Transformation digitale : entre révolution culturelle et raisons de s’inquiéter

Si je devais résumer en deux phrases ce que je retire de la dernière étude menée par la MIT Sloan Management Review en partenariat avec Deloitte et intitulée « Aligning the organization for its digital future » je dirais :

  • Bonne nouvelle : les entreprises comprennent que la transformation digitale n’est pas tant une affaire de technologie qu’une nécessité profonde de transformation de la structure, du business et de l’opérationnel qui passe par une révolution culturelle.
  • Mauvaise nouvelle : non seulement les entreprises sont encore loin du compte mais  finalement peu d’entre elles se donnent les moyens de vraiment avancer.

On a jamais transformé une entreprise avec de la technologie, celle ci-est un levier au service de la transformation mais n’est pas transformative par elle-même. Souvent même un premier niveau de transformation est nécessaire si l’on veut tirer profit de la technologie. Evident, me direz vous, c’est un basique. Et pourtant l’expérience montre que de manière quasi systématique les entreprises le méconnaissent et jouent la carte de la facilité avant de prendre les choses par le bon bout, ayant perdu un temps précieux et investi quasiment sans retour entre temps.

La transformation digitale : tâches, structure, culture et capital humain

Bref un des premiers enseignements de l’étude est que les entreprises digitalement matures suivent le process qui suit.

Source : MITSloan management review
Source : MITSloan management review

C’est d’une banalité remarquable mais le bon sens n’étant pas toujours ce qui prime en entreprise il aura donc fallu quelques année pour apprendre qu’il y a des lois auxquelles, comme la gravité, il est impossible de se soustraire. Dont acte.

Une autre enseignement intéressant par ailleurs est qu’il n’y a pas 36 voies vers la transformation digitale. Alors que les auteurs de l’étude s’attendaient à trouver différents modèles culturels au gré des profils d’entreprise, c’est davantage une relative uniformité qui s’est dégagée. Les entreprises digitalement matures on des modèles culturels similaires, de même que celles qui ne sont qu’au début de leur cheminement. A chaque étape de maturité digitale correspond donc un modèle culturel, preuve s’il en est que c’est de ce coté qu’il faut travailler en priorité si on veut avancer.

Bref ne cherchez pas plus loin votre roadmap : elle consiste en l’alignement de ces 5 facteurs. C’est ce que le rapport nomme la « congruence digitale »

Dommage pour les fainéants ou ceux qui manquent de courage : la technologie n’en fait pas partie.

La transformation digitale : un projet à très long terme

Autre leçon, plus surprenante celle là, c’est que les entreprises les plus matures ont une vision à plus long terme. Surprenant car alors qu’on ne cesse de nous raconter qu’aujourd’hui le long terme c’est un an, ce sont les entreprises les moins avancées qui ont les horizons les plus courts alors que les plus digitalement matures pensent à 10 ans. L’effet de la courbe d’apprentissage sans doute mais cela prouve l’étendue du travail à accomplir et l’urgence qu’il y a à ne pas perdre de temps au démarrage ni en route.

En effet une des dimensions les plus importantes de la transformation digitale que l’étude mets en avant est la dimension « talent ». Les entreprises qui réussissent leur transformation sont celles qui investissent prioritairement et massivement sur les gens mais on sait que ce genre de travail ne paie généralement qu’à long terme (raison pour laquelle on essaie toujours de s’en passer).

Le digital n’est ni un département ni une discipline

Autre avancée majeure en termes de maturité : on voit bien dans les entreprises les plus avancées que le digital n’est plus un département ou une discipline en soi mais une logique transverse en charge de supporter la stratégie et les initiatives business au travers de l’entreprise. Dommage si vous venez juste de nommer un « directeur des trucs digitaux ».

Par ailleurs les leaders digitaux ne sont que rarement des spécialistes de la technologie mais des gens qui ont une vision business et, surtout, excellent dans le management de la complexité et le changement culturel. A bon entendeur.

Donc a priori de bonnes nouvelles : on voit bien que les entreprises qui ont correctement fait les choses ont vraiment nettoyé le concept, et sont bien au fait des vrais enjeux. Pour autant, cela signifie-t-il un progrès global ou simplement le constat qu’il existe de beaux arbres qui cachent une inquiétante forêt ?

Je ne reviendrai pas sur le sentiment d’urgence. Le rapport dit – mais s’attendait on à autre chose – que les entreprises qui ne s’y mettent pas risquent d’être rapidement marginalisées car si la route est longue les écarts qui se créent en raison d’un démarrage tardif sont encore plus rédhibitoires.

Les entreprises sous-investissent dans le développement des talents

75% des entreprises mures donnent à leurs collaborateurs les moyens de développer leur « perspicacité/habileté digitale » contre 14% de celles qui débutent. 71% des premières disent que cela leur permet de plus d’être attractives pour des talents nouveaux contre 10% des autres.

Rien à ajouter sur cet écart qui parle de lui-même. Je reviendrai plutôt sur le terme de perspicacité digitale (digital acumen) qui est porteur de sens. Beaucoup d’entreprises parlent de « formation » au digital alors que perspicacité signifie tout autre chose. C’est beaucoup plus responsabilisant pour le collaborateur et demande l’acquisition de savoirs mais aussi et surtout de réflexes de pensée, de raisonnement de mise en œuvre qui vont au delà des savoirs et de ce qu’on peut apprendre dans une formation classique. Cela prend aussi beaucoup de temps car cela change les individus.

Plus inquiétants encore : 30% des senior leaders (top managers, directeurs…) à qui leur entreprise ne donne pas les moyens de se développer dans un environnement digital envisagent d’aller trouver du travail à ailleurs.

Le digital commence par la culture

Dernier point : 80% des entreprises en phase de maturité investissent dans la prise de risque, l’agilité la collaboration contre 14% des autres. Et c’est à ce niveau que ce crée à mon avis un écart rédhibitoire.

Ce discours sur les éléments de culture je l’entends partout mais ne le vois que peu suivi d’effet au delà des incantations. « Il faut »…soit, mais comment faire en sorte que cela se pratique, soit toléré puis devienne la norme au quotidien ? Collaboration, agilité et prise de risque restent souvent au stade de valeurs sans applications concrètes et lorsqu’elles en ont voient leur application se limiter à des périmètres non stratégiques, enfermées dans des bulles où l’on peut travailler « autrement qu’avant ».

Sans la généralisation de cette phase à toute l’entreprise et de manière très opérationnelle il va être compliqué d’avancer.

Crédit photo : desperate businessman by Lichtmeister via shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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