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Des adieux déchirants à la Syrie



L’horreur qui se déroule en Syrie, pays auquel il a consacré toute sa carrière et où il venait tout juste de repérer une fabuleuse cité perdue, revêt de profondes et multiples significations pour l’archéologue Michel Fortin, de l’Université Laval.

Des jeunes ont rêvé de devenir archéologues grâce à Indiana Jones. Pour Michel Fortin, la fascination pour ce métier et le Proche-Orient lui est venue en écoutant, alors qu’il était enfant, le film Les dix commandements, sur l’histoire de Moïse.

Depuis, celui qui a été nommé ces dernières années directeur du Département des sciences historiques de l’Université Laval s’est imposé comme l’un des seuls archéologues canadiens experts du Proche-Orient et de la Syrie.

Pendant 30 ans, chaque année, il s’est rendu dans ce pays très important dans l’histoire de l’humanité, pour des fouilles qui ont contribué à nous en apprendre plus sur l’histoire des civilisations et l’apparition de l’agriculture, de l’élevage et des premiers villages.

Plusieurs endroits découverts ont depuis été détruits par les djihadistes, dans ce que l’archéologue de l’Université Laval décrit comme «la plus récente des invasions barbares».

Des gens qu’il a côtoyés sont morts aussi, comme le conservateur de la magnifique cité de Palmyre, Khaled Al-Assad, décapité parce qu’il voulait protéger les lieux.

Ce dernier, «un homme charmant», avait travaillé avec M. Fortin dans le cadre de la très populaire exposition Syrie, terre de civilisations, présentée en 2000 au Musée de la civilisation.

Photo Le Journal de Québec, Annie T Roussel

Découverte fantastique

La dernière fois où M. Fortin a mis les pieds en Syrie, en 2010, son équipe et lui avaient enfin déniché la fameuse cité datant de 5000 ans. Considérée comme un trésor d’archéologie, celle-ci a joué un rôle déterminant dans l’histoire des civilisations.

C’était à Tell’Acharneh, non loin de Damas, la capitale, où une collègue de l’Université de Colombie-Britannique et lui avaient amorcé des fouilles en 1998.

Il s’agissait du dernier défi de M. Fortin avant sa retraite, avait confié cet expert au Journal de Québec, qui l’avait suivi en Syrie pour un reportage, en 2002 (photos ci-dessous).

Il lui aura donc fallu 12 ans pour parvenir à ses fins, grâce à la découverte d’un entrepôt datant de l’âge de bronze (de 3000 à 1000 ans avant Jésus-Christ). Un tel bâtiment était toujours, à cette époque, adjacent à une construction publique d’envergure, tel un palais.

«On ne trouvait rien, on s’évertuait à droite et à gauche, et là, tout à coup, paf, le gros lot: on est tombé exactement au bon endroit. On était si fiers, c’est bien juste si on ne dansait pas de joie», m’a-t-il raconté, assis devant des vitrines remplies d’artefacts ramenés de Tell’Atij à des fins de recherche et qui appartiennent maintenant aux collections de l’Université Laval.

M. Fortin disposait des fonds nécessaires à la poursuite du projet, qui se voulait extrêmement prometteur. Comble de chance, l’entreprise Petro-Canada s’était également manifestée pour du financement supplémentaire.

Adieux obligés

Puis le chaos s’est emparé du pays. L’archéologue a dû retarder son prochain voyage.

Il est vite devenu évident qu’il lui serait impossible de retourner effectuer des fouilles. Quant aux précieuses trouvailles, elles ont sans doute été réduites en fumée depuis, se désole-t-il.

«C’était à verser une larme, car nous avons été interrompus dans un élan de découverte fantastique», déplore M. Fortin, qui siège à de nombreux comités internationaux relatifs à la Syrie.

Aujourd’hui, M. Fortin s’est rendu à l’évidence. Il n’y retournera plus jamais. Sa retraite est proche, et la guerre fait toujours rage. Une bonne dizaine d’années seront nécessaires, ne serait-ce que pour réparer un peu les dégâts.

«J’ai fait une croix dessus. C’est un peu comme perdre un amour et se dire: il faut tourner la page, je vais refaire ma vie», compare l’archéologue, chez qui on sent la blessure très vive.

La situation fait d’autant plus mal lorsqu’on se sent aussi impuissant face à un peuple. Car, avec la disparition de leur patrimoine et de leur culture, comme le fait remarquer M. Fortin, c’est aussi une partie de l’âme de ces gens qui s’envole.

Photo Le Journal de Québec, Annie T Roussel

Sur les traces d’Agatha Christie

Le second mari d’Agatha Christie, Max Mallohan, a effectué pendant plusieurs années des fouilles en Syrie, dans la région où a travaillé Michel Fortin.

La célèbre auteure a également écrit certains de ses romans, dont Meurtre en Mésopotamie et Mort sur le Nil, pendant que son mari effectuait des fouilles auxquelles elle participait d’ailleurs, tant physiquement qu’au niveau du financement.

Il sera question de ces sujets et des liens entre celle que l’on surnommait la Reine du crime et la Syrie lors d’une conférence que présentera M. Fortin le samedi 20 février, au musée Pointe-à-Callière de Montréal.

L’activité s’inscrit dans le cadre d’une exposition sur l’écrivaine dont on m’a dit beaucoup de bien, qui est présentée jusqu’au 17 avril.

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