Une chaîne télévisée russe, la Dozhd, ainsi que l’agence de presse RBC se sont intéressées à la ferme à trolls impliquée dans la campagne d’influence qui a ciblé les États-Unis pendant la campagne présidentielle. Ils dépeignent une entreprise tournée vers l’influence politique sur le sol américain, dotée d’un budget et d’une masse salariale importante.

Depuis plusieurs mois, pas un jour ne passe sans que les médias américains n’évoquent l’affaire d’influence russe, qui remonte à la dernière élection présidentielle et à la victoire de Donald Trump. Dernièrement, les réseaux sociaux qui ont servi de relais de propagande à cette campagne d’influence — notamment via des publicités ciblées achetées sur Facebook — sont au cœur des révélations.

En Russie, l’affaire prend des proportions bien différentes. En octobre, deux grands médias nationaux ont creusé la piste de l’Internet Research Agency, cette entreprise dont le rôle aurait été exposé par l’enquête. Cette dernière se trouve au cœur des affaires de publicité ciblées de Facebook, mais également dans de nombreuses affaires annexes touchant à l’influence et la désinformation sur le web. Ainsi, Dozhd et la RBC ont voulu révéler les dessous de cette entreprise trouble selon les médias américains.

Dans les bureaux d’une agence d’influence

C’est par le biais d’une interview que la chaîne télé indépendante Dozhd a abordé le sujet à l’antenne. La chaîne s’est entretenue avec un certain Maxim (le prénom a été changé) qui aurait travaillé 18 mois auprès de l’Internet Research Agency (IRA) à Saint-Pétersbourg. Avant de la quitter en 2015, avant le début de la campagne américaine. Son témoignage retrace une politique d’influence étayée par un recours pernicieux aux nouvelles technologies de communication.

Maxim explique ainsi que le bureau étranger de l’IRA, en charge des Etats-Unis, avait pour mission « d’influencer les opinions » et d’apprendre à modifier le cours d’un débat en ligne.  Le département était lui-même considéré dans l’agence comme le plus élaboré, à l’inverse du bureau des affaires internes qui se résumerait à « des trolls et des bots » selon l’ex-employé.

Saint-Pétersbourg, 2010 / CC. Olga

Saint-Pétersbourg, 2010 / CC. Olga

« Il ne s’agissait pas juste d’écrire : ‘Obama est un singe, Poutine est génial’, ils nous auraient même sanctionné pour ça ! » témoigne Maxim, ajoutant que ses collègues étaient justement préparés et éduqués aux problématiques américaines. Ainsi, les employés de l’IRA seraient rompus au débat et pourraient parler fiscalité, droits des LGBT, question raciale etc. comme des citoyens américains. C’est d’ailleurs sur ce type de sujet de société que les publicités ciblées de Facebook ont tenté d’influer le débat.

Avant la période électorale, le travail de Maxim consistait à scruter les mouvements d’opinion grâce aux réseaux sociaux et aux commentaires laissés sur les grands médias. Ainsi, l’IRA suivait les tendances et tentait, lorsqu’elle se sentait prête, d’approfondir certaines fractures entre le gouvernement et la population. L’ex-employé ajoute qu’il était interdit de parler de la Russie ou de Poutine aux cibles. « Les Américains n’en ont pas grand chose à faire de la Russie remarque-t-il, notre tâche était de retourner les Américains contre leur propre gouvernement pour provoquer du mécontentement et faire baisser la côte de popularité d’Obama. »

« Retourner les Américains contre leur propre gouvernement »

Au sujet de Facebook, l’ancien employé explique que l’IRA a créé un bureau dédié au réseau social. Alors que ce dernier supprimait fréquemment des postes et des faux comptes créés par l’agence, cette dernière s’occupait de répondre du tac au tac à Facebook. L’objectif était de conserver le maximum de faux comptes qui, pour la plupart, nécessitaient des heures de travail d’influence de la part des employés de l’IRA. Parfois, le bureau parvenait à convaincre Facebook et conservait ainsi ses atouts.

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À l’aube de l’élection présidentielle américaine, le bureau international dont dépendait Maxim a commencé à changer. L’IRA a d’abord conduit des tests pour trouver le meilleur candidat à défendre les intérêts russes, et a étendu cette stratégie de choix d’un candidat en envoyant une section secrète aux Etats-Unis pour des raisons jamais évoquées en interne. La charge de travail a commencé à croître et les employés de l’IRA ont été soumis a de plus en plus de pression, selon la source.

trouver le meilleur candidat pour les intérêts russes

Maxim se met progressivement à revoir son opinion sur son employeur. Tout commence lorsqu’un de ses collègues donne une interview à une chaîne locale. Là, des méthodes inspirées de l’espionnage se font jour dans l’entreprise : la taupe a été trouvée rapidement, elle a été détenue dans les sous-sols du bâtiment de Saint-Pétersbourg et interrogée sur les raisons de son interview. Puis l’IRA va commencer à brûler des documents au début de l’année 2015, à disperser certains de ses employés, à supprimer des enregistrements et à cultiver le secret.

Aujourd’hui, l’IRA tenterait de rattraper les dégâts causés par l’affaire russe auprès de ses employés. Selon la chaîne, les directeurs de l’agence se seraient adressé aux employés en les exhortant à se montrer fiers de leur travail, ajoutant : « C’est la guerre informationnelle, et c’est officiel ! »

250 employés pour débattre sur Internet

L’importante précision du témoignage de ce Maxim est accompagnée, dans la presse papier, d’une autre enquête auprès des employés menée par l’agence russe RBC. Dans son reportage, l’agence RBC dévoile ainsi que l’entreprise comptait 60 employés aux États-Unis durant la présidentielle, une masse salariale qui est montée jusqu’à 90 personnes lors des moments-clefs de la campagne. En tout, l’IRA compterait pas moins de 250 employés dans le monde, selon une source interne. À la tête de la filiale américaine de l’agence, on trouve un Azerbaïdjanais, Dzheikhun Aslanov, qui nie toutefois toute implication.

 « C’est la guerre informationnelle, et c’est officiel ! »

Toujours selon les sources de RBC, au mieux de sa forme, l’agence estimait être en mesure de toucher par ses publications sur Facebook, Instagram et Twitter plus de 30 millions d’Américains. On apprend également que l’Internet Research Agency a dépensé plus de 80 000 dollars afin de payer une centaine d’activistes américains afin qu’ils se rendent dans plus de 40 meetings à travers les Etats-Unis. Ces activistes venant de tout bord du spectre politique ignoraient collaborer avec une entreprise russe. Selon la source de l’agence, toutes ces allégations pourraient être corroborées par les rapports internes de l’entreprise.

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Enfin, l’Internet Research Agency poursuivait bien l’idée d’accentuer la fracture ethnique aux Etats-Unis, comme l’estiment aujourd’hui les enquêteurs. Selon la source russe, l’IRA définit son rôle comme une incitation à l’animosité entre groupes ethniques en opposant les deux bords du spectre sur question. L’IRA souhaitait également promouvoir l’indépendantisme texan, le rejet de l’immigration et le droit de porter une arme.

Pour ces missions d’influence, l’IRA dépensait pour sa masse salariale plus d’un million de dollars par an, pour les publicités et le soutien d’activistes américains, la firme disposait d’un budget de 200 000 dollars. Aujourd’hui, l’agence compterait encore 50 employés sur le sol américain. Une histoire de commentaires en ligne, loin d’être résolue par le Capitole, et sur laquelle la Russie compte beaucoup pour étendre son influence grâce une rhétorique de guerre informationnelle permanente.

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