On a testé la téléconsultation connectée : une nouvelle ère pour la télémédecine

Alors que la téléconsultation se heurte pour l’instant à l’absence d’examens cliniques, les objets connectés devraient changer la donne, en fournissant à distance des données précieuses au médecin. Après avoir testé un kit d’appareils médicaux reliés au cloud, c’est du moins mon impression.

Par FabienSoyez

  • 12 min

On a testé la téléconsultation connectée : une nouvelle ère pour la télémédecine

Remboursée par la Sécurité sociale depuis septembre 2018, la télé-consultation médicale se développe peu à peu en France. Des startups comme Doctolib, Qare, Docavenue et Livi proposent depuis plus d’un an déjà de consulter un médecin par vidéoconférence. Mais la télémédecine continue malgré cela à patiner – à cause des craintes des patients et des médecins qui ont peur d’une « déshumanisation » de leurs relations… Mais aussi parce que pour l’instant, les médecins menant des consultations par vidéo ne peuvent que poser des questions à leurs patients : ils mènent un « interrogatoire », mais ils ne peuvent pas réaliser d’examen clinique, qui permettrait d’aboutir à un diagnostic aussi sûr qu’en “présentiel” – même si le dialogue avec le patient suffit dans 60 % des cas, selon plusieurs études.

Pour le moment, dans le doute, la téléconsultation ne peut donc s’appliquer qu’à de « petites » pathologies – des bobos, de petits rhumes, des douleurs bénignes, et des symptômes qui ne nécessitent pas d’examen. Mais des technologies arrivent qui très bientôt devraient permettre de créer une véritable « consultation connectée », une téléconsultation « augmentée », comme si vous étiez vraiment dans le cabinet du médecin : comme nos objets connectés de la vie quotidienne, des outils collecteront des données sur notre santé, puis les enverront aux praticiens. Sauf qu’au lieu d’utiliser des bracelets ou des montres « intelligentes » pas forcément fiables, les patients seront amenés à utiliser de véritables appareils médicaux.

Ces appareils, qui seront utilisables en pharmacie (et pourquoi pas, à la maison), sont capables d’envoyer en temps réel au médecin vos principales constantes et autres signes vitaux. Afin de répondre une bonne fois pour toute aux craintes des patients comme des praticiens ? Pour tenter de le savoir, après avoir testé la téléconsultation vidéo « non-augmentée », j’ai pu utiliser un kit d’objets connectés médicaux – le genre de kit que la plupart des plate-formes de téléconsultation devraient utiliser à terme.

Ma découverte de l’IoT médical se déroule dans les locaux de IOM Technology (Internet Objet Médical Technology), une startup française spécialisée dans la conception, le développement et la commercialisation de « solutions interopérables » dans le domaine médical. Autrement dit, cette société créée en 2017 dans le Val d’Oise parcourt le monde à la recherche d’objets médicaux connectés de marques différentes, les rassemble et les relie tous à une solution de « cloud médical », baptisée Tesly. Ce cloud est accessible à l’ensemble des acteurs de santé impliqués dans la prise en charge du patient : les plateformes de téléconsultation, les centres de santé et les médecins.

Concrètement, IOM Technology commercialise depuis peu un kit d’objets médicaux qui sont connectés grâce à une « box ». Ce boitier réceptionne les données de santé par Wifi et Bluetooth, les encrypte, puis les envoie dans le « cloud », sur un hébergeur de santé sécurisé, aux normes HDS de l’Afnor. Les appareils réunis dans une seule et même boîte sont bien souvent les mêmes que ceux utilisés en cabinet, mais en version connectée. On trouve un stéthoscope ; un otoscope (muni d’une caméra, il permet d’explorer et de prendre des images de l’intérieur du nez, des oreilles, de la bouche et de la gorge) ; un tensiomètre ; un thermomètre ; un glucomètre ; un pèse personne ; un dermatoscope ; ainsi qu’un oxymètre (pour prendre le pouls et le taux de dioxygène du sang).

A la base, ces outils seront mis à la disposition des pharmacies : c’est là que les téléconsultations se dérouleront au départ, un praticien accompagnant le patient dans l’utilisation, pas forcément évidente, de tous ces objets. Mais après avoir « formé » l’usager, le pharmacien pourra aussi lui vendre un kit (personnalisable), afin de lui permettre, à terme, d’utiliser les appareils chez lui, à domicile – au moyen de la « Tesly Box » et d’une application mobile. Plus besoin d’aller aux urgences pour faire écouter le coeur de votre enfant à un pédiatre : ce dernier le fera en live, en vidéo – à travers vous et votre stéthoscope connecté, qui lui enverra le son des battements cardiaques de votre bambin au format HD.

 

Voir le fond de ma gorge comme si j’y étais

Je commence mon test par le premier appareil du kit Tesly : l’otoscope. L’un des instruments les plus utilisés en médecine générale, avec le tensiomètre et le stéthoscope. Fabriqué par MIIS, le « Horus Scope » est muni d’un système vidéo capable de capturer des images du corps, à destination de la télémédecine. Les « têtes » de l’appareil sont interchangeables : une « lentille » permet d’explorer les oreilles, une autre le nez, une autre la gorge et les dents. Je commence par les oreilles. Comme si j’étais un pharmacien ou un parent, j’introduis le spéculum jetable de l’appareil dans le conduit auditif de mon cobaye (Vincent Martinez, développeur, biologiste et ingénieur en R&D produit chez IOM) : sur un petit écran, je vois tout, vraiment tout, de l’entrée du canal jusqu’au tympan, dans une qualité HD bluffante. En pressant légèrement un bouton, je prend une photo de ce que je « vois ». Je débute : il me faut m’y reprendre plusieurs fois avant de saisir une image nette de ce que le médecin souhaite analyser. Ces images lui sont envoyées en temps réel, et il voit exactement les mêmes images que moi – mais sur son écran d’ordinateur, avec la capacité de zoomer jusqu’à un niveau de détails impressionnant (la résolution est de 1920 x 1080p).

Je change de « tête », puis je place ensuite l’appareil dans la bouche de Vincent, à qui je demande de tirer la langue. Cette fois, je peux examiner le fond de sa gorge. Son épiglotte n’est pas rouge : il n’a pas d’angine. Je prend à nouveau une photo, mais le médecin, à distance, en vidéo, me demande de tourner légèrement la caméra vers la gauche et d’en reprendre une autre. L’otoscope est facile à utiliser, très facile. Toutefois, il est fondamentalement impossible de l’utiliser seul : une consultation vidéo connectée ayant pour motif une douleur aux oreilles ou à la gorge, ou quelque chose ayant un rapport avec l’oto-rhino-laryngologie, ne peut donc être menée qu’avec une deuxième personne – qu’il s’agisse d’un pharmacien ou d’un proche si vous êtes chez vous. En outre, afin d’éviter une mauvaise manipulation et de crever le tympan de votre conjoint, mieux vaut téléconsulter en pharmacie, ou suivre à la lettre les instructions du médecin. À noter qu’un tel appareil peut être utilisé en direct, ou de façon asynchrone : vous pouvez ainsi prendre en amont des photos de votre gorge ou de votre conduit auditif, et envoyer ces données dans le « cloud », afin de permettre au médecin de se « préparer » à la téléconsultation.

« Le médecin n’a plus que votre parole sur laquelle se baser »

« Si vous avez peur de vous blesser, l’idée est de commencer en pharmacie, où un praticien de santé prendra les télémesures pour vous, dans une cabine dédiée, munie d’une ‘station de télémédecine sans fil’, avec caméra HD et écrans inclinables. Il vous accompagnera lors de la téléconsultation, et vous formera, pour que vous puissiez le faire seul ensuite. Mais de toute façon, le médecin voit ce que vous voyez, il vous guide et vous aide à distance », explique Imad Hamdi, infirmier et président-fondateur d’IOM Technology. Selon lui, « l’objectif est de permettre au médecin de recevoir des données cohérentes et efficientes, afin de pouvoir poser un réel diagnostic à distance, ce qui n’est pas possible aujourd’hui. Car sans données tangibles, le médecin ne peut que croire les paroles d’un patient qui peut très bien grossir sa pathologie, ou lui demander de consulter en cabinet, lors d’une consultation physique ».

Je poursuis le test avec un stéthoscope connecté, là encore un appareil très utilisé en consultation. Vincent le pose sur ma poitrine. Puis il me fait écouter ce qu’entend le médecin : le son de mon coeur, dans une qualité parfaite. Je passe ensuite au tensiomètre, de marque Andesfit. Comme en cabinet, mon acolyte (mais ici, j’aurais très bien pu le faire seul) place le brassard autour de mon bras, qui se gonfle automatiquement, puis affiche instantanément sur un écran les informations sur mon pouls et ma pression artérielle, grâce à des capteurs intégrés. Des informations qui sont là encore envoyées dans le « cloud » grâce au bluetooth, puis au médecin, qui ne se basse pas que sur ma description des symptômes pour établir un réel diagnostic.

 

J’utilise désormais un petit appareil dans lequel je glisse mon doigt : un oxymètre. Très facile à utiliser, il affiche sur un écran mon pouls, ainsi que le taux de dioxygène (saturation) du sang. Pendant ce temps, le médecin reçoit ces infos à son cabinet, ce qui lui permet de constater que j’ai une pulsation de 91 et une saturation de 98. Tout est OK. Ouf.

À noter que IOM Technology devrait commercialiser en exclusivité à l’automne un autre oxymètre, conçu par une entreprise israélienne, qui sera capable, grâce à la lumière et l’électricité qui passe au bout du doigt, de réaliser à distance 16 mesures biologiques : fréquence cardiaque, saturation, tension artérielle, taux d’hémoglobine, PH du sang, gaz du sang, viscosité sanguine, nombre de globules rouges, etc. Un dispositif très utile pour les personnes souffrant de maladies cardiovasculaires ou d’hypertension, dans l’optique d’un suivi médical régulier du médecin.

Enfin, je termine mon test en plaçant un thermomètre connecté près de mon oreille ; en 5 secondes, les résultats s’affichent sur l’écran, et là encore, le médecin reçoit les mêmes informations.

Une aide très précieuse au diagnostic

Avec l’IoT, mon expérience de téléconsultation est totalement différente de celle que j’ai pu avoir en testant ce que proposent Qare ou Doctolib pour le moment. Cette fois, je suis acteur. C’est moi (ou un proche, ou un pharmacien) qui réalise une partie de l’examen clinique qui faisait tant défaut à la consultation vidéo de base. Ces données précieuses permettent de réaliser un diagnostic plus sûr, et donc de me rassurer sur la fiabilité de l’ordonnance qui m’est ensuite transmise à distance.

Pour un praticien, avoir accès (en temps réel, ou en décalé) à autant de données, des signes vitaux jusqu’à la pression sanguine, c’est clairement « un gain d’efficacité, en aidant à poser un diagnostic plus efficient, grâce à des éléments autres que vos paroles ou ce que vous lui montrez, de loin, grâce à la caméra de votre smartphone. Avec ces objets connectés, il peut grossir, grossir, voir des photos de votre épiderme, analyser vos constantes, écouter votre coeur… Et suite à son diagnostic, il pourra aussi vous proposer de suivre vos constantes régulièrement, en instaurant un réel suivi médical à distance », s’enthousiasme Imad Hamdi.

Risques (faibles) d’erreurs contre tentation de l’auto-médication

Je dois avouer que la téléconsultation connectée telle que je l’ai testée a vraiment tendance à me rassurer sur sa fiabilité et sa praticité – d’autant plus que la sécurité sociale et la HAS (Haute Autorité de Santé) veulent que ces dispositifs médicaux soient remboursés, tout comme le sont déjà les appareils médicaux non connectés. Mais je ne peux m’empêcher malgré tout de penser aux risques potentiels d’erreurs de diagnostics, suite à un mésusage des objets. Existent-ils, malgré l’alliance entre des données d’une qualité impressionnante et un interrogatoire sérieux ?

“De nombreux usagers, âgés ou diabétiques, utilisent déjà des tensiomètres et des glucomètres chez eux. Mais là, vous avez un professionnel de santé aguerri, qui vous explique comment utiliser votre stéthoscope, ou votre oxymètre connecté… Et puis, si vous prenez mal une mesure, la plupart du temps, l’appareil vous prévient par un petit message sur l’écran”, me répond Imad Hamdi, du tac au tac. “En pharmacie, on vous accompagne pour éviter les erreurs, et chez vous, en cas de doute, le médecin vous demandera de venir en présentiel pour pousser plus avant”, ajoute Vincent Martinez, qui se veut rassurant.

Selon Christian Batchy, gériatre au centre hospitalier d’Eaubonne, conseiller scientifique et éthique de Tesly, seul l’otoscope est susceptible d’être mal utilisé. “L’otoscope est difficile à manier. Le stéthoscope, le thermomètre et l’oxymètre sont en revanche très simples à utiliser, et le médecin peut vous guider dans leur usage. Pour le domicile, mieux vaut se cantonner à ces objets, en attendant l’évolution des technologies… qui demain éviteront probablement toute erreur possible, notamment avec une intelligence artificielle et des capteurs infiniment précis”, explique-t-il.

Pour IOM Technology, le vrai risque, ce ne sont pas de potentielles erreurs, “qui de toute façon, arriveraient même en présentiel”, mais la mauvaise utilisation des appareils médicaux connectés, dans une optique d’auto-médication – un phénomène déjà bien en vogue sans ces outils, à l’ère de “Dr. Google”. “Malgré toute la sensibilisation possible, la possibilité pour les patients de s’auto-mesurer et d’accéder à leurs données de santé sans être en téléconsultation risque forcément d’en induire certains en erreur – soit en s’inquiétant face à des résultats qu’ils ne comprennent pas, soit en pensant au contraire qu’il n’y a aucun problème et que la consultation vidéo est inutile. Mais ce mauvais usage restera marginal”, veut croire Imad Hamdi.

Pour l’infirmier à l’origine de Tesly, la télémédecine connectée pourrait révolutionner le monde de la santé, en permettant notamment de passer, au-delà de la consultation à distance, à l’étape prévention – avec “pourquoi pas, demain, des plateformes de télésurveillance pour surveiller les personnes âgées ou ayant des pathologies graves, permettant aux médecins de suivre les patients et de leur parler dès lors qu’ils appuient sur le bouton ‘alerte’”. Au fond, ajoute-t-il, le plus important restera l’humain derrière le système, à une époque où certains pensent même à utiliser l’IA et des robots conversationnels pour la phase interrogatoire. “Les objets connectés ne doivent pas remplacer le médecin, mais l’aider dans son diagnostic, en évacuant certaines choses pour se concentrer sur d’autres”, insiste-t-il encore.

 

Des données (apparemment) sécurisées

Reste l’éternelle question de la sécurité des données. Avec la téléconsultation sans objets connectée, le risque est déjà là, mais il en s’agit que d’informations liées à de possibles antécédents ou allergies. Ici, avec des appareils médicaux reliés au cloud, nous parlons de données de santé réellement sensibles.

Suis-je prêt à risquer qu’elles soient piratées, et que de mauvaises mains se posent sur les photos de mon conduit auditif ou sur les mesures de mes battements cardiaques ? Pas vraiment. Mais là encore, IOM Technology se veut rassurant : son cloud est “100 % sécurisé”, et Tesly respecte la réglementation européenne en terme de protection des données, en premier lieu, le RGPD. Ainsi, les données envoyées en ligne (chiffrées et en HTTPS) sont “non-nominatives”, sans identifiants patients, mais avec un simple numéro de téléconsultation (par exemple, “ID L19332”) . Seules infos collectées : votre poids, votre date de naissance et votre sexe. “Si on parvenait à nous pirater, ces données seraient inutilisables”, affirme Vincent Martinez. Evidemment, nous parlons ici de ce que propose IOM Technology avec Tesly. Impossible de savoir si la cybersécurité des technologies que proposeront leurs concurrents et les plateformes de téléconsultation utilisant ces autres systèmes feront la même chose et se soucieront autant de cette question.

Finalement, les limites de ces objets me semblent tout de même assez faibles face à leur colossal potentiel. D’abord, ils pourraient nous éviter réellement de nous rendre inutilement aux urgences ou chez le médecin quand il ne s’agit pas de cas vraiment graves. Ensuite, ils pourraient nous permettre de nouer une nouvelle relation avec le médecin. Car désormais, avec l’IoT médical, le patient aura également accès à ses données de santé, et sera un peu plus acteur. Enfin, ils pourraient être utilisés un peu partout – en pharmacie, à la maison, mais aussi dans les maisons de retraite et les écoles (pour peu qu’elles aient des infirmières).

Il faut noter pour finir que si la solution Tesly est interopérable à toutes les plateformes de recours médicaux, Qare lancera à l’automne un système du même style, mais fourni par une startup israélienne : un seul objet (utilisable en pharmacie dans un premier temps, avant un usage à domicile plus tard) faisant office de stéthoscope, d’otoscope, de dermatoscope et de thermomètre. De son côté, Docavenue a lancé en mars dernier une solution de téléconsultation en officine – avec des objets connectés au menu. Bref, rendez-vous à la rentrée, si ce n’est dès maintenant en pharmacie, pour découvrir ce qui pourrait être les débuts d’une nouvelle ère pour la télémédecine.

 

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