Billet

Arrêtez de voir des «hackers» partout

Il est déjà assez pénible de voir le terme systématiquement renvoyé à la cybercriminalité pour ne pas devoir, en prime, faire la chasse aux fantasmes agités à tout propos.
par Amaelle Guiton
publié le 21 septembre 2016 à 19h51

«Fausse alerte terroriste à Paris : un hacker de 16 ans interpellé», «Une Tesla piratée à distance par des hackers chinois», «Internet en Corée du Nord : des hackers dressent l'inventaire». On n'en a choisi que trois, mais des titres d'articles du même tonneau, ces derniers jours, il y en a eu des dizaines sur le Web. Et voilà de nouveau convoquée l'image, labourée par Hollywood, du nerd asocial, caché sous la capuche de son hoodie et fort affairé à tenter de pirater le Pentagone. Il y a bien longtemps qu'il n'est plus aussi sympathique que dans le Wargames de John Badham en 1983 – escrocs, cybermafias et hackers d'Etat ont donné au terme une connotation négative qui peine à se dissiper, malgré l'émergence des «hacktivistes» et le succès de la série Mr. Robot.

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Or, de quoi parle-t-on ici ? Dans le premier cas, d'un irresponsable canular téléphonique qui, pour spectaculaires qu'aient été ses résultats, ne nécessite pas de compétences poussées – que l'adolescent arrêté se présente comme un hacker ne fait pas du délit dont il est accusé une prouesse technique. Dans le second cas, d'une faille découverte par les chercheurs d'un laboratoire chinois en cybersécurité. Enfin, dans le troisième, d'un changement de configuration (possiblement par erreur) sur le serveur de noms de domaine de la Corée du Nord, changement qui a rendu accessible la liste de ces derniers et a été repéré, notamment, par un chercheur en sécurité informatique. Avec pour résultat d'offrir un accès inédit à la partie du Web la plus fermée au monde (et manifestement pas la plus florissante).

On pourrait disserter longuement sur la plasticité du terme «hacker» et sur son évolution, depuis les années 60 et les premiers «bidouilleurs de code» des universités américaines ; cette histoire-là a été magistralement racontée par le journaliste américain Steven Levy dans l'Ethique des hackers. On pourrait rappeler que pour les communautés hackers elles-mêmes, le terme renvoie d'abord à une façon d'appréhender la technologie : la comprendre, la bidouiller, la détourner, résumait Wikipédia il y a quelques années. Que le hacking – une culture, des pratiques – ne saurait donc se réduire au piratage informatique, même si ce dernier en est la dimension la plus médiatisée. Que cette question-là même est complexe, et que le débat entre légalité et légitimité est bien plus ancien que les réseaux informatiques. On pourrait même convoquer le Comité invisible qui, dans A nos amis, écrit : «Là où l'ingénieur vient capturer tout ce qui fonctionne pour que tout fonctionne mieux, pour le mettre au service du système, le hacker se demande "comment ça marche ?" pour en trouver les failles, mais aussi pour inventer d'autres usages, pour expérimenter.»

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A défaut de réussir à appréhender dans sa complexité le terme «hacker», du moins devrait-il être possible de ne pas le mettre à toutes les sauces. Il est certes plus vendeur de titrer sur le piratage d'une Tesla par de mystérieux «hackers chinois», avec toute l'imagerie que l'expression peut véhiculer, plutôt que sur la découverte d'une faille par des chercheurs en cybersécurité. Mais pour ceux et celles qui se réclament de l'éthique hacker dans son sens originel, il est déjà suffisamment pénible de voir le hacking systématiquement réduit à la cybercriminalité pour ne pas devoir, en prime, faire la chasse aux fantasmes agités à n'importe quel propos.

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