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Francis Hallé, un amoureux des forêts tropicales

Dernière mise à jour : 16 nov. 2023

Botaniste passionné, Francis Hallé a révolutionné notre compréhension des arbres. De l’invention du radeau des cimes pour étudier la canopée à la résurrection d’une forêt d’Europe de l’Ouest, en passant par les modèles architecturaux des arbres, cet amoureux des forêts n’a pas fini de faire progresser la science !

Francis Hallé dans la canopée, son laboratoire à ciel ouvert.

Un chercheur passionné

Avec un père ingénieur agronome et une mère passionnée d’art et de plantes, Francis Hallé baigne dès tout petit dans la botanique et l’observation du monde végétal qui l’entoure. C’est donc tout naturellement qu’il se dirige vers des études de biologie et de botanique. Après des études à la Sorbonne puis à l’Université d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, il se spécialise dans l’étude des forêts tropicales et plus précisément des forêts primaires (forêts dans lesquelles aucune trace d’activité humaine n’est visible). Il a consacré sa vie à l’étude de ces forêts tropicales et de l’architecture de leurs arbres.


La canopée et le radeau des cimes, une invention impressionnante


Etude de la canopée, indispensable dans les forêts tropicales

Les forêts, et notamment celles des régions tropicales, sont souvent perçues comme des univers d’une très grande richesse, aussi bien en faune qu’en flore. C’est bien le cas, mais en termes de richesse une partie des forêts se distingue surtout : la canopée !

La canopée correspond à la partie supérieure de la forêt. Celle-ci est ainsi directement exposée au soleil, dont elle intercepte jusqu’à 98 % de la lumière dans les zones tropicales ! Cela ne laisse que de rares rayons atteindre le sol, et empêche souvent la pousse de jeunes arbres, à moins qu’un des vieux géants ne meure et laisse la lumière pénétrer les sous-bois en tombant.

Cette strate supérieure, également très humide, est un écosystème qui abrite la majorité de la faune : environ ¾ des espèces animales de la forêt se trouvent dans cette zone ! En 1982, un jeune scientifique américain, Terry Erwin, évalue la biodiversité au sommet des arbres tropicaux. Incapable d’y monter pour les étudier, il utilise un gaz toxique projeté depuis le sol à l’aide d’un canon afin de tuer les insectes et de pouvoir les dénombrer. Grâce à cette expérience, il a réalisé que l’estimation de 3 millions d’espèces terrestres était très largement sous-estimée : la découverte de ce monde des cimes d’une richesse extrême lui a permis de réévaluer la biodiversité terrestre en la multipliant par 10 !

La canopée, la partie supérieure des la forêt tropicale Crédits : Adeline Bordais

Le radeau des cimes, pour voguer et observer

De cette volonté d’explorer l’un des lieux les plus riches de la Terre en biodiversité, cette frontière nommée canopée, est né ce qui devait devenir un des emblèmes de la créativité et du génie de Francis Hallé : le radeau des cimes.

Cette invention est née à la suite de la réflexion d’une étudiante de l’équipe de Francis Hallé dans les années 1970 : alors qu’on envoyait déjà des humains explorer la lune, on n’était même pas capable de s’élever à quelques dizaines de mètres au-dessus du sol ! Les découvertes de Terry Erwin soulignaient de plus l’indispensable nécessité d’aller explorer ce nouveau monde. Le rêve était né : il semblait désormais évident à Francis Hallé et bien d’autres qu’il fallait aller travailler au sommet des arbres.

Pour parvenir à explorer cet Eldorado végétal, Francis Hallé met au point la structure du radeau des cimes. Couvrant une surface de 600 m2, cette structure hexagonale déposée sur le haut de la canopée à l’aide d’un dirigeable à air chaud a servi à la fois de laboratoire et de lieu de vie à plus de 300 scientifiques de divers horizons pendant 10 expéditions depuis la fin des années 1980 et les années 2010.

Le radeau des cimes déposé sur la mer de la forêt primaire. Crédits : Opération Canopée 2015

L’architecture végétale

Fort de toutes ses expéditions, Francis Hallé se spécialise en architecture végétale. Cette science fondée dans les années 1940 a pour but d’étudier la morphologie des arbres pour rendre compte de leur organisation spatio-temporelle. Francis Hallé a contribué à son développement en érigeant certains principes fondamentaux, notamment celui des modèles architecturaux des arbres.


Les modèles architecturaux des arbres

A première vue, les arbres dont on dénombre plus de 100 000 espèces sont tous d’aspects et de formes très différents. Cependant, les travaux de Francis Hallé montrent que l’on peut les catégoriser en seulement une vingtaine de modèles ! En effet, il constate que les arbres se distinguent principalement sur 3 aspects :

  • La répartition des branches sur le tronc, qui peut être régulière ou non.

  • L’orientation des nouvelles branches : horizontale, oblique ou verticale.

  • La position des organes reproducteurs, qui peuvent être en position terminale (extrémité d’un axe) ou latérale (sur ses côtés).

Il est fascinant d’observer que la complexité apparente des arbres peut être catégorisée suivant des règles et critères simples, en un nombre faible de groupes ! Un autre principe vient s’y ajouter : la réitération.


Le principe de réitération

En plus des modèles morphologiques des arbres, Francis Hallé a également contribué à comprendre le principe de réitération qui concerne la croissance des arbres. On parle de réitération lorsqu’un nouvel arbre pousse à même le tronc d’un ancien, non pas comme une tige mais réellement comme un arbre autonome, avec un génome différent et par exemple un nouveau tronc sur le premier.

Exemple de réitération sur un tilleul à la suite d’une blessure. On observe un tronc supplémentaire sur le premier, signe d’une réitération. Crédits : Rachel Casimir

Les arbres avec ce type de croissance sont dits coloniaires, en opposition aux arbres unitaires, qui grandissent sans réitération. Avec cette méthode de croissance, les arbres coloniaires sont potentiellement immortels puisqu'ils se régénèrent par la réitération. On retrouve cela dans les faits, les arbres coloniaires vivant bien plus longtemps que les arbres unitaires. De plus, on observe une grande diversité génétique parmi les arbres réitérés, ce qui les rend très résilients notamment vis-à-vis des conditions environnementales.



Le fonctionnement décentralisé des arbres et les organes sensoriels

On peut le voir avec le principe de réitération, les arbres, et les végétaux en général ont une organisation décentralisée, différentes de ce que l’on peut voir chez les animaux et sur laquelle Francis Hallé a également travaillé. En effet, quand les humains possèdent une centaine d’organes différents, souvent uniques ou doubles (cœur, poumons, œil, foie …) les arbres n’en n’ont que 3 types : racines, tiges et feuilles, mais en nombre bien plus important !

Chez les humains, chaque organe a une fonction bien particulière, on pourrait donc se dire qu’avec ce faible nombre d’organes, les arbres ne peuvent remplir qu’un faible nombre de fonctions. Mais les arbres sont également dotés d’un grand nombre de fonctions. Pour ne citer que quelques exemples :

  • Malgré l’absence de squelette, les arbres conservent une grande rigidité

  • La sève circule dans l’arbre comme la circulation sanguine, sans organe de pompage comme les coeur

  • Les végétaux respirent sans poumons

On retrouve même chez certains arbres des fonctions plus surprenantes comme ressentir les sons, les odeurs ou même à mémoriser des sensations ! Pour plus de détails, voici une conférence de Francis Hallé sur ce sujet : Des données récentes sur les arbres.

La question est donc de savoir comment les arbres font pour combiner toutes ces fonctions ? La réponse repose dans le principe de décentralisation. En effet, au contraire des animaux où la fonction est concentrée dans l’organe, pour un arbre celles-ci sont dispersées dans toutes les cellules du végétal. Pour les exemples les plus connus, on peut citer les mitochondries qui sont responsables de la respiration des plantes ou la chlorophylle responsable de la photosynthèse. Ces éléments sont présents dans l’ensemble des feuilles de l’arbre et permettent à l’arbre de respirer et photosynthétiser par chacune des feuilles. C’est ce principe de décentralisation qui donne aux arbres une très grande résilience. En effet, ils doivent faire face à de nombreuses contraintes (environnementales, prédateurs… ) tout en étant incapable de bouger !


La défense des forêts et de leur rôle écologique : un projet à long terme

A l’âge de 84 ans, Francis Hallé est un pionnier et une des figures les plus admirables de la recherche botanique et de l’écologie. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? C’est aujourd’hui un nouveau projet à couper le souffle qu’entreprend le botaniste : la résurrection d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest ! Pourquoi vouloir recréer une telle forêt ? Car elles ont un rôle écologique majeur ! Les arbres sont de grands puits de carbone (pour métaboliser 1 000 kg de bois, un arbre absorbe plus de 1 800 kg de CO2), et les forêts constituent des réserves immenses de biodiversité indispensable pour le bon équilibre du vivant et source d’inspiration pour le biomimétisme !

Pour qu’une forêt redevienne primaire, il faut laisser le temps aux arbres de repousser complètement afin que les traces faites par l’homme ne soient plus visibles. En zone tropicale humide, cela demande normalement 7 siècles, et en zone tempérée où les arbres ne poussent pas toute l’année… 10 siècles à partir d’un sol nu et 8 siècles à partir d’une forêt secondaire ! De quoi s’armer de patience s’il on veut faire d’un terrain défricher une forêt primaire…

Cependant, Francis Hallé ne semble pas effrayé par ce défi, pour lequel il a même créé une association, « L’Association Francis Hallé pour la forêt primaire ». L’objectif ? Laisser se reconstituer une forêt primaire en Europe de l’Ouest, sur un terrain d’environ 70 000 hectares. Cette vaste étendue transfrontalière, dont l’emplacement exact n’a pas encore été déterminé, sera laissée sans aucune intervention humaine afin qu’elle se reconstitue au cours des siècles et permette à un florilège de vie de s’en emparer.


Sources :

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