Améliorer l'efficacité des plans massifs de formation : et si on demandait aux personnes ce qui les motive ?
Palacio d’Abraxas - Crédit photo Fabien B.

Améliorer l'efficacité des plans massifs de formation : et si on demandait aux personnes ce qui les motive ?

« Nous investirons massivement dans l’acquisition des compétences » ou encore "Il ne faut pas dire qu'il faut préserver les emplois d'hier, il faut dire que l'on va vous réarmer pour traverser ces changements et vous former pour aller vers de nouveaux métiers". Ces deux citations d’E. Macron sont tout à fait pertinentes et en phase avec les études qui nous prouvent que la formation, la qualification et plus encore la certification sont des accélérateurs d’accès à l’emploi.

Seulement voilà : les rapports se succèdent et se ressemblent pour souligner l’inefficacité des plans massifs de formation. Le dernier en date, que l’on doit à France Stratégie, n’échappe pas à ce constat et précise que le taux de retour à l’emploi après une formation s’est fortement dégradé : « la massification des plans de formation s’est accompagnée d’une dégradation de l’accès à l’emploi durable : 28 % des demandeurs d’emploi formés dans le cadre du plan 500 000 ont retrouvé un emploi durable » Ben Mezian, M. (2017)  (https://goo.gl/TNF2pB)

Tentons, dans une très courte synthèse, d’aborder un point que les tableaux de bord de pilotage d’atteinte des objectifs chiffrés peinent à aborder : celui de la motivation à se former.

Philippe Carre, dans toutes ses interventions, nous rappelle que la formation professionnelle des adultes se distingue de l’éducation initiale des jeunes par le sens que l’adulte donne à sa participation. C’est ce qu’il a encore expliqué lors de son introduction à la 4ème conférence sur l'innovation pédagogique organisée par le FPSPP (27 juin 2017 - https://youtu.be/_sn6VRaOdBU). En effet, il nous rappelle ce que disait Bertrand Schwartz : «Un adulte n'est prêt à se former, que s'il trouve, ou s'il peut espérer trouver dans la formation qu'on lui offre, une réponse à ses problèmes, dans sa situation. ». Et n'oublions pas Vincent Merle qui déjà en 2004, interpellait les politiques publiques en expliquant que « pour se former, il faut d’abord avoir de l’appétence à se former […]. Les revendications pour plus de formation ou pour une plus grande égalité d’accès à la formation se heurtent régulièrement à l’absence d’appétence à se former ».

Sur le thème de l'appétence à se former, nous ne partons pas zéro, loin s'en faut. Une petite dizaine de minutes suffit à trouver une littérature extrêmement foisonnante sur les raisons qui poussent, ou pas, un adulte à se former. Je vous propose de nous limiter à 3 articles :

  • Fenouillet, F. (2011). La place du concept de motivation en formation pour adulte, Savoirs 2011/1 (n° 25), p. 9-46. (https://goo.gl/WKdc8f)
  • Lagabrielle, C., Vonthron, A.M., et Pouchard, D. (2008). Les motivations intrinsèques et extrinsèques à se former et leurs effets sur les conduites d’entrée et de maintien en formation professionnelle. Carrierologie, 11/3 (https://goo.gl/udVaao)
  • Carre, P. (1999). Pourquoi nous formons-nous ? Sciences Humaines, N°92 (https://goo.gl/YkK89U)

Fenouillet (2011) nous explique que si le questionnement sur l'acquisition des savoirs se retrouve aussi bien dans le monde académique (scolaire et universitaire) que dans celui de la formation professionnelle, en revanche celui sur l’engagement en formation est spécifique aux adultes qui reviennent se former. Cependant, les experts les plus écoutés quand il s’agit de comprendre les performances du système de formation sont avant tout des économistes. Les questions liées à l’engagement en formation et son corollaire sous-jacent, la motivation, sont donc très peu prises en compte. En effet, Fenouillet nous dit que « la motivation est avant tout un concept psychologique qui, non seulement, semble assez mal s’exporter en dehors de cette sphère (NdA : la France), mais qui, de plus, souffre dans le cadre francophone d’une sous-utilisation chronique depuis plusieurs décennies en comparaison du monde anglophone. » (Fenouillet, 2011)

Lagabrielle, Vonthron et Pouchard (2008) ont justement étudié la place de la motivation dans l’engagement et le maintien en formation d'environ 200 adultes. Dans cette étude, le modèle auquel ils se réfèrent est issu de la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2002). Pour ces 2 auteurs, l’autodétermination correspond à l’autonomie dont dispose l’individu pour effectuer une activité et elle influence directement sa motivation. Les motivations les plus autodéterminées sont liées au sens et à l’intérêt que porte l’individu à une activité donnée (motivation intrinsèque) alors que les motivations les moins autodéterminées sont directement liées aux contraintes qui pèsent sur lui (motivation extrinsèque). Les motivations autodéterminées ont des effets très différents de celles qui ne le sont pas et peuvent par exemple être clairement prédictives du niveau d’apprentissage ou de la persistance (Deci et Ryan, 2000).

Ainsi, Lagabrielle et ses collègues (2008) montrent que l'orientation de la motivation évolue tout au long du parcours. Avant la formation, au moment de l'engagement, il s'agit plutôt d'une motivation extrinsèque alors que pour le maintien en formation il s'agit d'une motivation intrinsèque.

Par ailleurs, les auteurs de cette étude nous interpellent sur 2 points tout à fait éclairants pour la mise en œuvre des plans massifs de formation des demandeurs d’emploi. Le premier, c’est celui de l’appétence des personnes à s'intéresser à la formation. En effet, il apparaît une constante : les facteurs liés au souhait d’apprendre et de développer de nouvelles compétences activeraient davantage et de façon privilégiée les conduites d’inscription et de persistance en formation. Dit autrement, la personne doit s’approprier le sens de son intérêt, dans sa situation, à participer à une formation. Donc les meilleurs discours avec les meilleurs arguments, tout aussi objectifs soient-ils, n’auront aucun effet sur l’engagement à se former si la personne ne perçoit pas son propre intérêt à s’inscrire en formation.

Le second point vient illustrer le premier mais surtout, il éclaire les experts qui estiment, à juste titre, que la formation est un gage de sécurisation des parcours professionnels. En effet, Lagabrielle et ses collègues (2008) nous expliquent que « l’augmentation de l’employabilité » n’est pas un élément motivateur significatif susceptible de garantir une inscription solide en formation. Dit autrement, cet argument imparable et « massue » pour les décideurs politiques, n’a qu'un effet très relatif sur l’engagement en formation des actifs auxquels il s’adresse ...

Ce type d’injonction, qui « parle » aux décideurs mais glisse sur le raisonnement de celles et ceux à qui il s’adresse, correspond au « motif prescrit » du modèle proposé par Carre (1999).

En résumé, les 3 articles apportent chacun un éclairage complémentaire dans l'objectif d'améliorer l'efficacité des plans massifs de formation. L'article de Fenouillet (2011) nous donne les repères théoriques de ce que recouvre le concept d'engagement en formation. La recherche de Lagabrielle et ses collègues (2008) nous apporte un modèle explicatif du type de motivation aux 3 temps de la formation (T1 : avant la formation ; T2 : en début de formation ; T3 : en fin de formation). Enfin, la cartographie des motifs d'engagement en formation de Carre (1999) permet de choisir les bons arguments pour présenter l'intérêt de suivre une formation.

Trois articles qui pourront être utiles à celles et ceux qui accompagnent les projets professionnels et délivrent un conseil en formation (individuel ou collectif). Il s'agit d'améliorer l'efficacité des plans massifs de formation en s'intéressant d'avantage aux personnes qui se projettent, ou pas, dans la formation.


Bibliographie

Ben Mezian, M. (2017). Renforcer la capacité des entreprises à recruter. France stratégie (https://goo.gl/TNF2pB)

Carre, P. (1999). Pourquoi nous formons-nous ? Sciences Humaines, N°92 (https://goo.gl/YkK89U)

Deci E. L L., Ryan R. M M. (2000). The “What” and “Why” of Goal Pursuits: Human Needs and the Self-Determination of Behavior. Psychological Inquiry, vol. 11, no 4, 227-268.

Deci E. L L., Ryan R. M. (2002). Handbook of self-determination research. USA: The university of Rochester Press.

Fenouillet, F. (2011). La place du concept de motivation en formation pour adulte, Savoirs 2011/1 (n° 25), p. 9-46. (https://goo.gl/WKdc8f)

Lagabrielle, C., Vonthron, A.M., et Pouchard, D. (2008). Les motivations intrinsèques et extrinsèques à se former et leurs effets sur les conduites d’entrée et de maintien en formation professionnelle. Carrierologie, 11/3 (https://goo.gl/udVaao)

Debernardy Michel

Directeur départemental chez Pôle emploi

6y

L’article de France Strategie oublie simplement un tout petit detail: bien sûr le pourcentage de reprise d’emploi suite à formation a baissé de l’ordre de 10 a 20% selon les territoites à la suite du plan 2016. Mais ils le nombre de demandeurs d’emploi ayant repris un emploi à la suite d’une formation a explosé a la hausse! En vertu de cette simple évidence que , comme sur un territoire que je connais, 50% de 2000 représente beaucoup moins que 30% de 14 000!. A remarquer aussi une autre malhonnêteté flagrante: parler DES plans massifs quand en réalité la France n’en a connu véritablement qu’un en 2016 c’est peut-être tirer une conclusion un peu hâtive .

Mathieu Martelli

Responsable administratif et financier chez Samsa.fr

6y

Une remarque sur le constat de départ et des 28% de retour à l'emploi suite au plan des 500000. De nombreux demandeurs d'emploi sont orientés sur des dispositifs de développement de compétences ou d'insertion qui n'ont pas pour but d'aboutir à un emploi, mais de les accompagner soit dans une re-sociabilisation nécessaire au retour à l'emploi ou pour les préparer à entrer en formation qualifiante (où les résultats de reprise d'emploi sont mécaniquement meilleurs...). Leur enregistrement par défaut sous la ligne budgétaire du plan des 500000 aurait peut-être dû être mieux réfléchit... sans compter que ça trompe les stats. Pour rappel: http://www.lefigaro.fr/emploi/2016/08/03/09005-20160803ARTFIG00058-forte-pression-a-pole-emploi-pour-faire-rentrer-500-000-chomeurs-en-formation.php

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Younès BENNANI des éléments intéressants pour nous il me semble ! 😀

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