Dénigrement et insultes sur Twitter et Facebook : que dit le droit ?
Les agressions sur les réseaux sociaux ne tombent pas dans un puits d'impunité. Leurs auteurs risquent licenciement, amendes et le paiement d'indemnités.
Par Laurence NeuerTemps de lecture : 8 min
Les pilonnages homophobes, racistes et antisémites sur Twitter s'en donnent à coeur-joie : la liberté d'expression les encourage même à proliférer ! Mais, que leurs auteurs ne se réjouissent pas trop vite. La justice a les moyens de les identifier et de les sanctionner.
Dernière affaire en date : le salarié d'un fast-food d'Avignon a été suspendu dans l'attente d'une procédure judiciaire. Il dénonçait, sous le pesudonyme @EquipierQuick, la pression permanente de sa hiérarchie et des conditions d'hygiène douteuses. D'après la direction du groupe, des audits ont démenti la véracité de ces propos qualifiés de diffamatoires. Des poursuites pénales et une procédure de licenciement sont envisagées. Comment l'entreprise a-t-elle réussi à identifier le salarié ? "En saisissant la justice qui est seule habilitée à solliciter le réseau social dans le cadre d'une enquête", précise Florence Chafiol-Chaumont, avocate associée du cabinet August & Debouzy.
Enquête judiciaire
Concrètement, si une personne est visée par des propos illicites, elle doit déposer plainte au commissariat ou envoyer un courrier au procureur de la République, qui déclenchera les poursuites s'il le juge opportun. "Ce dernier peut requérir auprès de l'hébergeur la communication de toute information figurant sur le site, y compris une adresse IP, sans avoir à justifier d'un pouvoir particulier, explique Florence Chafiol-Chaumont. Et l'hébergeur ne peut s'y opposer sous peine d'être condamné à un an d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende (article 6-2 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique). De même, le magistrat peut ordonner à des tiers et donc à Twitter de produire tous les éléments de preuve qu'ils détiennent et notamment des tweets ou les données personnelles d'un utilisateur. Twitter peut également être amené à communiquer des données aux services de la police judiciaire à la demande de la Befti (brigade d'enquêtes sur les fraudes aux technologies de l'information)."
Retweeter, c'est approuver
Moralité : les messages diffamants, injurieux ou discriminatoires, en raison notamment de l'orientation sexuelle, ne tombent pas dans un puits d'impunité. Les utilisateurs sont d'ailleurs avisés de l'écho planétaire de leurs moindres gaffes qu'aucun filtre ne modère : "Ce que vous dites sur Twitter est visible partout dans le monde instantanément", annonce la "politique de vie privée" du réseau. Même les personnes non titulaires d'un compte Twitter ont accès aux gazouillis de la twittosphère. À moins qu'ils aient été publiés sur un profil "privé", accessible aux seuls abonnés agréés par l'utilisateur et non indexés par les moteurs de recherche. Mais l'homophobie et le racisme sont par nature chevillés à la publicité de leur diffusion.
Le titulaire du compte n'est pas le seul responsable des propos illicites. Les contributeurs qui les approuvent publiquement risquent eux aussi des sanctions. Car, pour les juristes, "retweeter, c'est approuver". "Celui qui rediffuse l'information contribue au préjudice de celui qui, par exemple, a été diffamé et son tweet pourrait être considéré comme un nouvel acte de diffusion", note Me Christiane Féral-Schuhl, bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris. Quant à Twitter, qui n'a pas pas l'obligation de vérifier a priori ce qui transite sur son site compte tenu de son statut d'hébergeur, il ne peut voir sa responsabilité engagée que dans l'hypothèse où il ne retirerait pas les propos illicites qui lui seraient signalés.
Dénigrement sanctionné sur Facebook
Si Twitter n'est pas encore un familier des prétoires, Facebook y est au contraire bien présent ! Les actions en diffamation et injures se multiplient, avec leur cortège de condamnations judiciaires. En voici quelques illustrations. En octobre 2011, un homme de 19 ans a écopé de trois mois de prison ferme et 1 200 euros d'amende pour "outrage à agent". Il avait injurié sur sa page Facebook (dont le paramétrage rendait les propos accessibles à tous) les gendarmes qui l'avaient arrêté un an plus tôt en état d'ébriété.
Ce même mois d'octobre 2011, un jugement du conseil de prud'hommes de Guingamp condamnait un ancien salarié pour déloyauté envers son employeur. Il avait organisé une campagne de dénigrement notamment au travers d'un profil Facebook intitulé "Contre la mise à mort d'un salarié". Son contenu injurieux était diffusé sur plusieurs forums de discussion. L'ancien salarié avait aussi créé une adresse e-mail "tamertume@voila.fr" de laquelle il envoyait des mails à des dirigeants du groupe et à tout le réseau professionnel de son employeur. Les conseillers prud'homaux ont estimé le préjudice du dirigeant à 15 000 euros. "Cette condamnation tient compte notamment du fait que l'entreprise allait devoir débourser une somme assez importante pour tenter d'effacer les propos désobligeants sur les moteurs de recherche", décrypte Cécile Martin, avocat spécialiste de droit social et protection des données personnelles au cabinet Proskauer.
Paramétrage
La frontière entre l'"espace privé", protégé du joug judiciaire, et l'"espace public", qui expose l'utilisateur à des sanctions est tracée par le paramétrage du compte. Ainsi, la gérante d'une société n'a pas réussi à faire condamner pour "injure publique" une ancienne salariée qui avait créé un groupe de discussion sous la bannière "extermination des directrices chieuses" et proféré des injures sur MSN.com. Dans les deux cas, "la circulation de l'information était limitée aux seules personnes agréées (...) en nombre très restreint" et sélectionnées par "affinités amicales ou sociales". Celles-ci n'apparaissaient même pas dans le profil de l'utilisatrice, ce qui excluait la notion d'espace public, a souligné la cour d'appel de Paris dans une décision du 9 mars 2011.
En temps de crise, mieux vaut ne pas faire trop joujou avec les réseaux sociaux. Plusieurs salariés ont été licenciés pour dénigrement après avoir joué les commères sur leurs "murs" Facebook. On se souvient de l'affaire Alten qui avait inauguré la jurisprudence sociale en la matière. Trois salariés avaient confondu leur "mur" Facebook avec un salon privé et avaient confié, sur le ton de l'humour, qu'ils souscrivaient au rituel du "club des néfastes" en référence à la pratique consistant à "se foutre de la gueule de leur supérieure hiérarchique". La joyeuse bande avait fait fi de la réaction d'autres salariés, "amis d'amis" qui, choqués par les propos, ont fait une capture de la conversation et soumis le dossier à leur hiérarchie. Une salariée a été licenciée pour "incitation à la rébellion", "atteinte à l'autorité et à la réputation" et "dénigrement" (conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, 19 novembre 2010). Cette décision a été infirmée par la cour d'appel de Versailles en février 2012, mais uniquement en raison d'une erreur de procédure ne remettant pas en cause le raisonnement du conseil de prud'hommes.
La preuve appartient à l'employeur
C'est ensuite un "conseiller client" du centre d'appels Webhelp de Caen qui a été congédié et poursuivi pour injure devant le tribunal correctionnel de Paris. Il avait écrit sur sa page Facebook : "Journée de merde, temps de merde, boulot de merde, boîte de merde, chefs de merde" et "j'aime pas les petits chefaillons qui jouent au grand". Le prévenu a expliqué au tribunal correctionnel que ces propos étaient liés au suicide, la veille, d'une collègue syndicale. Mais le tribunal a relevé le caractère "outrageant", "insultant" et "vexatoire" des propos à l'encontre de la direction de l'entreprise et de la supérieure hiérarchique, parfaitement identifiables. Le salarié, qui n'avait jamais été condamné, s'en est tiré avec une amende de 500 euros avec sursis (décision du tribunal correctionnel de Paris, 17 janvier 2012).
Dans tous les cas, la preuve du caractère public des propos incriminés appartient à l'employeur. Et cette preuve ne résulte pas du simple fait que les messages aient été lus par plusieurs personnes. Une salariée avait, sur son mur Facebook, invité ses collègues à "cracher (leur) haine sur certaines poufs de LECLERC et contre LECLERC tout court (...). "Marre de cette ambiance de merde des pétasses qui parlent sur notre gueule sans cesse de tout le temps faire les fermetures et d'être traités comme des chiens fais chier LECLERC (...)", avait-elle ajouté.
Le conseil de prud'hommes a validé le licenciement pour faute grave, mais son jugement a été infirmé par la cour d'appel qui a considéré que le caractère public des propos ne pouvait résulter du fait que cinq autres salariées aient participé aux échanges, ni même être déduit de ce que les propos échangés aient été portés à la connaissance de l'employeur. Elle a donc jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et alloué à la salariée 1 200 euros de dommages et intérêts (cour d'appel de Rouen 15 novembre 2011).
Charte de l'entreprise
Outre-Manche, les magistrats ne s'embarrassent pas de telles nuances sur le caractère privé ou public des commentaires. Dans une affaire jugée en 2011, un salarié d'Apple a été licencié pour faute grave après avoir fait des commentaires désobligeants sur ses conditions de travail et certains produits de la marque à la pomme. Le fait que son mur Facebook n'ait été accessible qu'à ses amis n'a pas pesé dans la décision de la juridiction prud'homale anglaise. "Il savait que ce type de commentaire pouvait porter atteinte à la réputation d'Apple", souligne le jugement qui déplore par ailleurs que le salarié ne se soit pas excusé et n'ait pas donné de justification à sa conduite, laissant ainsi entendre que ce "mea culpa" aurait peut-être permis d'atténuer la sanction.
De plus en plus d'entreprises prévoient dans une charte, le contrat de travail ou le règlement intérieur que le salarié qui dénigre son entreprise sur un réseau social s'expose à des sanctions disciplinaires allant jusqu'au licenciement. "Ce type de charte dissuade les salariés de tenir ce type de propos, et si leur responsabilité est engagée, ils ne pourront pas prétendre n'avoir pas été informés, note Cécile Martin. La meilleure protection pour les entreprises contre ce type de comportement est donc d'informer et de sensibiliser leurs salariés à l'utilisation des réseaux sociaux et aux risques qu'ils représentent."