Au moment où le Parlement s'apprête à examiner un projet de loi sur l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples homosexuels, une réalité semble difficile à croire. En France, plusieurs centaines de milliers de personnes sont moins bien payées et ont moins de chances d'être employées en raison de leur orientation sexuelle, affichée ou supposée.
Malgré une législation prohibant toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, le rapport de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) sur l'homophobie dans l'entreprise soulignait déjà en 2008 l'existence de relations préoccupantes, voire difficiles, des gays et des lesbiennes avec le monde du travail.
Celui-ci révélait alors que 12 % des homosexuel(le)s interrogé(e)s déclaraient avoir été mis hors jeu lors d'une promotion interne, 8 % avoir été discriminés lors d'un recrutement, 4,5 % être moins rémunérés à poste et qualification identiques, 4,5 % avoir été licenciés ou forcés de démissionner à cause de leur orientation sexuelle.
Alors que de plus en plus d'entreprises tentent d'obtenir le Label diversité, attestant de bonnes pratiques en matière de recrutement, d'intégration et de gestion des carrières à l'égard de catégories de populations susceptibles d'être victimes de discriminations, les faits sont têtus.
Deux études statistiques ("Sexual Orientation and Wage Discrimination in France : the Hidden Side of the Rainbow", Thierry Laurent et Ferhat Mihoubi, Journal of Labor Research, vol. 33, numéro 4, 2012, et "Sexual Orientation, Unemployment and Participation : Are Gays Less Employable Than Straights ?", des mêmes auteurs, à paraître - toutes deux disponibles sur le site www.thierry-laurent.net) démontrent que les salariés homosexuels ont effectivement, en France, moins de chances que leurs homologues hétérosexuels d'occuper un emploi et, lorsqu'ils en ont un, qu'ils sont, en moyenne, moins bien rémunérés.
PÉNALITÉ SALARIALE
A caractéristiques identiques (âge, localisation géographique, niveau d'étude, secteur d'activité, etc.), un homme homosexuel subit une pénalité salariale d'environ - 6,2 % dans le secteur privé et de - 5,5 % dans le public, soit un écart de salaire important, comparable à celui de la discrimination entre hommes et femmes. Cette pénalité représente en moyenne une perte annuelle de revenu d'environ 1 500 euros.
Comme c'est le cas dans de nombreux pays, une telle pénalité salariale n'existe cependant pas pour les lesbiennes. Les femmes homosexuelles évitent ainsi la double peine, qui les verrait discriminées une première fois en tant que femmes et une seconde en raison de leur orientation sexuelle.
En termes d'emploi, les gays subissent sur le marché du travail un taux de chômage deux fois plus élevé que celui de leurs homologues hétérosexuels. Point important, l'effet "gay" est l'un des plus forts : être homosexuel réduit davantage la probabilité d'avoir un emploi qu'être né en Afrique ou être senior.
Ces écarts d'employabilité n'affectent cependant pas de façon homogène l'ensemble des travailleurs homosexuels. Ainsi, les gays de plus de 40 ans ne se distinguent pas, en termes de participation à l'emploi et de qualité de l'emploi, de leurs homologues hétérosexuels. Ce sont essentiellement les hommes jeunes et homosexuels qui sont touchés.
Tout se passe comme si l'existence de pratiques discriminatoires réparties de façon hétérogène dans le monde du travail induisait un processus de recherche du "bon" emploi plus difficile et long chez les travailleurs gays que chez leurs homologues hétérosexuels. L'entrée dans la vie active serait ainsi plus difficile pour ces travailleurs, qui subiraient une double pénalité (jeune + homosexuel) ; ils passent donc plus de temps que leurs homologues hétérosexuels à se stabiliser dans l'emploi et sont plus exposés - à caractéristiques identiques - au risque de chômage.
PAS UNE CARACTÉRISTIQUE DIRECTEMENT OBSERVABLE
Alors que beaucoup de grandes entreprises ont aujourd'hui compris que, dans un contexte où la concurrence pour la main-d'oeuvre qualifiée est appelée à s'accentuer, il est essentiel de "ne pas perdre de bons salariés pour de mauvaises raisons", le reste du monde du travail peine à évoluer.
Ainsi, le fait que l'orientation sexuelle ne soit pas, contrairement à l'origine ethnique ou au sexe, une caractéristique directement observable par les employeurs, crée des résistances à l'idée même qu'une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle puisse exister.
Or les associations de défense des homosexuels savent depuis longtemps que les employeurs disposent de nombreuses variables pour appréhender l'orientation sexuelle (statut marital, lieu de résidence, nombre d'enfants, etc.) et que celle-ci finit tôt ou tard par se révéler sur le lieu de travail.
Enfin, contrairement à ce qui se passe outre-Atlantique, l'impact de l'orientation sexuelle sur le marché du travail est peu étudié en France. Le manque de données explique en partie cela.
Même si l'identification des populations homosexuelles et de leurs caractéristiques (préalable à toute étude statistique) est possible dans les enquêtes publiques, au travers de l'identification des couples de même sexe, il serait donc, de ce point de vue, précieux de disposer directement d'une telle information.
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