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Depuis aujourd’hui, l’humanité vit à crédit

Mercredi, nous avons consommé toutes les ressources naturelles que la planète peut produire en une année. Ce « jour du dépassement de la Terre » survient toujours plus tôt.

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Publié le 01 août 2017 à 06h43, modifié le 02 août 2017 à 16h47

Temps de Lecture 5 min.

Zones déboisées près du parc national Juruena au Brésil, le 23 mars.

La date est fatidique, et toujours plus prĂ©coce. Depuis mercredi 2 aoĂ»t, l’humanitĂ© vit Ă  crĂ©dit : elle a consommĂ©, en seulement sept mois, toutes les ressources que la Terre peut produire en une annĂ©e. Jusqu’à la fin de 2017, pour continuer Ă  boire, Ă  manger, Ă  nous chauffer ou Ă  nous dĂ©placer, nous allons donc surexploiter les Ă©cosystèmes et compromettre leur capacitĂ© de rĂ©gĂ©nĂ©ration.

Ce « jour du dĂ©passement de la Terre Â» (« Earth Overshoot Day Â» en anglais) est calculĂ© chaque annĂ©e par le Global Footprint Network, un institut de recherches international Ă©tabli Ă  Oakland (Californie). Grâce Ă  plus de 15 000 donnĂ©es des Nations unies, il compare l’empreinte Ă©cologique de l’homme, qui mesure l’exploitation des ressources naturelles de la Terre, avec la biocapacitĂ© de la planète, c’est-Ă -dire sa capacitĂ© Ă  reconstituer ses rĂ©serves et Ă  absorber les gaz Ă  effet de serre. Selon ses calculs, la consommation de l’humanitĂ© dĂ©passe de 70 % les ressources disponibles. Autrement dit, l’équivalent de 1,7 planète est nĂ©cessaire pour assouvir les besoins des humains.

Nous contractons cette dette car nous coupons des arbres Ă  un rythme supĂ©rieur Ă  celui de leur croissance, nous prĂ©levons plus de poissons dans les mers qu’il en naĂ®t chaque annĂ©e, et nous rejetons davantage de carbone dans l’atmosphère que les forĂŞts et les ocĂ©ans peuvent en absorber. Les consĂ©quences de cette surconsommation se font dĂ©jĂ  sentir : dĂ©forestation, dĂ©clin de la biodiversitĂ©, pĂ©nuries en eau, acidification des ocĂ©ans, Ă©rosion des sols, accumulation des dĂ©chets ou encore Ă©lĂ©vation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère affectent l’ensemble du globe.

Une date toujours plus précoce

Le

Encore excĂ©dentaire en 1961, avec un quart de ses rĂ©serves non consommĂ©es, la Terre est devenue dĂ©ficitaire au dĂ©but des annĂ©es 1970. Et le jour du dĂ©passement survient toujours plus tĂ´t. Cette date tombait le 5 novembre en 1985, le 1er octobre en 1998, le 20 aoĂ»t en 2009. Depuis le dĂ©but de la dĂ©cennie, toutefois, l’accĂ©lĂ©ration du calendrier est moins rapide. Reste qu’à ce rythme, nous aurons besoin de deux planètes en 2030. En cause, la croissance dĂ©mographique mondiale, mais surtout des modes de vie toujours plus gourmands en ressources et dĂ©pendants des Ă©nergies fossiles (charbon, pĂ©trole, gaz).

L'empreinte Ă©cologique par pays.

Tous les humains ne sont toutefois pas responsables dans les mêmes proportions. Avec le train de vie australien ou américain, il faudrait plus de cinq planètes pour vivre. Les Français, eux, en ont besoin de trois, les Chinois de 2,1, bien au-dessus de la frugalité indienne (0,6 planète). Rapporté aux ressources nationales, le Japon aurait besoin de sept fois son pays pour satisfaire sa consommation actuelle, l’Italie et le Royaume-Uni de quatre fois. Au total, l’empreinte écologique des pays développés est cinq fois supérieure à celle des pays pauvres.

Les besoins en ressources naturelles des pays du monde.

« Notre planète est limitĂ©e, mais les possibilitĂ©s humaines ne le sont pas. Vivre selon les moyens que nous accorde notre planète est technologiquement possible, financièrement bĂ©nĂ©fique et notre seule chance pour un avenir prospère Â», avertit Mathis Wackernagel, le prĂ©sident de Global Footprint Network. Si nous parvenons Ă  faire reculer la date du jour du dĂ©passement mondial de 4,5 jours chaque annĂ©e, calcule l’ONG, nous retrouverons l’équilibre en consommant les ressources d’une seule Terre d’ici Ă  2030.

Indicateur imparfait mais pertinent

S’il a le mérite de sensibiliser le grand public, l’indicateur de l’empreinte écologique est critiqué. Plusieurs études scientifiques ont montré qu’il simplifie la réalité et utilise des méthodes de calcul et des données parfois incomplètes. Il ne tient par exemple pas compte de la destruction de la biodiversité ou de l’épuisement des sous-sols et ne comptabilise pas directement la consommation d’eau.

« Comme tous les indicateurs agrĂ©gĂ©s, il pâtit de limites : c’est aussi le cas du produit intĂ©rieur brut, remarque Dominique Bourg, philosophe et enseignant Ă  l’universitĂ© de Lausanne. Cela ne dĂ©lĂ©gitime pas pour autant l’empreinte Ă©cologique : c’est un instrument pĂ©dagogique qui montre des tendances, Ă  savoir que nous vivons au-dessus de nos moyens, et qui peut guider les gens vers le changement. Â»

« L’outil est imparfait mais reste pertinent. Il tend mĂŞme Ă  minimiser la rĂ©alitĂ© Â», confirme AurĂ©lien Boutaud, consultant et coauteur de L’Empreinte Ă©cologique (La DĂ©couverte, 2009). Selon lui, il a permis de « prendre conscience des limites planĂ©taires Â» et de gĂ©nĂ©raliser une forme de comptabilitĂ© par empreinte — carbone, eau, azote ou biodiversitĂ© — qui « impute la responsabilitĂ© de l’impact environnemental au consommateur final Â». « Si on regarde les seules Ă©missions de gaz Ă  effet de serre, par exemple, on peut avoir l’impression que les pays riches les ont rĂ©duites. En rĂ©alitĂ©, ils en ont dĂ©localisĂ© une partie vers les pays pauvres, dit-il. L’empreinte carbone de la France est ainsi d’environ 40 % supĂ©rieure Ă  ses rejets carbonĂ©s. Â»

RĂ©duire les empreintes carbone et alimentaire

Comment inverser la tendance ? D’abord, en limitant les Ă©missions de gaz Ă  effet de serre, qui reprĂ©sentent Ă  elles seules 60 % de l’empreinte Ă©cologique mondiale. Pour rĂ©ussir Ă  maintenir la hausse des tempĂ©ratures bien au-dessous de 2 Â°C — objectif inscrit dans l’accord de Paris sur le climat de dĂ©cembre 2015 —, « l’humanitĂ© devra s’affranchir des Ă©nergies fossiles avant 2050 Â», rappelle Mathis Wackernagel.

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« L’enjeu est d’atteindre un pic des Ă©missions d’ici Ă  2020, complète Pierre Cannet, le responsable du programme climat et Ă©nergie au Fonds mondial pour la nature (WWF) France, l’un des partenaires de l’opĂ©ration. Ce point d’inflexion doit ĂŞtre trouvĂ© pour la production d’électricitĂ© mais Ă©galement dans la consommation des transports et l’ensemble des activitĂ©s industrielles. Â» Les mesures sont connues, qu’il s’agisse de plafonner puis de rĂ©duire la production des centrales Ă  charbon, de dĂ©ployer plus rapidement les Ă©nergies renouvelables ou d’amĂ©liorer l’efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique. RĂ©duire les rejets carbonĂ©s de 50 % permettrait de reporter le jour du dĂ©passement de près de trois mois.

Autre levier d’action : limiter l’empreinte alimentaire. « Pour cela, il est indispensable de stopper la dĂ©forestation, de diminuer notre consommation de produits dĂ©rivĂ©s des animaux, de lutter contre le gaspillage alimentaire et d’opter pour des modes de production plus durables, comme le bio, l’agroĂ©cologie ou la permaculture Â», avance Arnaud Gauffier, responsable de l’agriculture et de l’alimentation au WWF.

Signes encourageants

Le Global Footprint Network comme le WWF notent des signes encourageants. Ainsi, l’empreinte Ă©cologique par habitant des Etats-Unis a-t-elle diminuĂ© de près de 20 % entre 2005 (son point le plus haut) et 2013 (les dernières donnĂ©es disponibles) grâce Ă  la baisse des Ă©missions de carbone, et ce malgrĂ© la reprise Ă©conomique. De mĂŞme, la Chine, qui affiche la plus grosse empreinte Ă©cologique nationale, dĂ©veloppe massivement les Ă©nergies renouvelables, tandis que sa consommation intĂ©rieure de charbon est en baisse — malgrĂ© la construction de nouvelles centrales.

Dans l’Hexagone, l’expansion des surfaces en agriculture biologique (+ 17 % en 2016) et la hausse de la consommation de produits bio (+ 22 % pour les mĂ©nages, Ă  domicile, en un an) « constituent des signaux positifs Â» pour Arnaud Gauffier, mĂŞme si « ces efforts sont encore trop faibles Â».

« On n’a pas de pays qui se prĂ©senterait comme un champion de la rĂ©volution des modes de production, juge Pierre Cannet. Le risque est que les pays en dĂ©veloppement voient leur empreinte Ă©cologique augmenter rapidement et que cette hausse ne soit pas compensĂ©e par une baisse suffisante de la pression des pays dĂ©veloppĂ©s. Il faut parvenir Ă  un Ă©quilibre. Â» Pour espĂ©rer vivre de nouveau, un jour, dans les limites de notre planète.

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