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L'autoritarisme de Macron cache une absence de réflexion stratégique

L'autoritarisme de Macron cache une absence de réflexion stratégique

Par et Théophile Malo

Publié le

Alors même que son autorité n’a jamais été contestée par le chef d’état-major des armées (CEMA), le président de la République a pris à son encontre une posture autoritaire aussi inquiétante que grotesque, la qualité de chef ayant cette particularité de ne pas avoir à être rappelée lorsqu’elle est légitime. Cette crise ouverte par Emmanuel Macron a conduit à la démission du CEMA, fait unique dans les annales de la 5ème République.

Personne ne conteste que le devoir des militaires est de servir et d’obéir. Mais, comme l’a rappelé Jean-Luc Mélenchon sur son blog, le chef d’état-major n’a justement fait que remplir son devoir en répondant « avec franchise et sincérité », à huis-clos, aux questions des membres de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale.

L’accusation faite à Pierre de Villiers « d’étaler certains débats sur la place publique » est totalement infondée. Elle est surtout le signe du mépris du président pour la représentation nationale. Hormis pour ce qui concerne l'emploi de l'arme nucléaire, l’autorité politique suprême sur les armées est bien censée être incarnée, en dernière instance, par le Parlement.

Cette crise jupitérienne est au moins l’occasion de rappeler un article de la Constitution régulièrement piétiné par le pouvoir exécutif.

En France, depuis 1815 c’est le Parlement qui vote la conduite de la guerre, sauf durant la parenthèse de Vichy. L'article 35 de la Constitution commande de le consulter dès qu'une intervention extérieure (OPEX) se prolonge au-delà de quatre mois. Sa lecture logique commande ensuite, si les opérations se poursuivent, de renouveler cette consultation tous les quatre mois. Or non seulement cet article est régulièrement bafoué, mais il semble désormais pour notre nouveau président que les représentants de la nation n’ont pas à entendre l’inquiétude du chef d’état-major. Curieuse conception du lien armée-nation.

L’autoritarisme d’Emmanuel Macron est aggravé par le contenu des choix critiqués par Pierre de Villiers, et le contexte politico-militaire dans lequel ils sont opérés. L’inquiétude des militaires tient avant tout à la déconnexion entre les moyens qui leur sont alloués et les missions qui leur sont attribuées. En pratique il est irresponsable de maintenir l’armée française sur autant de théâtres d’opérations tout en l’amputant de 850 millions d’euros, alors que l’usure des hommes et des matériels est d’ores et déjà plus que problématique.

C’est pourquoi lors de la campagne présidentielle le candidat de la France Insoumise avait précisé : « La question des moyens ne doit pas être posée avant celle des objectifs. Nous devons viser la cohérence entre les moyens et les fins géopolitiques. Il est inutile de graver dans le marbre un pourcentage qui ne signifie rien en lui-même. Affirmons plutôt, entre autres exemples, qu’aucun soldat français ne devra compenser avec ses propres deniers tel ou tel manque d’équipement avant de partir en mission »1.

A l’inverse de cette sagesse élémentaire le candidat Macron, relayant les exigences de l’OTAN, a lui endossé la promesse de consacrer, à l’horizon 2025… 2 % du PIB au budget militaire. Avait-il, déjà, l’intention d’entamer son mandat en aggravant l’austérité pour les armées, entre autres ? Il était en tout état de cause prévisible que sa pensée néolibérale strictement comptable, et sa propension à reprendre à son compte des injonctions européennes contraires aux intérêts de la nation, l’amèneraient à opérer de tels choix.

Ces contradictions ont d’autant plus heurté les militaires qu’Emmanuel Macron a dès son élection abusé des mises en scènes aux côtés de « ses soldats » - là encore il a fallu lui rappeler que ce sont les soldats de la nation - pour prendre une posture régalienne. Mais les photos du président au Mali, ou se faisant hélitreuiller à bord d’un des sous-marins de la force de dissuasion – singeant ainsi de plus en plus la communication de Vladimir Poutine – ne feront pas oublier les promesses trahies ni, surtout, l’absence de vision stratégique en toile de fond de cette crise.

Au lieu de trancher via le seul prisme budgétaire des propositions incompatibles entre elles, un chef de l’Etat sûr de son autorité et de sa légitimité pourrait soumettre à l’arbitrage du peuple souverain, via ses représentants ou par référendum, les grands objectifs en matière de défense et les moyens de les atteindre.

On pourrait ainsi questionner l’efficacité des interventions militaires à répétition face au terrorisme. Si, au terme d’un débat argumenté appuyé sur une évaluation sérieuse des opérations en cours, le peuple souverain décidait que ces opérations doivent perdurer, alors le devoir du Président serait de doter les armées des moyens de remplir les objectifs fixés. Si au contraire le peuple souverain estimait, comme nous le pensons, que ces interventions sans buts précis donc sans fin sont le signe d’une dérive militariste occultant la dimension politique des conflits et aggravant le phénomène terroriste, alors le devoir du Président serait de proposer une stratégie plus adaptée à cette menace.

Les mêmes questions pourraient être posées quant à l’efficacité de l’opération Sentinelle, l’utilité militaire de tel ou tel programme d’équipement ultra sophistiqué, ou la nécessité de conserver le volet aérien de notre dissuasion nucléaire.Ayant énuméré dans son programme des propositions concrètes et cohérentes sur toutes ces enjeux cruciaux2, la France Insoumise serait en mesure de nourrir ce débat stratégique… si il était enfin ouvert.

Une chose est certaine, la crispation autoritaire face aux inquiétudes légitimes de militaires confrontés à l’impossibilité de remplir dans des conditions acceptables les missions qui leur sont fixées est la pire des solutions. Elle prive la nation d’un débat qui ne saurait être sacrifié sur l’autel de la rigueur budgétaire. Elle relève de la faute politique.

1 Entretien paru dans la revue DSI, n°28, mars-avril 2017, p.100-103

2 Nous renvoyons notamment aux Livrets Une France indépendante au service de la Paix et Sécurité : retour à la raison, disponible en ligne ici.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne