a le droit à une période de repos une fois les 35 heures effectuées. Entre les périodes de travail, l'employeur a une obligation d'assurer le repos du salarié. De la même manière, quand je suis en vacances ou en arrêt maladie, je n'ai aucune obligation de répondre aux mails.

Comment combiner télétravail et droit à la déconnexion ?

C'est le rôle de l'employeur de définir l'application du droit à la déconnexion dans le cadre du télétravail. Il est essentiel de définir des obligations fermes pour les salariés qui sont en télétravail. Cela veut dire qu'il faut imposer des horaires de connexion aux télétravailleurs et de se déconnecter à une certaine heure. On sait très bien qu'avec le télétravail, les salariés ont tendance à se connecter à n'importe quelle heure. Cela ne veut pas dire qu'ils travaillent plus de 7 heures ou 8 heures par jour, mais par exemple une femme ou un homme qui va chercher ses enfants à l'école, va arrêter le travail entre 16h30 et 18h et va ensuite se remettre à travailler jusqu'à 23h.

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Est-ce qu'il y a des abus de la part des employeurs ?

Les abus viennent très souvent des managers qui viennent exiger des réponses immédiates à leurs mails, alors qu'il n'y a aucune urgence. Ils fixent des réunions à des femmes ou à des hommes qui ont des obligations familiales impérieuses. Que ce soit des mails pendant les congés, des arrêts maladies et même des SMS, on en voit très souvent. Il faut éduquer et mieux former les managers car ils ne sont pas formés et souvent pas assez sanctionnés alors même qu'ils envoient des mails tardifs. Il y a rarement une urgence absolue.

Comment peut-on mieux former les managers ?

Il y a des sociétés de formation qui s'occupent de ça, les cabinets d'avocats forment aussi les managers. Il faut rappeler les obligations non seulement dans les formations, mais aussi dans les contrats de travail, les règlements intérieurs et dans les entretiens d'évaluation annuels. Il faut faire peur aussi aux managers et leur dire que si vous ne respectez pas le droit à la déconnexion et que vous avez un salarié qui fait un burn-out, il pourra aussi vous attaquer à titre personnel.

Le droit à la déconnexion est-il assez pris en compte par les entreprises aujourd'hui ?

C'est de plus en plus pris en compte par les entreprises aujourd'hui, parce qu'il y a le télétravail qui se structure et une notion de bien-être au travail, d'équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Les employeurs commencent à comprendre maintenant que quelqu'un qui est bien dans sa vie personnelle, c'est aussi quelqu'un qui va bien travailler. On a aussi besoin de déconnecter pour pouvoir encore mieux travailler et être plus efficace. Un manager de haut niveau est aussi payé pour faire le travail de ses équipes qui sont moins payées. Maintenant, on voit dans les adresses mails des phrases du type "Si vous recevez ce mail après 20h, vous n'avez aucune obligation d'y répondre sauf urgence soulignée dans le présent mail". J'ai plein de clients qui affichent cette signature dans leur mail.

Quelles sont les conséquences possibles du non-respect du droit à la déconnexion pour l'employeur ?

La première conséquence est d'avoir à payer des heures supplémentaires parce qu'on a fait travailler ses salariés en dehors du temps de travail. L'employeur peut également être condamné pour travail dissimulé ou par des juridictions de sécurité sociale pour une maladie professionnelle. Cela peut aussi mener à des accidents du travail : il y a des gens qui travaillent sans arrêt et qui finissent par faire un malaise. On peut être aussi poursuivi par le CSE, le syndicat.

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