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Dans le feu de l’action



Jean Cournoyer a connu une vie publique riche et mouvementée. Jeune leader étudiant, il a contesté les frais de scolarité. Comme ministre, il a notamment créé la Commission Cliche sur les pratiques dans l’industrie de la construction. L’histoire se répète, observe l’homme qui publie son autobiographie. Le Journal en publie ici quelques extraits.

La Commission Cliche

(...) J’avais été à l’origine de la fondation des fonds de pension et d’assurance de l’industrie de la construction et de la plomberie bien avant la fondation de la Régie des rentes du Québec ou de la ­Caisse de dépôt et placement du Québec.

Je n’avais pas l’étoffe d’un politicien. Je n’avais pas la formation d’un fonctionnaire. Je n’avais jamais trempé dans une quelconque affaire louche. Je n’étais qu’un médiateur qui avait fait sa marque dans le règlement des plus importants conflits de travail que le Québec avait connus.

Mon témoignage

En mettant les pieds dans la boîte aux témoins, je me sentis comme un coupable que l’on ne peut pas pendre, mais que l’on peut griller à petit feu sous la vicieuse direction d’un cuistot choisi pour ­satisfaire la meute. Les journaux rapportèrent que, lors de ma «comparution», il y avait eu 400 personnes dans la salle du palais de justice de Québec où trônaient mes juges.

Mais les séances télévisées avaient manifestement monté à la tête des ­commissaires et de leur procureur. Au fait, vous ai-je dit que le procureur était un jeune avocat auréolé de la région du Lac-Saint-Jean? Il s’appelait Lucien ­Bouchard.

Si Chevrette avait été avocat, je crois bien que le trio aurait revêtu la toge et le tricorne, et se serait fait précéder par un gentilhomme huissier pour leur entrée dans l’enceinte réservée à leur tribunal.

Bouchard, qui jouait le rôle du maître inquisiteur, s’en donna à cœur joie, ­tentant de me coincer comme il l’aurait fait avec un criminel de droit commun. Si bien qu’à un moment donné je me crus autorisé à rappeler à mes juges pourquoi ils étaient là. Parce que ni moi ni mon ministère n’avions pu trouver les moyens de faire cohabiter des syndiqués ­d’allégeances différentes sur un même ­chantier de construction, le mandat de cette commission était justement de ­rechercher et de proposer les solutions qui s’imposaient, pas de chasser des ­sorcières ou d’aller à la pêche aux petits ou aux gros poissons.

Malheureusement pour moi, la Commission laissa les véritables responsables du marasme s’en donner à cœur joie et rejeter la responsabilité sur le ministre et, forcément, sur le gouvernement de M. Bourassa. L’affaire Joyal n’avait rien à voir avec la construction et encore moins avec la violence sur les chantiers de construction. Les finances de la famille de Paul Desrochers non plus.

En février 1975, la Commission s’avérait un lieu où tout pouvait se dire. Lors de son interrogatoire, Jean-René Gagnon affirma que l’architecte Normand-C. ­Gagnon avait déclaré que Paul ­Desrochers avait servi d’intermédiaire pour régler une dette de 50 000 $ que ­Pierre Laporte avait contractée au taux annuel de 10 % lors de la campagne à la direction du Parti libéral qui l’opposait à Claude Wagner et Robert Bourassa. Je n’ai jamais compris comment le juge Cliche et ses compagnons avaient pu ­relier cet emprunt et son remboursement avec la violence sur les chantiers de construction.

Les éditorialistes décrivaient ce qu’un ministre du Travail devait être. Chacun d’eux analysait mon action à travers sa conception du rôle de ministre du Travail. Aucun d’eux n’avait jamais occupé cette fonction, mais ils prétendaient savoir ­comment l’assumer. Assis à leur bureau, ils remplissaient leurs lignes après avoir digéré les nouvelles. Si une partie des ­témoignages attirait leur attention, tels des reporters pressés par l’heure de ­tombée, ils commentaient sans attendre la fin des auditions (Claude Ryan du Devoir faisait exception à cela).

Une réponse hésitante de ma part les faisait conclure à une admission. La ­demande de ma démission prononcée par une association patronale et un syndicat était interprétée sans aucune nuance ­comme un souhait général de la société québécoise. Les raisons qui la sous-­tendaient étaient sans importance. Dès le début des auditions, les commissaires ont pris pour vérités les affirmations de groupes d’intérêt qui m’en voulaient à cause de décisions antérieures qui ne leur avaient pas plu.

Un jour, le juge Cliche m’invita à dîner à l’Engineers Club de Montréal (un club sélect de Montréal). À brûle-pourpoint, il me dit : «Jean, tu devrais démissionner.» Je lui répondis : «Pourquoi?» Il me dit : «Tu passes à travers un ouragan dont tu ne pourras pas sortir indemne.» Je n’avais pas encore comparu devant sa commission et j’étais déjà jugé. Je fus troublé par cette conversation. Je n’étais accusé de rien, j’étais convaincu que j’avais fait mon devoir consciencieusement avec tout ce que j’avais d’énergie, mais dans les limites des ­pouvoirs dévolus à un ministre du Travail. Et voilà qu’un juge me condamnait sans même m’avoir entendu. C’était l’envers du bon sens.

Le ministre des Richesses naturelles (1975-1976)

Le 28 juin 1975, la session prit fin et je sus que je ne reviendrais plus devant l’Assemblée nationale à titre de ministre du Travail. En effet, M. Bourassa remania son cabinet. Il me muta au poste de ministre des Richesses naturelles au mois de juillet suivant. À ce titre, je ­devenais ministre responsable d’Hydro-Québec, des eaux et des mines.

Je n’y connaissais rien qui vaille, mais je devais en faire rapidement connaissance.

Hydro-Québec

Dès le lendemain de ma nomination, M. Roland Giroux, président d’Hydro-Québec, me demanda au téléphone si j’avais signé le papier qui se trouvait sur le côté droit de mon pupitre. C’était une demande d’autorisation d’une augmentation des tarifs d’Hydro-Québec devant prendre effet en janvier 1976. Pendant que je parlais avec M. Giroux, on frappa à la porte de mon bureau. Quelqu’un ­ouvrit la porte et me dit : « Je suis votre sous-ministre par intérim. Avez-vous ­signé la demande de M. Giroux?» Je lui fis signe que non. Il dit : «Ne la signez pas.»

J’avais été assermenté la veille et j’étais déjà confronté à des demandes contradictoires venant de personnes que je ne connaissais pratiquement pas sur un sujet dont je ne savais rien. Le sous-ministre m’indiqua que l’augmentation demandée ne cadrait pas avec les orientations du ministère.

Au mois d’octobre 1976, le premier ­ministre convoqua les électeurs pour des élections générales le 16 novembre 1976. En 1973, j’avais été élu député de ­Robert-Baldwin, où se trouvait la ville de Dollard-des-Ormeaux.

M. Bourassa me demanda de laisser cette circonscription et de présenter ma candidature dans la circonscription de Riche­lieu. Ça ne me disait rien. C’était un autre parachutage. Même si j’avais été élevé à Sorel, qui était dans cette circonscription, je n’y connaissais plus personne à part mes parents. Je répondis à M. Bourassa que je n’irais que s’il m’en donnait l’ordre. Ce qu’il fit.

Tel un conscrit, j’entrepris alors de me faire choisir par le Parti libéral du comté de Richelieu, ce qui ne fut pas simple.

Ce n’est pas parce que des élections ­générales étaient convoquées que je ­pouvais me départir de mes responsabilités de ministre des Richesses naturelles. Les syndiqués d’Hydro-Québec qui étaient en moyens de pression ne me ­lâchèrent pas d’un poil. Lors d’une assemblée politique dans le sous-sol de l’église Saint-Joseph, une panne d’électricité y mit fin prématurément.

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