CHRONIQUE

Montréal est une ville bilingue

Dans une chronique publiée il y a une dizaine de jours sur le projet de loi 14, qui veut renforcer la loi 101, intitulée « Écœurer les Anglais », j’écrivais qu’une détérioration de nos rapports avec la minorité anglophone serait une façon de tuer Montréal à petit feu.

Il y a en effet des éléments de la dynamique Montréal qu’on ne comprend pas ou qu’on n’accepte pas. Notamment l’importance, pour son succès, de la présence de sa minorité anglophone.

Ce qui définit Montréal, ce n’est pas d’être multiculturel. Pour une métropole, ce fait est assez banal. La plupart des grandes villes le sont et, à ce chapitre, Montréal n’est pas particulièrement remarquable, quand on la compare à Toronto ou Vancouver.

Ce qui est absolument unique, par contre, c’est la dualité de Montréal, le fait qu’il se soit bâti sur deux groupes linguistiques et culturels, les francophones, maintenant largement majoritaires, et les anglophones. Montréal est l’une des très rares villes bilingues au monde, où l’on parle deux des grandes langues mondiales de communication et où l’on fonctionne dans les deux langues.

Évidemment, le mot bilinguisme fait tiquer, parce que, légalement et institutionnellement, Montréal est une ville française. Cela force tout le monde à des acrobaties verbales pour décrire, sans prononcer le mot honni, ce qui est une évidence.

Cette dualité a été et reste une source de tensions, que ce soient les injustices du passé envers les francophones, dont la langue était reléguée au second plan, ou le retour du balancier avec la loi 101, un choc assez fort pour pousser certains anglophones à l’exode. Mais nous avons atteint un certain équilibre, notamment parce que les pressions qui peuvent s’exercer sur le français ne proviennent plus de la communauté anglophone. Les tensions sont disparues, sauf quand des politiciens veulent brasser la marmite.

Mais ces tensions peuvent aussi être créatrices. La dualité contribue à définir l’identité de Montréal, hybride avec son patrimoine bâti britannique et son visage français. C’est ce qui fait que Montréal n’est pas un gros Québec, qui lui confère un énorme avantage compétitif et qui contribue à plusieurs de ses succès économiques.

Une manifestation très concrète de cette dualité est la duplication des institutions (universités, hôpitaux, lieux de culture, quartiers). Cela enrichit une vie intellectuelle qui peut puiser dans deux traditions. Cela explique largement notre vocation universitaire, ce qui nous aide dans nos efforts pour devenir une société du savoir.

Cela permet aussi à Montréal d’être plusieurs choses à la fois, à l’aise dans la francophonie et le Commonwealth, avec des racines dans les deux cultures, capable d’être une interface entre deux mondes, à la fois très nord-américaine, mais plus européenne que les autres villes du continent.

Cette dualité contribue certainement à expliquer le succès de certaines industries, par exemple les technologies de l’information et les jeux vidéo, où Montréal réussit à la fois à attirer des entreprises françaises et américaines.

Cette dualité contribue aussi au caractère créatif de Montréal, en favorisant la diversité et la tolérance. Mais aussi parce que les tensions sont un ferment de la vie culturelle. Ça a été évident pour les francophones, dont l’affirmation identitaire s’est largement exprimée à travers le théâtre, la musique, la littérature et le cinéma. Mais on note depuis plusieurs années un élan de la création anglo-montréalaise qui enrichit Montréal et tout le Québec. Sans cette rencontre de cultures, Montréal n’aurait pas son image de marque de ville branchée.

Tout cela ne vise pas à nier la validité du combat pour le français, mais de nous rappeler qu’il faut trouver des façons d’y parvenir sans empêcher notre minorité anglophone de s’épanouir dans sa langue et sa culture.

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