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Les adolescents sur Twitter, acte I : "C'est histoire d'être 'in'"

Les jeunes Français ont déboulé sur Twitter, et certains délaissent même le sacro-saint Facebook. Pourquoi ? Nous leur avons demandé.

Par Michaël Szadkowski

Publié le 12 octobre 2012 à 14h45, modifié le 30 mai 2014 à 00h20

Temps de Lecture 12 min.

Représentation graphique des liens entre comptes Twitter de jeunes utilisateurs français.

Cet article est le premier d'une enquête en deux volets : "Comment les adolescents utilisent Twitter".

Lire la seconde partie : "Les adolescents sur Twitter, acte II : la mise en scène frénétique de soi"

[Avis aux lecteurs qui ne comprennent pas tout à Twitter : cette présentation, que nous avions publiée en 2009, peut vous être utile pour l'article qui va suivre, de même que ce petit lexique du jargon employé sur le réseau.]

Depuis une petite année, un phénomène n'a pas échappé aux utilisateurs de longue date de Twitter : les adolescents français ont déboulé sur le réseau. Et pas seulement pour remplir les rangs des 28 millions d'abonnés du chanteur Justin Bieber.

L'intuition était d'abord fugace, lorsqu'on a vu apparaître, au hasard des retweets et des mentions, des tweets au doux parfum du site Vie de merde focalisés sur la vie au lycée, les relations avec ses parents ou les révisions du bac, comme les exemples récents ci-dessous l'illustrent :

Puis tout s'est vérifié avec quelques changements dans la nature des trending topics : le top 10 des sujets les plus discutés sur Twitter, qui évolue en permanence et automatiquement en fonction de la récurrence des mots postés par zones géographiques.

"Twitter = AdoLand", constatait, dès octobre 2011, un utilisateur français devant des sujets de discussion américains consacrés à Justin Bieber, Harry Potter, Twilight et Lady Gaga. Aux Etats-Unis, les analystes du Web avaient repéré dès octobre 2010 l'arrivée du probable premier trending tropic généré par les adolescents aux Etats-Unis.

En France, le même phénomène s'est surtout manifesté durant le traditionnel creux estival de l'actualité 2012.

Après des élections présidentielle et des législatives très porteuses de sujets "sérieux", nos trending topicsont connu une subite mais durable cure de jeunesse, avec l'apparition récurrente des jeux par mots clés consacrés à la vie quotidienne du jeune (#DansLesLycéesYaToujours, exemple au hasard repéré le 22 septembre), de films ou des chanteurs typiques de la culture teenager.

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Face à cette visibilité de la déferlante adolescente, plusieurs sites d'informations se sont emparés du sujet (lire Le Figaro, Le Huffington Post ou Le Plus). Et les blogueurs comme les vétérans de Twitter, créé en 2006, observent, parfois amusés, parfois agacés, le phénomène (l'image ci-dessous est extraite d'un post de Klaire.fr : "Une journée type sur Twitter").

Capture d'écran du post de blog de Klaire.fr :
  • L'impossibilité du nombre

Difficile pourtant d'avoir les chiffres précis du nombre des jeunes utilisateurs de ce réseau social en France, et de la progression de ce chiffre ou de sa proportion par rapport aux autres membres.

Lorsque nous posons la question directement à Twitter, la réponse fuse : ici, pas de fichage, pas de compilation, pas d'exploitation, pas de diffusion des données des utilisateurs – que ce soit leur âge ou d'autres critères.

Bon. Après tout, il est vrai que pour ouvrir un compte, on n'a pas à renseigner sa date de naissance, et il semble difficile, dans ces conditions, d'établir de tels chiffres avec exactitude.

Capture d'écran du formulaire d'inscription sur Twitter.

"Les adolescents français migrent sur Twitter", s'empressait pourtant d'affirmer Le Figaro en juillet, en se fondant sur une publication de l'institut ComScore selon laquelle "16 % des 15-24 ans" seraient "déjà sur le réseau de micro-blogging en France".

Mais il est hâtif de conclure à une telle "migration" à la lecture de cette étude, fondée sur un panel de 35 000 personnes, et qui porte uniquement sur le nombre de visiteurs uniques qui se sont connectés à une page Web du domaine "twitter.com".

"En France, le taux de couverture (soit le ratio entre le nombre de personnes qui se sont connectées au moins une fois au site "Twitter.com" par rapport au nombre global d'internautes) le plus important concerne bien la tranche d'âge des 15-24 ans : il est de 15,6 %, par rapport à un taux moyen de 9,4 %", nous précise ComScore, pour expliquer ce chiffre des 16 %.

"Mais à l'inverse, le nombre de visiteurs uniques par tranche d'âge qui a le plus augmenté, entre juillet 2011 et juillet 2012, concerne les internautes de plus de 45 ans : + 72 %. Cette hausse est de 50 % pour les 15-24 ans, de 9 % pour les 25-34 ans, de 29 % pour les 35-44 ans", explique par ailleurs ComScore.

Un afflux de connexions sur le site de Twitter qui s'explique aisément dans un contexte d'engouement généralisé (lire notre article sur @lemondefr et son million de followers, qui revient sur le rôle croissant du réseau dans la diffusion de l'information), et des mentions quotidiennes du réseau à la télévision, à la radio, et bien sûr, sur Internet (notamment à l'occasion d'affaires comme celle du tweet de Valérie Trierweiler).

"Sur les 4,5 millions de visiteurs uniques qui sont arrivés sur le site Twitter en juillet depuis la France, 2,3 millions proviennent de Google et 1,7 million de Facebook", nous apprend à ce sujet ComScore.

En revanche, aucune statistique n'existe, ni chez ComScore ni ailleurs, pour évaluer la pratique et la présence réelle des 15-24 ans sur Twitter. Le nombre de tweets, leur viralité, le nombre de mentions, de followers... restent des données inconnues. "C'est l'usage que nous avons mesuré, et non l'utilisation", reconnaît ComScore.

Seule solution : plonger en apnée et aller directement découvrir et interroger les habitudes des jeunes utilisateurs.

  • La découverte du réseau

"J'en ai entendu parler à la radio, et j'ai voulu savoir ce que c'était" : @LilasRousseau (17 ans, Yvelines) fait partie de la troupe des curieux qui se sont inscrits sur Twitter sans y "connaître personne". Pour elle, c'était le 15 novembre 2011.

Le premier tweet de @LilasRousseau, via l'application My first Tweet.

Pas question, alors, d'y avoir une vie sociale active, de parler à tout le monde. L'outil l'a attirée parce qu'elle pouvait y suivre des comptes en fonction de ses goûts personnels et de son intérêt "pour l'actualité". "Mais je voulais surtout suivre des personnalités que j'aimais, comme Jamel Debouze, Omar et Fred, Norman, susceptibles de lâcher des petits tweets marrants".

La motivation de ces jeunes explorateurs de Twitter était bien, au début, la "curiosité" et la possibilité de "suivre des célébrités", détaille @GaranceLacroixn (17 ans, Paris) : "Je m'y suis inscrite le 31 décembre 2010, j'étais alors en 3e. J'avais bien quelques amis qui y étaient inscrits, mais vraiment pas beaucoup !"

Et tous ces abonnés de l'époque font maintenant figure de précurseurs, d'ambassadeurs, ou de simples observateurs de la montée en puissance du réseau. "Au début, c'était il y a plus de deux ans, j'étais le seul de ma ville", raconte @BenjaminWilder_ (17 ans, Hautes-Pyrénées). "Puis quand mes potes ont vu qu'on pouvait suivre des stars, et surtout mon nombre d'abonnés, ça les a intéressés. Et ils y sont maintenant."

De même, au moment de son inscription, fin 2011, @LilasRousseau assure être "la seule de son lycée". Mais depuis la fin de l'année scolaire 2012, selon elle, "c'est l'explosion ! Aujourd'hui quasiment tous mes copains au lycée ont Twitter. le 31 décembre 2010, j'étais alors en 3e. J"

Cet effet "boule de neige" semble maintenant à la source des nombreuses inscriptions. "C'était en mai dernier, pour suivre l'actualité, mais mes cousines et mes amis voulaient vraiment que je m'y mette", nous explique @RobynCarter (15 ans, Paris).

"Je me suis inscrit en novembre 2011 car un pote me l'a conseillé, mais je ne savais pas trop ce que c'était", nous dit @dalprakenny (17 ans, Essonne).

"Mon frère était sur Twitter, il m'a montré comment ça marchait, j'ai trouvé ça sympa donc je m'y suis inscrit", rapporte @heaazy (17 ans, Ardennes), présent sur Twitter depuis la mi-septembre.

"C'le 31 décembre 2010, j'étais alors en 3e. Jin' : comme c'est nouveau et tendance, ça fait bien d'y être, et on s'inscrit histoire de pouvoir s'intégrer aux discussions au lycée", résume @LilasRousseau.

L'entraide est d'ailleurs de rigueur pour tous face au format imposé par Twitter, son jargon et son code, qui sont assez énigmatiques au début. "Je me suis inscrit en décembre 2011, avec l'application sur iPhone. A ce moment-là, je captais rien, je twittais rien : j'étais un œuf", se rappelle @HugoLouPoueyou_ (17 ans, Hautes-Pyrénées) – l'expression étant désormais utilisée pour tous les comptes inactifs, en référence à l'image par défaut attribuée aux nouveaux profils Twitter.

Les images par défaut des profils Twitter : les œufs.

"Heureusement, un pote m'a vite expliqué", continue @HugoLouPoueyou_, dont l'expérience recoupe celle de nombreux nouveaux arrivés.

"Les RT, @, #, TT, etc. c'est compliqué. Au bout de quelques heures passées on comprend. Mais j'avoue avoir demandé à Google ce que c'était quand je commençais ! C'est moins intuitif que Facebook", témoigne @DAkB0SS (17 ans, Paris), inscrit depuis un an "mais actif tous les jours depuis mai 2012".

  •  De nouvelles communautés

Cette "nouveauté" et cette "tendance" surgissent justement dans un contexte où le géant Facebook commence à se faire vieux. Aux Etats-Unis, le Huffington Post expliquait en août comment les ados assimilent Facebook à un simple système de boîte mails, comparables à Microsoft Outlook ou à AOL dans les années 2000.

En France, les jeunes utilisateurs de Twitter les plus acharnés, passant "plusieurs heures par jour" sur le réseau, dont les tweets et les followers se comptent par milliers, expliquent sans peine que Facebook est en comparaison devenu "un peu pourri", pour reprendre les termes de @HugoLouPoueyou_.

"Il n'y a pas du tout la même mentalité. Facebook, c'est banal chez tout le monde", renchérit @BenjaminWilder_, qui n'y va "presque plus" car "tout ce qu'on y voit était déjà posté sur Twitter des heures, voire des jours avant". Comme @HugoLouPoueyou_, il reproche également à Facebook d'être trop occupé par les "gens chelou du lycée".

Dans le même ordre d'idée, @RobynCarter (15 ans, Paris) apprécie ne pas retrouver sur Twitter tous les "kikoo" qu'elle croise dans la vie réelle : l'expression recouvre selon elle "toutes les personnes qui veulent avoir des infos sur toi, des potes, des gens du collège, les parents".

Ces nouveaux "accros" apprécient, finalement, de ne pas retrouver des communautés déjà identifiées et présentes dans la vie réelle ou sur Facebook.

Alors que l'impression d'anonymat sur Twitter est bien plus grande (avec la possibilité de s'y inscrire sous pseudo, sans donner trop d'informations personnelles, et le sentiment que le réseau n'est pas encore utilisé par tout le monde), ils s'y affranchissent avec joie d'une certaine pression entourant leur existence numérique.

le 31 décembre 2010, j'étais alors en 3e. Jexplique en ce sens @loaderichard (15 ans, Bordeaux).

Et @GaranceLacroixn regrette désormais que "tout le monde soit sur Twitter : on ose moins parler librement quand il y a trop de gens que l'on connaît".

"Je parle autant avec des gens que je connais qu'avec ceux que je ne connais pas. le 31 décembre 2010, j'étais alors en 3e. J", détaille de son côté @heaazy (17 ans, Ardennes) après seulement quelques semaines sur un réseau qui favorise les interactions rapides, et souvent anonymes.le 31 décembre 2010, j'étais alors en 3e. J

Des échanges et une liberté d'autant plus facilités que globalement, "ce sont des bisounours", selon les termes de Nicolas Bermond, de l'agence de communication numériqua 50a (que nous avons rencontré après la lecture de son article tout à fait éclairant : "Les ados sur Twitter, usage guerrier du community management").

"Les clashs entre ados ne sont pas fréquents, et globalement peu violents", a-t-il constaté après plusieurs semaines d'observations. "Je laisse parler sans répondre ceux qui m'attaquent pour rien. Mais je reçois surtout des messages gentils", nous dit@BenjaminWilder_ – qui s'est néanmoins fait hacker son premier compte Twitter, qui comptait plus de 20 000 abonnés.

  • "Divertissant plus qu'intéressant"

A l'inverse, pour celles et ceux qui n'utilisent pas (encore ?) Twitter intensivement, et pour qui les communautés de la vie réelle suffisent, la majeure partie de l'existence sociale reste encore liée à "Facebook, qui est là depuis plus longtemps, et où on a déjà un réseau d'amis plus solide et conséquent", selon @LilasRousseau.

Son compte Twitter ne compte, en comparaison, que quelques tweets par mois, et mentionne surtout les vacances d'été avec ses amies de lycée. "Sur Facebook, on a beaucoup plus d'options, on peut mettre de gros albums photo... Et on est sûr que tout le monde s'y connecte tout le temps et rapidement. Si un pote ne répond pas au téléphone, je vais aller lui parler sur Facebook, pas sur Twitter", explique @LilasRousseau.

Elle déplore par ailleurs les 140 caractères imposés par tweet : "c'est sympa parce qu'au moins ça se lit vite, mais bon, on ne peut rien mettre de très sérieux ou de développé. C'est divertissant, plus qu'intéressant. Alors je ne m'y connecte que de temps en temps, quand je n'ai rien à faire d'autre."

"La plupart des gens que je connais, et les groupes de musique que j'aime, sont sur Facebook. Alors je le privilégie. Twitter, finalement, je ne m'en sers presque jamais", confirme @dalprakenny – en écho à ses huit tweets seulement postés en onze mois.

D'autres, comme Léo (18 ans, Gironde), se disent des lecteurs "réguliers" de ce qu'il se passe sur Twitter – "depuis trois ans, alors que c'était un truc de geek" – mais sans avoir de compte. "Jle 31 décembre 2010, j'étais alors en 3e. J'ai pas mal d'amis qui y sont, mais pour les contacter, le téléphone et Facebook me suffisent."

  • Vie privée, mais publique

Par contre, que leur usage de Twitter soit important ou limité, la question de la présence de leurs parents sur Facebook (26 millions d'utilisateurs en France, selon Nielsen) n'entre "absolument pas" en jeu, comme l'expliquent en cœur @BenjaminWilder_, @LilasRousseau et tous les jeunes Français que nous avons consulté.

Ils assurent avoir créé leur compte Twitter essentiellement "pour délirer" ou par "curiosité", même s'ils se rendent compte après coup que le plus souvent "les parents ne connaissent pas Twitter, on est plus libre en quelque sorte", comme l'admet @heaazy.

Mais le revers de la médaille fait qu'on y est également plus exposé. "Sur Facebook, il ne faut pas être très futé pour changer ses paramètres de confidentialité" et l'utiliser à l'abri de toute pression parentale, selon @LilasRousseau : "au contraire, sur Twitter, le principe est d'avoir un profil totalement public. C'est pire que Facebook !"

Cette visibilité ne leur pose néanmoins aucun problème : ils connaissent les règles du jeu de l'exposition en ligne, et les acceptent. "Mes parents ne sont ni sur Facebook, ni sur Twitter, mais ça ne serait pas gênant s'ils me suivaient parce que je ne poste rien de compromettant", nous assure @GaranceLacroixn.

"J'ai bien conscience que tout ce que je poste est public et je fais très attention. J'ai peur qu'une parole soit mal interprétée ou autre. Et de plus en plus, les employeurs regardent les profils des gens sur Internet, et même si je ne suis que lycéenne, je me dis que c'est ineffaçable alors, je fais vraiment attention", continue-t-elle.

Dans ce contexte, Twitter s'assimile, finalement, à un espace d'expression en ligne comme les autres. Et s'intègre dans le fonctionnement classique entre un ado, ses parents et le reste du monde.

"Mon père a Twitter, il n'est pas très actif et ne sait pas trop s'en servir, mais il peut tout voir", constate de son côté @DAkB0SS, avant d'ajouter : "après tout, j'ai passé l'âge d'être fliqué, tout ce que je dis ou je fais sur Twitter, c'est ma responsabilité".

Lire la seconde partie : "Les adolescents sur Twitter, acte II : la mise en scène frénétique de soi"

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