Cour de justice européenne : les fonctionnalités d'un programme d'ordinateur ne sont pas soumises au droit d'auteur

Le 2 mai 2012, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rappelé le mode d'application du droit d'auteur aux programmes d'ordinateur, dans un arrêt très clair SAS contre WPL. Elle rappelle notamment qu'un ayant-droit ne peut empêcher que d'autres entreprises proposent d'autres programmes avec les mêmes fonctionnalités et que chacun peut observer, étudier, tester le fonctionnement d'un programme dont il a légalement acquis la licence.

Cet arrêt a été rendu dans le cadre d'une question préjudicielle1 qui portait notamment sur l'applicabilité du droit d'auteur aux fonctionnalités des programmes d'ordinateur et sur le droit de l'acquéreur légitime d'une licence d'observer, étudier, tester le fonctionnement du programme d'ordinateur2. La CJUE y explique que le droit d'auteur s'applique aux expressions du programme d'ordinateur, et non à une fonctionnalité, ni à un langage de programmation ou à un format de fichier de données pour exploiter certaines fonctions. En d'autres termes, elle rappelle que les idées sont de libre parcours, et qu'on ne peut donc prétendre appliquer un quelconque droit d'auteur à une idée : c'est seulement son expression qui est protégée. Elle souligne d'ailleurs que toute autre application du droit reviendrait à accorder un monopole sur les idées, ce qui, selon les termes mêmes de la CJUE, « reviendrait à offrir la possibilité de monopoliser les idées, au détriment du progrès technique et du développement industriel ».

Sur la deuxième question posée, le droit de l'acquéreur d'une licence d'observer, d'étudier, de tester le fonctionnement du programme d'ordinateur, la CJUE souligne que le droit européen interdit que les contrats de licence entraînent la monopolisation des idées et principes à la base d'un programme d'ordinateur. Elle en déduit donc que lorsque la société WPL a acquis des licences du programme, elle pouvait donc en observer, étudier, tester le fonctionnement, y compris sans l'accord de SAS. Par cet arrêt, la CJUE rappelle donc la possibilité d'étudier un programme dont on possède légalement une copie, y compris sans accord de l'auteur.

Si la Cour ne se prononce pas sur les questions de décompilation et d'ingénierie inverse (qui n'étaient pas applicables au cas d'espèce), elle vient cependant de mettre un coup d'arrêt aux tentatives d'étendre le champ du droit d'auteur pour obtenir un monopole sur des idées. Elle souligne l'importance du droit d'étudier, qui fait d'ailleurs partie des libertés du logiciel libre, et rappelle que cette possibilité est assurée pour l'ensemble des logiciels.

« Si les principes qu'ils énoncent ne sont pas nouveaux, cet arrêt est particulièrement important aujourd'hui, alors qu'on assiste à des tentatives de monopolisation des idées via les brevets logiciels », conclut Lionel Allorge, président de l'April. « Alors que le projet actuel de brevet unitaire tente de court-circuiter la CJUE, cet arrêt rappelle qu'une juridiction indépendante est essentielle pour assurer l'équilibre des droits ».

  • 1. Une question préjudicielle signifie que la Haute Cour de Justice britannique avait demandé à la Cour de Justice de l'Union européenne de préciser des points de droits avant de rendre sa décision dans l'affaire.
  • 2. Le cas d'espèce portait sur la demande d'une entreprise, SAS en l'occurence, d'interdire à une autre entreprise de commercialiser un logiciel proposant des fonctionnalités semblables. Ici, WPL proposait un logiciel alternatif permettant d'exécuter des programmes d'applications écrits en langage SAS, et propose un système qui émule en grande partie des fonctionnalités des composants SAS.