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Compliquée la reprise ? Patrick Liébus répond en exclusivité à Batiweb

Publié le 23 avril 2020

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Les organisations professionnelles étaient réunies mercredi 22 avril dernier avec le ministre des Finances, Bruno Le Maire, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud et celui du Logement, Julien Denormandie, pour aborder les conditions de la reprise. Les trois ministres leur ont demandé un rapport sur les conditions de la reprise dans le bâtiment d’ici à lundi prochain, 27 avril. Patrick Liébus, président de la CAPEB, livre ses premières réflexions en exclusivité pour Batiweb.
Compliquée la reprise ? Patrick Liébus répond en exclusivité à Batiweb - Batiweb

Selon Patrick Liébus, environ 80% des entreprises du bâtiment n’ont pas encore repris pleinement leur activité. « Et s’il faut être prêt pour le 11 mai, il y a beaucoup de questions encore en suspens et de problème à régler » ajoute-t-il.

Après trois semaines de travail intensif avec les cabinets des ministres concernés, et huit versions successives du guide de l’OPPBTP, les fédérations patronales, CAPEB en tête, ont beaucoup cogité pour résoudre toutes les interrogations qui subsistent dans l’organisation de la reprise. Et si le fameux guide, néanmoins contesté par les syndicats de salarié, répond à une grande partie des questions que peuvent se poser salariés du bâtiment, comme chefs d’entreprises, il reste beaucoup d’autres sujets à résoudre.

 

Des  questions majeures qui restent encore en suspens !

 

Patrick Liébus pose la question très directement " Comment absorber les surcoûts que va engendrer une reprise complète du travail pour les entreprises du bâtiment  ? "

Le fameux rapport, en préparation pour lundi prochain, va porter sur les surcoûts liés à la reprise et sur les mesures que les fédérations patronales attendent pour faire repartir rapidement et dans de bonnes conditions l'activité des entreprises du bâtiment.

Patrick Liébus pointe plus spécifiquement celles qui se posent pour les entreprises artisanales, que la CAPEB représente.

Très souvent, l’artisan travaille chez des clients qui peuvent être présents au moment de son intervention. Et comme sur la plupart des chantiers, les compagnons travaillent rarement seuls et sont au minimum deux, voire trois ou plus. « Il y a donc un certain nombre de raisons qui font qu’on ne peut pas reprendre comme ça, le refus des clients, les questions à résoudre avec les salariés, et beaucoup d’autres points... ». 

 

Tout d’abord, et après un travail avec des entreprises concernées, le président de la CAPEB avance les chiffres suivants : « Dans le neuf, c’est environ 10% de surcoût et 10 à 20% dans la construction de maisons individuelles. Dans l’entretien-rénovation, les surcoûts peuvent aller de 12 à 22 % ».

 

 

Pourquoi de tels surcoûts ?


Dans le neuf ou les chantiers extérieurs, la distanciation sociale est plus facile à mettre en œuvre que dans des lieux fermés. Mais il y a des surcoûts communs à tous les cas de figure :

  • Fournir tout le matériel de protection aux équipes
  • Prévoir plusieurs véhicules pour aller sur les chantiers, car il n’est plus question d’envoyer trois compagnons dans le même véhicule. Il faut probablement inviter les salariées à se rendre sur les chantiers avec leur véhicule personnel.
  • Il faut donc prendre en charge l’éventuel complément d’assurance (même si les compagnies d’assurances ont été sollicitées pour prendre en charge le surcoût de l’assurance véhicule pour trajets professionnels)
  • Il faut payer les frais de route qui peuvent être plus ou moins élevés en fonction de la distance (essence, péage éventuel, etc.).
  • Enfin, il faut régler les autres problèmes, notamment pour les chantiers distants : restaurants fermés, pas de logement en hôtel, etc.

 

« En rénovation et quand il accepte le passage de l’entreprise, il est difficile de répercuter ces surcoûts au particulier. » et Patrick Liébus d’ajouter « Un certain nombre de particuliers ont déjà renoncé purement et simplement aux travaux,  vu la situation et les risques financiers sur les revenus qui l’accompagne. »
Il y a donc un risque significatif d’annulation sur les marchés privés, plus important que sur les marchés publics.

 

Il y a d’autres problèmes d’ordre pratique qui se posent.


De fait le port du masque est compliqué sur les chantiers. « Imaginez, quand il faut porter le casque, les lunettes de sécurité, le masque donc et dans certains cas les bouchons d’oreille... » Il faut permettre aux salariés de faire des poses plus fréquentes.

 

Les outils sont partagés, perceuses, rallonges, gant de chantiers de sécurité. Et ces derniers, pour des zingueurs par exemple, peuvent coûter jusqu’à 10€ la paire et ne peuvent pas être jetés à chaque intervention. « Pour les couvreurs, sur un toit, les tuiles passent de la main à la main, il n’y a pas de machines à poser les tuiles, nous ne sommes pas dans l’industrie, avec ses robots. Et avec du zinc, sans gants renforcés, on pourrait se couper facilement » rajoute Patrick Liébus qui dirige avec son épouse et sa fille, une entreprise de couverture-zinguerie.

 

Il aborde ensuite un sujet plus délicat, basé sur un exemple récent « Qu’est-ce qu’il en est des chantiers qui se situent dans la zone grise de la construction, avec des salariés ‹au black›,  qui travaillent sans aucune protection individuelle, et pas contrôlés parce que pas déclarés ? » Cela crée des situations de grand risque sanitaire et social, outre l’habituelle distorsion de concurrence.

 

L'assurance-crédit joue-t-elle le jeu ?

 

Patrick Liébus réclame l’annulation des charges pour certaines entreprises, qui ne s’en sortiront pas autrement. « Le report ne suffit pas car certaines entreprises auront fait zéro chiffre d’affaires pendant la période. Les banques traditionnelles sont très pointilleuses pour la délivrance d’un éventuel crédit et les assureurs-crédit ne prennent aucun risque et refusent de couvrir l’encours du crédit  client qu’un artisan peut avoir auprès de ses fournisseurs, négociants... Certaines entreprises sont obligées de payer « au cul du camion » au lieu de disposer de leurs délais de paiement habituels et donc d’une forme d’aide à la trésorerie. »

 

Sur ce sujet sensible, les récentes déclarations de Franck Bernigaud, président de la FNBM, à la rédaction de nos confrères de Zepros viennent confirmer les propos de Patrick Liébus. Le « patron » de la Fédération des Négoces en Bois et Matériaux a déclaré à notre confrère que « Dans un secteur du BTP qui draine environ 6 % de la richesse nationale, le gouvernement a très tôt indiqué que le négoce est le maillon essentiel et qu'il devait reprendre en premier pour approvisionner les entreprises. Aujourd'hui, il ne voudrait pas être le rouage sacrifié par les assureurs-crédits. »

 

Le matériel n’est pas forcément disponible.

 

Et à propos de négoce, Patrick Liébus pointe les risques de rupture de stock. Par exemple pour la climatisation, beaucoup d’équipements viennent de Chine et n’arrivent plus en ce moment, alors que c’est la pleine saison de pose des climatiseurs. Même chose pour de nombreux équipements qui viennent de pays européens, d’Italie par exemple pour la plomberie-robinetterie.

 

La question des heures supplémentaires

 

« Enfin, pour rattraper le retard, il va falloir bosser plus. Or je ne me vois pas demander à mes salariés de travailler au mois d’août. D’abord parce que les fournisseurs risquent d’être fermés, ce qui va encore compliquer la mise à disposition du matériel, et puis les salariés risquent de lâcher une entreprise qui leur demanderait travailler au mois d’août. » ajoute-t-il.
Par contre il faut faire des heures supplémentaires en accord avec les salariés. « J’ai demandé  hier au ministre des Finances de pouvoir faire faire des heures supplémentaires complètement défiscalisées pour les salariés, comme pour les entreprises. Il faut faire des heures supplémentaires sinon on ne s’en sortira pas. » 

 

Et Patrick Liébus de conclure sur la responsabilité morale des chefs d’entreprise : « La loi et le guide de l’OPPBTP le rappellent, le chef d’entreprise a une obligation de moyens, mais aussi une obligation de résultat. Et si un salarié décède du COVID, quel que soit l’endroit où il l’a contracté, la famille du salarié en question pourra se retourner contre l’entreprise, avec un risque que cela se termine au tribunal. Et là les assurances ne suivront pas. Le gouvernement nous répond ‘Il faut qu’on regarde’ mais en attendant il y a des entreprises qui travaillent. Comment fait-on en cas de problème ? »

 

Bref là comme ailleurs, la reprise risque de prendre du temps et pose des questions auquel nul n’était préparé. Un sacré casse-tête pour tout le monde, avec en toile de fond la nécessité absolue d’assurer la sécurité des personnes, clients et salariés des entreprises, ainsi que la pérennité de ces dernières.

 

Propos recueillis par Régis Bourdot


Images DR : CAPEB, Le Bâtiment Artisanal

 

 

Une baisse d'activité différente en fonction des régions, à fin mars 2020

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