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Big data : l’hôpital soigne ses données médicales

Quand un patient franchit la porte d’un hôpital, il y abandonne des données personnelles de santé. Les établissements français prennent conscience de la richesse de ces big data. Des pionniers commencent à les exploiter pour faire avancer la recherche.

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Big data : l’hôpital soigne ses données médicales

ILLUSTRATIONS : ALÉ + ALÉ POUR SCIENCES ET AVENIR

Cet article est un extrait du magazine Sciences et Avenir n°853 (daté mars 2018) en kiosque jusqu'au 29 mars 2018.

Imagerie médicale, analyses biologiques, comptes rendus de consultation… Aux États-Unis, le système de santé aurait produit 150 exaoctets de données, soit 150 milliards de milliards d’octets, alors que 5 exaoctets suffiraient à contenir tous les mots qui ont été prononcés par des humains sur la Terre. En France, une telle estimation officielle fait défaut, même si nous possédons la plus grande base santé au monde, celle de l’assurance-maladie. "Un hôpital produirait à lui seul 10 gigaoctects de données par an, soit 20 000 fois Le Rouge et le Noir, le roman de Stendhal, explique ainsi Nicolas Garcelon, responsable de la plate-forme Data Science à l’institut Imagine à Paris, consacré à la recherche et aux soins des maladies génétiques. Or c’est une mine d’or encore très peu exploitée."

Les établissements hospitaliers prennent cependant conscience de ce potentiel et des projets de construction « d’entrepôts de données » (data centers) émergent peu à peu dans l’Hexagone. Mission rassembler dans une seule et même base toutes les données produites en interne. Ainsi, l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), avec ses 39 établissements, s’est lancée dans l’aventure. En janvier 2017, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) lui a donné le feu vert pour faire avancer la recherche scientifique en permettant la réalisation d’études à partir de ces données. « Notre data center abrite aujourd’hui les informations administratives, médicales et sociales de 8 millions de patients, 163 millions de résultats d’examens biologiques et 5 millions de comptes rendus médicaux », déclare Claire Hassen-Khodja, référente Entrepôt de données de santé à la Délégation à la recherche clinique et à l’innovation de l’AP-HP. Dans les régions, c’est le CHU de Rennes (Ille-et-Vilaine) qui a fait figure de pionnier en 2008 en lançant Roogle, une sorte de Google des données de santé hospitalières. "Aujourd’hui, quelques rares hôpitaux, comme ceux de Lille et Grenoble, s’y sont mis. C’est aussi le cas des CHU du Grand Ouest qui se sont coordonnés pour créer le premier réseau européen de centres de données massives hospitalières ", explique le Pr Marc Cuggia, médecin chercheur en informatique médicale à l’Inserm.

Un gain de temps pour les chercheurs

Les applications du big data à l’hôpital sont pourtant aussi stratégiques que nombreuses. Rassembler les données facilite ainsi le travail des chercheurs. « Des logiciels permettent d’automatiser l’extraction et l’anonymisation des données, évitant ainsi à un interne d’ouvrir chaque dossier individuellement et de passer dix minutes sur chacun d’entre eux pour trouver les éléments qui l’intéressent », explique Karine Seymour, présidente de la start-up Medexprim, spécialisée dans l’exploitation des archives d’images biomédicales pour la recherche. Constituer une cohorte, un ensemble d’individus choisis selon des critères précis pour mener des essais thérapeutiques, prend ainsi quelques minutes au lieu de plusieurs semaines. Mais ces applications permettent surtout le développement de ce que l’on nomme la médecine « personnalisée ». Au milieu de données très hétérogènes, repérer un sous groupe de malades qui répondra à une thérapie ciblée devient en effet possible. Mieux ! les chercheurs imaginent, dans un avenir plus lointain, créer des « patients virtuels » à partir de certaines de ces « data » sur lesquels ils pourront tester de nouveaux médicaments. Ces recherches dites in silico permettront de simuler un phénomène biologique.

Pour l’heure, la mise en place est encore hasardeuse, l’hétérogénéité des données rendant la tâche complexe. « Dans certains hôpitaux de l’AP-HP, chaque service disposait de son propre logiciel, ces logiciels ne communiquaient pas entre eux et les données étaient hébergées sur différents serveurs, témoigne Raphaël Beaufret, qui dirige le département Web, innovation, données de l’institution. Une démarche d’intégration a été lancée dans les années 2000 et nous commençons à en voir les bénéfices. » Ce travail de titan, d’un coût de plusieurs dizaines de millions d’euros par an, a rendu possible la création du data center en 2014. Mais « les données sont encore trop captives des logiciels, précise Marc Cuggia. Nous avons du mal à obtenir une parfaite interopérabilité de la part des différents éditeurs. »

Et bien d’autres obstacles restent à franchir, à commencer par la sécurisation de ces données sensibles. La loi informatique et libertés prévoit en effet des procédures strictes afin de respecter le droit des patients, notamment la garantie de leur anonymat. Ainsi, à l’APHP, en plus d’une information collective sur le site de la Délégation à la recherche clinique et à l’innovation, il a fallu ajouter une mention sur les comptes rendus pour informer les patients de la possibilité d’exercer leur droit d’opposition à la réutilisation de leurs données. Une campagne d’information a également été menée avec l’envoi d’e-mails et de courriers aux patients admis à l’AP-HP avant la mise en place du data center. « Notre législation est assez contraignante », estime ainsi Jeanne Bossi Malafosse, avocate spécialiste des données personnelles. Alors que le nouveau règlement européen sur la protection des données allège les formalités préalables mais renforce les sanctions, la France maintient en effet ces formalités et les pénalités restent lourdes. Raison pour laquelle certains acteurs plaident pour des assouplissements dans la future loi (en première lecture à l’Assemblée nationale) et une adaptation au big data pour favoriser la recherche.

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