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Agathe Dahyot / Le Monde

Comment « Africa » est devenu un hymne d’Internet

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Publié le 15 juillet 2019 à 06h08, modifié le 20 juillet 2019 à 11h07

Temps de Lecture 8 min.

Au tournant de 1981, Jeff Porcaro et David Paich, émérites musiciens de studio de North Hollywood, enregistrent avec les quatre autres membres du groupe Toto ce qui deviendra leur album le plus célèbre, Toto IV.

Ils y glissent à la dernière minute une chanson que les deux fondateurs du groupe ont composée ensemble, plus expérimentale, avec de puissantes boucles de percussions, du marimba, et un refrain haut perché. Ainsi, Africa viendra conclure le disque.

Les musiciens sont très sceptiques à la sortie du studio. « J’ai dit que je courrais nu sur Hollywood Boulevard si ce truc devenait un succès. A cause des putains de paroles ! », explique Steve Lukather au magazine Billboard en février 2018. Le texte, écrit par le claviériste et chanteur David Paich, parle d’un homme déchiré entre deux amours : pour une femme et pour l’Afrique. C’est fantaisiste, ampoulé, caricatural, diront certains. Le protagoniste « entend les tambours résonner ce soir », « bénit les pluies en Afrique » ou encore contemple « les ailes au clair de lune [reflétant] les étoiles qui [le] guident vers le salut ». Il faut dire que le parolier n’avait jamais mis les pieds en Afrique. Il puise dans ses souvenirs de cinéma, dans ceux de la revue National Geographic, qu’il adorait enfant, et des récits des anciens missionnaires qui enseignaient dans son lycée catholique pour garçons.

Mary trompe l’ennui sur Twitter

Steve Lukather est excellent guitariste mais piètre pronostiqueur : Toto IV s’est vendu à 12 millions d’exemplaires, a trusté les Grammy Awards en 1983 et fait entrer Africa dans la légende de la pop. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

Trente-cinq ans plus tard, en décembre 2017. Mary, 14 ans, une Américaine qui vit près de Cleveland (Ohio) trompe l’ennui sur le réseau social Twitter. A la School of Rock, où elle prend des cours de guitare, elle est devenue fan de Weezer, un groupe californien formé dans les années 1990, que l’on connaît en France principalement pour son tube Island in the Sun.

Elle écoute aussi « un tas de musiques étranges des années 1980 », explique-t-elle à Vice en 2017 (lire son interview en anglais). Ses copains n’arrêtent pas de parler d’une vieille chanson qu’ils ont repérée dans la bande originale de Stranger Things, la série rétro de Netflix : c’est Africa, de Toto. Sur un coup de tête, elle crée un compte Twitter pour voir si elle peut obtenir de Weezer qu’il reprenne ce tube.

La « blague absurde » devient virale. Internautes comme médias américains s’emparent de ce défi potache et indolore. La gentille histoire se transforme en lobbying de plusieurs mois, toujours sur Twitter. Weezer fait la sourde oreille jusqu’en mai 2018 où le groupe, mutin, cède à la demande plébéienne en dévoilant une reprise de Toto… mais d’un autre tube, Rosanna.

Des centaines de « covers »

Puis Rivers Cuomo et ses comparses s’exécutent finalement et reprennent Africa en studio et sur scène. La chanson cartonne et devient la plus populaire de leur récent répertoire. Ce qui laisse quelque peu amer le leader de Weezer. Il explique auprès du magazine Entertainment Weekly qu’il a déjà connu de nombreux échecs, mais qu’il n’était pas préparé à « la douleur d’avoir un énorme succès avec une chanson qu’[il] n’a pas écrite ».

Le succès d’Africa était dans l’air sur la Toile bien avant que Weezer s’en empare. De façon folle même. Des centaines de « covers », des interprétations du tube a cappella par des chorales, détournées en version metal par des hommes-orchestres ou dans des sketchs de célébrités américaines, cumulent des millions de vues sur la plate-forme YouTube. Rien que la chanson originale a été vue un demi-milliard de fois sur le même site et autant écoutée sur Spotify. Depuis janvier, le hit résonne même en boucle dans le désert en Namibie, grâce à Toto forever, installation de l’artiste Max Siedentopf.

Nostalgie pour les années 1980 et 1990

Plaisir coupable provoqué par un rythme hypnotique, affection un brin moqueuse pour des paroles épiques qui ne signifient plus grand-chose ou madeleine de Proust d’une enfance bercée par les films de Spielberg, de nombreux réalisateurs et scénaristes d’Hollywood la parodient dans leurs œuvres de la décennie 2010 : Scrubs, Community, New Girl, South Park… Et contribuent à forger sa célébrité auprès des plus jeunes, pris de nostalgie pour les années 1980 et 1990 qu’ils n’ont pas ou peu connues. Au risque de faire sourire leurs aînés, qui n’ont jamais cessé d’aimer ce tube.

« Toto n’a jamais disparu de notre antenne », explique Pat Angeli, animateur de la tranche 17 heures-20 heures de la radio musicale française RFM. « Africa n’est pas une simple bluette, l’orchestration y est très solide, l’œuvre est créée par des musiciens réputés. »

« Toto IV est un album majeur des quarante dernières années et Africa était à la croisée de styles comme la pop, le rock, la world music, mais c’était aussi une chanson suffisamment dansante comme le disco. Ce mélange l’a rendue inclassable, elle a été aimée pour cela, et elle a été propulsée sur toutes les radios », explique le présentateur.

« Aussi certain que le Kilimandjaro se lève comme l’Olympe au-dessus du Serengeti », comme le dit la chanson, Africa est devenu un hymne d’Internet.

« Chansons à la mode Web », une série en six épisodes

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