Crumb magazine 2010 2015

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DIGITAL BOOK

2010-2015

VAMPIRE WEEK-END / METRONOMY / MICHAEL FASSBENDER / IGGY AZALEA / MADLIB / AUSTRA / BERTRAND BURGALAT / SKY FERREIRA / DESTROYER / BUSY P / SÉBASTIEN TELLIER / JAGWAR MA / ALAN MCGEE / DISCLOSURE / HINDS / MØ / HANNI EL KHATIB / JAMES VINCENT MCMORROW / CHVRCHES / SALUT C’EST COOL / ALUNAGEORGE / GRÜNT / DOMINIQUE A / AYO / 1995 / THE DØ / MINA TINDLE / HAIM / FRANZ FERDINAND / LONDON GRAMMAR / ROBI / THE SHOES / STROMAE / YUKSEK / ALT-J / BARBARA CARLOTTI / FOXYGEN / JAIN / ÉMILIE SIMON / RODRIGO AMARANTE / KLUB DES LOOSERS / &… ©Michael Dürr


2016, Crumb magazine © 2010-2015 - www.crumbmagazine.com



Photo de couverture : Anna Francesca (@Body and Soul) photographiée par Michael Dürr Make Up and Hair : Lydia Bredl (Talent Drag), using MAC Cosmectics. Retouche: Katharina Schmalzhofer. Crédits outfits complets en page 307.




ÉDITORIAL

C’est l’histoire de rien, d’une aventure entre amis, d’un projet maladroit, aux milles vies, avec dix-mille envies. Curieux, défectueux, désireux. Un truc improbable, amateur, sans règles, tout-en bricole. Comme un fanzine. Bibelot, profane, inexpérimenté. Un fanzine, voilà, qui nous a porté par delà les rencontres, avec nos énergies, nos ignorances, nos débrouilles astucieuses et toujours dans un manque d’organisation total. C’est l’histoire de cinq années de partage, de rencontres et de textes, qui n’ont jamais eu aucune prétention si ce n’est celle de les faire vivre ailleurs que dans nos poches et nos têtes, en les offrant à d’autres yeux, d’autres personnes. Et vous nous avez suivi. Sans règles. Parfois pour rien, souvent par soutien. Nous n’avons jamais vraiment su pourquoi vous étiez là, témoins, critiques, lecteurs. Et nous ne souhaitons pas savoir pourquoi. Vous avez fait avec nous cette histoire. Simplement. Vous avez été notre plus improbable rencontre. Vous avez assistez aux nôtres. Ce book les remémore. cinq années, nous avons vu le marché de la musique, ses acteurs, son industrie et les En méandres d’internet évoluer, beaucoup de choses changer. Dans ces pages, il y a un peu de tout ça, mélangé. Avec pour témoin, ces rencontres, photos et interviews. Et tous les artistes à qui nous avons donné rendez-vous. Un grand brouhaha, dans des styles divers et irréguliers. Il a fallu faire des choix. Nous avons gardé le meilleur. L’essence même et l’identité de ce qui nous as porté. Nous avons aussi gardé les souvenirs, les lourdeurs, les maladresses, les erreurs. Comme autant de témoignages, de rebonds mal foutus, de traces inégales de ce que ces rencontres ont été. A découvrir derrière ces pages… Lors d’une émission radio étudiante où j’étais invité pour la première année de Crumb, on me demandait « Mais alors, c’est quoi Crumb ? Un magazine ? Un webzine ? Un blog ? ». Alors je répondais, tremblotant : une Aventure. Avec un grand A. Qui nous a fait prendre de nombreuses routes et conduit vers bien d’autres depuis. C’était nous. Des regards, des photos, des mots. C’était 2010-2015. C’était cela. Thomas Carrié


1 fanzine. 1 bande de potes. Anodine.

Tellement d’anecdotes. 400 interviews. 400 rencontres. 1 voyage dans le bayou. 3 bracelets-montres. 123456 mails échangés. Encore beaucoup en attente. Découragé. Contente. Une équipe et ses démons, ses envies, ses abandons. 1 Paris. 1 poisson rouge mort. Des écrits. Des médiators. 54, 000 fans Facebook, 6445 tweets. Des cafés, des Mac book Pro. Imparfaits. Dans le métro. Des regards, des sourires. Le hasard à prédire. Des erreurs. Des concerts. Ca écoeure. Ca espère. Des moments inoubliables. Des souvenirs. Indomptables. Et des rires. 1 site internet. Des fautes d’orthographes. 1 trottinette. Des photographes. Des réunions. Par-ci. Par là. L’agitation qui déboula. Hossegor. Paris. Australie. Rue de Rivoli. Rue Notre-Dame de Nazareth. Des numéros. En .pdf. Comme des vignettes. Des soirées. 1500 personnes. Votre énergie. Qui nous façonne. Nos envies. Nos découvertes. Photographies et pertes. Les images, les partenariats, les chroniques, les festivals. Comme un bal. Les abandons. Les lassitudes. Les questions un peu rudes.


Les réponses. Les succès. Du plaisir. Toujours des soirées. 1 logo. 3 dictaphones. Vertigo. Presque aphones.

Combien de cigarettes ? Combien de rendez-vous ? Aussi, combien de fêtes ? Combien de vous et

nous ? 124536 kilomètres parcourus. A pied, a vélo. En vélib. Dans Paris. Avec Madlib. 1243567 mails échangés avec des attachés de presse, qui nous relancent. Qui nous pressent. 1 stylo Bic 4 couleurs (le noir n’a plus d’encre). 175 shootings. 3897 questions posées. So shocking* pour les 1/4 restées censurées. Tout ça à la fois. Comme cela. En plusieurs, en une fois. Des découragements. Des

encouragements. Des envies. Des amitiés.

Accidentel. Du bonheur. Du bordel.

Dans nos coeurs. Tamponnées. Au

millimètre. Cinq années.

Cinq lettres. Crumb.


Pour ces 5 années, merci.

Collaborateurs et collaboratrices sur la période 2010-2015 : Photos Mathieu César, Julot Bandit, Brice Portolano -et par ordre alphabétique : Tania Alineri, François Berthier, Katrin Braga, Margarita Carteron, Adèle Cany, Kin Chan, Hervé Coutin, Érica Fava, Camille Anne-Louise Gorin, Audrey Lezerman (Blondie), Ophélie Longuépée, Leah Miller, Anouk Nitsche, Katharina Nitzpon, Luca Nocera, Chloé de Nombel, Amel Kerkeni, Pierre & Florent, David Shama, Éléonore de Wismes Textes Irina Aupetit Ionesco, Adrien Petrache, Elen Huynh, Émilie Cochaud, Élisa Benchetrit, Cyrus Goberville, Grace Libissa, Arthur Pillu-Perrier -et par ordre alphabétique : Camille Balenieri, Sandra Barré, Charline Buda, Timothée Chevalier, Juliette Couderc, Mia Dabrowski, Karen Diop, Thibault Guichon, Alfred Jules, Camélia Mohamed, Sarah Piettre, Ugo Ribeiro, Laurène Rimondi, Blandine Rinkel. Merci particulier à : France, Mathieu César, Kitsuné, Ayo, Émilie Butel (merci avec un grand M !), Matthias Labarbe, Because Music, Éric Marjault et Cinq7 pour VICE les premières interviews et pour la confiance, Émilie Quentin, Cécile Legros, Axelle Giraud-Carrier et les équipes d’Atmosphériques (merci pour cette belle aventure), Coralie Kerbellec et les équipes de Polydor France, Anne-Sophie Lambell, Netta Margulies, Excuse My French, Éphélide, Mélissa Phulpin (Mélissa Promotion), les équipes du Pitchfork Music Festival Paris, SUPER !, Anthony Lapoire, Beggars France, Léa Rehnfeldt, Quentin Travade et les équipes de Mercury Records, Amélie Mousset, Tôt Ou Tard, Coline Eberhard, Brigitte Batcave, Maud Pouzin, Judith Giacometti, l’agence WAA, Laurence Alvart, Carine Chevanche, Michele Marcolungo, Believe Digital, Elisabeth Lavarenne, Emma Soriano, Selma Chachia, Record Makers, Quentin Vacheri, Cracki Records, Cooperative Music, Sony Music, Ed Banger Records, PIAS France, les équipes de Phenüm, Richard Dumas, Richard Aujard, Chloé Robineau, Frank Loriou, Florian Mona, Le Divan du Monde, les équipes du Festival de Dour, David Shama, Benjamin Lassalle, Guillaume Fasquelle, Mélissa Tran, Chloé Videau et toutes les équipes Advice/VICE Digital, Jean-Charles de Castelbajac, Marie Christine-Brossard et René Brossard, Gisèle & Krystian Carrié, Garance Rochoux-Moreau, Jean Morel, Adrien Gingold, Marc H’Limi et toutes les équipes de Radio Nova. Nicolas Cassagnes, pour la création du logo CRUMB. Picard-Weiss pour les nuits et les soirées. Lola aussi à (par ordre alphabétique) : Et 1disque1jour, 3è Gauche TV, Aaron, Action Management, ARTE France, Athénée Paris (hôtel), Nina Attal, Alexandre Barbier, Myrtille Beauvert, Yasmine Ben Hamouda, Aurélien Berne, Blundetto, Stéphanie Brossard, Jonathan Brouard, Léonie Brun, Basile de Bure, Christophe Calado, Barbara Carlotti, Willy Cartier, Adrien Casalis, Cascadeur, Mathilde Cerqueira, Victoire de Changy, Marie Chaslin-Folio, François Chevalier, Franck Chevalier, Laura Cieplik, Raphaël Ciofi, Gilles Collard, Maya Coline, Alan Corbel, Jeanne Damas, Darrius, Grégoire Degruel, Lola Delange, Charlotte Deniel, Valerio Dongie, Valériane Dousse, Raphaëlle Dupire, Drug Money, Louise Ebel, Damien Elroy, Faguo Shoes, Moji Farhat, Laura Flament, Victor Flomont, Pauline Franque, Flo&You, Émilien Fresson, Christian Georges, Gabrielle Geppert, Vincent Gigot, Marie Gombeaud, Laetitia Gorsy, Théo Gosselin, Corentin Grange, Nadine Gravelle, Karl Hab, Negar Hooshmand, Isabelle de Hovre, Irma, Malina Ioana, Ji Sun, Justice, Guillaume Kayacan, Alice Kong, Griselle Marie Rosario La Fontaine, Juliette Lamet, Quentin Lanoizelet, Hélène Lecomte, Romain Le Cam, Jérémy Leclerc,Susan Legind, Marion Le Goff, Gilles Lellouche, Leonard de Leonard, Clémentine Lévy, Antoine L.D, Lily Wood & The Prick, Lise, Lizbell Agency, Solweig Lizlow, Gildas Loaec, Chris de Luca, Christophe Lucquin, Aaron Matts, Adeline Mai, Charlotte Mailliez, Charlotte Marcodini, Margounnette, Giacopo Martini, Marion Mazauric, Charlotte Métairie, Alizée Meurisse, Charlotte Mia, MikiX The Cat, Coralie Millou, Meloni Mitchell, Daniele Mitra, Théo Moncassin, Debora Moro, Nadéah, Laurent Nalin, Nobasura, Ncza Lines, Chloé de Nombel, Oscar Montes Oca, Inés Olympe Mercadal, Laura Pallancher, Federica Palotti, Charles Pasi, Alexis Pech, Louis-Marie du Perray, Ysa Pérez, Fabien Pochez,de Ksenia Posadskova, Amaury Poudray, QManagement NY, Tahar Rahim, Tristan Ranx, Rodeo Massacre, Brisa Roché, Joachim Roncin, Markus Rose Baker, Corentin Schieb, Élise Schwartz, Robert Self, Shakespeare & Co (librairie), Marthe Sobczak, Soko, Charlotte Stokes, Street Tease, Sushella Raman, Marie Taillefer, Gabrielle Trapasso, Tristesse Contemporaine, Uffie, Sydney Valette, Anne Vaudoyer, Frédérique Veysset, Nicolas Vidal, Nick Von Hesse, Adèle de Wismes, Young Dreams, Yupeek, John Zoeller. Remerciements en contribution sur la partie architecture : Lola Petit, Le collectif Babel, Charles Bourthoumieux, Florence Bousquet, Aurélien Cavanna, Alexandre Chamelat, Giovanna Maria Fragapane, Fanny Kuhn. Merci enfin à l’ensemble des soutiens et donateurs dont les noms sont reportés par odre alphabétique en page 308 ainsi qu’à nos familles, amis à toutes celles et ceux qui nous ont suivi ou accompagnés de près ou de loin dans cette aventure. et Version diffusion libre à usage non commercial. Note : Certains textes et écrits publiés dans ce book ont pu être adaptés au format et/ou pour des raisons de mise en page. Les publications et textes complets sont à retrouver sur le site internet du magazine et disponibles sur simple demande.

L’ensemble des crédits photographiques et iconographiques de ce book sont répertoriés en page 295.


Fondateur et Rédacteur en Chef Thomas Carrié Coordinatrice éditoriale Laurie Cassagnes Responsable rubrique musique Bastien Internicola Création du logo Nicolas Cassagnes Textes Arièle Bonte, Alice De Jode, Sirius Epron, Patricia Fontenas, Cécile Lienhard, Ariel Carol Novak, Mélodie Ravasi, Maxime Rosenfeld, Gaëlle Simonetti, Brice Bossavie, Anne-Louise Sevaux, Paul Bousquet, Photos Diane Sagnier, Pauline Darley, Maxime Stange, Yann Morisson, Simon Betite Contributeurs réguliers sur la période 2010-2015 : Lola Picard-Weiss, Antoine Semerdjian, Blaise Senti, Jacopo Pojack, Louise Autain, Lucie de Keyser, Mélissa Reverso, Pierre Cavanna, Quentin Monville, Sophie Legrand, Marie Chaslin-Folio, Nicolas Cassagnes, Ludovic Zuili, Alessandro Casagrande, Aurélien Lovalente, Denise Rose Hansen Conception/développement du site Samuel Varoqueaux

Contact hello@crumbmagazine.com


SOMMAIRE

VAMPIRE WEEKEND P.14 / MADLIB (AKA QUASIMOTO) P.18 / SKY FERREIRA P.21 / GRÜNT (JEAN MOREL) P.24 / AUSTRA P.30 / ALUNAGEORGE P.34 / MIRANDA BARNES PORTFOLIO P.37 & P. 183 / METRONOMY 1 & 2 P.42 & P.48 / BERTRAND BURGALAT P.50 / MICHAEL FASSBENDER P.53 / SÉBASTIEN TELLIER P.56 / JUNGLE P.60 / DJANGO DJANGO P.62 / PHILIPPE KATERINE P.64 / BUSY P. P. 68 / IGGY AZALEA P.73 / SALUT C’EST COOL P.76 / JAGWAR MA P.80 / HANNI EL KHATIB P.83 / AYO 1 & 2 P.85 & P. 96 / MAJUNGA MADAGASCAR PORTFOLIO P.88 / MØ P.98 / HINDS P.100 / FOXYGEN P.106 / ÖDLAND P.108 / DOMINIQUE A P.110 / BLEU PORTFOLIO P.114 / THE DO P.120 / SOKO P.122 / BARBARA CARLOTTI P.125 / BERTRAND BELIN P.128 / BØRNS P.131 / ALT-J P. 132 / SUNBATHING WITH MAGGI PORTFOLIO P. 136


/ ZELLA DAY P. 144 / YUKSEK P. 146 / STROMAE P.149 / ELECTRIC GUEST P.153 / THE DODOZ P.154 / THE SHOES P.156 / AMÉLI MONTI PORTFOLIO P.158 / DISCLOSURE P.162 / LONDON GRAMMAR P.167 / KLUB DES LOOSERS P.169 / RODRIGO AMARANTE P.174 / JACKSON SCOTT P.177 / HAÏM P. 180 / MIKAEL PASKALEV P.190 / NATALIE PRASS P.192 / ALAN MCGEE P.196 / ROBI P.199 & P. 202 / GUNTHER LOVE P.204 / DESTROYER P.208 / #GENERATIONBATACLAN P.212 / FRANZ FERDINAND P.220 / CHVRCHES P.223 / PHOTO P.226 / CHARLOTTE OC P.229 / TWIN TWIN P.232 / HOLLYSIZ P.236 / JAIN P.240 / ARAW PORTFOLIO P.243 / ÉMILIE SIMON P.250 / CHARLIE WINSTON P.254 / LA FIANCÉE P.255 / LULU GAINSBOURG P.258 / JAMES VINCENT MCMORROW P.259 / BEN HOWARD P.262 / LES CAHIERS BOARDCULTURE : NIC VON RUPP – CHRISTIAN MCLEOD - PABLO PRIETO – ADRIAN MORRIS P.265 / MINA TINDLE P.276 / 1995 ET LE GARAGE P.278 / TOPS P.282 / UFFIE P.284 / NICOLAS COMMENT P.288 / CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES ET ICONOGRAPHIQUES ET MENTIONS LÉGALES P.295 / END.


Interview publiée le 13 mai 2013 Avouons le, la première écoute de Modern Vampires Of The City, 3ème album de Vampire Weekend, nous avait quelque peu calmé. D’un groupe jeune et bondissant, nous passions à une pop plus complexe chaude, qui n’attendait qu’à se révéler au fil des écoutes. Exit les références africaines, les hululements et d’Ezra Koenig et la fureur des guitares : on a eu peur. C’est avec le temps qu’on a compris ce qu’il se passait dans la tête de ces 4 Américains qui ont vu le succès leur tomber dessus, sans (presque) rien demander. De la vie éreintante des tournées à l’envie de se renouveler en passant par les djembés de Jason Mraz, nous avons décidé d’un peu casser les règles de l’interview en prenant à chaque fois 4 ou 5 mots, parmi lesquels Christopher Tompson (batteur) et Chris Baio (bassiste) piocheraient par préférence et inspiration, pour ensuite parler. Voici donc la trace presque intégrale de la discussion que nous avons eu avec eux. Drôle, et sincère à la fois.

VAMPIRE WEEKEND

Pour commencer, pourriez vous présenter votre partenaire, l’un après l’autre ? Chris Baio : Christopher William Tomson est né le 8 mars (il s’arrête net, ndlr) 6 mars 1984 ! Il vient de l’Upstate New York et a grandi dans une ferme du New Jersey, avec un terrain magnifique et une grange, où certaines des premières démos de Vampire Weekend ont été conçues. C’est un athlète inconditionnel, le meilleur du groupe : peu importe le sport qu’il choisit, il nous bat tous les trois haut la main. C’est quelqu’un que je suis fier d’appeler “ami”. Enfin, c’est un batteur génial et un percussionniste hors pair.

Chris Tomson : Christopher Joseph Baio est né le 29 octobre 1984 (ils se donnent un High-Five parce qu’il a trouvé la date du premier coup, ndlr) c’est le plus jeune membre du groupe. C’est aussi, depuis peu, un homme marié. Il est bassiste et DJ à ses heures perdues. Il a grandi à Westchester NY après avoir déménagé quand il avait 5 ans. Il kiffe la dance music et un peu tout et n’importe quoi, du moment qu’il y a des basses qui démontent tout. Si on vous dit guitare électrique/Djembé/violons ? Tomson : La première chose à laquelle je pense, là, comme ça, c’est Jason Mraz. Il a un joueur de Djembé dans son groupe ! Je ne pense pas avoir joué



Djembé depuis le lycée. Mais où est-ce que je veux en venir ? (Rires). Baio : Violons. C’est l’instrument qui a le son le plus royal, majestueux, avec le clavecin, parmis tous. Sur Modern Vampires Of The City, il y a moins de violon et plus de clavecin que sur les précédents. Je sais que le terme “royal” n’est pas à proprement dit musical, mais on a beaucoup discuté de ce terme, on l’a exploré au sein du groupe, il convient bien. En écoutant l’album, on se rend compte que le son des violons est très bas, presque masqué par le reste des instruments. Pourquoi ? Baio : Rostam et Ariel (qui co-produit l’album, ndlr) sont très méticuleux lorsqu’il s’agit de mixer les morceaux. Ils choisissent précisément l’importance des instruments les uns par rapport aux autres. Certains titres ont été mixés plus de quinze fois ! Ce que j’aime beaucoup avec les cordes de Modern Vampires Of The City c’est qu’il est, la plupart du temps, difficile de deviner s’il s’agit de vrais instruments ou s’ils ont été joués au synthétiseur. C’est ce qui rend cet album unique. On a vu votre prestation sur le plateau de Jimmy Kimmel et on s’est demandait où était le violoncelle… Baio : (Rires) Il y avait un violoncelle ! C’est juste que la caméra ne l’a pas vraiment mis en valeur… Tomson : Il y avait aussi trois cors à côté de moi. Et un violoncelliste, tout seul. En général, à la télévision américaine, si des musiciens accompagnent un groupe, ils sont rarement filmés. Baio : En ce qui concerne les guitares électriques, il y en a aussi très peu sur cet album. À part pour Diane Young. Les habitudes commençaient à s’installer au sein de la formation, et les riffs de guitare hauts perchés, aux motifs africains, qui caractérisent si bien les deux premiers albums avaient été assez exploitées. Nous ne voulions pas nous répéter. Tomson : Les influences africaines sont toujours là, au fond, mais vous en auriez sûrement eu marre si l’on vous sortait un A-Punk II. Baio : Carrément ! Imaginez qu’on écrive un B-Punk, un C-Punk ! (Tomson explose de rire ndlr) Si on vous dit Paris/New-York/Los Angeles/London/Berlin ? Tomson : New York. On y vit tous. C’est là qu’on écrit la majorité des morceaux et où Rostam et Ezra démarrent le processus de création. Par contre, la production s’est faite à Los Angeles avec Ariel, dans un studio. J’ai aussi envie de choisir une ville qui n’est pas dans les propositions. Alors qu’on était à la moitié de l’album, on est allé sur l’île Martha’s Vineyard, près des côtes du Massachusetts pour travailler ensemble. C’est là que la “finalisation” du disque s’est mise en marche. On a rien foutu à Londres par contre.

Baio : Quand même ! Notre maison de disques est làbas. Cela nous mène à y passer un peu de temps, c’est comme une deuxième maison, surtout durant les tournées. Tomson : Pas faux. On a aussi joué à Tokyo pour cet album, et donné quelques interviews japonaises. Berlin. Chris à joué là-bas quelques fois en tant que DJ. Baio : Oui, dans une salle qui devait contenir à peu près quatre-vingt personnes. C’était génial. On a aussi fait des super concerts dans cette ville. Quand savez-vous qu’un morceau est terminé ? Tomson : C’est assez variable. Il est arrivé plusieurs fois, sur différents titres, qu’on ait un morceau qui aurait pu être laissé tel quel. Pourtant, il manquait quelque chose. La solution, en général, c’était d’en retirer certains éléments, certaines couches, pour les rendre plus intéressants.

Discussions formelles/discussions en soirée/tristesse/mélancolie/solitude ? Tomson : Nous avons une discussion formelle, en ce moment, assis dans des beaux fauteuils, à côté de vieux tableaux, dans une chambre d’hôtel rouge.

Baio : Pour les discussions en soirée, j’imagine un cercle, avec des amis et des verres en plastique rouge ou bleu, comme dans toutes les fêtes américaines. Je pense à la fac, à l’idée de se socialiser. Cela semble être un rituel. Je pense aussi à la mélancolie, à la solitude : entre le premier album et la fin de la tournée de Contra (leur deuxième album, ndlr), on n’a pas arrêté une seconde. À chaque moment du jour ou de la nuit, on savait où l’on serait le lendemain, avec un emploi du temps parfaitement orchestré et des gens qui s’assuraient qu’on le respecte. On a vieilli de quatre ans d’un coup et le break qu’on a pris il y a deux ans nous a fait du bien. Après ce mouvement incessant, le fait de se retrouver sans rien faire, sans but précis, de pouvoir rester dans son lit pendant deux semaines, n’en sortir que pour se nourrir, histoire de rester en vie, a quelque chose de profondément mélancolique. La solitude et la tristesse pouvaient se faire ressentir dans de tels moments. Je pense d’ailleurs que la plupart des musiciens doivent se sentir ainsi lorsqu’ils terminent leurs tournées, à moins qu’ils n’enchaînent directement sur un autre projet. Cela se produit très certainement pour tous les artistes en général, en achevant un roman ou un film. C’est important, pour que le processus de création fonctionne. Vous voyez vos amis/votre famille pendant les tournées ? Tomson : On garde contact avec notre famille et nos amis bien sûr, grâce à internet. Mais le fait de partir un mois, revenir, repartir, cela nous fait rater des trucs, c’est normal. On le savait de toute manière. moments du quotidien que l’on


À l’opposé de la solitude et de la mélancolie, c’est aussi agréable et indispensable de se reposer pour la création du nouvel album. Ce nouvel album est clairement plus sombre que les précédents… Tomson : Il y a plusieurs atmosphères qui se dégagent des morceaux. D’abord, du Romantisme, avec un R majuscule, au niveau des textes. Par contre, je suis le seul à avoir rompu avec quelqu’un, et je ne pense pas que cela ait influencé les textes. Mais au cas où vous vous feriez du souci : je vais bien ! J’ai d’ailleurs une autre copine depuis (Rires). Procrastination/Perfection/Recherche/Obsession ?

Tomson : Toutes ces choses arrivent, sur tous les albums. L’essentiel c’est qu’il faut faire en sorte qu’elles soient faites de manière équilibrée. Cela rejoint votre question sur le fait de savoir quand un morceau est terminé. On a cherché la perfection du mieux qu’on pouvait. On a aussi procrastiné, c’est certain. Tous ces mots sont reliés, d’une certaine manière, même si chacun d’entre eux mène à des résultats différents. Pour nous, cela a mené à ce nouvel album et l’on espère que c’est réussi.

Propos reccueillis par Bastien Internicola Traduction : Bastien Internicola & Brice Bossavie Photos : XL Recordings ©



Interview publiée le 18 mars 2014 Figure de proue du prestigieux label américain Stones Throw et roi indétrônable de l’abstract hip-hop, on sait peu de choses sur Madlib. Très discret et peu présent sur scène, le “Loop Digga” est surtout connu pour s’enfermer des semaines entières dans son “bunker”, passant le plus clair de son temps à écouter des disques, chercher des boucles et faire des beats. Alors que sort aujourd’hui Piñata, en collaboration avec Freddie Gibbs, voici l’interview qu’il nous a accordée lors de sa dernière venue à Paris.

MADLIB AKA QUASIMOTO

Pourrais-tu te présenter rapidement ? Mon nom est Madlib, aussi connu sous le pseudonyme de Quasimoto. Je suis principalement producteur. J’ai travaillé avec J Dilla, MF Doom, Talib Kweli, Guilty Simpson, Freddie Gibbs… Comment est né ce personnage de Quasimoto, ton alter ego ? J’ai surtout créé Quasimoto car je n’aime pas ma voix quand je rappe. J’ai commencé à faire quelques expérimentations en fumant des joints et en mangeant des champignons, tu vois ce que je veux dire ? (Rires). J’ai essayé de trouver une alternative et c’est comme ça que Lord Quas est né. Je voulais aussi créer un personnage à qui je pouvais faire dire tout ce que je voulais et faire des boucles avec n’importe quel type de musique. C’est Jeff Jank (le directeur artistique de Stonesthrow, ndlr) qui l’a dessiné.

Sa première apparition, c’était sur un skit de Lootpack, 20 Questions et c’était bien avant la sortie de The Unseen, en fait il existe depuis longtemps ! Ouais effectivement, je commençais à peine à bosser sur le projet Quasimoto à l’époque. The Unseen n’est sorti que cinq ans plus tard. C’est prévu que l’animal reprenne du service bientôt avec de nouveaux titres ? Le dernier Quasimoto en date, Yessir Whatever, était juste une compilation d’inédits et de raretés qui ne figuraient que sur des vinyles qui ne sont plus édités. Pour répondre à ta question, j’ai pas mal travaillé sur un nouveau Quasimoto ces derniers temps, mais c’est loin d’être terminé. MF Doom arrive dans le hall de l’hôtel, visiblement il décuve encore :


Madlib : Supa ! MF Doom : (Rires) Madlib : Encore bourré ! MF Doom : Je crois que je vais retourner me coucher ! Madlib : Dit-il en se dirigeant vers le bar ! (Rires) On était sur scène toute la nuit à Londres, nous n’avons presque pas dormi ! Il parait que Mos Def était là aussi. Ouais c’était vraiment cool ! On travaille sur un album ensemble en ce moment, ça avance vraiment bien ! Et dans l’immédiat, c’est quoi ton actualité ? Le dernier album que j’ai sorti c’était Rock Konducta qui fait partie de la série des Beat Konducta. Sinon le prochain à paraître, c’est celui avec Freddie Gibbs, Piñata. Après j’ai beaucoup d’autres albums qui sont terminés mais aucune date de sortie pour l’instant. Tu peux nous parler un peu de tes parents, de la façon dont ils t’ont initié à la musique ? Mon père était chanteur de soul dans les années 60, il faisait partie du groupe Otis Jackson & The Compromisers. Quand j’étais petit, il m’emmenait avec lui dans son studio et me laissait toucher à tout, je passais beaucoup de temps à le regarder travailler. C’est comme ça que je suis tombé amoureux de la musique et que j’ai appris la production. Il avait aussi une énorme collection de vinyles, mon frère et moi on passait des journées entières à les écouter. Toute ma famille est dans la musique. Ma mère écrivait les chansons de mon père, mon oncle Jon Faddis était trompettiste de jazz et mon frère Oh No fait la même chose que moi. En parlant de ton frère, vous allez faire un album ensemble un jour ? C’est déjà fait ! Je ne sais pas quand il sortira mais il est terminé depuis un bon moment ! Tu écoutes énormément de musique et tu en produis tellement que c’est un peu difficile de te suivre, comment trouves-tu le temps de tout faire ? Ça t’arrive de dormir ? Ça m’arrive ! (Rires). J’aime la musique tout simplement, tu vois ce que je veux dire ? Je peux bosser des semaines entières sans presque jamais m’arrêter, puis je fais un break de quelques mois. Je produis tellement de musique en une journée que je peux ne pas enregistrer pendant une semaine entière, des mois… J’ai toujours fonctionné comme ça. Quand j’étais plus jeune, mes potes allaient jouer au basket et moi je m’enfermais dans ma chambre pour faire de la musique, c’est ce que j’ai toujours fait ! Parle-nous un peu de ta façon de faire, de l’équipement avec lequel tu travailles. Je n’ai pas vraiment de processus. Parfois je peux utiliser deux CDJ et faire un beat. Je travaille très peu sur ordinateur mais il m’arrive de faire des beats sur mon iPad. J’utilise essentiellement un équipement très cheap, des claviers et des samplers, je ne suis pas trop attiré par tout ce qui est hi-tech. Tu peux utiliser

plein de machines différentes et pourtant faire toujours la même chose… Ta discographie est particulièrement éclectique, tu produis du hip-hop, du jazz, de la soul, tu as même mixé du reggae sur Blunted in The Bomb Shelter, comment définirais-tu ton design sonore ? Quelle est sa principale caractéristique ? “My Soul, my blue Soul” ! J’aime rester dans le vague et travailler de manière instinctive, je ne suis vraiment pas du genre à polir un beat jusqu’à ce qu’il soit parfait. Une fois que c’est terminé je passe à autre chose, je ne reviens jamais dessus. A certains moments je peux travailler sur dix albums en même temps, alors je ne perds pas de temps avec tout ça. Vous en êtes où avec Doom sur le prochain Madvillain, ça avance bien ? Ouais l’album est presque fini, on a déjà 13 titres. Il se tourne vers MF Doom qui est accoudé au bar et qui entame une autre bière : Madlib : Ah merde, il reste plus qu’une bière (Rires). MF Doom : Aujourd’hui je commence tôt, tchin tchin ! Comment décrirais-tu ta relation avec Peanut Butter Wolf, le fondateur de Stones Throw ? On est potes depuis très longtemps. Je suis le premier artiste qu’il a signé sur Stones Throw. Mon père avait sorti le premier EP de Lootpack, Pysche Move, sur son label Crate’s Digger Palace. Il l’a fait écouté à Wolf qui a tout de suite adoré et qui nous a immédiatement signés, juste en écoutant l’album. Après tout s’est enchaîné très vite : il a déménagé en Californie. Egon et moi avons emménagé dans sa maison où l’on a vécu cinq ou six ans avec Jeff Jank aussi. Je suis resté là-bas aussi longtemps car j’avais vraiment une grande liberté, je pouvais faire ce que je voulais quand je voulais, tout en gagnant de l’argent. Changeons de registre, pourrais-tu nous parler un peu de tes goûts cinématographiques ? J’aime beaucoup les vieux films de la Blaxploitation et les films de science-fiction. Mon réalisateur préféré est sans hésiter Melvin Van Peebles, sans doute parce que ses films sont aussi bizarres que ma musique (rires) ! C’est à travers ses films que j’ai découverts les bandes originales. Je les ai beaucoup samplées pour les Quasimoto. Pour finir une question pas simple : selon toi quelle est l’essence du hip-hop ? Difficile à dire mais en tout cas je pense que ce qui est fondamental, c’est d’être le plus honnête possible avec toi-même, de ne pas être faux et d’essayer d’absorber les quatre éléments, tu vois ce que je veux dire ?

Propos recueillis par Maxime Rosenfeld Photographies : Simon Betite, pour Crumb magazine


SKY FERREIRA Rencontre/texte publiée le 17 mars 2014

Je devais rencontrer Sky Ferreira la semaine du 7 mars. Mais sa blessure à la jambe droite, qu’elle s’est infligée lors de sa première date en ouverture du Bangerz Tour de Miley Cyrus, s’est infectée. Impossibilité de prendre l’avion. L’interview a donc été repoussée à la semaine suivante, bousculant l’emploi du temps de la jeune artiste. Alors qu’il était convenu d’un entretien de trente minutes, j’hérite finalement de quinze petites minutes en compagnie d’une Sky discrète, la mine un peu fatiguée, mais disponible et surtout, honnête. Sky Ferreira est assise sur un fauteuil d’une chambre du W Hotel, à deux pas de l’Opéra Garnier, à Paris. La pièce a été vidée de ses meubles. Une grande baie vitrée donne sur les rues de la capitale, jetant dans la pièce une lumière chaude et claire. Elle est vêtue d’une parka verte et chaussée de grosses boots noires, comme si c’était encore l’hiver. Un jean boyfriend cache partiellement un bandage autour de sa jambe droite. Un brin déglinguée, légèrement maquillée, elle pianote sur son téléphone. J’ai découvert Sky Ferreira lorsqu’elle posait pour nos confrères du magazine Jalouse en juin 2010 à l’occasion du Jalouse Rocks Paris festival, une de ses premières scènes, aux côtés de We Have Band, The Drums ou encore I Blame Coco. Sky Ferreira y apparaissait comme une gamine aux airs de Lolita avec ses longues boucles blondes et sa pop bubblegum. Cette adolescente m’a tout de suite paru volontaire et différente des autres starlettes de l’époque. Son compte Facebook, alimenté de ses pensées de passage, était d’une honnêteté assez

inédite. Quelques 20 000 personnes likaient la page, certains la suivaient depuis l’époque Myspace (le site qui lui a permis d’être produite par BloodShy & Avant, les producteurs du Toxic de Britney Spears, ndlr). Presque quatre ans plus tard, plus de 290 000 personnes suivent Sky Ferreira sur le réseau social, et peuvent enfin écouter son premier album, Night Time, My Time qui sort ce jour en France. Il a été enregistré en trois semaines avec la complicité d’Ariel Rechtshaid et Justin Raisen. Le résultat pour Sky Ferreira d’une longue bataille avec son label. “J’ai commencé très jeune. Je n’avais pas les bonnes personnes autour de moi et elles ne cherchaient pas à m’aider ou à faire valoir mes intérêts. Je devais constamment me battre contre des gens avec un ego et du pouvoir. Dans le label, le principal problème était que chaque personne voulait que je sois quelqu’un de différent. Ils désiraient beaucoup de choses mais ils ne voulaient pas me laisser être moi-même.” Après deux EPs, As if en 2011, et Ghost, l’année suivante, Sky Ferreira explique que son label avait perdu de l’intérêt pour elle, mais qu’il fallait tout de même sortir un album. “Capitol a posé une deadline et m’a dit “nous avons besoin d’un album dans trois semaines” ou quatre semaines, quelque chose comme cela. Il y avait déjà un album de prêt mais je sentais que j’avais beaucoup plus en moi que ce qui était prévu. Donc nous sommes allés en studio avec Justin et Ariel, et nous avons écrit ce qui représente la moitié de Night Time, My Time pendant ces trois semaines.” Durant cette période intensive de studio, naissent les titres I Blame Myself, Heavy Metal Heart,


Nobody Asked Me, Omanko, Kristine et enfin Night Time, My Time. Des morceaux incisifs, sombres et intimes, qui reflètent cette tension entre le label et la jeune artiste. “Aujourd’hui, mes relations avec le label sont meilleures, surtout depuis que j’ai un nouveau management. Mais je ne suis pas une personne difficile, j’ai seulement un point de vue sur ce que je veux faire. Je ne voulais pas mentir aux gens. Si j’avais voulu sortir un album que je jugeais pas mal et seulement pas mal, j’aurais sorti la première version.” La suite, Sky Ferreira en est elle-même étonnée : “Depuis que Night Time, My Time est sorti, certaines personnes ont commencé à changer la perception qu’elles avaient de moi. Je ne m’attendais pas à certaines réactions ! Et j’ai enfin trouvé un manager qui est dans la mesure de dire que je n’ai pas à complètement changer pour avoir du succès.” Lorsque Sky Ferreira prend la parole, elle choisit ses mots. Parle lentement. Hache ses phrases tout en évitant de regarder son interlocuteur trop souvent dans les yeux. Elle scrute la fenêtre, laissant transparaître une personnalité réservée. Mais ce qui ressort de cet échange, c’est à quel point elle reste fidèle à elle-même. Elle n’hésite pas à prendre la parole pour dénoncer un discours indécent à son égard, sur internet principalement. “Ma carrière a commencé quand j’avais 15 ans grâce à Internet. J’étais très jeune, dans cette période où l’on a peu confiance en soi. Bien sûr, j’essaie de ne pas faire attention à ce que disent les gens, mais on veut toujours que les autres nous aiment bien, et non qu’ils nous détestent. Je n’ai jamais rien fait pour qu’on me traite comme cela ou que l’on parle de moi de cette façon. Aujourd’hui, ce genre de personnes ne représente pour moi que des gens derrière des écrans d’ordinateurs. Rien d’autre.” Victime de propos haineux, Sky Ferreira se défend directement sur Facebook où elle a écrit la semaine dernière un message pour dénoncer la violence des propos qu’elle reçoit. “Ce que j’ai écrit sur Facebook, ce n’est pas à propos des haters, des trolls, c’est seulement à propos d’humanité. Si tu as agresses sexuellement quelqu’un via un clavier, cela revient au même que d’avoir l’intention de le faire en vrai. Alors que la plupart des gens ne diraient jamais ce genre de choses dans la vie. Les filles peuvent particulièrement être très violentes et écœurantes. Tu peux regarder ce que certaines disent sur Lana Del Rey ou Miley Cyrus, cela peut faire peur parfois. Je reçois également ce type de commentaires et cela a toujours été le cas. J’essaie de les ignorer pour ne pas leur donner de crédit. Ce que j’ai écrit sur Facebook, c’était plus une pensée que j’ai eu au milieu de la nuit qu’un message à proprement parler. J’ai eu beaucoup de retours positifs. C’était la première fois qu’une telle chose m’arrivait ! Mais ce qui me contrarie aussi, c’est qu’un message de ce type, écrit par une femme, est considéré comme une rébellion. Alors que si cela avait été écrit par une rock star, il aurait été considéré comme quelque chose de cool.” Elle pointe alors le problème du sexisme dans l’industrie musicale. “De mon expérience personnelle, les gens ont été

sexistes. Mais je suis sûre que les mecs sont aussi victimes de cela, comme Justin Bieber, par exemple qui a dû faire face à des insultes.” La tête sur les épaules, Sky Ferreira donne sa vision de la pop music et du climat de compétition qui règne entre les artistes féminines : “On est constamment comparées les unes aux autres, ou présentées comme étant la nouvelle version d’une fille qui a sorti un titre le mois d’avant. La compétition n’est pas forcément une mauvaise chose, mais je ne pense pas que l’on devrait se mettre des bâtons dans les roues. Tenir publiquement des propos contre une autre fille ne fait qu’empirer les choses. Les gens trouvent cela divertissant, mais nous n’avons pas besoin de négativité.” Elle évoque alors son amitié avec Miley Cyrus qui lui a offert la première partie de sa tournée : “Si on s’entend bien Miley et moi, je pense que c’est parce que nous ne sommes pas en compétition et nous faisons ce que nous avons envie de faire.” En attendant mon tour pour l’interview, je patientais dans le living-room de l’hôtel. Un magazine était posé sur la table basse en face de moi. En le feuilletant, je suis tombée sur une photographie de Sky Ferreira illustrant une interview de la jeune photographe canadienne, Petra Collins qui revendique ses idées et valeurs féministes. Des idées que partagent Sky Ferreira : “Je me considère comme une féministe. Même s’il y a toujours un stéréotype négatif quand on parle de féminisme. Il se passe beaucoup de choses. Il faut faire entendre notre voix.” Le 10 mars dernier, Sky Ferreira a écrit sur son compte Facebook : “ I almost wrote “fuck the media” until I realized that’s all I’ll be doing for the 12 hours today.” Elle s’explique librement sur le sujet : “Certains médias essaient de manipuler mon image ou de manipuler les mots que je dis pour les rendre plus divertissants pour les personnes qui vont ensuite les lire. Les gens ont la possibilité de changer tout ce qu’ils veulent. Je dois constamment me défendre alors que les interviews sont l’occasion, à mon sens, de connaître les artistes, de savoir ce qu’ils pensent et ce qu’ils font plutôt que d’essayer de les faire se disputer avec vous. J’ai l’impression que cela arrive beaucoup.” L’interview est sur le point de se terminer. Juste le temps d’évoquer le passage de Sky Ferreira au Nouveau Casino, à Paris, à la fin du mois de janvier : “On devait faire une reprise mais on n’a finalement pas eu le temps de la préparer.” Et pour le dernier morceau avorté de la setlist, Gurl You Gotta Party ? Elle réfléchit une seconde, puis éclate de rire : “C’était une blague ! Pour la personne qui aura la setlist, qu’elle se demande “mais quelle est cette chanson ? Je ne la connais pas !”.”

Texte et propos reccueillis par Alice de Jode



GRÜNT JEAN MOREL Interview publiée le 18 février 2013


G pour Grünt et pour engaGé. Acteur principal de la scène rap underground parisienne mais aussi angegardien de l’état d’esprit hip-hop parfois malmené, Grünt est une “nébuleuse culturelle”, partenaire de Radio Nova, qui surprend par son ambition, étonne par son énergie et séduit par sa modestie. Dans une tension créative entre lyrisme éloquent et réalité urbaine, Jean Morel, tête pensante à lunettes du projet discute dans son rade préféré. Une langue débridée et une passion intelligente qui soulèvent une réflexion sur l’évolution du journalisme d’aujourd’hui, son rôle et le statut de ses acteurs. Optimiste, Grünt nous offre un départ direct vers une presse engagée dans son essence meme : son audience. T’inquiètes pas, tu vas vite saisir…

Si personne n’arrive à définir Grünt, toi tu y arrives ? Grünt c’est un tel bordel que je me force à théoriser au minimum. C’est un projet en cours, ce qui sous entend que la forme n’est même pas définie pour nous. Par exemple, pour confronter la culture rap à la culture dominante, notre dernière idée a été de demander à des Normaliens en Lettres de commenter des textes de rap, comme si c’était un examen de BAC. Le terme vague de « nébuleuse » permet d’avoir l’espace de prendre des nouvelles directions et de surprendre notre public. Je n’ai jamais voulu considérer Grünt comme un unique format vidéo. Sans prétention, j’essaye d’élever le niveau. Dès la naissance de Grünt l’auditeur pouvait t’entendre dire : “Nous avons pour ambition de mettre en avant la créativité d’aujourd’hui puisque celle-ci n’est plus assurée par les formats vieillissants”. Tu restes sur cette position aujourd’hui ? Je le crois toujours mais j’ai commencé à être moins vindicatif. Grâce à l’expérience Grünt, je mesure mon propos maintenant. Comme je me rends compte que Grünt me fait vraiment vibrer, j’aimerais bien qu’il y ait un de ces grands médias là qui ait l’intelligence de comprendre l’ambition qui est la notre à savoir une culture présentée comme telle, brute, sans altération de forme imputée par un format classique. Du coup, jamais Grünt ne modifiera son format journalistique parce que ça représente notre innovation et notre état d’esprit. Alors un média comme Radio Nova joue quel rôle dans l’aventure Grünt ? Nova nous sert et nous apporte énormément, grâce à son image et son rayonnement. Sans rien avoir inventé, j’ai plaisir à pouvoir me dire que nous avons réinstauré au sein de Nova un format mis en place par Dee Nasty. Je cherche à faire réapparaître l’esprit authentique du hiphop. C’est marrant de voir qu’on a pu avec Adrien Gingold (aka Gingoldescu, ami de Crumb et Responsable Éditorial de Novaplanet, ndlr) réutiliser le format free-style que Nova avait la première mis à l’antenne, le seul format qui vaille pour le hiphop. Et puis Nova est pour moi la seule radio qui a toute sa légitimité, la seule dans laquelle je me ressens en terme d’historicité du hiphop. De toute façon aujourd’hui j’ai le meilleur partenariat du monde, c’est le Saint Graal.

Ton expérience chez Nova a probablement fait évoluer ta vision du journalisme… Tel que moi je veux le pratiquer c’est une passion, après tel que je le perçois autour de moi c’est quelque chose qui a été dévoyé au fil du temps. Je pense qu’il existe deux types de journalisme. Celui d’investigation et l’autre qui est en cours de mutation. Plus par l’accélération de la nouveauté que par la volonté même des journalistes, d’ailleurs. On n’a plus le temps de creuser suffisamment. La politique est celle de l’exclusivité, surtout dans le milieu culturel. Avec les blogs, là où j’ai commencé, tu fais une chasse à la nouveauté parfois au détriment de la qualité. C’est la logique de Google, premier à citer, premier à être référencé, et c’est à partir de là que commence l’influence de ta plateforme. C’est ce qui t’a amené à changer de format ? Exactement ! Ce nouveau format nous permet de proposer un contenu plus poussé et plus exclusif sur la toile. En fait ce n’est pas complètement nouveau puisque le free-style hiphop existe depuis toujours mais le fait qu’il soit filmé en appartement et dure assez longtemps (30-40min, ndlr) marque la différence. Ca permet à l’auditeur d’avoir le temps de plonger dans le délire. Dans le contenu journalistique pur, j’essaie de creuser pour éviter le « Est ce que t’aime bien les « bitches » et l’argent ? ». Je me tourne vers l’aspect technique du rap, le rapport à l’écriture, au son, à l’esprit de collectif. A côté de ça, quand un rappeur est invité par un grand média, on lui pose une question minable sur la société et jamais sur son Art en lui-même. J’avais envie d’aborder le sujet avec qualité, c’est la seule chose qui peut nous permettre de nous démarquer depuis que tout le monde peut écrire sur le net. Au début de Grünt on avait le droit à des articles engagés sur la place et l’histoire du hiphop. Maintenant Grünt se concentre sur le format vidéo. Pour quelles raison cette évolution ? Je n’arrive pas à trouver un format satisfaisant à l’écrit. J’ai trop envie que ça soit précis, irréprochable parce qu’il y en a beaucoup qui écrivent sur le hiphop et il faut que cela reste accessible, pédagogue, divertissant. J’ai le sentiment que dans mes interviews vidéo/radio, je suis autant pointu qu’à l’écrit. En même temps je viens de découvrir le format radio. Après


avoir bégayé au commencement, je me plais bien sur ce format. A l’oral, il y a ce moyen de rentrer en contact avec le rappeur à travers le langage. Tu peux rebondir sur ce que te dis l’autre. Alors que l’écrit est plus rigide. Au final, c’est cela que permet Internet, être multi formats. La vidéo, elle, c’est un concert à emporter, une performance live devant ton ordi donc ça attire. Malgré tout, l’écrit reste ma source principale de donnée mais le plaisir que je trouve dans l’échange de l’interview est une belle découverte. Vers un retour à l’écriture ? Idéalement j’aimerais bien sortir un petit bouquin, un projet de plus grande envergure, du genre essai. Je n’ai pas envie de faire un truc à la va-vite et qui n’a que peu de sens, j’ai envie de me fixer un mois pour sortir un produit fini dont je suis fier. C’est peut être aussi que je ne pense pas avoir une plume de ouf, que j’ai peur de l’écriture… Dans tout ça, la thune elle sort d’où ? Ahah. Dis moi si t’as une solution ! Pour l’instant on cherche à réussir à avoir notre propre matos et à ne plus l’emprunter à droite à gauche. On pourrait envisager des partenariats, mais est ce que j’ai envie d’être aliéné à une marque ? Surtout pas. Là je suis libre, je garde la qualité. Au fond je sais pertinemment que je ne gagnerais jamais ma vie avec Grünt. Après le rêve d’avoir une structure avec des potes est toujours là… Dans ce cas là, pour quelles raisons Grünt prend un rôle sur la scène culturelle ? Pour le lüv (rires) ! Partager, rencontrer des passionnés dans la rue qui te félicitent ça vaut toutes les mailles de la terre. Savoir qu’il y a des accrocs à Grünt, aussi. On a commencé par passion et continué en étant surpris du soutien. En retour j’aimerais que notre public nous prévienne si jamais on commence à déconner. Nous n’avons pas envie de finir avec de la merde dans les mains à 55 balais. Pour l’instant, toujours pas de haters. Étonnant ! Ensuite, parce que je pense qu’on est en mission. Avec la petite ampleur qu’on a prise, on commence à avoir un rôle à jouer. A présent, Grünt a pour mission de nettoyer ce que nous n’aimons pas dans le journalisme. Si on continue à fédérer autour de notre mouvance alors on pourra trouver notre place. Là on va commencer à rigoler parce qu’il y aura des gens méritant. On fait un second ORTF en imposant uniquement du rap underground ! (Rires)

survivre alors là tu gagnes. Mais ce sont des exemples minoritaires… Après ça, tu te demandes comment NRJ fait les plus gros scores ? Il y a un tel formatage, ça crée un tel instinct grégaire, c’est incompréhensible. CRUMB est intéressant parce qu’on est à un moment où toutes les cartes sont entrain d’être redistribuées. On va voir comment une presse de qualité avec un état d’esprit est accueillie par le grand public. Autour de nous, à part CRUMB je ne vois aucun organe de presse récent qui obéit à ce schéma là. C’est pour ça, chapeau CRUMB ! Vous êtes une belle histoire avec une équipe passionnée qui taffe. Grünt ça n’a rien à voir, on est encore une micro-niche. Mais c’est ce qui fait notre identité aussi. Seule la passion a de l’importance… On n’a jamais fait 1euros avec Grünt sans le réinvestir. Tout le matos est emprunté. Si on monétisait notre chaine YouTube on se ferait 30euros par mois, ce serait de la folie ! Faut réinventer l’espace où tu te fais de l’argent. C’est pour ça que Grünt je ne l’incarne pas complètement, j’essaie aussi d’en faire une image de marque, un label de qualité qui évoque un état d’esprit. Il n’y a qu’avec ça qu’aujourd’hui que je peux espérer faire ma vie. Est ce que la presse numérique est condamnée à cette limite d’audience et d’argent ? Il ne faut plus miser, contrairement à Rue89, qui a d’ailleurs été racheté, uniquement sur le contenu presse. Si tu arrives à avoir une image, un état d’esprit, une idée de valeur assez forte, c’est à partir de cela que tu peux espérer des revenus. Grünt y arrivera seulement par la diversification, organiser des soirées open-mic et se faire un peu de mailles sur les bières. Voilà où se fait l’argent de la presse : l’événementiel. Arrêtons de croire que vous allez vendre du contenu ! En même temps CRUMB à une vrai fanbase. C’est pour ça que votre projet m’intéresse, c’est un vrai pari.

Avec une telle fédération tu dépasses la simple dimension de journalisme. Moi c’est facile je fais que du culturel mais quand tu veux faire de l’info ça devient plus compliqué.

Justement quel est l’état d’esprit Grünt ? C’est le “Do It Yourself”, un peu comme vous. C’est vendre des sweats par chers, c’est discuter de manières de penser autour d’une bière. Je vis Grünt comme une famille qui bosse tous ensemble parce qu’on a besoin du public pour réussir. Je suis dans l’échange plus que dans une position dominante. Cette idée participative, ça fait plaisir : le public partage les free-styles, propose son matériel. Il fait notre force. C’était marrant aussi j’ai eu des mecs qui me demandaient de faire un stage chez Grünt. Si tu veux on peut aller faire un plat de pâtes ensemble c’est tout ce que je peux te proposer (rires) !

Les lecteurs du Canard Enchainé pensent que leur journal est la seule source de scoop. Ceux qui ont réussi leur business model de ce point de vue là c’est Médiapart. Déjà ils sont indépendants, ce qui brise la méfiance du public et en plus ils se basent sur le soutien des abonnés. Quand tu réussi à faire comprendre à ta fanbase que sans eux tu ne peux

Comment tu définis les valeurs identitaires de Grünt ? Jamais avec Grünt on ne « vendra notre boule » pour reprendre une ligne assez récurrente du Hip Hop. Ne pas mettre de publicités au début de nos vidéos, c’est pour nous capital. Je ne fais pas cela pour percer, pour l’argent ou la célébrité. D’ailleurs je n’aime pas trop montrer ma gueule. Nous les journalistes, nous


ne sommes que les facteurs. Ce sont les artistes qui écrivent le courrier. Grünt est un médium entre le public et les artistes. Ce sont eux qui ont le talent alors je ne vais pas revendiquer quoi que ce soit. Quand j’aurais analysé suffisamment pour faire en sorte qu’on puisse comprendre la mesure de leur talent, alors j’aurais réussi ma mission de journaliste. Je ne vais pas ramener une star juste pour faire du clic. En revanche, là avec le Süre Mesure 2 on arrive à mettre en face l’Entourage, le collectif qui fait le plus de buzz actuellement, et Rocé et Khondo qui représentent l’Age d’Or du rap français. Sans ce mélange de générations et de popularités, certains jeunes d’aujourd’hui n’auraient pas découvert ces figures essentielles. Je ne revendique pas une érudition mais il faut assumer qu’il y a une histoire du rap qui permet de comprendre ce qui se fait aujourd’hui. Les rappeurs d’aujourd’hui respectent l’héritage des anciens et nous on veut faire passer ça du côté du public. Donc si j’ai bien compris t’es le genre de personnalité qui écoute Skyrock et NRJ ? Ces radios sont le cancer de la musique ! Quand tu penses que la loi sur la radio de 1981 stipule qu’on a le droit de passer la musique qu’on veut ! Dans ces radios il y a des professionnels payés pour créer une playlist type qui concentre des tubes façonnés comme tels, tout un système où les morceaux qui marchent le mieux s’échangent entre les radios. Par conséquent, 95% des radios s’échangent 20 morceaux à partir de cette sélection. Pourquoi chercher la nouveauté si les gens s’enthousiasment toujours avec la même chose ? Ca c’est la pensée des grandes radios. Elles ont abandonné leur mission première : la découverte C’est de la musique imposée et non pas sélectionnée. Ils devraient payer un programmateur, ça couterait moins cher ! On a l’impression de marcher à l’envers ! Au cœur même de la signature grüntienne se trouve une hybridité du langage entre langage écrit et oralité. C’est ce qui permet à l’ovni Grünt d’être repéré ? T’es chiant en fait comme mec (rires) ! T’es trop est tatillon, je suis oblige de réfléchir. C’est vrai on a mis en place une création identitaire. Je me suis amusé à accaparer le langage des gens que je rencontre, un argot que je peux maitriser par la suite. Jongler entre l’aspect populaire du rap et l’intellectualisation de la production sans en faire trop, c’est ce que j’espère avoir réussi de faire avec le ton de Grünt. « Rapper » est devenu « kicker » dans ma tête. Mon identité hybride entre études littéraires et amour du hiphop dessine l’identité de Grünt ! Les rencontres ont donc principalement fait évoluer ton expérience journalistique ? A force de côtoyer des gens et de faire des rencontres, celles-ci m’ouvrent les yeux sur la façon authentique dont il faut traiter le sujet, oui. Aujourd’hui, grâce à ces rencontres j’arrive à parler rap sans mon jargon d’étudiant de prépa littéraire. L’oralité a cette

qualité d’être humain, vivant. Je parle avec leurs propres termes, je suis dans leur perception de leur Art. C’est cela aussi le but du journaliste. Il ne s’agit pas de calquer un schéma de connaissance pré-établi mais de partager un rapport, une vision de la culture. Ca permet à ceux que j’interviewe d’avoir le sentiment de pouvoir se livrer dans le but de creuser ensemble. Faut trouver le juste équilibre pour arriver à les sortir de leur monde et à chercher un pourquoi. Je les mets en confiance tout en les tirant vers de la qualité. Enfin, je l’espère. Ce que j’aime, c’est quand je pose une question auquel l’auteur n’avait jamais pensé. Ca c’est pour moi du journalisme. Le fait que je parle de l’aspect technique de leur production revalorise leur Art, leur rend hommage. Si j’arrive à insérer cette petite connerie alors je serai content de mon travail. Le but du journalisme, pour moi, c’est d’obliger à réfléchir, de mettre en défaut, de faire progresser ensemble. En quoi cette idée du partage se reflète t-elle chez Grünt ? Je me suis dit qu’on allait se poser sur le même ton que ceux dont on parle. Par rapport au ton, j’aime bien relever le niveau sans devenir soporifique. Je n’apprécie pas la manière débilisante dont est traité le rap aujourd’hui. Les rappeurs ont la science naturelle et authentique, moi j’essaie d’apporter une théorie qui sera, par définition, toujours en retard puisque leur art et leurs techniques d’écritures sont en constante mutation. Est ce que ce ton identitaire est une manière de cibler un public particulier ? Je ne sais pas. Mais en tout cas ce que ça m’a prouvé c’est que ceux qui adhérent se retrouvent dans le ton, qui est lui-même à notre image comme tu le dis. J’adore discuter avec le public de Grünt et il me fait comprendre qu’on est très similaires. Ensuite, il y a des profils différents : des filles qui sortent de grands lycées parisiens mais se la jouent “street” et d’autres vraiment “street” qui mériteraient d’être dans ses grands lycées (rires) ! Ça me donne envie de tous les réunir dans une belle salle pour qu’ils se marrent bien entre eux. Ils se retrouvent autour d’un état d’esprit qui est aussi le nôtre. Et ça c’est Grünt ! On assiste à une vraie évolution dans la communication… Exactement ! A partir du moment où tu échanges, cela fonctionne. En même temps il y a un réel danger. C’est que les professionnels de la communication peuvent commencer à faire du faux état d’esprit, à exploiter ce filon pour le vendre et le falsifier. La perversion serait d’adopter artificiellement ce ton intime. D’une certaine manière KissKissBankBank c’est la première étape de ça. Est ce que dans le long terme le crowdfunding ne va pas être réhabilité par des grosses entreprises ? Elles n’ont pas vraiment besoin de thunes mais vont utiliser cet outil qui est, à la base, pour des projets ambitieux mais sans moyens. Ce serait tout gâcher. …


Est ce que dans cette proximité presque indispensable on pourrait voir la fin de la suprématie du statut de journaliste ? Il ne se distinguera que par la qualité. J’estime que le journaliste a un talent et que ce qu’il écrit a une valeur qui mérite d’être lue/vue/reconnue par plus que luimême, contrairement à un Tweet. Tant que le format et le contenu journaliste est présent alors ça marche. Il n’est pas descendu d’un piédestal s’il arrive à bosser avec une réflexion peu importe le ton. Ca reste principalement de la stratégie. C’est toute la mode du Gonzo ; si le mec arrive à te toucher en te racontant qu’il s’est pris une cuite alors tant mieux. Le ton pour le ton c’est dangereux. Ou sinon t’as Jooks « le site des mecs qui parlent aux mecs » avec des débats comme « Est ce que se taper sa cousine est bien ? ». Là c’est que du ton mais c’est drôle parce que ce n’est pas pris au sérieux. Tweeter, c’est faire du gonzo ? Je ne crois pas aux 140 caractères. Encore une fois, au niveau de la qualité. Je l’utilise pourtant mais cela reste pour moi la défaite de la pensée, le summum du rien. Ils ont réussi à pousser plus loin que PowerPoint dans leur quête de la nullité. En plus tu donnes la parole à des gens qui n’ont pas d’expertise. C’est pour cela qu’on a encore besoin d’une presse et qu’elle ne cessera d’exister. Nous aurons toujours besoin d’un médium entre le mélange passionconnaissance et le public. Pareil pour MyMajorCompany : le contraste est énorme entre le plébiscite d’un morceau et à sa réelle qualité. Même si la musique c’est quelque chose de subjectif, il y a des gens qui on une vraie oreille musicale. Ca s’apprend. Twitter c’est l’antithèse de l’expertise, en partie à cause du fait qu’il met en avant la logique de l’exclusivité. Je n’aurais pas du dire ça parce que si vous allez voir ce que j’écris sur Twitter vous allez penser que je me fous de votre gueule (rires). Quel est ton point de vue sur la libéralisation de l’expression par Internet et ce que cela change ? Ce qui me dérange dans l’idée de libéralisation c’est toute une théorie du complot qui en découle comme quoi tous ceux qui avaient la parole avant nous étaient des menteurs. L’émergence de la prise de parole dénature parfois les anciennes autorités culturelles qui ne sont alors plus respectées sous prétexte qu’elles ne distillaient que des mensonges. Il y a une limite à cela, mais c’est vrai qu’on est en droit de chercher une autre information que les Unes régulière sur les Francs Maçons par Le Point ou l’Express, ou ces unes sur le Halal et « Cet Islam sans gêne ». Il n’y a rien de plus racoleur et dangereux. Ca pour moi c’est la démission de la presse… En soi, Internet est à la fois le média le plus génial et le plus dangereux du monde : il permet à la fois à des gens qui le méritaient de prendre la parole mais aussi à des gens potentiellement dangereux, ou juste cons, de le faire aussi.

J’ai un peu le sentiment qu’Internet vit la même chose que la radio après la libéralisation des ondes en 1981. C’est à dire, qu’on a créé un format à la liberté absolue et qu’aujourd’hui on termine avec 4 radios dominantes avec 95% des gens qui les écoutent. C’est la même chose avec Facebook, Google et Twitter. A cause du fric, de la pub, de la logique de suggestion autour du dernier clic qui limite ton champ des possibilités, la plus grande liberté est brimée. Internet a été reconditionné commercialement. Que ce soit de la part du lecteur ou du journaliste, on assiste également, par Internet ou à travers d’autres supports, à une course vers l’originalité, une frénésie de la nouveauté. Serait-ce une marque de désengagement ? Probablement. C’est surtout une évolution du temps. T’es jamais concentré sur rien, t’as toujours dix onglets ouverts quand tu “surfe sur le web” (rires). Et alors, l’artiste qui te marque vraiment dans tout ce flux il a encore plus de mérite que les autres. Cela soulève, en effet, l’enjeu de la qualité. Je continue à être persuadé que ceux qui ont vraiment du talent, finissent toujours par être trouvés. Il faut arrêter avec le mythe du poète maudit. A partir du moment où tu composes et tu envisages un public, tu auras alors toujours un public pour t’écouter. A condition, bien sûr, que tu aies du talent ! D’un autre côté, avec cette infinité de nouveautés l’auditeur semble ne pas pouvoir éviter la lassitude. Le journaliste peut tuer un talent plutôt que de le mettre en avant à force d’en parler, la sur-médiatisation est dangereuse. On peut arriver à une saturation. Et si Grünt ne se fait pas trop rare il sera où dans un an ? Si je rêve et espère, je dirais que proportionnellement on sera 15 000 fans sur Facebook l’année prochaine et on pourrait remplir virtuellement un Bataclan. Créer une vraie communauté, ça serait la consécration d’un idéal sans être la fin de l’aventure, loin de là. C’est aussi simple que ça quand tu fais du journalisme par passion. D’ailleurs, je vous invite !

Propos recueillis et écrits par Sirius Epron Photos : Simon Betite, pour Crumb magazine Dédicaces à Quentin, Simon et Costo, les pilliers de Grünt.



Interview publiée le 12 mai 2013 Après avoir sorti « Feel It Break » lʼun des meilleurs albums de 2011, Austra revient sur le devant de la scène avec un nouvel LP, « Olympia » sorti le 18 Juin prochain. Alors que leur premier album était principalement complété par la chanteuse Katie Stelmanis, ce nouvel opus est le produit dʼune approche plus collaborative entre les six membres du groupe, Katie, Maya Postepski, Dorian Wolf, Ryan Wonsiak, Sari et Romy Lightman. Olympia est un album romantique, électronique, groovy et mélancolique ; les thèmes abordés varient entre lʼamour, lʼamitié et la vie de tous les jours. Dépassant les limites des genres musicaux, il est également très personnel pour Katie. A la limite de la confession, elle nous livre ses pensées, ses déceptions, ses relations, ou encore ses erreurs « What do I have to do to make you forgive me ? I wouldnʼt even tell the world if you could hear Iʼm sorry ». Récit.

AUSTRA Katie Stelmanis

Tu as très longtemps étudié la musique classique et le chant lyrique. Depuis toute petite tu as été formatée dans ce domaine, aujourdʼhui comment composes-tu ? Parle-nous de la manière dont tu as évolué… Je pense que beaucoup de choses sont différentes. Quand jʼai arrêté la musique classique et voulu commencer à écrire et composer, je ne pouvais pas le faire au piano parce que jʼétais effectivement formatée. J’ai été éduquée à jouer du piano de la façon la plus classique qui soit, à savoir regarder les notes et les jouer exactement telles quʼelles étaient écrites. Je ne pouvais pas voir autrement. En jouant de la guitare, j’ai véritablement commencé à composer et à voir les notes et les claviers dʼune autre façon.

Ensuite tu as créé Galaxy… Oui avec Maya ! Cʼétait un peu du post-punk, garage. Et là cʼest devenu important pour moi de composer. Ca a vraiment changé ma façon dʼappréhender la musique. Vous avez découvert la musique électronique ensemble et tu as d’ailleurs commencé à t’inspirer de Radiohead ou encore de Björk ? Que penses-tu de la scène électronique aujourdʼhui ? La musique électronique est tellement populaire maintenant, qu’elle est devenue mainstream. On est cependant dans une période très intéressante. Je pense que la combine est de ne pas tout composer sur ordinateur mais de garder des éléments « organiques » pour faire quelque chose de spécial…



Quel est ton principal objectif en musique ? Je crois que jʼai un objectif différent avec chaque album. Sur celui-ci nous voulions créer un album électronic-dance mais à la manière acoustique, sans utiliser de clavier midi ni de logiciels. Quasiment toutes les chansons ont été enregistrées en live. Alors évidemment, on entend parfois des imperfections, tout n’est pas en place mais on voulait vraiment garder ça. Tu as co-écrit et interprété deux chansons du groupe Death In Vegas, « Witchdance» et « Your Loft My Acid ». Comment ça s’est passé ? En fait c’était vraiment du hasard, Richard (Richard Fearless, fondateur de Death In Vegas, ndlr) mʼa contacté à l’improviste, par le biais de mon label. J’étais à Londres à ce moment-là. Je ne connaissais pas trop sa musique. Quand j’ai enregistré ses chansons, il m’a hébergé chez lui pendant trois semaines. Je me disais « C’est génial, sweet deal ! » (Rires). C’était vraiment cool et intéressant parce qu’à chaque fois que je chantais il me disait de le faire plus calmement et au final je me suis limite retrouvée à parler… C’était une chouette rencontre. Feel It Break était pour nous lʼun des meilleurs albums de 2011, vous êtes parti en tournée pendant deux ans. Quʼen avez-vous tiré ? Oui, nous n’avons pas arrêté pendant deux ans. Après avoir joué dans autant de salles et de villes, chaque fois que l’on arrivait quelque part, on se disait « Il faut que l’on fasse quelque chose de nouveau, on a déjà joué ici ». On a pas mal fait évoluer les morceaux. Au début je n’avais vraiment pas confiance en moi en tant que “performeuse”, mais avec le temps on en apprend plus sur la technologie et le rapport à la scène. Et puis… On a joué avec The XX et The Gossip. Raconte-nous votre rencontre avec The Gossip ! C’était vraiment très cool ! Surtout que j’étais une énorme fan dʼeux quand j’avais 18 ans, et je les voyais toujours quand ils passaient à Toronto. Ce que j’adorais c’est que c’était à peu près toujours le même show : Beth retirait ses vêtements et courait dans le public ! Elle est très théâtrale et n’as jamais peur de s’exprimer. Huit ans après, nous avons joué ensemble à Berlin, et elle a refait la même chose ! Elle retire ses vêtements, court partout, chante Queen, mais cette fois devant 10 000 personnes. Elle n’a pas changé. Elle ne changera jamais. Sur Feel It Break, tu as travaillé principalement toute seule. Olympia est lui, le fruit dʼune collaboration entre toi, Dorian, Maya et Sari… Oui. Je voulais vraiment faire un album collaboratif, quelque chose qui reflétait nos concerts. J’avais l’impression qu’à la fin de notre tournée, nous avions une énergie tellement forte en live que cela ne ressemblait plus à l’album. Je ne voulais pas refaire un album solo, c’était important que tout le monde apporte ses idées pour donner vie à plus de créativité. C’est aussi un album différent, très personnel, à la limite de la confession, tu t’adresses à tes proches,

principalement à propos de ta vie, de tes relations ou déceptions… Oui. Il était important pour moi d’écrire des chansons à propos de certaines choses de ma vie. Je ne l’avais jamais fait avant. Jʼai pas mal réécouté de vieux albums que j’avais chez moi comme ceux de Cat Power. Je n’avais jamais vraiment écouté les paroles et je me suis rendu compte que c’était totalement différent quand tu les écoutes et les comprends. J’ai vécu une période difficile, la tournée était finie, il y avait tellement de poids et de pression sur mes épaules qu’il devenait vital que tout sorte de moi. Toutes les chansons avaient un but précis, et Sari mʼa aidé à combler les trous et améliorer le tout ! Que penses-tu si je te dis qu’aujourd’hui je trouve que les femmes osent réellement franchir les barrières et être celles qui créent et «vont plus loin»… J’ai toujours eu cette vision que pour qu’une femme ait la même reconnaissance quʼun homme, il fallait qu’elle se mette beaucoup plus en avant et se crée une histoire. Je préfère ton point de vue (rires). J’ai l’impression que dans l’industrie de la musique si tu es une femme, l’image est très importante, plus que celle dʼun homme. Je ne me serais jamais doutée que j’allais être dans des magazines de mode, par exemple, mais pour la promo d’un disque, c’est ce que l’on attend de toi… Tu es une icône gay, tu le sais ? (Rires) Ah, je ne sais pas. Je ne dirais pas que je suis une icône, mais je sais que j’adorais les concerts de The Gossip ou Peaches par exemple parce que du coup ça devenait des soirées gays. Dans nos concerts, il y a une bonne partie du public qui est gay mais aussi beaucoup hétéros. C’est chouette de voir que notre public, gay ou non, est là et apprécie le fait qu’on s’assume, tous et tous ensemble. La société devrait copier notre public. Ca ne ferait qu’améliorer les choses. Tu écoutes quoi en ce moment ? J’aime beaucoup les derniers mais aussi les vieux albums de Cat Power et le dernier The Knife… Tu en penses quoi, dʼailleurs, du dernier album de The Knife ? Il est très expérimental. Ce que jʼadore à propos d’eux, ce que je sais aussi, cʼest quʼil faut vraiment écouter le tout plusieurs fois pour assimiler leur musique. Et celui-ci il faut vraiment lʼécouter (rires) ! Quʼest-ce qui est le plus important pour toi ? Je crois que je dirais la santé et le bonheur. Il y a cinq ans j’aurais probablement dit la musique et ma carrière, mais aujourd’hui je veux juste vivre et surtout ne pas être la personne la plus connue au monde… Par pitié.

Propos recueillis par Lucie de Keyser 
Photos : Pauline Darley, pour Crumb magazine Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.



ALUNA GEORGE Interview publiée le 29 juillet 2013

©Fiona Garden


C’est l’un des plus attendus de l’année : Body Music, le (très bon) premier album du duo AlunaGeorge sort aujourd’hui dans les bacs. A l’occasion, nous avons donné rendez-vous au groupe, à Paris, pour leur poser quelques questions durant les quelques minutes qu’ils avaient à nous consacrer – les rares libres qu’ils restaient dans leur emploi du temps désormais quotidiennement surchargé. Révélation de l’été ? Sans aucun doute, préparez-vous, la bombe AlunaGeorge ne fait que s’allumer et est déjà prête – sur son passage – à tout ravager…

Si vous n’aviez pas fait de musique, vous en seriez où aujourd’hui ? Aluna : C’est difficile à dire. La musique a toujours fait partie intégrante de moi. Je ne sais vraiment pas ce que j’aurais fait d’autre. J’imagine que j’aurais travaillé dans un domaine artistique, quel qu’il soit. George : Idem. Depuis mes 13 ans, la musique est une certitude pour moi. Si je me souviens bien, c’est en commençant la guitare que je me suis dit que ce serait cool d’en faire mon métier. Si je n’avais pas fait ça, j’aurais probablement travaillé dans un secteur ennuyeux avec des chiffres… (Rires) Comment décririez-vous votre musique aux personnes qui ne vous connaissent pas ? Aluna regarde George : Tu es plus doué pour ce genre de questions ! George : Eh bien, disons que notre musique est éclectique. Ce sont des rythmes et des sons, et le tout mis ensemble donne des bruits agréables à l’oreille… Ce sont des chansons qui te ramènent à toi-même. Du moins, c’est ce qu’on essaie de faire. Parlez-nous de votre rencontre artistique… Aluna : On a commencé par remixer la musique d’autres groupes, pour voir ce que cela donnait. Puis on a commencé à écrire ensemble, juste pour le plaisir. George : Exactement ! On a commencé à faire des remix, et à enregistrer parce que ça nous amusait. On s’est mis à écrire et au bout de huit mois, on s’est retrouvé avec un nombre assez conséquent de chansons. Du coup, on s’est dit qu’on devrait essayer de réellement en faire quelque chose, quitte à faire n’importe quoi. Il fallait au moins qu’on prenne le risque. Ce fut notre point de départ et cela nous a amené jusqu’ici. Ca s’est avéré être un travail minutieux et de longue haleine ! Votre premier album, Body Music, sort aujourd’hui. Un mot à dire dessus ? George : Quand on a commencé le groupe, on ne pensait pas à faire un album. Tout ce qu’on avait en tête, c’était d’écrire des chansons. Et puis, un label nous a contacté et c’est devenu un objectif. Alors on a continué d’écrire, mais avec une exigence nouvelle, sans possibilité de reculer. On a créé, repris les projets qu’on avait laissé de côté, en essayant toujours de livrer quelque chose de neuf et d’original.

Ce fut un challenge permanent ! Où puisez-vous votre inspiration lorsque vous écrivez ou que vous composez ? George : Je ne dirais pas que j’ai des héros musicaux mais disons qu’il y a des musiques qui me suivent et qui m’inspirent. Si je devais en citer, je dirais Radiohead. Écouter de belles mélodies et prendre conscience du travail incroyable fait par d’autres personnes rend à la fois envieux et reconnaissant. Aluna : Exactement. Je suis très inspirée par l’histoire des autres. J’y suis plus sensible, et ça m’aide à écrire. Avec quels artistes, morts ou vivants, rêveriez-vous de collaborer ? George : J’adorerais faire quelque chose avec Pharrell Williams ! La voix d’Aluna se marierait incroyablement bien à la sienne ! Aluna : Moi, j’aurais adoré pouvoir collaborer avec Jimmy Hendrix. Quel est votre meilleur souvenir de concert ? Aluna : Hultsfred ! Celui de l’année dernière (Le Hultsfred Festival, en Suède, où ils ont joué le15 juin 2012, ndlr). C’était un de nos premiers concerts. Tout était là pour que cela se passe incroyablement bien. George : J’ai aussi adoré notre concert à Brixton. (Electric Brixton à Londres, le 20 juin 2013, ndlr). C’était un concert énorme, avec des tonnes de lumière et on avait vraiment la pression. On ne s’habitue pas encore vraiment au fait que monter sur scène est notre « métier ». On a vraiment de la chance. Y a-t-il une scène sur laquelle vous rêveriez de vous produire ? George : Je rêverais de jouer au Shepherds Bush Empire (A Londres, ndlr). Je crois que c’est là-bas que j’ai vu le premier concert qui m’a réellement marqué, j’avais quatorze ans, c’est vraiment un lieu incroyable. (La tournée anglaise du groupe a été annoncée depuis, AlunaGeorge jouera au Shepherds Bush Empire le 24 octobre 2013, ndlr) Aluna : Moi, je n’en ai aucune idée. Je crois que je n’ai pas encore fait assez de concerts pour pouvoir « rêver » d’une salle où jouer en particulier. Mais, quoi qu’il en soit, où que l’on se produise, le seul fait d’être sur scène a quelque chose d’incroyable en soi.


Le succès demande souvent de s’adapter. Quels changements votre notoriété grandissante vous a-telle imposé au quotidien ? Aluna : Cela me fait penser à la période où mes amis avaient un vrai travail, ce qui n’était pas mon cas. Ils n’avaient pas de temps pour moi… George : On doit être partout en même temps… Aluna : Il faut être assez doué pour jongler avec les horaires et prévoir du temps libre, pour la famille et les proches. Aujourd’hui que vous réussissez dans la musique, avez-vous songé à vous intéresser à un autre domaine ? Aluna regarde George : Je suis convaincue que je suis une mauvaise actrice, mais tu essaies de me persuader du contraire. Donc, si je me retrouve un jour dans une fiction, ce sera la faute de quelqu’un d’autre… George à Aluna : Je pense que j’ai raison. Tu le montres dans nos vidéos. Tu dois adopter des attitudes et tu le fais avec aisance. Ils débattent un instant… Aluna : Je pense que je ferais quelque chose dans la mode. J’adore manipuler les tissus et faire des choses

improbables avec ! J’adore créer des choses à partir de rien. George : Je peux témoigner. Sans donner trop de détails je peux vous dire qu’en ce moment elle élabore un truc vraiment ridicule… Son truc nous suit dans le van dans lequel on voyage, et elle coupe et elle colle et elle recolle… Aluna : Et ça me prend des heures… J’adore la colle ! (Rires) Et si on reste côté musique, quel autre genre de musique auriez-vous aimer/pu faire ? Aluna : Du heavy metal. Quelque chose de bien sombre. George : Pourquoi pas ? Il y a bien quelqu’un qui aime ça quelque part ! Enfin, laissons ça à l’avenir, pour l’instant. Propos recueillis par Grace Libissa Un portfolio inédit du concert d’AlunaGeorge au Nouveau Casino, à Paris, en mai 2013, réalisé par Simon Betite a été publié par Crumb le 10 mai 2013. La photographie cidessous en en extraite. L’intégralité des photos du concert, réalisées pour Crumb, est à retrouver sur www.crumbmagazine.com


PORTFO LIO LMIR ANDA B ARNES

Série photo publiée le 28 octobre 2013





Miranda Barnes est une jeune étudiante photographe d’à peine 18 ans. Elle jette un regard pointilleux, toujours en argentique, sur les choses qui l’entourent. Elle ne se considère pas comme photographe mais, sans en avoir conscience, elle a déjà tout d’une grande. Ses ambitions ? Travailler pour le New-York Times, promouvoir la place des femmes dans la jeune photographie contemporaine. Gardez un oeil sur elle.


Interview publiée le 25 septembre 2011 Photographies : Mathieu César pour CRUMB magazine Metronomy, en interview, est un groupe espiègle et nonchalant. Le nouvel album, « The English Riviera », a enfin révélés au grand public et cette fois-ci, pour de bon. Pour beaucoup, c’est l’album de l’année, les simplement. Écoutez la première chanson « We Broke Free » et laissez l’écume du Devon envahir tout votre âme. Tic-tac, tic-tac, tic-tac, c’est le bruit du métronome qui prolonge vos vacances d’été toute l’année… Avec The English Riviera, vous vous êtes lancés dans une électro beaucoup plus pop que sur vos deux premiers albums… Joe : Oui ! Cet album marque le début d’une étape. Je le vois comme une sorte de transition. C’est le premier que nous avons enregistré ensemble en studio, et c’est aussi le premier qui reçoit un accueil aussi incroyable de la part du public. Avec ce disque, on est encore à mi-chemin entre moi qui bidouille dans ma chambre et l’enregistrement studio, du coup, j’ai vraiment hâte de voir ce que le prochain va donner ! Vous chantez souvent avec une voix très aigüe, votre marque de fabrique ? Oscar : A l’origine, c’était sûrement Joe qui était tout

seul en train d’enregistrer dans sa chambre et qui imaginait qu’il avait réussi à ramener une fille (rires), et, comme ce n’était pas le cas, il s’est mis à crier aigu. Enfin, je crois que c’est comme cela que ça a commencé ! Joe : Tout à fait (rires). Non, pour être sérieux, je crois qu’il s’agit avant tout de confiance en soi. Plus tu chantes dans les aigus, moins c’est facile pour les autres d’entendre exactement ce que tu dis. Un peu comme quand tu imites un accent : cela change tellement ta voix, que tu te sens plus confiant pour chanter. Mais sur ce nouvel album, je me suis un peu calmé.





Joe, tu faisais beaucoup de remixes au début. C’est quelque chose qui intéresse encore le groupe ou vous êtes passés à autre chose ? Joe : En fait, je n’ai pas commencé par des remixes, même si c’est comme cela que la plupart des gens ont entendu parler de Metronomy au départ. Je crois que j’en ai tellement fait que je me sens à court d’idées. A vrai dire, je préfère travailler avec des gens plutôt que de changer ce qu’ils ont déjà créé. D’ailleurs, Gbenga fait des remixes en ce moment, et je crois qu’Oscar a essayé d’en faire quelques-uns, dont il a honte (rires) !

dehors de cela, il me semble aussi que, traditionnellement, le public français se montre davantage réceptif aux choses et musiques un peu inhabituelles.

Anna : Personnellement je trouve qu’on devrait interdire les remixes ! Les remixes, c’est la mort de la face B. Cela donne juste une excuse aux musiciens pour ne pas se casser la tête et se contenter de changer un tant soit peu un morceau.

Oscar : Enfin en tout cas, ce qu’on peut dire, si c’est là où vous voulez en venir, c’est que la France était là avant tout le monde !

Gbenga : Non, je ne suis pas sûr que tout le monde ait cette approche-là. Pour les gens qui font de la pop peut-être… En tout cas, il y a des tas de groupe qui en font parce qu’on les pousse à produire plus qu’un simple album, on leur demande de fournir des morceaux en exclu, à droite et à gauche. L’industrie du disque l’impose d’une certaine manière… En tant que groupe qui s’est fait connaître en partie grâce à Internet, que diriez-vous à quelqu’un qui télécharge votre musique illégalement mais qui paye pour venir vous voir en concert ? Joe : C’est une question difficile pour nous, parce qu’Internet nous a permis de diffuser notre musique et de faire parler du groupe. Pour autant, je ne crois pas que la musique doive être distribuée gratuitement. Cela me fait bizarre d’entendre les gens me dire « Tu sais, j’ai piraté ton album, mais du coup je vais à ton concert ». C’est comme si je te disais « Je te vole 15 euros, mais t’inquiète pas, je vais t’acheter quelque chose avec » ! Oscar : Et puis on prend tellement de temps pour donner à l’album le son adéquat, que pirater une version mp3 avec un son moins authentique, je trouve cela un peu triste pour les gens qui téléchargent en fait. Gbenga : Pour moi, une partie du problème réside dans le fait que certaines personnes n’ont même pas conscience que l’on parle de vol. Il y a des pays comme la Chine ou la Russie où il est pratiquement impossible de gagner de l’argent avec un disque à cause du piratage. Un jour, on a fait un concert à Moscou devant 1500 personnes alors qu’on savait pertinemment qu’aucun d’entre eux n’avait acheté nos disques…

Gbenga : C’est vrai qu’en Angleterre, 5 ans après notre premier album, on est encore parfois considérés comme une nouveauté… Joe : Mais pour être vraiment honnête, avec ce nouvel album, on est devenus populaires un peu partout et pas seulement en France.

Quelle a été votre plus belle expérience en France jusqu’à présent ? Gbenga : On a joué dans les Arènes de Nîmes avec les Chemical Brothers (dans le cadre du festival de Nîmes, ndlr) ! C’était génial. Anna : Et La Cigale, à Paris, aussi ! Gbenga : Ah oui c’est vrai, La Cigale c’était vraiment spécial, mais Nîmes… Je n’aurais jamais crû que l’on pouvait faire ce genre de trucs ! Le décor était incroyable. Les Chemical Brothers jouaient le même soir, les arènes étaient bondées, les gens super réceptifs à notre jeu, et ce soir-là, je crois sans prétention que l’on a vraiment très bien joué ! Joe : Notre dernière tournée en France a commencé à La Cigale. C’était tellement dément que chaque concert qui a suivi nous a paru moins intense que ce soir là parce que le public ne devenait pas aussi dingue. Vous avez intitulé votre album « The English Riviera » en référence à la région du Devon en Angleterre. C’est un endroit que vous recommanderiez pour aller passer ses vacances à la plage ? Joe : Si tu veux passer tes vacances à la plage, je te conseillerais plutôt d’aller à Nice (rires). Il y a de très beaux endroits dans le Devon, mais ce que nous souhaitions avec The English Riviera, c’était rendre cette région un peu plus glamour qu’elle ne l’est en réalité. Pour des vacances, je n’en sais rien. Pour allez y bronzer, mieux vaut prendre une petite veste (rires).

Propos recueillis par Émilie Cochaud. Photos : Mathieu César, pour Crumb magazine

En dehors du Royaume-Uni, comment expliquez-vous le lien particulier que vous entretenez tous les quatre avec la France ? Joe : Je pense que cela s’explique d’abord par le fait que notre label soit français (Because Music, ndlr). En

Cette interview et les photographies qui l’accompagnent ont fait l’objet de la couverture du numéro de 10 de Crumb magazine, première version, alors qu’il était une revue digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 25 septembre 2011.




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Deuxième rencontre Interview publiée le 6 mars 2014 L’effervescence autour de la sortie de The English Riviera, avant-dernier album du groupe, a amené le quatuor jusqu’aux planches des Zénith et des festivals. Une reconnaissance méritée et intrigante qui nous amène à discuter avec un Joseph Mount, un peu différent de celui que l’on avait croisé la dernière fois. Plus conscient des enjeux que représente la sortie de son nouveau disque, Love Letters.

METRONOMY #2

Après le succès de The English Riviera (…), ton nouvel album sonne plutôt home-made... Il sonne effectivement plus intime. On l’a enregistré dans un bon studio, mais le matériel utilisé et la façon de produire m’ont permis d’obtenir cette ambiance. J’ai évidemment fait attention à ce qu’il sonne mieux que si on l’avait enregistré dans ma chambre, mais dans l’intention, c’était ça. Avec The English Riviera, je voulais un disque très fouillé, sérieux tandis que pour Love Letters, j’ai souhaité qu’il soit moins parfait, moins propre… On entend différentes époques dans ce disque, des années 60 aux années 80. C’était voulu ? Non pas vraiment, tout dépend vraiment de la manière dont les gens perçoivent la musique. Je ne ferai jamais de musique en me disant “Ca, ça va sonner 70’s”. Je m’inspire de souvenirs, de sonorités que mon oreille a toujours entendues. J’ai pris une rythmique binaire, très sixties sur Love Letters. C’est quelque chose que l’on a toujours retrouvé dans ma musique. Parle-nous de ces petites imperfections d’enregistrement… J’ai enregistré cet album en essayant d’être le plus fidèle à mes premières intentions, ces moments de recherche en studio où parfois des erreurs se glissent. La façon dont les disques sont aujourd’hui enregistrés est très clinique : tout doit être parfait, propre, calé à la seconde près, et j’avais envie de transgresser cette règle. On trouve donc sur Love Letters certaines petites choses inattendues que l’on a gardées. Il faut bien tendre l’oreille… Après des morceaux comme The Bay ou The Look, tu n’avais pas peur de devoir courir après les hits ? Heureusement non ! Mon label ne vient pas me voir en me faisant “hey Jo’, il faut nous sortir du lourd !”. Ils me laissent faire ma petite cuisine et ensuite ils écoutent. Même si j’avais un peu plus la pression que

pour mes disques précédents, je n’y ai pas pensé. Si les gens veulent un album avec des tubes, ils peuvent appeler Pharrell Williams et le problème sera réglé ! Et le fait d’enregistrer un nouvel album en sachant que l’attente des gens est forte ? Cela me semble être hyper stimulant ! Il faut en profiter. Les artistes et les groupes que j’aime ont su apprécier ce genre d’attente, en surprenant leurs fans. Ou parfois même en les décevant… Les gens n’ont pas encore écouté l’album, ils connaissent deux singles qui ne représentent pas entièrement le disque. Mais d’un autre côté, c’est une opportunité tellement rare pour moi de pouvoir décevoir, je ne sais pas, 200 000 personnes sur Terre (sourire). Tu aimes les jeux de l’interview ? Cela dépend (…). Ca peut parfois vraiment être horrible. L’avantage lorsqu’on est plus populaire, c’est que les gens s’intéressent plus à toi et à ce que tu fais. Aux débuts du groupes, les questions étaient parfois terriblement chiantes… Pourquoi est-ce que Metronomy dit moins de bêtises sur Twitter ? Beaucoup se rappellent de ce fameux tweet lors des élections présidentielles françaises. (Rires) Je m’en souviens ! Je me suis dit qu’il fallait peut être s’arrêter, ou au moins se calmer. La politique et la musique, c’est pas toujours ça… J’adore Internet, mais je n’ai plus le temps de tenir un compte Twitter, cela m’ennuie. Puis j’ai un enfant maintenant. Mais rien ne dit que je ne risque pas de m’y remettre quand on repartira en tournée…

Propos recueillis par Brice Bossavie 
Photos : Pierre & Florent Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.


Interview publiée le 16 mai 2012 B comme Burgalat, génie sans langue de bois. Tour à tour pyromane, magicien, chanteur mais surtout producteur/arrangeur (pour Alain Chamfort, Katerine, April March, Supergrass, Christophe Willem, Alizée, Depeche Mode, ou encore Mick Harvey). Bertrand Burgalat a sorti son quatrième album personnel, « Toutes Directions ». Le fondateur du label Tricatel a donné une interview fleuve à Crumb. On a gardé l’essentiel : on a parlé d’à peu près tout, et quand on est parti, on s’est dit que ce mec-là avait tout d’un génie.

BERTRAND BURGALAT T

« Toutes Directions » est votre quatrième album personnel. En regardant votre parcours, on vous retrouve un peu partout. Vous avez collaboré avec énormément d’artistes, notamment Charles Berling, que j’ai interviewé pour notre précédent numéro. Il me parlait d’un texte de Genet qui évoquait Rembrandt. Genet écrit que Rembrandt a passé sa vie à peindre des portraits pour à la fin de ses jours ne finir par peindre que des autoportraits… Est-ce que pour créer et dépeindre votre univers à vous, vous avez besoin un peu à la manière de Rembrandt de peindre celui des autres, de vous immiscer dans le leur ? C’est une question intéressante. Je ne sais pas vraiment. La musique n’est bien que si on la partage, si on crée des rencontres. Travailler avec d’autres personnes permet souvent de se libérer, de livrer des choses plus personnelles. Il m’arrive de donner quelques trucs intimes, de les placer sur les disques

des autres. Je peux me livrer sans avoir peur d’être impudique, vu qu’il ne s’agit pas de moi, pas directement en tout cas. A contrario, ce n’est pas qui vous écrivez les paroles sur ce disque… Raconter sa vie et ses états d’âmes n’a de sens que si on les transcende. Faire appel à des auteurs permet de se libérer. J’ai essayé par moi-même, je n’y suis pas arrivé. Pour Sentinelle Mathématique, par exemple, j’avais le titre et l’idée depuis un an et demi. Je visualisais quelque chose sur la société. J’avais l’impression d’avoir déjà tout dit dans le titre, d’avoir tout exprimé. Plusieurs auteurs ont essayé d’y apposer des paroles, ça n’a jamais marché. Et puis j’ai confié le truc à Barbara (Barbara Carlotti, ndlr), je lui ai envoyé le mp3, trois jours après, elle avait écrit le texte définitif que je trouve super.



Revenons en arrière, vous êtes parti en Slovénie après vos études, la musique s’est révélée à vous. Rétrospectivement, on ne vous imagine pas faire autre chose. Que se serait-il passé sans la création ? Probablement pas grand-chose. Pendant longtemps j’ai vécu de petits boulots. J’ai passé mon bac à 16ans, je suis arrivé à Paris sans rien, je ne connaissais personne, je n’avais pas les codes. Je trouve que c’est une connerie d’être en avance sur son âge parce que finalement on a une maturité sur certaines choses mais pas sur d’autres. Après le bac, j’ai perdu confiance en moi, mon père est mort, je n’avais personne pour me guider, je me suis retrouvé seul, livré à moi-même, et dans cet interstice-là est venue se glisser la musique. Mais ça m’intimidait, me paraissait inabordable. Autrefois les gens qui sortaient des disques avaient une vraie légitimité et ils se la pétaient. Aujourd’hui tout le monde sort des disques, ça n’a plus la même résonnance, quelque chose a changé.

« Toutes Directions » est quelque peu en rupture avec vos albums précédents. Comment aimeriezvous qu’il soit perçu ? (D’un air sérieux) L’album de la maturité (rires). Non, je déconne. Je ne pense pas qu’il soit si en rupture que ça, disons qu’il est en progression. A l’évidence, je suis condamné à progresser. Je n’ai pas eu assez de succès pour pouvoir oser me répéter ou pour suivre une direction précise. J’essaie de toujours me renouveler. Je trouve que quand on fait des choses en marge, il est facile de s’endormir. Ca procure d’ailleurs un certain confort intellectuel. En France, il y a vraiment des gens qui aiment la musique, mais il y aussi des beaufs qui ne comprennent pas toujours tout. Je trouve que la réponse à ce problème de compréhension, c’est d’essayer de faire les choses le plus sérieusement et le plus sincèrement possible. C’est une arme beaucoup plus efficace que l’indignation. Histoire de rétablir un équilibre. Parfois, ça se fait tout seul : par exemple, les gens riches sont souvent très bêtes, c’est une sorte de justice (rires).

En parlant de sorties de disque, est-ce que vous pouvez nous dire un mot sur Tricatel, le label musical que vous avez fondé ? Ce n’était pas vraiment mon idée, je n’ai jamais rêvé de label, je n’ai aucune notion de gestion. Au milieu des années 90, je bossais pas mal en Angleterre et avoir une boite de production là-bas, ça aide. J’ai monté le truc sans réfléchir, je n’ai même pas fait gaffe au nom, c’était une blague. D’un côté ça m’a servi, de l’autre non. Les gens un peu hâtifs ou sans humour ont vu sans ça comme l’apologie des années 70. En même temps, quand on regarde le nombre de labels qui ont des noms idiots… (Rires).

Vous parliez d’un manque de succès. Est-ce que justement le fait de consacrer autant de temps à des collaborations ou des travaux extérieurs à votre univers n’a pas nui à votre carrière personnelle ? Non. Ce disque (« Toutes Directions », ndlr), j’aurais pu le faire il y a deux ans, entre temps, j’ai eu un enfant, dont j’ai préféré m’occuper. Je ne suis pas toujours dans la production permanente mais pour vivre, je prends tout : des commandes, des pubs, des trucs chouettes, d’autres moins. Il y a des moments où je suis à deux doigts de perdre l’appétit pour la musique, où je frôle la lassitude à force de multiplier les travaux forcés pas toujours inspirés. Mais le fait d’avoir à me bouger le cul pour vivre est assez plaisant, cela permet de rester en équilibre.

Signer et aider des artistes, c’est un peu une manière de renvoyer l’ascenseur, d’aider des personnes là où vous auriez aimé l’être… Absolument. Je trouve que c’est assez plaisant d’essayer d’éviter de faire subir aux autres ce que l’on a subi. Il y a plein de gens intéressants qui ne savent pas se vendre. Quand j’écoute une démo, j’essaie de faire abstraction de la qualité, de l’enregistrement pour ne me concentrer que sur la musique et sur la création. A l’inverse, il y a vraiment des gens qui n’ont pas grand-chose d’intéressant à dire mais qui savent très bien le vendre. Je crois qu’on en connaît tous (rires). En tant que responsable de label, quel regard portez-vous sur la crise du disque ? Je suis plutôt content que cela ait baissé l’arrogance de certaines personnes. Tout le monde est désormais face à ses responsabilités et aux envies et désirs passionnés. Puisqu’on ne vend plus de disques, autant faire ceux qu’on aime. Ce que je vois arriver cependant et qui m’embête, c’est un secteur musical subventionné avec tout ce que cela peut représenter de magouilles et d’arbitraire. Les labels ne signent plus de projets, ils les créent, pour répondre spécifiquement aux quotas, aux crédits d’impôts, aux aides de l’état. Ça devient triste.

Propos recueillis et interview par Thomas Carrié Photographies : Pauline Darley, assistée de Maxime Stange, pour Crumb magazine


Interview publiée le 13 mai 2013 Hiver 2012. Une chambre d’hôtel à Paris. Michael Fassbender nous attend. Il est à l’affiche du dernier événement de Steve McQueen, « Shame », dans lequel il joue le rôle de Brandon, un trentenaire film new-yorkais souffrant d’addiction sexuelle. La couverture médiatique est grande et Michael a déjà l’aura d’une star. Nous faisons partis des rares médias web (sous-entendu, moins légitimes) à être accrédités pour l’occasion. Nous entrons. Et, là, au fil des mots et des pensées, nous l’avons vu se confier à Crumb, sur son travail d’acteur. Rencontre en toute intimité…

MICHAEL FASSBENDER

Pour votre rôle dans Hunger, en 2008, je sais que vous aviez rassemblé de nombreuses informations et témoignages concernant votre personnage pour cerner son caractère et l’incarner au plus juste. Pour Shame, comment cela s’est-il passé ? En règle générale, je me concentre beaucoup sur le texte, pour commencer, je le décortique comme une partition de musique, comme pour déchiffrer les rythmes présents dans la mélodie. Je poursuis ensuite mon travail en rencontrant les gens. J’ai eu la chance de m’entretenir avec des personnes souffrant de ce trouble, de cette maladie et je leur en suis très reconnaissant. En discutant, j’essaie d’ouvrir le dialogue et de pousser ces gens à me raconter des histoires. Poser des questions directes n’est pas très

habile et peut parfois placer l’interlocuteur sur sa défensive. À travers les histoires, on trouve des origines, des sources de motivation, voire l’essence même de ce que représente ce trouble d’addiction au sexe. Parmi les témoignages de ces gens y a t’il une histoire qui vous ait marqué en particulier ? Oui, bien sûr. Elles étaient parfois très intimes et racontées sur le ton de la confidence. Je ne raconterai évidemment pas ce que l’on m’a confié, mais ces récits m’ont permis de comprendre ce que ce sentiment d’intimité était, ce que les problèmes découlant de cette intimité représentaient. C’est ce qui habite mon personnage, Brandon : cette peur de responsabilité émotionnelle envers quiconque au sein


Š Alice Hawkins / Esquire UK


d’une relation, cette zone floue qui le rend sans défense lorsqu’il doit s’ouvrir aux autres. Ce n’est pas une position qui le met à l’aise. C’est pour cela qu’il s’efforce de garder le contrôle de tout ce qu’il fait. Il contrôle le scénario avant de connaître sa possible implication dans la relation, en préservant une distance de sécurité entre la situation et ses sentiments. Quelle part de vous-même avez-vous mis dans Brandon ? J’ai voulu qu’il reste près de moi autant que possible. Je n’ai pas voulu prendre de la distance par rapport à lui, cela aurait été trop facile. Il fallait qu’il ressemble à tout le monde, qu’il vive une vie normale, en apparence. Ce n’est qu’en creusant que l’on découvre qu’il est atteint d’une addiction sérieuse. J’ai essayé de me rapprocher de lui au plus près, afin de le comprendre, en apportant la connaissance que j’ai de moi-même et de ce que je vois autour de moi. C’est le meilleur –et probablement le seul- outil de travail que je possède. (Silence. Un temps)

Après qu’il ait éjaculé, il y a cette sensation d’être perdu qui émerge, il se sent dégoutant et ressent même de la honte (Shame, en anglais, ndlr). Ce sont les sensations que j’ai essayé de transmettre à l’écran. J’ai donc dû faire abstraction du fait que j’étais nu. Il faut aussi garder à l’esprit que le réalisateur, Steve McQueen, ne filme pas ces scènes de sexe par pur plaisir, mais qu’elles sont là, pensées, pour servir à un but précis, construisant l’histoire. Lors de cette scène avec les deux filles, vous regardez directement la caméra pendant l’acte sexuel. Vous pensiez à quoi à cet instant-là ? (Sourire) Il y a une grande communication entre la caméra et moi-même, une énergie puissante sur ce moment précis. Je gardais à l’esprit la douleur qu’est censé ressentir le personnage. C’est difficile à expliquer, d’autant plus que j’entretiens une relation d’amitié et de confiance tant avec Steve qu’avec Sean (Sean Bobbitt, directeur de la photographie, ndlr) et qu’ils sont évidemment présents derrière la caméra. Il fallait donc se concentrer au maximum sur ces pensées !

J’aime travailler sans filet de sécurité. Plutôt que de juger mes personnages, j’essaie de les comprendre. Je fais des fiches en écrivant les différents traits de caractère. Je les compare aux miens et développe ceux qui en ont besoin. Je pense que l’on se ressemble tous, il existe uniquement des nuances en chacun d’entre nous. Nous sommes tous plus ou moins capables de faire des actions positives ou négatives. Nous sommes tous responsables les uns les autres, nous avons tous besoin d’être acceptés, aimés, alors il faut avoir l’approche la plus honnête possible envers de tels sujets. Quelle est la plus grosse différence entre votre personnage, Brandon (Shame) et Connor, celui que vous jouiez dans Fish Tank ? Le plus gros problème de Connor, c’est qu’il est irresponsable. Il est le genre de personne qui s’enfuit face à une situation au lieu de lui faire face. Je ne pense pas qu’il soit autant conscient de ses problèmes que Brandon, qui est lui, à l’inverse, hyperconscient de son problème, il ne s’aime pas, se dénigre. Il sait qu’il est malade. C’est pour cela que j’apprécie Brandon, il essaie de s’en sortir. Vous n’avez pas aimé Connor ? Si, bien sûr, mais différemment. Il y a du bon et du mauvais dans les deux personnages. Comme un peu en chacun de nous dans nos propres vies… Comment avez-vous appréhendé les scènes de nu sur le tournage de Shame ? Je me suis senti bizarrement observé, mais je savais que c’était le moteur de l’histoire. La proximité physique avec le personnage permet au spectateur de se rapprocher de lui, jusque dans sa tête. Lorsque Brandon couche avec deux filles à la fois, il y a de la haine, de la luxure, du désir absolu dans son regard.

Quelle a été la part d’improvisation de votre travail avec Steve ? Elle n’a pas vraiment existé. Une fois sur le lieu du tournage, il nous est arrivé d’improviser les dialogues mais sur le plateau, tout était déjà prêt. J’ai donc préféré être efficace plutôt que d’imposer mes idées : Il vaut mieux être préparé, éveillé et conscient pour répondre aux situations scénographiques et interagir avec elles.

Propos recueillis par Bastien Internicola


Interview publiée le 17 mars 2012 Après le succès de « Sexuality » qui l’a révélé au plus grand nombre, Sébastien Tellier revient avec un nouvel album, au concept énigmatique. Nous avons eu la chance d’écouter, il y a quelques mois ce nouvel opus « My God is Blue » – disponible le 20 mars- et de rencontrer son auteur. Autour de quelques bières, nous avons parlé de musique, de travail et nous avons tenté de percer le mystère.

SÉBASTIEN

TELLIER

Depuis l’annonce de la sortie de l’album nous avons lu des tas de choses sur le web. Les gens ont interprété un peu librement le teaser de Pépito Bleu, on a entendu parler de Viagra, de Raël… Nous voudrions que tu nous expliques toi-même le concept. C’est simple. Ou pas tellement en fait. L’album s’appelle My God is Blue. J’ai eu envie de dépasser les limites de la musique, de n’être plus qu’un artiste entier, complet, sous toutes les facettes. J’ai créé un mouvement qui va d’ailleurs me permettre de vivre totalement la vie que j’ai envie de mener. Je l’ai appelé « l’Alliance Bleue ». Le but était surtout, même si je trouve le mot abominable, de créer mon univers. Un vrai univers, tout un monde, avec mes meubles, mon sac de voiture, des maisons à mon image, voilà l’esprit général.

Le clip de Pépito Bleu n’est qu’un teaser. Des tas de choses vont venir après, notamment le site de l’Alliance Bleue : je m’y exprimerai, vendrai mes tableaux, appellerai au mécénat… Projet virtuel dans un premier temps, j’espère que l’Alliance se concrétisera dans le réel. Nous allons faire de grandes choses, mais pour connaître la couleur que va prendre l’Alliance Bleue, au-delà du bleu, il va falloir attendre encore. J’ai envie de créer du mystère, de garder le secret, un peu comme une sirène. Pour l’instant, j’ai envie d’attirer les gens à moi mais sans tout leur dévoiler. Vous suivez ? (Rires) D’ailleurs il y a quelque chose qui m’a surpris et je profite d’être invité dans CRUMB pour en faire part : la première chanson extraite de l’album s’appelle Pépito Bleu. On est d’accord, je construis mon empire sur du



biscuit mais je suis choqué de voir qu’il y a des gens qui prennent vraiment tout cela au sérieux. J’ai ma propre approche de l’esthétique, de la beauté mais, avouons-le, rien de tout cela n’est crédible ou sérieux. Je ne suis pas philosophe, religieux, politique ou sociologue. Je ne connais rien à l’organisation des choses. Pépito Bleu, c’est juste quelque chose de léger, un rêve que j’ai fait. Le fait de me mettre en scène dans ce personnage et de créer un mouvement relève du fantasme. Je n’essaie pas d’être vrai. Quand je parle de Pépito Bleu, j’entends déjà certains dire « Ce mec est fou, il se prend pour Dieu ». Mais non, soyons sérieux deux secondes, Dieu ne parle pas de pépitos… voyons ! (Rire général. Il allume une cigarette, repositionne ses lunettes sur le nez) Enfin bref, tout ça pour dire que je suis surpris que certaines personnes prennent toute cette mascarade au sérieux et se sentent agressés. Pépito Bleu, c’est tout sauf agressif, comment trouver un titre plus doux, plus gentillet, mis à part Pépito Rose (rires). En tout cas, pour moi, tout ça n’est qu’un amusement. Après, amusement ou non, oui, je souhaite créer une attente, un mystère, je ne veux pas que l’on s’ennuie. Quand on regarde une série télé, que l’épisode se termine au moment fatidique, on a immédiatement l’envie, le désir de se plonger dans la suite. C’est une sensation que j’adore vivre et que j’ai envie de faire vivre aux autres. Sur le travail de cet album, tu as fait appel à Mr Flash, qui est à l’origine un producteur connu pour avoir une pâte assez hip-hop, éloignée du style que l’on te connaît. Pourquoi lui ? C’est une longue histoire. J’ai un studio à côté de chez moi, qui n’est pas fait pour enregistrer, seulement pour composer. J’en suis sorti avec toutes les chansons de l’album déjà prêtes. J’avais écrit les textes, j’avais commencé à composer. Les démos étaient jolies, mais j’avais besoin d’autre chose, quelque chose en plus, du relief, un petit truc qui mettrait tout en valeur. J’imaginais depuis le début, cet album comme quelque chose de grand, qui passait par la notion d’espace, avec des raz de marée, des tremblements de terre. Et de la manière dont j’avais produit mes démos jusque-là, il n’y avait pas encore cela. Je suis tombé sur le dernier maxi de Mr Flash et là, rien qu’à l’écoute, soudain tout est devenu grand. Il y avait le Mont Blanc, l’Everest, tout, des lacs, des palmiers, l’univers… C’était grand, c’était mental et fort, c’était tout ce que j’attendais. Ce fut comme une révélation, je me suis dit que je voulais à tout prix transposer ces compositions dans mes chansons. Ça m’a énormément excité. Et puis on s’est vus rapidement, le lendemain. Je n’avais jamais entendu parler de lui avant. Je ne savais pas s’il avait seize ou soixante ans, je n’avais aucune idée d’où il pouvait venir. On m’a dit qu’il habitait Paris, nous nous sommes fixés un rendez-vous, nous nous sommes vus et, presque instinctivement, juste après la rencontre nous sommes partis en studio. J’avais mes démos avec moi, nous avons essayé de refaire le travail à deux, à partir de rien et ça a pris de

suite. Tout ce que j’avais imaginé prenait enfin une dimension réelle. Le déclic. Et pourtant avant lui, disons que j’avais écouté des dizaines de milliers de disques de mon producteur, j’avais déjà des noms, j’ai pensé à beaucoup de monde sauf qu’à l’écoute, Mr Flash a été une certitude. Je savais que c’était de lui dont j’avais besoin. En quoi le travail avec Mr Flash a t-il été différent de celui que tu as pu réaliser avec Guy Man sur l’album « Sexuality » ? Avec Guy Man, on ne se connaissait pas mais on se croisait souvent en soirée, en backstage de concerts ou autres. Si je dois absolument trouver une différence ; c’est que Guy Man et moi étions en fusion. Nous avions le même but, essayions de faire le même disque, allions dans le même sens. Avec Mr Flash, il n’a jamais été question d’aller dans la même direction. Nous avons très vite été passionné par le projet mais nous nous y sommes projeté de façon totalement irrationnelle, avec chacun notre vision propre. Nous n’avons jamais vraiment réussi à travailler ensemble. Nous avancions dans deux mondes différents et pourtant pour une même œuvre. C’est ce qui donne, je crois, cette élasticité à l’album. Comme si nous avions essayé, à deux, de couvrir tous les champs, d’explorer tous les espaces. Finalement, ce fut d’une très grande richesse. L’enregistrement a été un combat, une partie d’échecs acharnée. Personne ne voulait perdre, alors on a essayé de donner le meilleur de nous-même. Et c’est une bonne chose, parce que souvent, quand on est en studio, on est déjà satisfait d’être là, de faire de la musique et on se contente de peu. D’autant que le cadre est beau, boiseries, canapés en cuir… Tout pour faire de la musique. Sauf que, trop souvent, on croit que l’on fait de la bonne musique, simplement parce qu’elle sonne bien, parce que la réverbération des murs flatte le son. Moi je ne voulais surtout pas de cela. Et dans cette sorte de guerre avec Mr Flash, rien ne pouvait m’aider à aimer ce que je faisais. J’étais sans cesse porté par l’envie d’aller plus loin, de trouver d’autres chemins, d’autres solutions, d’autres techniques. Grâce à ça, nous avons vraiment créé quelque chose de différent. Si je comprends bien, ce nouvel album a donc été le fruit d’une lutte constructive ? Oui. La difficulté principale tenait dans le choix de ce que l’on entend, à savoir du Simbalom ou du Glass Water, des voix de chorale, des chœurs plus intimes… Ces choix ont toujours posés problème. Après, sur l’enregistrement proprement dit, nous savions ce qu’il fallait faire. Mr Flash a une vision 3D de la musique, j’adore ça. Il arrive à mettre sur pied des choses extrêmement spacieuses, à la fois complexes et légères. Moi j’avais mes certitudes, lui en avait d’autres. Tout s’est articulé autour de cela. Et finalement, avec le recul nous nous sommes rendu compte que l’on arrivait toujours à la même conclusion. On n’a pas sorti un disque que lui déteste et moi j’adore, non. Nous sommes très fiers de ce que nous avons fait, et réalisé, ensemble. Nous sommes passés par tous les chemins du désaccord. Quand il


voulait une voix grave, moi je voulais une voix aigüe… La moindre note a été un combat. Mais ce combat « musical » a donné vie à ce que tu attendais… Oui. Disons que j’avais un tableau plat, et que, d’un coup de grâce, Mt Flash l’a modelé et a pu en faire le tour. Et même de dos, le tableau rendait bien. Il a mais du volume, fait son boulot de producteur de façon fantastique. Toute à l’heure tu disais qu’il avait une pâte davantage hip-hop, c’est vrai. Il a produit énormément de rappeurs français ou américains mais il n’a pas de culture rap. Il est très bon dans ce domaine mais ce n’est pas lui. Inconsciemment je pense, il y avait une part de My God Is Blue dans sa tête et ce projet était l’occasion pour lui, enfin, de concrétiser ses envies, d’affirmer qui il était, de montrer l’étendue de son talent. Je pense qu’il a vécu notre collaboration de façon très profonde. Il a sans doute pensé qu’il faisait son propre disque, il a pu s’exprimer, n’avait pas de limites. De manière générale nous ne nous sommes fixés aucune limite dans la création. Et même dans ce côté création nous étions en opposition. Moi, par exemple, j’ai l’habitude de travailler allongé. Le premier truc que je fais quand je rentre en studio c’est d’installer un lit de camp. J’apporte un duvet et un oreiller, je m’allonge et bosse comme ça. Alors, lui forcément, il a eu un peu de mal à collaborer avec un mec qui somnole (rires). Mais d’un avis personnel, je suis toujours meilleur et inspiré lorsque je travaille entre le rêve et la réalité. Il a joué le rôle de ton psychanalyste musical, assis derrière toi, qui était allongé… C’est exactement ça ! Lui était assis sur une chaise, moi allongé sur mon lit de camp. Quand je commençais à ronfler il ne supportait pas. Moi j’étais bien. Le ronflement à ce stade de la création, je trouve que c’est du professionnalisme. On ne fait jamais la même musique lorsque l’on vient de se réveiller que quand on est en pleine forme. On n’est pas dans la même relation. Au réveil, nous sommes généralement davantage à l’écoute, avec un côté spontané que l’on perd au fil de la journée… Au réveil, il y a aussi des réalités et des vérités différentes avant qu’elles ne perdent et se diffusent dans le brouillard du quotidien… J’ai lu que tu portais un regard extrêmement critique sur tes précédentes œuvres et qu’une fois terminés, tu avais beaucoup de mal à réécouter tes anciens albums… Oui. Il m’est très difficile d’apprécier un morceau une fois qu’il est fini. En musique, pour moi, il n’y a pas de règles harmoniques, rien n’est jamais fini, on peut toujours trouver quelque chose à améliorer, à rajouter. Le problème vient surtout du fait qu’il faut s’arrêter à un moment. Il y a des moments où l’inspiration est sans fin. Et My God Is Blue je me dis que, j’aurais pu continuer à l’enregistrer toute ma vie… Mais tu ressens quoi, du coup, lorsque tu jettes un œil sur tes vieux albums, comme Politiks ?

Politiks, très franchement, je ne peux pas le réécouter. C’est trop difficile. Et l’album est odieux. Je n’entends pas la musique, je n’entends que les défauts, les ratés. Parfois j’aurai aimé que certains sons ressemblent à du ABBA et finalement je me rends compte qu’on dirait du William Scheller (rires). Je sais qu’il faut s’y faire, mais moi je ne m’y fais pas. Alors je fais comme l’album n’existait pas. Comment naît un album de reprises, du coup, tel que « Sexuality Remix » ? C’est ma maison de disque qui se charge de tout. Notamment de trouver les artistes et de faire les propositions. C’est eux qui le font ; simplement parce que je ne sais pas le faire, je ne connais rien de tout ça qui se fait, je ne suis jamais dans l’actualité. Je trouve qu’il y a des milliers d’albums qui sortent tous les jours, avec tout le temps des noms bizarres, je n’y comprends rien, je suis perdu (rires).Il y a, bien évidemment, des choses que j’entends et que j’adore, mais je ne retiens jamais les noms, j’oublie de suite. Le travail de remix est un travail considérable que je suis incapable de gérer seul. Je compte donc énormément sur ma maison de disque. Eux, au moins, ils connaissent les tendances et les choses bonnes à écouter. Je sais que cela paraît bizarre parce que les gens me perçoivent comme un mec parisien hyper branché, à la pointe des tendances sauf que je suis loin de tout ça et ne sait rien de ce qui se passe. Quand on me parle d’un groupe, je ne le connais jamais. Je découvre des artistes cinq ans après tout le monde (rires). Alors, à mon tour, de manière presque instinctive, je me sens obligé d’écouter des choses rares ou exceptionnelles… Comme par exemple ? Bobi Solo, un chanteur italien (rires) ou encore Bernard Ilous, un type qui a chanté « La route à l’envers ». J’aime bien aller chercher des trucs assez loin. Et maintenant My God Is Blue, la suite, elle va se passer en public avec des concerts ? Oui. Tout plein ! Je vais essayer de ne pas être que chanteur ou musicien. Je veux être un leader spirituel, j’ai envie de vivre l’expérience pleinement. Je veux que le public soit en communion. Je veux expérimenter des choses nouvelles, proposer d’autres sensations. Je veux faire des concerts pour l’éveil. Un éveil des sens et des discours. Et puis d’ailleurs, ce qui compte dans l’Alliance Bleue ; c’est qu’il n’y aura pas de spectateurs. Seulement des « fidèles », des gens qui sont et vont avec moi, pour toujours.

Propos recueillis/interview par Nicolas Cassagnes Avec la présence de Thomas Carrié Photos : Julot Bandit

Cette interview et les photographies qui l’accompagnent ont fait l’objet de la couverture du numéro de 13 de Crumb magazine, première version, alors qu’il était une revue digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 17 mars 2012.


Rencontre/texte publiée le 15 juillet 2014 De passage à Paris pour le festival We Love Green, les deux têtes pensantes de Jungle nous ont reçus dans leur tipi du parc de Bagatelle pour parler, en vitesse, de leur premier album. Au programme : football, Japon, feu de camp et hélicoptère. Rencontre express.

JUNGLE

Nous avons découvert Jungle, il y a un peu plus d’un an, avec la vidéo de Platoon. Plus récemment, nous les avons vu pour la première fois en live, en mars dernier, à l’occasion du concert des soeurs Haïm à Paris. Une mystérieuse équipe est arrivée sur scène, enclenchant une euphorie rarissime pour une première partie. Marquante, l’équipe enchaîne des titres à l’empreinte soul unique, car innée. « On aime juste les bonnes chansons, de n’importe quel style. Je pourrais très bien mettre un super son de reggae là. On se mettrait à danser tous les trois dans ce tipi, mais si la chanson ne vous plaît pas, le moment sera gâché. Les seules choses qui comptent sont la mélodie, le rythme et l’émotion. On ne souhaite pas rentrer dans un genre particulier pour se rassurer, ce serait malhonnête. » Les mystérieux fondateurs de Jungle : T. et J. se connaissent depuis qu’ils ont dix ans et souhaitaient créer librement, avec leurs potes londoniens qu’ils ont embarqués par hasard dans leur épopée. « Nous sommes des producteurs, on aime rester en arrière plan. En équipe, il y a une excitation et une spontanéité qui nous plaît vraiment. On sait

mieux prendre conscience et profiter des instants que nous sommes en train de vivre. Ce n’était pas prévu à l’origine mais des concerts ont vite été programmés et on voulait surtout s’entourer de bons musiciens ». Attendu par les médias anglais, le groupe décide de miser sur la discrétion et pour préserver leur musique. « La sortie de l’album est un moment excitant car il représente le moment où nous nous sommes tous rapprochés. Une bulle de bonheur s’est créée pendant la préparation du disque. » J. attrape le cendrier sur la table pour évoquer leur cercle de coolitude, une bouteille de bière pour désigner le NME, une canette de Coca pour Crumb « si vous voulez nous rejoindre dans la sphère c’est cool, sinon on s’amusera très bien tous seuls. » La découverte de l’album et les shows maîtrisés des sept joyeux lurons nous donne, sans le dire, envie de joindre la ronde. L’usine à talents qu’est l’Angleterre nous livre, cet été, un album contenant douze pépites. L’alliance de la mélancolie des paroles et une avalanche de cool dans les mélodies marchent ici à tous les coups. Le duo


évoque avec insouciance leur façon de composer : « L’un de nous s’assoit au piano, improvise des bribes, jusqu’à ce que l’on se dise : attends, ça sonne comme une chanson de Jay-Z, et à partir de là, on ajoute des choses assez simples pour que les gens puissent nous écouter sans s’ennuyer. Les paroles tendent vers quelque chose de différent, une atmosphère plus sombre hantée par la peur, la solitude et la paranoïa. Dans un sens, une tour se dessine à travers l’album, avec un étage pour les mélodies-clés pour attirer les gens et un autre pour les mots, plus compliqué à percevoir car il vient de notre âme ». « I’ve Been Loving You Too Long » répètent-ils dans Drops, morceau caméléon, transpirant Otis Redding. Jungle mélange époques et sentiments avec une classe folle, pourtant rien n’apparaît comme vraiment calculé. Les titres s’enchaînent et sillonnent un terrain de jeu surréaliste. « Tout est toujours une coïncidence avec Jungle. On s’entraide, on est entre amis, c’est pourquoi on aime faire ce qu’on fait, parce qu’on ne force jamais pour ne pas perdre le naturel, la fraîcheur de notre musique, c’est comme en football ! La musique y est liée quand on y réfléchit, car c’est l’effort de partager une émotion. Quand une équipe joue vraiment ensemble, les choses se font naturellement, mais dès qu’elle force et essaye d’aller marquer trop rapidement, l’unité se perd et le match se gâte. » Leur processus d’écriture est d’ailleurs semblable, une image les fascine et les guide inconsciemment jusqu’au titre final. « Chaque morceau pourrait former une bande originale à lui seul car chacun évoque un lieu spécifique, directement lié à une émotion. Accelerate serait une course de moto au Japon dans un jeu vidéo où tu es invincible. Tu

peux tomber mais ne jamais perdre. Platoon mettrait en scène une réunion dans un marécage, avec des gens portant des armes faites de fleurs et Lucky I got what I want illustre des gens qui danse le hip hop autour d’un feu de camp dans les bois, avec Kanye West et Jay-Z qui claquent des doigts en rythme. Et puis il y aurait aussi une Xbox et un hélicoptère. » Si cette description improvisée les rend hilares, l’écoute de l’album la confirme : l’aura du rap n’est jamais loin et l’ambiance planante hippie forment un résultat unique. Repéré par leurs vidéos pour Platoon et The Heat réalisées avec l’aide de leurs amis et les moyens du bord, Jungle tend à flouter les barrières entre les styles, comme l’a entrepris Mø avec No Mythologies to Follow. « Un groupe est bon quand il sait y aller étape par étape », cela implique de ne pas sauter les étapes. Dans ce tipi, ils racontent leurs aventures sans arriver à tenir en place, prêts à monter sur scène. Mais alors que nous évoquons la réalisation de leur clip, des échos de Why Won’t They Talk To Me de Tame Impala arrivent jusqu’à nos oreilles et font stopper net le débit de paroles de J., qui semble plus qu’apprécier le morceau, avant de reprendre le fil, un peu troublé. Les titres de Jungle font le même effet, ils donnent envie d’arrêter toute activité pour se concenter uniquement sur le son, et ce n’est pas Lorde qui dira le contraire. Nous l’avons aperçu faisant danser sa crinière sur ces mad sounds dans un coin de la scène de We love Green pendant leur show. Propos recueillis par Alice de Jode

© Mike Massaro


Interview publiée le 21 janvier 2012 Django Django viennent de passer quatre ans (ou presque) enfermés dans une chambre (véridique) à Les travailler notes et musiques pour en faire des tubes. Ce quatuor, familier des looks aux pulls improbables et à l’univers coloré nous révèle un peu de sa fantaisie.

DJANGO DJANGO

Vous vous êtes rencontrés sur les bancs de l’école d’Art d’Edimbourg. Vous ne vous êtes plus quittés et êtes restés dans la promiscuité d’une pièce de deux mètres carrés. Avez-vous réellement conçu et produit entièrement cet album dans une chambre ? Oui, absolument ! Dans la chambre de David, dans l’Est londonien. Une chambre horriblement petite, avec un ordinateur au bout et un micro au pied du lit. Il a souvent fallu se serrer pour pouvoir enregistrer dans les bonnes conditions. Ce n’était pas l’idéal, mais nous n’avions pas de studio, alors on a fait avec les moyens du bord. Il a fallu juste faire un peu de place pour faire en sorte que cela marche ! Au préalable, nous avions sorti en 2009 le titre

Storm/Love’s Dart mais nous n’étions pas encore un groupe de musique à part entière, au sens officiel du terme en tout cas. La chanson a créé le buzz sur Myspace. Après son succès, plutôt inattendu, nous avons décidé de nous éloigner, de prendre du recul et de réfléchir à la manière dont nous pouvions mettre en place une formation musicale, une vraie. Nous l’avons crée dans une chambre ! Jimi Hendrix disait que les rythmes qu’il créait lui étaient inspirés par son papier-peint pendant son sommeil. David, y a-t-il du papier peint dans votre chambre ? Si oui, est-ce à lui que nous devons la dimension psychédélique que l’on retrouve dans vos chansons ? Probablement. Je ne rêve que dans ma chambre à


l’évidence et nulle part ailleurs. C’est là que la musique me vient. Quand nous répétions, j’étais en robe de chambre, tu sais (rires). A peine sortis du lit, nous branchions les ordinateurs et commencions à composer. Je crois que ma chambre m’inspire vraiment. Si bien que vous n’aurez pas à attendre le second album longtemps. C’est une sorte de scoop que nous vous livrons. Nous avons déjà bien travaillé la suite et avons préparé des ébauches du prochain opus, qui sera beaucoup plus professionnel et structuré que celui-ci. Rien n’est plus efficace qu’un studio chambre, donc ! Sur l’album – éponyme – que vous sortez cette année, on retrouve étonnamment énormément de couleurs dans les sonorités, à l’image de vos

pulls… J’imagine qu’elles ont été nourries des évolutions et du vécu de ces quatre années… Oui. Je pense que cela revient à ce que vous disiez sur le papier-peint. Au delà du rêve, notre musique est le reflet de notre vie, des choses que l’on a conservées pendant ces quatre ans mais aussi et surtout pendant l’enfance, des souvenirs, des images, des bruits. Dans cet album, nous voulions observer toutes ces choses d’en haut, les mélanger – avec des parties plutôt mélancoliques et d’autres plus optimistes. Nous n’avons pas composé que des chansons, nous avons composé le voyage de nos vies, avec toutes leurs couleurs.

Propos recueillis par Irina Aupetit-Ionesco.

© Pavla Kopecna


©Magnum, Philippe Katerine


PHILIPPE

KATERINE Interview publiée le 10 mai 2014

Nous vous avions parlé de Magnum – le film – dans un précédent article, nous avons cette fois rencontré l’artiste. Entre une balance et le direct d’une émission télé, Katerine nous parle en toute simplicité de son projet, de sa collaboration avec SebastiAN, des dictateurs, d’Arielle Dombasle, d’un saxophone, de la critique et de lui, entre autres…

Magnum c’est tout un projet, un album et un film. Pourquoi « Magnum » ? C’est un nom que j’apprécie, je l’ai choisi avant de faire le disque. Et j’étais obligé de faire quelque chose de bien avec un nom pareil. Un rapport avec Tom Selleck ? Non, pas vraiment. Il y a toutes sortes de choses, des glaces, des flingues… Après oui, il est peut-être question du fait d’être un héros de sa propre vie. Magnum, c’est un héros aussi bien sûr. Vous êtes un éternel insatisfait de votre travail, et là, vous sortez 12 clip de 12 titres, vous faites un film avec l’album, est-ce que vous êtes satisfait de ce que donne le projet fini ? Oui, sinon, je ne le sortirais pas. Je fais plein de choses, des chansons, des disques entiers que je ne sors pas, parce que je ne les trouve pas bien ! Donc il faut que j’estime, quand c’est fini, que ce soit vraiment le maximum que je puisse faire, et que ce

disque-là soit essentiel à la communauté. Peut-être que je me trompe, enfin il faut que j’en sois persuadé au moment où ça sort, sinon je ne fais rien. Comment est venue l’idée du film ? Elle est venue assez tôt. A un moment donné, cela devait être un film sur une croisière, et puis aucune compagnie de croisière n’a été intéressée, sûrement pour leur image, ou je ne sais pas trop d’ailleurs, je n’ai même pas cherché à savoir. Ce qui fait qu’après, le film s’est construit sur le fait que le bateau était échoué, et c’est là que commence l’histoire. Donc j’ai recommencé le scénario une fois que j’ai eu tous les refus. Le scénario était complètement écrit, ou vous avez laissé une grande part d’improvisation ? Non, il n’était pas complètement écrit, mais il n’y avait pas énormément d’improvisation non plus. On travaillait sans, comment on appelle ça au cinéma ? Sans bible ! Personne ne savait trop ce qu’on allait


faire le lendemain, ça se décidait un peu au dernier moment. Vous avez fait de nombreuses collaborations dans le cinéma, des bandes-son, des seconds rôles, mais là c’est un film sur vous, est-ce que ça marque une nouvelle étape dans votre carrière ? J’aime le cinéma, mais je n’ai jamais eu de rêve de cinéma. Tu vois, j’m’en fous de faire un film ou pas, ce qui compte c’est que je m’exprime. Après, cela peut-être en dessin, en chanson, en cinéma. Le cinéma n’a jamais été un rêve. Par contre j’ai adoré le faire, ça m’a vraiment plu, j’ai trouvé que c’était une expérience vraiment incroyable, qui me correspondait à ce moment-là. En plus on était vraiment en petit comité donc on était très peu à décider, il n’y avait pas de réunion avec des producteurs quelconques. C’est juste qu’ils nous faisaient confiance, on était super libres de faire ce qu’on voulait. Je pense que cela ne se reproduira pas tous les ans. Pas d’autres projets de cinéma ? Non. Bon, j’écris toujours des petits trucs comme ça. Après ce sont les circonstances de la vie qui font que ça se passe ou pas, mais ce n’est pas du tout un rêve pour moi, j’vous jure. Concernant l’album, il est plus intime que les précédents. On retrouve le thème de la maternité, la paternité, etc. Est-ce que vous êtes un papa trop papa ? Est-ce que vos enfants seront des dictateurs ? Non, je suis peut-être un papa trop maman ! C’est fort possible. J’espère que non bien sûr, mais c’est vrai que tout se passe dans l’éducation, même avant les trois ans il paraît ! Avant trois ans ? Oui, avant trois ans tout est joué. C’est ce que j’ai lu dans un livre. Il faut s’y prendre tôt ! Très tôt même ! Personnellement, peut-être que tout a été joué avant trois ans, mais moi j’ai l’impression de faire des choses avec ce qui s’est passé avant mes quatorze ans. C’est-à-dire, je ne jouais pas forcément au dictateur mais j’avais pas mal de problèmes de communication, et tout ce qu’il s’est passé avant mes quatorze ans, c’est encore ça dont il s’agit aujourd’hui.

Après, dans ma chambre, j’inventais les mélodies et les textes en même temps. Je n’avais jamais fait ça avant. Là c’est vraiment une collaboration. Des fois, tu fais des disques plus personnels, de façon plus intime, mais qui sont, au fond, plus éloignés de toi. Alors que là, quand tu collabores à deux, tu peux faire des choses plus intimes que si tu les avais faites tout seul. L’album parle de travestissement, « efféminé », « sexy cool », vous pouvez être Dean Martin, beaucoup de choses, et donc finalement, Katerine, qui êtes-vous ? J’en sais rien, et d’ailleurs je ne veux surtout pas le savoir ! Par exemple, l’album est introduit par la chanson Delta qui ne comporte que quelques mots : « surtout, surtout, surtout, ne soyez pas vous-même ». Oui, j’ai l’impression que je suis multiple, donc j’essaie d’en profiter. Je pense que pour la plupart des gens, il y a une foule de gens dans les gens ! Personne n’est tout seul à l’intérieur de soi. C’est vrai que je suis parti un peu de cette phrase. Cette phrase qui est dite par Arielle Dombasle dans le film… Oui. C’est elle qui me l’a dite aussi dans la vie. Comment ça ? On a fait un disque ensemble et je lui ai demandé : « Ce serait bien si vous étiez vraiment vous-même pour chanter cette chanson » - une chanson que je lui avais composé. Et elle est partie sur ses grands chevaux, en me disant : « mais pourquoi être moimême, quelle horreur, vous n’y pensez pas ! » Et ça m’a fait drôlement réfléchir. Je me suis dit « mais elle a bien raison, c’est ridicule au fond », de vouloir être soi-même. Pouvez-vous définir le concept Sexy cool, titre d’une chanson de l’album ? Il n’y a pas vraiment de concept en fait. C’est un truc fuyant, comme je les aime, il ne reste pas en place. C’est très large, toujours en mouvement. On ne peut pas situer « Sexy Cool », on ne peut pas savoir ce que c’est vraiment. Pas de définition précise… Non, surtout pas.

Vous avez commencé à écrire les « Mariages chinois », votre premier album, seul, est-ce que vos processus d’écriture ont évolué depuis ? A chaque fois que j’ai fait un disque, cela n’a jamais été la même chose en fait. Parfois, j’ai enregistré un disque avec des groupes, parfois tout seul, j’ai fait un disque tout seul à la guitare aussi. Là, c’était avec un DJ, SebastiAN. Je n’avais jamais fait ça. J’ai procédé comme les gens du hip-hop le font, c’est-à-dire qu’ils reçoivent des instrumentaux et ils s’expriment dessus.

Dans la chanson ADN, vous vous essayez au saxophone ? J’ai découvert le saxophone, il y a un an à peu près, Je m’en suis acheté un, j’ai découvert que je pouvais en jouer facilement, parce que ce n’est pas comme la trompette, je veux dire, il y a un son. J’en joue de temps en temps.

Comment s’est passée cette collaboration avec SebastiAN ? Je recevais des instrumentaux de lui, que j’adorais.

Ça se sent dans la chanson. C’est un peu comme du free-jazz ? Oui, voilà, free ! Avant d’être jazz, c’est d’abord free !

Vous avez pris des cours ? Non, pas du tout, je n’ai pas appris. Je réagis à l’instinct (rires).


(Rires) Après il faut savoir trouver l’orthographe du mot « free » ! Ça peut se finir avec un « t » aussi, non ? « Frit », quoi. Je n’ai pas joué beaucoup de minutes dans ma vie, mais j’adore ça ! Je faisais des reprises avec Francis et ses peintres, des reprises de chansons françaises. Il me laissait un solo sur « La Boîte de Jazz » de Michel Jonasz. Tous les soirs j’avais droit à un solo, une improvisation, j’adorais cela ! Des fois c’était affreux, d’autres fois c’était super. Donc, j’ai rencontré un ami ! Qui s’appelle Jean-Philippe. C’est le nom de mon saxophone. Le nom du saxophone ? Du saxophone, oui. Jean-Philippe. Le prolongement de mon corps. Vous avez des conversations avec ? Oui, et on a dormi ensemble ! C’est pas évident de dormir avec un saxophone, je ne vous le conseille pas. C’est affreux. C’est plus facile de dormir avec un poisson ? C’est beaucoup plus difficile. Parce que le saxophone est vivant ! Le poisson, quand je dormais avec dans le film, il était mort. Le saxophone, lui, est toujours vivant. D’autres projets ? Vous faites beaucoup de choses, de la chanson mais aussi du dessin, du cinéma… Oui, je fais des dessins pour un livre, avec Julien Baer qui fait des chansons, et après je verrai. Je ne sais pas du tout ce que je vais faire. Et pas de cinéma, donc ? J’ai joué dans un film de Benoît Forgeart, qui s’appelle Gaz de France, je joue le président de la République, quand même. Qu’est-ce que ça fait d’être président, après avoir été dictateur ? Je n’ai pas trop aimé ! Dictateur, je préfère, au moins c’est franc jeu. Par contre je pense que le film va être génial, parce que Benoît Forgeart est lui-même génial. Comment les idées vous viennent-elles ? Un matin, vous vous levez, et vous pensez à Magnum ? Ou c’est le fruit d’une mûre réflexion ? Non, ce n’est jamais très mûr, comme ça, cela évite que ce soit pourri. C’est plutôt instinctif. Je préfère faire les choses un peu dans l’urgence, parce que sinon je commence à intellectualiser et ce n’est pas bon pour moi ! Je ne crois pas que ce soit bon de réfléchir. Pour moi, en tout cas. Je préfère être dans un mouvement, en action. Donc, rien n’est prévu ! Au fond, c’est écrit mais rien n’est prévu. Après je m’adapte à l’environnement, à la température, à ce que j’ai mangé, à l’ambiance dans une pièce. Je préfère avoir un bout de papier et pouvoir le déchirer si besoin est. Une question sur la critique : dans la critique de l’album par Télérama, ils écrivent de vous que vous êtes « un entubeur à vide »…

Oui, j’ai lu ça aussi ! Quel est votre rapport à la critique ? Moi je fais des disques, c’est un travail. Il faut que l’auditeur fasse un travail aussi. S’il n’a pas envie de le faire, le disque n’existe plus. Je préfère laisser mes textes ouverts, que ça ne soit pas totalement fini. Pour cela j’ai besoin d’un auditeur qui soit disponible. Or, certaines personnes ne le sont pas, pour des raisons qui leur sont personnelles, peut-être sûrement leurs problèmes, leur vie privée, qui les rendent complètement indisponibles. On ne peut pas lutter contre ça. J’ai lu cette critique de Télérama, en effet. Elle est affreuse ! Parce que c’est quelqu’un qui ne voit que ses problèmes à elle, qui parlait éternellement de testicules, de couilles, je ne sais pas quoi. Alors que dans mon disque il s’agit de trente secondes, mais elle n’a vu que ça. Il s’agit plus de ses problèmes personnels que des miens ! Mes disques ne peuvent pas marcher si une personne est bloquée sur ses a priori personnels. Ca ne peut pas fonctionner. C’est pour vous à l’auditeur de faire la deuxième moitié du chemin ? C’est ce que j’espère tout le temps. C’est pour cela que des fois je fais des textes qui paraissent courts, ou suggérés ! Parce que je pense qu’un texte s’écrit à deux. Pour moi, l’horreur, et ça m’est déjà arrivé, c’est de me regarder écrire. Il y a beaucoup de gens qui se regardent écrire quand il font leurs textes de chansons, c’est un truc que je renifle tout de suite. « Regardez comme j’écris bien, regardez comme ma phrase est bien tournée ». Je fuis ce genre de sentiment, parce que souvent quand on se regarde écrire, on ferme des portes. Et peut-être que certains auditeurs non disponibles se sentent rassurés ! Mais en tout cas ce n’est pas du tout ma démarche. Il faut quelqu’un qui ait envie. Qu’est-ce que vous évoque « Crumb » ? Ca me fait penser au dessinateur. J’ai vu l’expo au Musée d’Art Moderne, à Paris. Elle était extraordinaire ! Je partage beaucoup de goût en commun avec Crumb… Une inspiration pour le dessin, j’adore aussi le bouquin qu’il a fait avec sa femme. Je trouve que l’idée est extraordinaire. Chacun travaille sur le même bouquin dans un couple, en réponse à l’autre dans une conversation qui n’en finit pas, c’est extraordinaire. C’est un grand artiste. Vous avez un grand nom. Propos recueillis par Cécile Lienhard. Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.




BUSY P PEDRO WINTER Interview publiée le 13 juin 2013 Il fallait être sur Mars pour ne pas avoir entendu un seul mot à propos de la petite bande d’Ed Banger Records ces derniers mois. Passées dix années d’exigence électronique, de fêtes folles et furieuses et de dénichage de perles dansantes, l’équipe de Pedro Winter a décidé de stopper son rythme habituel pour porter durant un an un costume d’anniversaire. Dix années, c’est long. Pourtant, ils tiennent le cap. Après nous avoir offert une fête folle à la Grande Halle de la Villette en Mars dernier, un livre romanphoto, et avec une tournée mondiale en cours, voici venu le temps, pour le collectif, de s’adonner à ce qu’il sait faire de mieux : de la musique. Ed Rec. Vol X fait office de délicieuse cerise sur le cadeau, pour fêter l’âge à deux chiffres de l’influent label parisien. Rencontre avec son boss.

Comment s’est passée cette première moitié “d’année-anniversaire” ?
 Bien ! On a ouvert les hostilités au mois de mars avec er notre soirée d’anniversaire le 1 , une date précise inventée, parce qu’on ne savait plus le jour exact. Il y a eu la fête à la grande Halle de la Villette, que l’on a appelée Ed Banger Land, avec une espèce de parc d’attraction sur le lieu. Tout s’est d’ailleurs super bien passé, à la hauteur de nos espérances et de notre ambition. Nous voulions que les gens gardent un souvenir un peu plus saisissant qu’une énième soirée ou festival electro. Nous avons tenu notre pari, je crois. Le plus beau compliment qu’on nous ait fait, c’était de nous

dire “La fête d’anniversaire d’Ed Banger, dans dix ans je pourrai dire : j’y étais”. On ne voulait pas s’arrêter à la capitale, cependant. On donc prévu exactement dix dates dans le monde. Il y a déjà eu Paris, Londres, Bruxelles, et ce week-end on part à Barcelone, au Sonar pour la quatrième date. On a décidé de célébrer ça sur un an, on ne va pas se gêner ! En plus de ces dates, nous avons aussi fait avec So Me un livre de photos dans lequel on partage nos dix ans d’aventure : Travail Famille Party. Les gens auraient pu s’attendre à du graphisme, mais on a choisi de faire un livre de photos dans lequel on a intégré une petite discussion entre Bertrand (So Me), Jean Baptiste Modino qui est un photographe qu’on aime bien et moi.


Etant donné que c’est un livre de photos, on voulait avoir le regard de quelqu’un dont c’est le métier. Il y a donc les soirées, le livre, et maintenant la fameuse compilation Ed Banger Records volume X. On célèbre les dix ans dans tous les sens et sous toutes les formes ! Au niveau du world-tour, y a-t-il des dates qui te font frétiller d’avance ? Ce serait injuste de n’en choisir qu’une. Les dix me font vibrer ! On a choisi de faire précisément dix dates par rapport aux dix ans, mais dans des villes dans lesquelles on se sent bien, avec lesquelles on a des affinités, des rendez vous, des habitudes. Si je devais n’en choisir qu’une je citerai peut-être la dernière ; Mexico, où ça risque d’être intense ! On n’a pas encore vraiment confirmé la date mais on risque de faire ça au moment de la fête des morts là bas, vers le 2 ou 3 novembre. Ca va rajouter un peu d’intensité à l’événement car le pays sera en fête à ce moment là. Et puis Mexico est une ville assez exotique où j’ai dû aller deux ou trois fois, contrairement aux autres villes où j’ai mes habitudes. D’autres qui te font, ou t’ont fait peur ? Paris. J’avais peur évidemment. On est chez nous, les gens sont beaucoup plus critiques et le projet était quand même beaucoup plus ambitieux. Ed Banger Land dans la Grande Halle, 7000 tickets à vendre – ce n’est pas rien – avec l’envie que les artistes du

label soient surpris… Tout ça a fait que, en effet, j’avais un peu peur. Entre Ed Banger Land et, plus récemment, les platines du Social Club, comment sens-tu le public parisien en ce moment ? Je le sens plutôt bien. Tu sais, j’ai beaucoup entendu parler du petit drama “Paris est mort, plus personne ne sort, on ferme toutes les boites et les bars”. Je trouve que le public parisien est toujours présent, et tellement large. Au contraire, je trouve même qu’il se passe plein de chose ! Quand tu vois le Wanderlust, le Nüba, le Social Club qui se portent bien, que tu entends parler de la Concrete qui fait un carton, le paysage nocturne est plutôt en forme. Après, personnellement, je sors de moins en moins, je deviens une vieille dame, tu sais (rires). Quels étaient les enjeux en faisant une compilation qui célèbre les dix ans d’un label aussi libre, éparse et pointu qu’ Ed Banger ? Je vais te dire la vérité : en faisant la Ed Rec X on avait le choix de faire soit ce que l’on a fait, soit une rétrospective, un espèce de best of. Mais je trouvais ça un peu opportuniste et pas excitant, tout simplement. J’ai donc proposé aux artistes de continuer ce qu’on avait commencé, dans l’esprit des trois premiers volumes. Finalement, on a sorti trois compilations en 10 ans ; et là était le clin d’œil : sauter du 4 au 10 pour marquer le coup. C’est une


compilation qui tombe l’année des dix ans mais qui n’est pas du tout tournée vers le passé ou vers une certaine forme de célébration et de nostalgie. C’est plutôt histoire de se dire : « Après 10 ans de boulot qu’est ce qu’on est capable de faire et de proposer de différent ? ». J’espère qu’on propose quelque chose d’autre que ce que les gens connaissent du label ou du paysage actuel de la musique électronique. Rassembler les troupes n’a pas du être une mince affaire… Tu peux nous balancer les bons et les mauvais élèves ?
 C’est marrant que tu parles de ça parce que j’ai fait une petite campagne pendant la production de ce disque, où je marquais ceux qui m’avaient rendus les morceaux et ceux qui ne me l’avait pas encore fait. C’est vrai que je courrais un peu après tout le monde, mais c’était plus une histoire de planning que d’envie. La chance qu’on a avec le label, c’est qu’on arrive facilement à réunir et à fédérer tous les artistes ; tout le monde est content d’y participer. D’ailleurs, le plus mauvais élève de la compil’, c’était moi ! J’ai rendu mon morceau le dernier alors que, normalement, je suis censé montrer l’exemple. Il y a aussi eu Cassius, par exemple, qui a eu un peu de mal à faire son titre mais c’est justement dans la douleur qu’il a donné naissance à Sunchild, un morceau assez incroyable qui rend un bel hommage à Mehdi. C’est d’ailleurs, pour moi, le morceau qui sort complétement du lot. Qu’est-ce que tu peux nous dire sur ton EP, ce « Still Busy ». Ce n’est pas une façon de nous dire que tu es toujours dans les parages ? C’est un double message. Ta vision n’est pas mauvaise. Mais je veux un peu plus dire que l’excitation et l’envie sont toujours là. J’hallucine toujours, quand on me fait des demandes à droite à gauche, de l’intérêt des gens qui nous appellent pour faire des articles, même après douze ans de Daft Punk et dix ans d’Ed Banger. Ca me fait toujours plaisir. C’est cela qui me donne envie de continuer. Cet EP va plus dans ce sens là. Il y a également un autre morceau un peu plus sombre sur la face B, qui est, aussi, peut-être une façon de montrer où j’ai envie d’aller, m’éloigner d’une certaine caricature de la musique électronique française qui ne m’intéresse pas des masses. Tu peux nous en dire plus sur ton album en préparation avec Boston Bun ? Je n’en suis pas encore là ! Je suis une limace (rires). Je n’en suis qu’à trois sorties en dix ans ! La grosse bonne nouvelle, si cela t’intéresse, c’est que j’ai trouvé les gens avec qui le faire, le studio où le travailler, ainsi que la méthode à adopter. C’est ce qui m’a pris le plus de temps. Je ne sais pas, je pense que ça ne va pas être un disque déprimant mais disons que la tendance de cet album va plus fonctionner à l’émotion. C’est ça la musique que j’ai envie de faire aujourd’hui. Cette collaboration avec Boston Bun et son electro-house un peu rétro, ce aussi une envie de

retour aux sources, au commencement ? Complètement. Musicalement je ne me suis jamais éloigné de la House Music avec laquelle j’ai commencé. Tous les disques qui sont ici (dans les locaux de Ed Banger ndlr.) le prouvent. Même si les couleurs du label partent ailleurs, les fondations n’ont jamais été loin. Le projet Carte Blanche de Mehdi et Riton était une ode à Chicago par exemple. Je ne m’en suis jamais senti éloigné même si la musique que je jouais et que je faisais était différente Évidemment, quand j’ai écouté ce que faisait Boston Bun, je me suis dit : “Le mec comprend vraiment le genre, sauf qu’il le reproduit avec les outils et la production d’aujourd’hui”. Et j’ai cette envie de retour aux sources, de sortir des vinyles, de faire quelque chose d’un peu plus personnel, intime. Au niveau de sa musique, je sais qu’on ne va pas avoir la même campagne que sur Justice ou Breakbot par exemple, mais c’est un projet qui m’excite tout autant. Dis moi, comment se fait-il qu’il y ait si peu de filles chez Ed Banger ? Je ne me l’explique pas, justement ! Je pense que je t’aurais déçue si j’avais eu une explication ! C’est une histoire de rencontres, d’opportunités… J’aurais adoré signer AlunaGeorge (interview à lire page 36, ndlr), et plein d’autres artistes féminines, mais ça ne s’est pas présenté. Uffie (interview à lire page 290, ndlr), c’était un heureux accident mais qui, malheureusemen, ne s’est pas prolongé puisqu’on a arrêté de travailler ensemble ; il y a un peu plus d’un an maintenant. En tous cas, ça ne vient pas du tout d’une envie de ne pas travailler avec des filles, au contraire. Mais sinon je suis là moi pour apporter la touche féminine au label. J’essaie, du mieux que je peux (rires) ! C’est une jolie fin, ça ?

Propos recueillis par Margaux Bouteldja Photos : Julot Bandit, pour Crumb magazine


IGGY AZALEA Interview publiée

le 18 juin 2013


Il faut le dire, la perspective de passer une demie heure à la rencontre de la jeune Australienne Iggy Azalea, était aussi excitante qu’inquiétante. Qui est-elle réellement ? Allai-je me retrouver face à la même brut et sexy que dans les clips sulfureux et menaçants ? Passée la sortie de plusieurs mixtapes et fille d’un EP, sous l’aile de Diplo et TL, il était temps pour la demoiselle de s’attaquer à un premier album attendu pour la fin de l’année. A cette occasion, rendez-vous était donné avec la musicienne dans un hôtel parisien, près des Champs Elysées, un jour ensoleillé de Juin. Me voici, donc, dans une chambre parfumée, seuls. Iggy est en train de faire une autre interview, pendant que nous tentons de scruter le son de sa voix. Je stresse un peu, il faut le reconaître. Dans quelques minutes c’est moi, face à la jeune fille. Du retard, comme souvent lors des journées promo, qui me fait attendre “LE” moment. Et, c’est pile à cet instant que la porte s’ouvre : elle est là, face à moi (ou plutôt au dessus tant sa taille est vertigineuse), elle me tend la main avec un grand sourire : « Hey, my name is Iggy ! ». Salut Iggy, ce n’est pas un peu frustrant de passer deux jours à Paris, enfermée dans une chambre d’hôtel, à répondre à des journalistes aux accents horribles ? (Rires) Ca ne me dérange pas du tout de discuter avec vous, malgré vos accents bizarres, mais j’aurais bien aimé avoir un peu de temps pour faire les magasins. Paris est sûrement une de mes villes préférées, pour dépenser mon argent et me balader, donc je suis un peu triste de ne pas pouvoir le faire. Je m’organiserai ça un peu plus tard ! Tu as récemment fêté tes 23 ans. Qu’est-ce-qui a changé pour toi depuis ton dernier anniversaire ?
 Je pense que j’étais un peu perdue. J’avais décidé de ne pas sortir un premier album à tout prix et au plus vite, donc les gens me prenaient un peu pour une dingue. Je ne savais pas ce que je devais faire ou ce qui allait arriver à ma carrière, si ce n’est que j’envisageais de sortir un album, mais sans savoir comment, ni avec quel label, et quelles personnes pour m’aider… Cette année, on peut dire que tout va mieux : j’ai signé chez Mercury et Def Jam avec deux singles sur les rails, je suis beaucoup plus sereine. Tout semble être arrivé vite et facilement… 
Ca a été facile quand les choses se sont enclenchées. Je cherchais un label depuis longtemps, et j’ai décidé d’arrêter de démarcher l’année dernière pour expérimenter, trouver mon véritable “son”, en sortant des EP et des mixtapes. Une fois passée cette étape, je suis repartie à la recherche d’un label pour mon album, et le choix de Dej Jam Records s’est très vite imposé. Travailler avec eux et Mercury est vraiment un plaisir, ils ont compris où je voulais aller, avec une réelle passion pour la musique, ce qui n’est pas actuellement pas le cas partout. De plus en plus de businessmen s’intègrent malheureusement dans le milieu. Comment décrirais-tu la Iggy Azalea de 2013, par rapport à celle de 2012 ? 
Peut-être un peu moins irrationnelle et dépassée !

(Rires) Mais toujours un peu irrationnelle quand même ! Je pense que l’année dernière, beaucoup de choses incroyables me sont arrivées pour la première fois, donc ma réaction était extrême, du genre : “ Wow ! Qu’est ce qui m’arrive? C’est dingue !”, alors que ces mêmes choses se répètent maintenant, mais j’ai plus d’expérience pour les comprendre. Je me sens plus calme, et un peu moins sensible aux rouages de l’industrie musicale. Je ne suis pas une Iggy Azalea adulte, mais plutôt “grandie”. A l’écoute de tes deux nouveaux singles, Bounce et Work, on ressent vraiment une influence plus dance. Tu es d’accord avec ça ?
 Bien sûr. Pour Work, j’ai été énormément influencée par Bombs Of Bagdad de Outkast, que j’écoutais énormément : c’est une chanson très dansante, parfaite pour une soirée, mais avec en même temps un message vraiment intéressant et sérieux, sans empêcher les gens de danser dessus. J’ai eu envie de faire exactement pareil. On me demande très souvent de raconter mon histoire mais ma vie est tellement sérieuse ! Je ne veux pas que les gens se sentent triste là-dessus, je veux qu’ils s’amusent. J’ai donc voulu raconter mon histoire, sans être déprimante, et en laissant les gens s’amuser dessus. Je préfère laisser un message positif, en expliquant que je n’ai pas eu une jeunesse facile mais que je m’en suis parfaitement sortie ! J’ai ensuite sorti Bounce pour ne pas arrêter mon message positif, ça aurait été dommage de mettre aussi vite fin à la fête ! Celle-ci est parfaite pour l’été. Dans tous les cas, il y aura une alternance entre chansons “concrètes” et dansantes sur mon album. Pour l’instant, il y a plus de titres sérieux que l’inverse, mais je me disais justement ce matin que je devrais penser à ré-équilibrer la balance. C’est important d’avoir un mélange des deux. Je ne veux pas qu’on se sente triste en m’écoutant mais je n’ai pas non plus envie qu’on pense que suis une fille complètement superficielle qui pense juste à s’amuser. Work est un peu une réponse à tes détracteurs…


Est-ce que je l’ai écrite en ayant ça derrière la tête ? J’y pense tous les jours ! (Rires). Des tonnes de gens essayent de me discréditer, disent que je joue un rôle, que ce n’est pas logique qu’une fille comme moi fasse du rap, alors qu’énormément de personnes dans le monde s’ouvrent à des choses qui ne les concernent pas directement à la base. Ils ne comprennent pas que je fais tout cela sincèrement. J’ai voulu montrer avec ce titre que je faisais les choses avec le cœur. Je me suis démenée pour en arriver là où j’en suis aujourd’hui et ça n’a pas été facile. C’est difficile de trouver sa place dans un milieu très apprécié et critique. Je suis fière d’avoir trouvé la mienne. Donc oui, je pense souvent à ces gens et je leur dis “Fuck You guys !” (Elle nous fait deux doigts d’honneur, un grand sourire aux lèvres, ndlr.) Est-ce que tu ne trouves pas un peu ennuyant le fait que les hommes te considèrent plus comme un sexsymbol en puissance plutôt qu’en tant que vraie rappeuse ou musicienne ?
 J’y ai déjà réfléchi. Je n’ai jamais fait de musique pour ce type de personnes. Si tu entends mon message, mais que tu ne le comprends pas, c’est que ce que je fais n’est pas pour toi ! Ils peuvent continuer à me regarder mais au final, ils ne cerneront jamais qui je suis. J’essaie donc de ne pas trop y penser. Je préfère me dire : “Peut être que j’ai quelques vues Youtube en plus juste pour mes fesses, c’est pas trop grave” (rires). Ca m’embêterait vraiment si j’avais des millions de vues Youtube pour mes clips, en vendant à côté seulement dix singles. Peut être qu’il y a des mecs qui me regardent uniquement moi, dans mes vidéos, mais à côté de cela, d’autres achètent ma musique et s’y intéressent, donc ça me va. Tu es consciente que tu es devenue une sorte d’image que les gens et les marques veulent…? Je le sais, oui, mais j’essaie de ne pas trop m’investir là dedans pour le moment. Je n’ai pas sorti d’albums, donc je fais attention. J’adore faire des campagnes pour Levi’s, ou présenter une émission pour MTV comme je l’ai récemment fait -j’ai carrément interviewé Brad Pitt !- mais je ne veux pas que les gens me découvrent et me considèrent autrement qu’en tant qu’artiste, plutôt que comme un modèle pour une marque de jeans… Dès le moment où j’aurai vraiment fait mes preuves avec mes morceaux, je me permettrai d’aller un peu plus dans cette voix (…) Cela crée de la confusion chez les gens qui se demandent à quel point je suis investie dans la musique et pensent que c’est juste un prétexte, alors que je suis complètement dedans ! Sauf que c’est en même temps difficile de refuser des opportunités aussi intéressantes, donc je fais attention. Je pèse la balance, et j’essaie de faire en sorte que les “à-côtés” ne dépassent pas ma musique. Pas mal de gens seraient surpris en découvrant à quel point je suis investie dans le travail d’écriture des mes titres, des paroles jusqu’à la musique. Je reste toujours avec mes amis producteurs (Diplo ou Steve Aoki, entre autres, ndlr) quand on travaille ensemble, du premier beat jusqu’au morceau complet, et ce genre de choses appuient ma crédibilité en tant qu’artiste.

Tu produis tes morceaux toi-même ?
 J’aimerais tellement ! J’ai souvent collaboré avec B.O.B, sur Best Friends ou Million Dollar Misfits, et il produisait à chaque fois ses titres, en jouant du piano et d’autres instruments. Je l’observais et je me disais « J’aimerais tellement savoir faire ça…! ». Pour l’instant, j’en suis au stade où je dirige les opérations pendant la composition. Je donne la marche à suivre, en essayant de coller à mon univers. Mais la production est quelque chose que j’aimerais développer personnellement, pour le futur. Je préfère travailler avec un tout petit cercle de producteurs, Diplo, Steve ou The Invisible Men, avec qui j’ai de réels liens d’amitiés, qui comprennent maintenant exactement ce vers quoi je veux aller. Je reçois énormément de productions via Internet, mais je pense que c’est important de rester avec des gens qui te connaissent pour rester fidèle à ton propre son. Surtout qu’en général, ils m’écoutent vraiment afin de savoir ce que je veux moi, exactement, et ça me semble primordial. Et ce serait quoi une production parfaite pour Iggy Azalea ? Question compliquée ! J’adore ce que font Diplo ou Steve Aoki ; ils n’ont pas peur de s’essayer à différents styles. Surtout Diplo. Ce qu’il a fait avec Major Lazer est incroyable. Il adore le reggae, mais il y a aussi insufflé sa passion pour l’électro et le hiphop. Le résultat est explosif, et c’est vraiment dur de mélanger autant de genres. C’est pour ça que je l’admire. Tout comme Steve Aoki, qui m’a réellement initiée à la musique électronique, alors que je n’étais pas du tout réceptive au genre auparavant. Est-ce que “Crumb” t’évoque quelque chose ? 
Robert Crumb ! C’est un dessinateur de BD complètement dingue ! C’est pour cela votre nom ? Entre autres, oui ! Vraiment ? Je ne pensais pas, c’est génial ! C’est marrant parce que je le cite souvent en interview, en répétant tout l’amour que j’ai pour lui. Je le trouve brillant. J’ai adoré sa relecture complète de la Bible. Pareil pour son travail sur les femmes : il les sexualisait énormément, mais je trouvais ça vraiment intéressant. Je ne suis pas particulièrement religieuse, donc ça ne m’a jamais offensée. J’ai plus globalement toujours adoré sa façon de voir le monde et de le traduire dans ses dessins. Il a, pour moi, le meilleur coup de crayon de toute l’histoire du cartoon. Mon père était lui aussi dessinateur de bandes dessinées ; il m’a énormément initiée à cet art, notamment à travers les travaux de Robert Crumb. Il avait des idées vraiment tarées, mais c’était le premier à sexualiser le comic américain, en changeant le style du dessin. Quand j’y pense, c’était beaucoup plus compliqué pour lui de faire des dessins provocateurs, que pour moi,de faire aujourd’hui ma chanson Pussy (rires) ! Propos recueillis par Brice Bossavie. Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.


Interview publiée le 27 novembre 2014 Samedi soir dernier, au Trabendo, à Paris, la bande de Salut C’est Cool a donné un concert incroyable agrémenté, entre autres, de leurs tubes des plus ‘chelous’, d’une dégustation de fromage sur scène et d’une bataille de polochons. Ils avaient invité pour l’occasion Flavien Berger qui a bercé leur été, autant que le notre, avec son EP Mars Balnéaire. On leur a donc proposé un entretien tous ensemble, avant la fête, qui promettait déjà d’être très folle.

Salut c’est Flavien cool & Berger cobversations

Pourquoi y a-t-il plein de paillassons Salut C’est Cool à l’entrée ? Salut C’est Cool : C’est juste pour se faire des thunes et pour que les gens repartent avec un petit souvenir ! Flavien Berger : Vous les vendez combien ? SCC : Dix boules. Flavien : C’est un grand paillasson coupé en petit bouts ? SCC : Non. A couper, c’est impossible. Certes on aurait pu faire des belles formes mais cela nécessite une scie particulière, et ça ferait des pertes autour. Ceci étant, on aurait pu s’en servir pendant le concert : genre se les mettre sur la tête. Et ces sprays d’eau parfumée? SCC : Ce soir, on a prévu une bataille de polochons et, du coup, il va y avoir pleins d’acariens. On va

utiliser ces sprays pour faire retomber les poussières s’il y a trop de gens qui éternuent. Intelligent, non? Flavien : C’est incroyable comme idée les gars, que vous ayez réfléchi au fait qu’il fallait faire tomber la poussière… SCC : En fait, on connait des allergiques qui utilisent cette méthode… Merci Alex, si tu nous lis! Vous êtes plutôt performance que concert ? SCC : Non, c’est juste un concert mais il y a des trucs qui se passent en plus de la musique. C’est faire de la musique et des jeux en même temps, pour une expérience un peu totale. Et pour toi, Flavien ? Flavien : Moi, je chante mes chansons différemment que sur le disque, je les improvise, en les prenant comme une matière. C’est comme si je m’autosamplais. Du coup souvent je ne chante même pas



les paroles des morceaux, parfois même pas dans la langue de base, même si on reconnait le titre. Comment avez-vous découvert la musique des uns et des autres ? Flavien : Avec des potes on a un collectif, le Collectif Sin et lorsqu’on était étudiants on entendait parler de Salut C’est Cool, qui étaient déjà reputés pour leurs fêtes et leurs concerts. Il y a eu une rencontre, il y a super longtemps, entre le groupe et le Collectif mais je n’étais pas là. Puis un concert à Bourges, une sorte de battle entre nous, un truc dans le genre… SCC : un Dj set ping pong ! Flavien : Voilà. C’est vraiment comme ça que j’ai découvert leur musique et leur entité. SCC : Nous étions voisins avec les membres du Collectif Sin. On était à l’école ensemble quand Flavien a commencé à faire de la musique, on a vite entendu son travail. Du coup, cet été on s’est tué à Océan Rouge dans la bagnole, à la maison et un peu partout d’ailleurs. Vous avez tous fait des écoles d’Art. Toi, Flavien, tu y enseignes même… SCC : Sérieux, t’es prof ? (Rires)

Votre site internet dispose d’un journal intime avec pleins de photos ; est-ce que les réseaux sociaux fondés sur l’image, comme Instagram, vous attirent ? SCC : Instagram, on trouve ça chiant parce que le format de tes photos doit obligatoirement être carré. En plus, c’est à faire avec un smartphone et on en a pas donc, techniquement, ce n’est pas pour nous. Et puis, les photos partent directement de ton téléphone vers internet sans passer par ton ordinateur c’est à dire sans que tu puisses les archiver ou les classer. Nul. Flavien : Ca a l’air d’un truc pro en apparence mais c’est typiquement amateur. SCC : Et les filtres sont pas géniaux. La photo originale sera toujours mieux que si tu la retouches dix fois. Dans ce journal, il y a l’album des Eurockéennes, c’était comment de jouer là-bas ? SCC : C’était trop bien, il a beaucoup plu. Flavien : Les photos où vous allez dans une forêt puis dans une cabane, c’était là-bas ? SCC : Sûrement…oui Flavien : Ah ouais, ça dérive à mort (rires) !

Flavien : Oui, aux Ateliers de Sèvres, à Paris. SCC : C’est une interview révélation CRUMB ! C’est trop cool ! Mais tu as quel âge ? Flavien : 28 ans. SCC : Nous, on pourra être prof dans 3 ans (rires). Vos experiences respectives dans l’Art ont-elles une influence sur votre façon de penser et concevoir la musique ? Flavien : Oui je pense. C’est totalement lié même. Ca t’apprend à penser, à travailler. SCC : Si tu essaies de les séparer dans des compartiments (c’est ce que certains d’entre nous faisaient quand on était à l’école en parlant rarement du groupe), tu te rends vite compte que des ponts se font puisque c’est la même personne qui fait tout donc tu peux faire des parallèles de réflexion. La musique, après tout, c’est une forme d’expression comme une autre et, dans les écoles d’Art, le principe c’est de faire des projets. La musique en est un qui prend juste une forme différente. Et pour l’enseignement, Flavien ? Flavien : Cela permet d’être au courant de plein de choses niveau musique, des mecs de dix-huit ans qui arrivent en écoutant de l’acid et qui s’y connaissent trop bien, alors que c’est quelque chose d’inconnu pour ma part. Cela t’apprend l’humilité et t’ouvre l’esprit. Je ne donne pas de cours magistraux, j’apprends des techniques. Comme une expérience que je mets sur la table et que je partage.

SCC : C’est qu’on a joué hyper tôt. Du coup, on a eu le temps de bien s’amuser… Tu n’as pas d’albums photos dans ce type, Flavien ? Flavien : Non, en fait, j’archive tout. Des images se retrouvent dans certains de mes clips. J’accumule, encore et encore, sans vraiment savoir pourquoi. Après, lorsqu’un projet nécessite une certaine matière, c’est là-dedans que je la trouve. C’est ce qu’il va se passer pour mon prochain clip. La pratique de ma musique m’est très personnnelle, toutefois, je suis aussi un membre du Collectif Sin. SCC : D’ailleurs on trouve ça super courageux de faire de la musique tout seul. C’est quand même rassurant d’être en bande, d’aller à des endroits, d’être ensemble pour s’ennuyer moins. Flavien : Je ne m’ennuie pas vraiment car, finalement, je suis rarement seul, surtout en concert. SCC : Tu ne te démotives jamais ? Flavien : Parfois, je me retrouve dans des situations un peu abyssales à cause de la fatigue. Je ne dirais pas que c’est ennuyant sinon je ne ferais pas de musique. Je rencontre énormément de gens ; tant dans la phase de creation, que dans la production, je ne me sens vraiment pas seul. C’est aussi ce que m’ont appris mes etudes : gérer des étapes de projet, allier le bon travail aux bonnes étapes, avec les bonnes methodes.


SCC : Nous, on est très mauvais, pour gérer nos projets, meme si c’est plus organisé qu’avant… Flavien : Faut voir aussi ce que ça donne si vous vous mettez à tout faire de manière très organisée : vous allez peut être ressembler à un boys band (rires). SCC : Faire de la musique, c’est aussi prendre du temps sur notre quotidien. C’est un peu paradoxal parce que tu t’empêches de faire d’autres choses. Flavien : Je ressentais cela avant aussi mais, maintenant, je considère ce temps comme moteur et nécessaire pour le reste. (…) Mais, je comprends pas. Ca t’empêche de faire quoi ? De l’argent ? (Rires). SCC : Non, on a nos paillassons pour ça (rires). En fait, il y a la musique mais aussi tout ce qui l’environne, que l’on considère comme une extension de nous-même. Communiquer sur ce qu’on est en train de faire et de créer s’inscrit dans une pratique globale. Mettre en ligne un album des Eurockéennes de Belfort nous paraît naturel comme n’importe qui, y étant allé, aurait envie de partager ses photos. Flavien : Mais c’est rendu possible par l’humour, que le roman photo soit l’extension du concert ! C’est aussi pour ça que je suis content d’être là ce soir. A l’inverse de mes disques, les concerts sont un peu plus drôles. Il y a plus de derision, alors que le disque est plus premier degré et romantico-imagé. Je pense que l’humour est un moyen de tout transformer en Salut c’est cool. Toutes vos images sont des chansons, c’est comme cela que je vous perçois en tout cas. SCC : C’est une façon de voir les choses un peu différente, faire de la musique c’est pas le but unique. Flavien, tu as des projets particuliers pour 2015 ? Flavien : Je vais sortir un album en entier, complet. C’est intéressant de se plier à l’exercice consistant à composer des morceaux plus courts pour en avoir plus. Il y a toujours un thème précis. En l’occurrence, cette fois, ce sera une attraction de fête foraine qui fait évoluer un personnage jusque dans les abysses de l’océan. Les morceaux sont faits, l’album est en mixage. Après viendront les concerts… D’où te viens ta fascination pour la fête foraine ? Flavien : De l’imagerie collective. La fête foraine, on la connait tous, on en a tous fait, il y en a toujours eu partout. Il y un an, à Berlin, je suis allé au marché de Noël avec des copains. On avait fait la fête la veille. Il y a eu un déclic opéré par le reste de drogues qu’on avait dans le sang et les lunettes psychédéliques qu’on nous avait mis sur les yeux pour faire la fameuse attraction du Palais du Rire. C’est devenu super inspirant et j’ai commencé à faire des chansons sur ce thème. J’en visite plein depuis pour l’imagerie de l’album, là j’étais à celle de Rouen puis il y aura celle de Rennes et après j’irais voir celle de Brighton. SCC : T’as open bar sur les attractions du coup?

Flavien : Pas trop. C’est le label qui paie les attractions, du coup, on demande des reçus, ça donne des trucs assez géniaux. On en a un avec marqué dessus : “Vingt cinq euros” en manuscrit et juste “King” tamponné dessus. C’était pour une montagne russe. Ça ne passera jamais à la comptabilité. D’ailleurs à Rouen, l’autre jour, l’attraction c’était un énorme disque, entouré d’autres disques qui tournent dans des sens différents avec au milieu de ça une statue d’un DJ du futur, qui tournait lui-même. Il avait des lunettes de soleil immenses, les verres faisaient le tour de sa tête, une casquette à l’envers en plastique, et il tournait au milieu de l’attraction, c’était incroyable, magnifique, magique. SCC : Ca a l’air trop bien ! Il y a souvent des attractions qui paraissent moins impressionnantes mais c’est avec elles que tu auras les sensations les plus fortes genre “La poêle A Frire”, où tu sautes comme un fou. La dernière fois qu’on est monté dessus, il pleuvait à moitié, c’était tellement extrême. On avait vraiment l’impression de perdre pied, à la fin, on était mal ! “La Poêle A Frire” de Stasbourg, ça déchire. C’est à tester ! Vous avez déjà pensé à tourner un clip dans une attraction ? SCC : Je ne sais pas si c’est trop notre délire parce que c’est souvent un seul thème du coup ça pourrait être un peu relou de devoir promouvoir un unique personnage. Genre, une poêle à frire. Flavien : Un parc à votre nom est prévu, non ? Un parc d’attraction géant Salut C’est Cool ? Ouverture en 2016 ? (Rires). SCC : Oui ! Il sera totalement en paillasson ! Propos recueillis par Alice De Jode.


JAGWAR JAGWAR MAMA


Interview publiée le 29 juillet 2013 On ne vous présente plus le groupe australien Jagwar Ma que nous avions déjà croisé en juin dernier. Entre temps est sorti leur premier LP, Howlin’, un album pop résolument moderne qui insuffle sur des sonorités 90’s une énergie nouvelle, dans un savant mélange de dream pop psychédélique, d’acid house et d’electronica. Après leur concert parisien à la Flèche d’Or et un mois avant leur venue au Pitchfork Music Festival le 1er novembre prochain, nous avons rencontré la tête pensante du groupe Jono Ma et le chanteur Gabriel Winterfield.

L’été touche à sa fin, quels sont les meilleurs souvenirs que vous garderez des scènes sur lesquelles vous avez joué ? 
Gab : Tout a été parfait. Il n’y a eu que des bons souvenirs. Il y a eu des moments très importants pour nous. Jouer à Glastonburry était vraiment spécial car quelques heures avant, Jono était très malade et il y avait de fortes chances pour qu’il ne puisse pas jouer. On s’était fait une raison, et puis finalement il est monté sur scène avec nous, c’était magique ! Ensuite on a fait le Leeds Festival, très intéressant, puis le Bestival sur l’île de Whight, très différent mais tout aussi cool. On a aussi tourné en France avec Foals à Lyon, Lille, et Paris où l’on a fait un concert à la Flèche d’Or la semaine dernière. C’était très chouette. Comment ça s’est passé avec Foals ? Vous avez aussi tourné avec The XX… 
Gab : Foals est vraiment un groupe à part, très différent des autres groupes avec lesquels on a joué. La dernière fois, je suis resté éveillé, avec eux, jusqu’à 7 heures du matin à parler politique étrangère avec Yannis. Il a des origines grecques. Son point de vue sur ce qu’il se passe là-bas est très intéressant. Il est passionné par le sujet, très patriotique donc c’est marrant de parler de cela avec lui. Moi-même j’ai des origines iraniennes et l’on en parle beaucoup aussi. Jamie (de The XX, ndlr), lui, est une des rares personnes que je connais à Londres qui skate donc on n’arrête pas de parler de cela, de s’envoyer des vidéos de skate, etc. The XX est vraiment un chouette groupe, ils sont tous adorables et leur public est à leur image donc c’est vraiment très agréable de jouer devant eux, on ne se sent pas comme des étrangers. La première fois que l’on a fait leur première partie, nous pensions que personne ne nous connaissait et

que la salle serait déserte. En fait ils sont tous venus tôt pour nous écouter aussi, c’était vraiment cool ! Howlin’ est un album très éclectique. Si vous deviez définir votre style, vous diriez quoi ? Gab : Notre style c’est avant tout “des mecs qui jouent à la guitare” ! Ce n’est pas vraiment un style mais on fait tous de la guitare depuis notre adolescence et c’est ce qui nous a inspiré le plus, ce qui nous a tous donné envie à un moment de monter un groupe. C’est très difficile d’en choisir une en particulier, c’est comme choisir un de ses enfants, quoi (rires). Quand l’idée vous est venue, vous étiez plutôt jeunes. Vous jouiez dans des fêtes d’ados ? Gab : Ouais, très souvent ! C’était le meilleur moyen que j’avais trouvé pour qu’une fille vienne m’aborder : jouer Come As You Are de toutes mes tripes ! Et ça marchait ?
 Gab : Absolument pas ! Quel regard portez-vous sur la scène électro de ces dernières années ?
 Jono : elle est saine, plus saine que jamais. L’électro est une musique en perpétuelle mutation qui évolue très vite tout en se recyclant énormément. J’aime beaucoup la Classic House, la Deep House, des mecs comme les Pachanga Boys par exemple. Il y a quelques années, tout devait être très rapide, immédiat, dansant. Je trouve l’électro plus saine aujourd’hui car certains styles sont plus profonds, plus calmes mais elle n’est plus aussi intense. Bon il y a des exceptions, regarde le Dubstep américain ! Pour le coup je ne sais pas si c’est une musique saine mais en tout cas définitivement très intense !


A quels artistes émergents souhaiteriez-vous confier un remix ?
 Jono : En parlant d’eux, justement, les Pachanga Boys ont fait un remix de Come save Me absolument fantastique qui vient de sortir en vinyle. Il est sur la face A et dure 12 min. Ils l’ont passé au Burning Man cette année, le dernier jour du festival à 7 heures du matin, c’était fou ! Tu peux trouver la vidéo sur YouTube, c’est très intéressant à regarder, je te le conseille ! En termes d’artistes émergents, plus sérieusement, on aime beaucoup Dan Avery qui vient d’Angleterre et qui produit des choses vraiment très excitantes. Il y a quelques mecs en Australie aussi, Guerre par exemple, pour ne citer qu’eux. Je pense que l’on peut considérer ça comme de l’électro, mais son style est vraiment très difficile à définir. Ca se rapproche de James Blake vocalement parlant, je ne sais pas si tu vois. A écouter et découvrir aussi, quoi. Sinon, nous sommes vraiment fans de Jonti qui vient aussi de Sydney et avec qui on est amis depuis longtemps car on a grandi dans le même quartier. Il est en train de nous faire un remix. Il travaille avec The Avalanches pour leur prochain album et sur son propre album aussi, en même temps, qui est incroyable. Pour te donner une idée, ça sonne comme du J Dilla qui remixerait les Beach Boys, tu vois ? (Rires). Vous pouvez nous parler de l’écriture et de l’enregistrement de Howlin’ ? 
Gab : Il y a des idées qui reviennent souvent et qui remontent à très longtemps. Quand on travaille sur des mélodies, on va chercher très loin dans nos souvenirs d’enfance. Après l’enregistrement de l’album en lui-même a duré environ un an. Jono : On a commencé quand on s’est mis à mixer Come Save Me. Quelle chanson vous parait être la plus représentative de Jagwar Ma ?
 Jono : Encore une fois c’est comme choisir un de ses enfants, c’est difficile de répondre. Enfin, je crois. Gab : C’est comme si tu fouillais dans l’œuvre de Freud en cherchant lequel de ses écrits résume le mieux sa pensée. Nous concernant je pense quand même que c’est Come Save Me. Pour Freud, je ne sais pas. Jono : Ouais celle-là et The Throw car elle contient tous les ingrédients qui nous caractérisent : de la pop, des éléments plus sinistres, des éléments deep dance très calmes, des samples, des beats, des guitares… Tout cela à la fois. Un équilibre entre une pop très directe et une musique électronique plus profonde. Vous avez déjà fait des DJ set dans le passé ?
 Jono : Oui. J’en ai fait personnellement pendant des années en Australie. Récemment j’ai mixé en Croatie, d’ailleurs, dans un festival, sur une péniche, c’était génial ! Je collectionne des disques depuis des

années et j’adore les mixer. En octobre vous revenez à Paris pour jouer au Pitchfork Music Festival. Vous allez partager la scène avec les Disclosure, que nous avons interviewé (lire page 174, ndlr) qui sont très connus en France, vous pensez quoi de leur musique ?
 Jono : Ils sont incroyables ! Ils sont tellement jeunes, c’est leur tout premier album mais c’est déjà d’une efficacité redoutable ! Quand tu l’entends à la radio, ça te tranche comme une lame de rasoir ! On les a vus pour la première fois au Midi Festival, en France, l’année dernière. On ne savait pas encore qu’ils allaient sortir un album, c’était avant qu’ils explosent, et je me revois me dire « Wow ces mecs vont être gros, très gros ! » Donc ouais, nous sommes de grands fans ! Vous pouvez leur dire. Un mot sur le choix de cette pochette d’album ? C’est quoi en arrière-plan ? On dirait Sangoku pendant la pleine lune…
 Gab : C’est vrai ouais ! Jono : Tu as raison. Gab est un grand fan de Dragon Ball Z (rires) ! Plus sérieusement, c’est un dragon. C’est mon frère Dave et un pote à nous qui ont travaillé sur le visuel. Mon frère est photographe et il nous a envoyé plein de vieilles photos de paysages jusqu’à ce que l’on tombe sur cet étrange visuel qui ressemble un peu à une photo de famille. Je crois qu’elle date des années 80. La photo lle a été prise dans un parc à thèmes qui n’existe plus aujourd’hui. On s’est dit qu’elle avait un genre de pouvoir surnaturel, c’est pour ça qu’elle est devenue le visuel de l’album !

Propos recueillis par Maxime Rosenfeld Merci à Maxime Pascal et à La Mission


Interview publiée le 21 janvier 2012 Avec un premier album intitulé Will the Guns Come Out, Hanni El Khatib, nous plonge dans un univers fifties rempli de Rockabilly, de Blues et de Doo-Woop. Fils de parents philippino-palestiniens et natif de San Francisco, ce monsieur aux cheveux gominés est surtout imprégné d’une grande culture américaine nous en parle sans retenue. Il nous fait même partager la musique de ses potes. Un type cool, quoi. et

HANNI EL

KHATIB

On peut voir des photos d’accidents de voiture sur les pochettes de tes albums, d’où t’es venue cette idée ? Cela a commencé après mes premiers enregistrements. J’ai photocopié des photos d’accidents en noir et blanc : des maisons brulées, des accidents de voiture. (Il nous sort un petit livre, et nous explique qu’il y avait des photos d’accidents, puis des trucs écrits, puis d’autres accidents). Voilà à quoi ressemblait mon album au début, avant que je signe sur mon label. Je le vendais tel quel après mes concerts ou le donnais simplement à mes amis. C’est marrant, parce qu’un an avant, Sarah de chez Colette (le célèbre concept-store parisien, ndlr) a acheté plusieurs copies de ce disque fait maison pour les vendre. Je voulais donner vie à une sorte de fanzine, un peu comme CRUMB, qui ressemble à l’esprit de ma musique. J’ai commencé par le vinyle, qui est bleu avec une scène d’accident. Il y en a une

autre, rouge, sur laquelle on aperçoit une voiture sur le flanc, criblée de balles. C’est comme ça qu’ils étaient aux États-Unis. Le concept, c’est de montrer que des objets qui ont l’air indestructibles peuvent se retrouver écrabouillés en un instant comme une boîte de conserve. Le titre de l’album vient de la chanson du même nom. J’ai toujours rêvé d’écrire des chansons de Gospel. Ça n’y ressemble pas vraiment mais c’est l’idée que je désirais faire passer. C’est assez personnel, en réalité. Ton album parle essentiellement d’amour. J’ai pris quelques morceaux de tes paroles : « You’re guilty / you’re a liar / you’re dead wrong / fuck you / You make me so lonely baby ». Tu nous expliques ? Hors contexte, cela peu sonner un peu débile, je te l’accorde (rires). En amour, tout le monde fait face à des problèmes relationnels, un jour où l’autre. Je


préfère écrire des chansons honnêtes, qui comptent pour moi. Alors, la plupart de mes paroles racontent des expériences personnelles ou vécues par des proches. D’ailleurs, c’est plutôt marrant d’écrire un morceau qui détaille les histoires de son meilleur ami. Lorsqu’il s’en rend compte, ça fait une drôle de surprise ! Tu écris donc plus facilement sur les peines de cœur et les problèmes sentimentaux ? Oui. Il est très rare que j’enregistre un morceau sur le simple fait d’être content, sur les histoires d’amour qui se passent bien, sans que cela soit complètement nul (rires). Prenons Loving You par exemple : magnifique, mais si n’importe qui d’autre que Minnie Riperton la chantait, cela serait ridicule. Morrissey ou les Smiths, par exemple, écrivent des morceaux avec des accords majeurs, des mélodies joyeuses et des paroles sombres et tristes. Je préfère les accords mineurs, cela doit venir du Blues. On ressent comme une sorte de construction / déconstruction sur ton album… J’ai grandi à San Francisco, je me sens américain avant tout. À l’école, toutes les origines et cultures étaient mélangées. Cela semblait normal. Nous mangions de la nourriture étrange tous les jours. À la maison, tout le monde parlait anglais, même si avec les membres de chaque famille respective, ce pouvait être de l’arabe ou du tagalog. Je suis fils unique, mais il y avait tout le temps des amis d’origines différentes à la maison. Je ne me suis jamais senti bizarre, même si bien sûr, il arrivait parfois qu’un camarade blanc trouve mon déjeuner spécial. C’était avant les événements du 11 septembre et la vague de racisme

et de peur envers les personnes originaires du Moyen-Orient. Je parle seulement anglais. C’est dommage, je sais. Mais cette culture fifties/sixties, elle te vient d’où ? Les années 50’s/60’s sont une période de l’histoire particulièrement iconique avec laquelle tout le monde grandit aux États-Unis. Elles font vivre une légende, même si elles ne sont pas de ton temps. C’est comme ancré dans l’esprit collectif. L’univers fifties en général me met de bonne humeur. Sur mon album, les références sont authentiques, mais ma musique n’est pas fifties. Mon ami Nick a 25 ans et ça, c’est sa musique : (Il prend son téléphone et nous fait écouter une chanson qui aurait pu être enregistrée dans les années 50, aux États-Unis) C’est un morceau qu’il a enregistré cette année. Alors, quand je pense à ma musique, je me dis que lui sonne fifties mais pas moi. Ma musique est plutôt un mélange de Garage, de Blues, d’inspirations d’un gros bordel d’influences musicales, que je condense dans chaque morceau. J’aime aussi certains aspects de Heavy Rock Psyché et de Punk. Build Destroy est très Punk. The Seeds, The Sonics faisaient du Garage super. Ma guitare, ma voiture, appartiennent à cette époque, aussi, c’est une vraie passion. L’interview se termine en écoutant Oo ma liddi, de JJ Jackson… “Désolé, j’ai tendance à parler un peu trop de musique” (rires). Merci Hanni, tu sais, on est venu pour ça ! Propos recueillis par Bastien Internicola.


AYO Interview publiée le 19 mars 2011

Prendre un café avec Ayo dans un appartement parisien et lui poser des questions sur sa musique, sa carrière ou encore Michael Jackson est une chose qui ne s’oublie pas. Intime, légére, à cœur ouvert et en toute simplicité, nous avons rencontré l’artiste pour la sortie de son nouvel album « Billie-Eve », électrisant et coloré.

On a l’impression qu’au fil de l’évolution de tes albums, ceux-ci deviennent de plus en plus personnels. Ce troisième opus, notamment, porte le nom de ta fille, et il y a des morceaux comme « Before » particulièrement intimes… Oui ! La musique agit sur moi comme un antibiotique, peut-être le seul que j’arrive à digérer. Quand on a mal à la tête, on prend de l’aspirine, quand on a mal à la gorge, on prend du sirop, mais vous êtes-vous déjà poser de la question du remède quand on a mal à l’âme et au cœur ? C’est à ce moment-là que la musique intervient. La musique t’a sauvé ? Pas à chaque fois. J’écris cependant souvent dans l’instant présent pour soulager mes douleurs. Cela dépend. L’autre jour, je me demandais si ce n’était pas trop égocentrique de n’écrire que sur soi mais finalement écrire sur moi, sur ce que je ressens est la seule façon que j’ai trouvé de me libérer d’un poids. J’en ai besoin pour être bien et équilibrée. Tu écris beaucoup de chansons, en rapport avec des femmes. Tu es également ambassadrice de

l’UNICEF. En quoi cet engagement, est-il important pour toi ? Mon engagement est important vis-à-vis des femmes et des petites filles. Avant d’être artiste, je suis avant tout, femme, maman et fille. Cumuler les trois n’est pas facile tous les jours. Tant qu’il y aura des choses à changer dans ce monde, les engagements personnels, politiques, sociaux, humanitaires, quels qu’ils soient, seront toujours importants. Tu as été élue par le journal Jeune Afrique comme faisant partie des 100 personnalités les plus influentes de la diaspora africaine du XXIe siècle. Quel lien entretiens-tu avec tes origines ? (Visiblement émue) Je ne savais pas que j’avais été choisie par ce journal. C’est incroyable ! (Un instant). Pour être honnête, j’ai toujours un problème quand les gens me demandent d’où je viens. Je suis né en Allemagne, ma mère est gitane, mon père nigérien. Cela fait un grand mélange. Mais je crois en l’être humain, peu importe d’où il vient. Je suis une enfant du monde, cosmopolite, je ne crois ni aux passeports, ni aux frontières, je crois au bon et au mauvais. L’Afrique, en elle-même est aussi importante dans ma



vie, au sens des origines que dans celle de n’importe qui, car elle a joué un rôle primordial dans la naissance et dans l’histoire de l’Humanité. Ta musique est d’ailleurs particulièrement cosmopolite. Mélange de reggae, de soul, de pop…? Inconsciemment oui. Je crois que ma musique est simplement influencée par la vie. La vie est pleine de couleurs qui changent tous les jours et qui changent avec nous. Tout ce que je vis m’inspire. Un peu à la manière d’une éponge, je m’imprègne de chaque moment vécu, je prends tout ce qu’il y a autour. C’est cela qui m’influence. Peu importe d’où la musique vient, peu importe ses origines, son style, ce n’est qu’une question de couleurs. Sur ce nouvel album, tu as énormément travaillé le côté électrique cette fois-ci ! Beaucoup plus que sur les précédents… C’était un choix naturel. Après le second album, quand j’ai commencé la tournée, j’ai joué quelques chansons à la guitare électrique. Et, de fait, j’ai découvert l’instrument. Et puis, j’ai été bercée toute mon enfance par les sons de Jimi Hendrix, The Who, Led Zeppelin… Avec les sons électriques, l’album paraît vraiment plus rock. Cela change, impressionne. Surtout ceux qui se disaient « merde, un nouvel album de Ayo, encore un truc acoustique » (rires). C’est un peu comme si j’avais découvert un nouveau sens. Pour l’enregistrement, tu t’es entourée de nombreux artistes, et notamment de Mathieu Chédid, qui apparait à la guitare sur une chanson. Oui ! On s’est rencontrés il y a un peu plus de trois ans à Londres, lors d’une JAM Session, qui s’intitulait Africa Express. Il m’a invité à jouer avec lui dans ses concerts, je l’ai invité dans les miens. On s’est dit « un jour il faut que l’on fasse un truc ensemble », mais nous étions toujours tous les deux en voyage ou en train de faire quelque chose en particulier. Je suis allé à New York enregistrer mon album, avant d’être hospitalisée suite à une grossesse extra-utérine. Pendant ma convalescence, j’ai écris des chansons, sans aucun instrument à disposition. J’avais tout de prêt dans ma tête, j’ai demandé au boss de Polydor s’il m’autorisait à retourner au studio, et il a accepté. Je suis allé au studio Ferber à Paris, et j’y ai enregistré 5 chansons, en deux jours, dont celle avec Mathieu, que j’ai appelé et qui a tout de suite accepté ! C’était une approche vraiment différente, car j’ai joué la batterie et lui la guitare. Ce fut un moment particulièrement inspiré. Mathieu est un très grand musicien. Tu as d’ailleurs enregistré ces chansons tellement rapidement que tu as mis sur l’album la démo du morceau « My Man ». Pourquoi avoir laissé la première prise telle quelle ? Je crois que les premières prises sont toujours les meilleures ! C’est comme une première impression quand tu rencontres quelqu’un. Cela peut évidemment évoluer, mais si tu ressens quelque chose, c’est un signe ! Quand tu joues pour la première fois une

chanson, il y a une énergie qui se dégage, quelque chose de spontané que tu ne peux pas reproduire. Je fais généralement peu d’enregistrements. Quand tu es satisfait de quelque chose, il est souvent très difficile de le reproduire, même pour l’améliorer. Un mot sur Michael Jackson. Reprendre « I Want You Back », c’est un message directement adressé à lui ? Pour moi, Michael Jackson est le plus grand ! Quand on me parle de musique, je pense tout de suite à lui. Il représente une grande partie de mon enfance et il est la preuve que la musique peut sauver une personne. Quand tu regardes sa vie, les moments difficiles qu’il a vécu, je crois, que c’est seulement quand il chantait, qu’il était en paix. Rien de ce qu’il a fait n’a été un jour dépassé. Et ne le sera jamais. Plus personne n’arrive à sa cheville aujourd’hui. Pas même Prince – Si vous avez le temps, allez sur Youtube et tapez « Prince Michael Jackson et James Brown », il y a le lien d’une vidéo de l’anniversaire de James Brown. Michael Jackson, sur scène, improvise une petite vocalise simple, timide et modeste. Prince, avec sa guitare, enlève son haut et fait le show -alors que c’est le concert de James Brown- jusqu’à s’accrocher à une barre pour faire une lapdance, une barre qui lui paraissait solide mais qui lui tombe dessus et tout le décor avec. C’est le summum du ridicule. Si j’étais journaliste chez CRUMB et que j’avais l’occasion de l’interviewer, je lui demanderais : « Mais sérieusement Prince, sérieux, mais qu’est-ce qui t’est passé par la tête ce jour là ? » (Rires). Promis, on lui demandera !

Propos recueillis par Thomas Carrié. Photographie : Diane Sagnier, pour Crumb magazine Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.


MAJUNGA


MADAGASCAR par Maxime Leyravaud







Série photo publiée le 5 novembre 2013

Photographe professionnel depuis 2008, Maxime Leyravaud est un adepte de belles images et de la photographie sous toutes ses formes. Il navigue entre les voyages et les studios. Les photographies de ce portfolio sont tirées du travail de Maxime Leyravaud. Pour CRUMB, le photographe présente une première série d’images, documentant le travail de recyclage dans une casse de bateaux à Majunga, sur la côte Ouest de Madagascar. Des hommes organisés en plusieurs équipes (gardiens, casseurs, forgerons, etc) démantèlent des bateaux de pêche et de transport en fin de vie, à la force des bras et avec des outils rudimentaires, pour pouvoir récupérer les matériaux, les recycler et ainsi fabriquer de nouveaux navires. Ils utilisent les tôles pour faire des braseros employés pour le chauffage ou la cuisine, les roues des pousse-pousse ou encore des charrettes. Ces hommes, âgés pour la plupart entre 20 et 35 ans, vivent avec leur famille sur les navires ou aux abords du chantier. Il n’y a pas toujours du travail sur le site, alors ils vont travailler aux champs ou s’occuper des zébus et des cochons. Le travail final, plus large de cette série, comportera plusieurs épisodes, des reportages (sur la vie familiale, les coutumes et la religion, les ethnies, des lieux insolites ainsi que différentes méthodes de travail) réalisés dans tout Madagascar qui seront des sujets à part entière, desquels seront extraites des séries d’images. Ce projet, présenté sur CRUMB a pour but de tisser un portrait, un état des lieux de Madagascar tout en mettant en avant la capacité d’adaptation des malgaches. Ce travail s’étale sur plusieurs années à Madagascar et est réalisé en numérique. Il aura comme finalité une exposition et l’édition d’un livre qui sera vendu au profit de l’association ADDAM, qui est présente sur l’île depuis dix ans.


AYO #2 Deuxième rencontre Interview publiée le 6 octobre 2013

Je retrouve Ayo là où je l’ai laissé, quasiment trois ans après la sortie de son dernier album, « Billie-Eve », le prénom de sa fille. Je m’impatiente déjà. Ayo est une amie.
 Elle revient avec « A Ticket To The World ». Pas la même. Elle a changé, d’univers, de maison de disques, d’équipe, de style. Elle a grandi. Ou plutôt, elle a repris la route des sillons tracés par son premier album, ce qu’elle appelle « ses racines ». Au sommet de son art, tout en prenant des risques. Aujourd’hui, Ayo rappe, plus affirmée, plus brutale, seule ou en duo avec Youssoupha, dit les maux du monde et les met en lumière. Elle est la lumière. Nos retrouvailles se déroulent au sous-sol du Loulou, boulevard Saint-Germain. Billie-Eve, sa fille, est là. Elle a trois ans, elle aussi a grandi. Elle parle, fait des grimaces, me regarde, est surprise. Elle ne sait pas encore –ou peut-être que si- que sa maman a enregistré l’un des meilleurs albums de l’année.

Il y a trois ans, je t’interviewais pour la sortie de “BillieEve”. Tu as fais quoi tout ce temps ? Tu en as profité pour voyager ? C’est intéressant que tu me poses cette question, car finalement je n’ai quasiment pas voyagé. Je suis restée chez moi, avec mes enfants, j’étais pas mal occupée j’ai profité de ce temps pour faire une introspection personnelle, penser à moi, aux choses enfouies. J’ai voyagé intérieurement, pris un peu de recul mais je n’ai pas beaucoup bougée géographiquement ! (Rires). Un des mes meilleurs amis, d’Hambourg, est venu chez moi – celui avec qui j’ai écrit mon premier album, et Down on My Knees (son premier succès public, ndlr). Je lui ai dis que j’avais envie de changer, que je voulais faire du rap. On a travaillé sur des « beats », et j’ai écris Fire et Complain, un retour à mes racines, ce que j’ai toujours aimé. Il est vrai que chacun de tes albums apporte une touche personnelle différente. Sur le précédent tu mettais en avant l’électrique des guitares. Pourquoi cette envie et ce besoin à ce moment-là de ta vie, de revenir à ce que tu appelles tes « racines », le rap ? Je ne sais pas s’il y a une explication. A chaque nouveau disque, je suis dans un état d’esprit nouveau, c’est vrai. Quand je me suis penchée sur cet album, j’ai voulu créer un personnage, sorte de « Black Mamba », pour me cacher. J’avais peur que les gens ne reconnaissent pas mon univers si je me mettais à rapper. Alors j’ai inventé un alter ego mais je ne l’ai finalement pas gardé, cet album est signé “Ayo”… Un personnage comme celui de Mathieu Chédid, avec qui tu as collaboré ! Ne pas garder « Black Mamba », c’est finalement une manière d’assumer complètement, d’affirmer qui tu es et ce que tu veux… Oui. J’ai fais écouter quelques extraits d’album à des amis (les membres du Saian Supa Crew, ndlr) et ils

m’ont tous dit la même chose : « Cet album ce n’est pas Black Mamba, c’est toi, c’est Ayo ! Tu l’as fais avec ton cœur, avec ce que tu es, assumes ! ». Cela m’a fait du bien, parce que j’ai beaucoup douté. Tu sais, il y a même un ami proche qui m’as dit « Il ne faut absolument pas que tu rappes, c’est trop “Old School”, reste avec tes chansons à la guitare et ce sera mieux ». Il m’a même conseillé de réécrire Fire (premier extrait de l’album, partagé en duo avec Youssoupha, ndlr). Au fond de moi, je sais que je suis dans le vrai. A la première écoute, j’ai appelé mon père en lui disant « Papa, je crois que c’est mon meilleur album »… Tu me disais l’autre fois que pour écrire, tu t’imprégnais de choses de ta vie, ce fut le cas aussi cette fois ? Oui. En encore plus fort même. J’ai été inspirée par les mouvements de contestation, les « Riots », et toutes ces choses que l’on a vu partout en Europe et dans le Monde, même au Nigeria, c’était la première fois que des gens descendaient dans la rue, sortaient, protestaient. Le monde change, est en train de changer, tout est étrange, le système dans lequel nous vivons est un cancer. Mon fils va bientôt avoir 8 ans, alors je pense à l’avenir. J’écris mes doutes et mes interrogations. En parlant d’interrogations, tu en as connu avec ton changement de maison de disques, une étape importante et pleine de solitude… Oui. Après la sortie de mon précédent album, j’ai complètement changé d’équipe, je ne me suis pas entendu avec la direction de Polydor. Je me suis retrouvée complètement seule. Je suis allé voir Pascal Nègre en personne en lui disant que je voulais être chez Motown. Il a ri. J’ai signé chez Motown ! Je ne l’ai pas encore dit à mon père, j’attends qu’il voie le logo sur le disque, que je lui porte en personne et qu’il


soit fier de moi. Tu sais, cet album est une renaissance. J’y interprète Sunny, le premier vinyle que je me suis acheté quand j’étais toute petite alors que j’étais en orphelinat… Faire de la musique c’est ta manière de panser les plaies, les tiennes et celles du monde ? Je crois que c’est une manière d’exprimer ce que j’ai sur le cœur. Cet album là, plus que les autres, parle du monde et de notre société. Les artistes ont une responsabilité. Je n’ai pas de télé mais quand je l’allume, dans les hôtels, que je regarde les JT et que je vois le monde et sa réalité, je me mets souvent à pleurer. On voudrait tous être des héros, mais on ne peut rien faire, on est dépassés. Alors je chante et j’écris. C’est ma façon de réagir, de panser les maux, de panser les plaies. Toi, moi, CRUMB, avons plus de

pouvoir que n’importe quel président si l’on décide de changer, d’opérer des changements, de travailler à un monde meilleur. Pour demain, pour nos enfants… Finalement, ton « Ticket To The World », c’est cet album ? Absolument. C’est marrant que tu dises cela, parce que j’en parlais il y a peu avec mon meilleur ami. Ma musique m’affranchit des frontières, c’est avec elle que je voyage, avec elle que je vis. C’est elle qui me porte… C’est mon passeport. Texte et propos recueillis par Thomas Carrié. Traduction : Guillaume Grégoris. Une version anglaise de cette interview est disponible sur le site du magazine : www.crumbmagazine.com

© Yann Orhan


©Thomas Skou / Windish Agency


In Danish, ‘mø’ means both maid, virgin, damsel and maiden. But nothing in MØ’s seductive lyrics give off signs of either virginity or being a helpless damsel in distress. MØ has grabbed the world by the balls, and in a heartbeat, her fuck-it-all yet congenial attitute made enthusiasts around the globe raise their arms to embrace this shooting star from Scandinavia. This week MØ returned from a U.S. tour (where she amongst other things supplied warm-up for the chillwave duo Purity Ring) and I was lucky enough to exchange a few words with Karen before she went back to her studies at the Art Academy in Copenhagen and, oh, working on her debut album with producer Ronni Vindahl. MØ has been compared to both M.I.A. and Lana Del Ray, but I was thrilled to discover that the cult status noise quartet Sonic Youth is on the top of her list of inspration: “Sonic Youth has always been one of my biggest inspirations – also when it comes to lyrics. I love the whole universe they have created around themselves as musicians and artists. When I was a teenager I printed out the lyrics to all the songs ever made by Sonic Youth, and I would read in the pile of paper before I went to bed.” The inspiration of boredom and dreams is revealed in the aesthetic video for the blasting single “Glass”. Fish cutters rest in the harbor, pickled gherkins stand in straight rows at the supermarket, the Christmas decoration glistens in the window; life appears boring and tedious. But somehow director Casper Balslev made it all appear visually beautiful, accentuating the theme of growing up in a small provincial town while dreaming about making it big. “I was quite bored as a teenager – and so were all my buddies in the province. My biggest dream was to become a punk/rock star and touch people with my music. My biggest fear was to miss a party; to miss the fun.” Now it seems that the boring days are over and Karen is enjoying life in Copenhagen, though she finds it critical that Denmark has no mountains. She stresses that having a good time is not absolutely everything in life, but… “I consider it very important to be able to just let go and stop worrying about everything. You don’t have to look pretty and strive for perfection – fuck that – no one can live up to it anyway. Just try to let go, relax, express yourself when you need to, and be as happy

as possible – then things look brighter.” Fuck perfection, fuck appearances, just chill? This is an electro-pop heroine we can relate to.

10 Quickies for MØ What is important to you as a lyricist? To be personal without reaching the borders of privacy, and to express feelings in a simple way without being too obvious. What are you listening to at the moment? MS MR, Sonic Youth (as always, but I just had stormy revival of my SY obsession), Bonobo, Major Lazer… But I don’t listen much to music when I’m at home. What was on your stereo as a teenager? Sonic Youth, Nirvana, Yeah Yeah Yeahs, Jimmy Hendrix, Smashing Pumpkins, Cat Power. What does youth mean to you? To wander around in the woods. Did you always want to make music? Yes – since I was seven it has been my big dream and obsession. What has been the greatest experience since your music career truly kicked off last year? All the traveling and the excitement of being in this position – chasing your dreams everyday. What is sexy? Confidence and muscles. Do you see yourself as a lady or a tomboy? Tomboy. What can we expect from your first album? Honesty, restlessness and hopefully songs people can relate to and be touched by. Are you coming to Paris anytime soon? I sure hope so! I really like Paris.

Interview by Denise Rose Hansen

ENGLISH TEXT

Interview published on October 6, 2013 of the music world is currently mispronouncing the edgy Copenhagen-based Karen Marie Ørsted’s artist name, Half who cares? MØ is not one to play by the books, and singing along to her provocative tracks is much more fun but than worrying about phonetics anyway. We love her for telling us to stop trying to be pretty – just relax, express yourself and be as happy as you can.


©Bella Howard / Nylon


Interview publiée le 9 novembre 2015 HINDS ouvrait le dernier bal du Pitchfork Music Festival, à Paris, samedi dernier. Trente minutes pour convaincre. Les espagnoles ont relevé le défi haut la main. Leurs titres ravageurs sévissent sur le web depuis plus d’un an. Pas de synthé pop, de voix innocentes, juste un rock honnête et sans complexe. Elles ont évoqué avec nous, la veille de leur concert à la Grande Halle de La Villette, ce qu’elles ont appris sur la route.

HINDS

Je vous ai découvert en premier partie des Libertines il y a un an… Hinds (toutes en même temps, en pointant du doigt la direction du Zénith) : Oh oui, c’est par ici non ? Exactement ! Vous avez ouvert les shows de nombreux groupes cette année, qu’en retenez-vous ? Sentez-vous avoir appris quelque chose ? Ana : The Libertines est le plus grand groupe avec lequel nous avons joué, mais nous avons seulement fait deux shows avec eux. Ces dix derniers jours, nous avons tourné aux États-Unis avec Glass Animals et nous avons beaucoup appris d’eux. Nous sommes devenus amis et toutes les questions que nous avions comme “Combien coûte un tour-bus ? Combien de personnes avez vous besoin dans votre équipe de tournée ?” ont pu enfin avoir des réponses ! Carlotta : Et tu réalises que c’est assez différent de notre façon de faire les choses. Eux voyagent la nuit pour arriver le matin et avoir le temps de découvrir la ville où ils jouent, des vrais pros ! Vous avez tourné dans le monde entier avant même de sortir un premier album. Est-ce que cela été bénéfique pour vous avec du recul ?

Carlotta : Je pense que c’est assez rare et on apprécie vraiment d’avoir cette chance. Tout cela c’est fait grâce à Internet. On n’a plus forcément besoin du schéma classique : rencontre avec label / signature / sortir d’album / tournée, etc. Quelque fois, les labels exigeaient même d’avoir un album écrit et prêt pour vous signer auparavant. Maintenant, Internet est le label. Il suffit d’y mettre quelques chansons pour lancer la machine. Justement, Pitchfork a atteint une renommée internationale en tant que magazine défricheurs de nouveaux talents sur le net. Est ce que c’est un site que vous consultez pour découvrir de nouveaux artistes ? Carlotta : Non, à vrai dire, pas vraiment, enfin, on finit toujours par y atterrir dessus ou le lire parce qu’ils ont un catalogue considérable… Ana : Ils ont aussi beaucoup d’exclusivité sur les artistes mais généralement je ne suis aucun de ce genre de sites « dénicheurs », comme si c’était une religion du genre : “Tout ce dont ils parlent, je vais l’écouter”, parce que je n’ai pas vraiment le temps d’abord, et parce que je préfère découvrir des artistes en live lors des concerts !



Š Ryan Kenny


Carlotta : Oui, nous sommes de vrais « marathoneuses » de concerts elle et moi ! Nous pensons qu’un live en dit plus qu’une critique d’album. Ana : Oh et Youtube également. Carlotta : On y passe des heures ! Pouvez vous me parler de la scène musicale en Espagne ? Carlotta : Avant de former HINDS, on pensait qu’il y avait une scène énorme avec pleins concerts et de groupes, des liens forts entres tout le monde. Mais malgré ces connexions, nous avons réalisé que la scène était en fait très petite, chez nous. Ana : C’est bizarre car nous revenons de New York et là-bas tout le monde se connait. Comme si tout ce monde fonctionnait comme un voisinage. Ce n’est pas seulement une impression de notre point de vue extérieur, même eux le ressentent ainsi. C’est comme à Madrid mais en plus beaucoup plus étendu, avec forcément plus de salles, plus de groupes et surtout plus de concerts : je dirais 10 auxquels tu veux aller par soir ! En Espagne c’est un concert par mois ?! Et vous pensez que la situation de la scène musicale garage à Madrid va s’améliorer ? Carlotta : Je crois que ça commence déjà à s’améliorer. Le fait que nous tournions en dehors de l’Espagne a fait que, soudainement, beaucoup de gens comme toi, comme CRUMB, nous demande ce qu’il passe chez nous. Donc je pense que c’est en train de devenir populaire, car nous essayons vraiment de défendre cette scène, de travailler pour elle. L’Espagne est notre maison et je pense que c’est en train de s’améliorer par cet engouement. Ana : Ce qui est triste, c’est que ce qui s’améliore, c’est seulement les groupes, la place qu’on leur donne, la considération que l’on a pour eux, etc. Mais je n’ai pas l’impression que l’industrie en elle-même change. La culture de la musique en Espagne n’est pas en train de se transformer radicalement, mais au moins il y a une porte qui s’ouvre. Aujourd’hui, les groupes de Madrid peuvent aller se produire ailleurs. Avant, on trouvait qu’il y avait vraiment ce problème de frontière infranchissable. Là on commence à voir la lumière au bout du tunnel ! Mais du point de vue de l’industrie : les producteurs, magazines, festivals, je ne vois pas vraiment de différence. Et si j’en note une, c’est seulement parce que les groupes de Madrid sont en train de vivre un truc incroyable et que les médias ne veulent pas rater le coche. Votre album sort dans quelques mois, quel a été votre processus d’écriture ? Carlotta : L’album pourrait être découpé en deux parties en terme d’écriture : la première a été écrite quand nous passions plus de temps à Madrid, avant que nous partions en tournée. Ces chansons ont été écrites et composées dans une salle de répétition et

chez nous, d’une manière très relax où nous prenions notre temps. Puis nous avons commencé à tourner non stop et nous ne pouvons vraiment plus écrire. Notre vie en tournée se résume à jouer, dormir, faire des interviews (10 aujourd’hui, ndlr), des shootings et répondre à des emails ! Nous n’avons pas le temps de prendre une guitare. L’autre partie de l’album a été faite dans la fatigue, pendant de longues nuits sans dormir pour terminer les chansons en travaillant sur tous les instruments en même temps. Comme une explosion de musique lorsque nous sommes rentrées à Madrid alors que nous n’avions pas vu nos familles depuis des mois. Comment percevez-vous l’image des groupes de filles dans les médias ? Ana : Comme une image désastreuse qui s’améliore lentement. Carlotta : On m’a demandé l’autre jour si je ressentais être traitée de manière différente par mon label car je faisais partie d’un groupe de filles. Je n’ai jamais ressentie cela. Nous sommes différentes en tant que Hinds mais pas en tant que « groupe de filles » d’un label. Cette question est très compliquée pour nous car cela dépend du contexte et c’est quelque chose à laquelle nous ne voulons pas attachée une trop grande importance. C’est évident qu’il y un problème d’image quelque part mais nous n’y avons jamais vraiment été confronté. On se dit juste qu’il ne faut pas y attacher trop d’importance. Pourquoi nous inquiéter de que les gens pensent de nous ? On s’en fout. Ade : Cela dépend vraiment aussi des différences culturelles. Nous rentrons d’Amérique et face à cette question, les Américains sont incroyables. Il y a tant d’énergie, de soutiens aux filles qui font de la musique. Je n’ai jamais vu autant de femmes ingénieurs du son ou travaillant dans le secteur. Carlotta : Oui c’est dingue, il y a dix personnes dans les bureaux du label, dont deux garçons seulement ! En Espagne, il y que des garçons, en Angleterre c’est plus ou moins différent… Nous approchons de la fin de l’année, il y a-t-il un album sorti en 2015 que vous avez écouté en boucle pendant votre tournée ? Carlotta : Nous avons beaucoup écouté Glass Animals, leur album est dingue. Beaucoup de The Districts également, Mø (lire interview en pages précédentes, ndlr). Mais c’est très drôle car nous n’avons jamais la Wifi pendant les tournées, n’importe où que l’on soit, cela ne capte jamais. On a cinq albums sur nos téléphones qui passent donc en boucle !

Propos recueillis par Alice de Jode



FOXYGEN Rencontre/texte publiée le 23 octobre 2014

Le duo Foxygen sera sur la scène de la Grande Halle de la Villette pour un concert d’Halloween à l’occasion du Pitchfork Music Festival, à Paris. Il présentera alors …And Star Power, le dernier résultat de tribulations punk. Jonathan Rado, le compositeur du groupe, nous a confié sous un soleil de plomb ses aventures californiennes.

Depuis plusieurs années, Foxygen dispose d’une aura mystique dans notre imaginaire. Notre rencontre avec Rado, le compositeur du duo l’a confirmé, en y ajoutant une belle touche d’innocence. Si We Are The 21st Century Ambassadors of Peace and Magic avait fait grand bruit à sa sortie début 2013, grâce à une production léchée et des mélodies gorgées d’air californien, Star Power apparaît au premier abord comme un obscur come back : 24 titres dont les durées varient entre une et sept minutes et une phrase qui peut laisser perplexe. “Star Power is the radio Station you can hear only if you believe.” Heureusement, le parfait triptyque d’ouverture nous enlace et nous mène au voyage punk de Sam et Rado. “C’est un album sur la folie, qui passe par tous les aspects de son spectre, de l’optimisme à l’incontrôlable névrose, explique Rado” De ce guet-apens bordélique émane une mélancolie plus assumée, sans fard. L’époque du lycée où les deux s’enfermaient dans leur garage pour composer des albums entiers tend à s’éloigner peu à peu. Le groupe avait partagé l’an dernier via les réseaux sociaux un album ultra barge (36 titres) nommé The Jurassic Explosion Philippic, composé lorsqu’ils avaient quinze ans. Le format du double album n’est donc pas une nouveauté pour eux. “Au fur et mesure de la composition, nous avons compris que nous étions dans le même processus que lors de l’écriture de Jurassic, à raconter des histoires d’aliens. Star Power s’apparente à une suite implicite de cet album.” Par ailleurs, Richard Swift (du groupe The Shins et bassiste des Black Keys) qui avait produit

leur premier album après avoir découvert le génial EP, Take The Kids Off Broadways, n’était pas présent pour calibrer leurs dernières expérimentations en un format plus pop. “J’aurais aimé qu’il produise celui-ci, mais il n’était pas disponible, puis nous voulions prendre notre temps pour Star Power. Le précédent album avait été produit très rapidement. Nous nous sommes donnés cinq mois pour faire cet énorme puzzle.” A l’écoute de leur trip, c’est bien un sentiment de temps stoppé qui nous attrape, transcription d’une thérapie violente émanant des souvenirs chaotiques de la tournée, et nous fait regretter que peu d’artistes prennent ce genre de risque à l’ère de la “spotifisation” de la musique. “C’est un album auquel il faut laisser une chance. Il pourrait bien vous sauver la vie, mais seulement si vous y croyez.” Cette invitation au voyage est le résultat d’une session d’enregistrement qui a permis au groupe de renaître. “Ma relation avec Sam n’a jamais été en danger, confie Rado. Seulement, un enchaînement d’accidents et des annulations de tournées ont fait dire à la presse tout et n’importe quoi. Nous n’avons pas voulu nous en mêler. On a laissé faire et ce fut pour le mieux. Star Power était la catharsis dont nous avions besoin, un retour à ce pourquoi nous avions initié ce groupe.” Si Rado n’était pas musicien, il lâche avec nonchalance qu’il aurait aimé bosser dans un parking. “Tu restes toute la nuit dans ta cabine à regarder la télé, ça n’a pas l’air d’être un boulot stressant.”


Tellement sincère qu’on est désormais d’accord avec lui, parce qu’un parking en Californie c’est sûrement un super décor pour un film de la dynastie Coppola. Les deux lads s’enferment même au Château Marmont pour terminer d’enregistrer leur album, célébrant le mythique L.A Sound. “Nous avions terminé toute la partie instrumentale de l’album et nous étions arrivés à un point où mon petit garage, sans fenêtre, ne nous inspirait plus. On voulait s’échapper et profiter du fait qu’il nous restait du budget pour la préparation de l’album. Louer des chambres d’hôtel hyper chères nous est apparu comme l’alternative la plus cool.” La saveur si spéciale qu’ont les disques des années 70 de la Cité des Anges exerce une fascination sur Rado. “Notre album prend ses racines à L.A, dans les histoires qu’il raconte. Mais il reflète plus l’atmosphère avant et après la décennie 80, celle-ci est vraiment immonde ! Si je devais remonter dans le temps, j’irais en 1976 où tous les groupes composaient des trucs super. J’ai l’impression qu’ils étaient tous sous la même substance bizarre cette année là. Ce devait être une bonne période pour écrire un album”. Rappelons alors que le célébrissime Rumours de Fleetwood Mac, sortait une année plus tard, après des sessions chaotiques de préparation. Le groupe fétiche de notre interlocuteur crevette (on lui donnerait bien dix-sept ans) nous fait dériver quelque temps, avant de faire à nouveau dévier la conversation sur l’album de Todd Rundgrenn, A Wizard, A True Star, sorti en 1973. “Beaucoup de gens le considère comme un album peu sérieux, anecdotique, mais il a vraiment bouleversé mon monde, je l’écoutais sur la route.” Cette épopée de rock progressif nous éclaire sur l’état d’esprit du compositeur. La clarté du propos n’est peut-être pas le premier objectif, mais les émotions s’entremêlent pour ne jamais nous ennuyer. “Certains groupes captent à la seconde où ils commencent à composer la direction qu’ils souhaitent prendre, analyse Rado. C’est un aspect merveilleux qui a le pouvoir de happer tout de suite l’auditeur

lorsque c’est bien fait. Les Smiths par exemple y parvenaient, mais nous ne sommes pas du genre à se dire aujourd’hui « Je me sens triste, alors je vais écrire une chanson triste ». Sam et moi mélangeons différentes émotions, il n’y a pas de titres en lignes droites.” Voilà pourquoi nos petits préférés ne nous sortirons probablement jamais un certain album de la maturité, préférant osciller entre désillusions, avec Cosmic Vibrations au refrain nonchalant If You Want Me/You Can Have Me/But I’m All Used Up et grande tornade 666 .“On a voulu terminer l’album sur une note positive avec Everyone needs love, pour conclure notre voyage”. Star Power est donc une épreuve initiatique, qui prend ses racines avec un projet de Sam. “Il faisait des concerts très punks qu’il nommait Star Power, explique Rado. Il y faisait pas mal de bruit et cela nous a amené à nous dire ‘Et si Foxygen était un groupe punk ?’ Nous avons pensé à nous créer des sortes de personnages pour nous renouveler.” Entouré par des choeurs sur scène, le duo promet au public de ne pas être déçu, en live. “Sam est hyper actif, il peut passer la moitié du concert dans la foule, les filles qui chantent avec lui donnent un côté très soul et vivant au live. C’est une tradition qui se perd alors que c’est un plaisir de tourner à neuf ! Certes ça nous coute très cher mais faire que le public puisse profiter d’un véritable show, avec des petits pas de danse, c’est quand même cool !”. On ne peut que vous souhaiter d’adhérer au concept, ne serait-ce simplement que pour Coulda Been My Love, le meilleur slow à ce jour, ôde d’un amour impossible, rappelant en toute modestie No Expectations des Rolling Stones. Si vous vous laissez tenter par l’album entier, vous entendrez des cris, des voix d’enfants et de femmes, du grisonnement de radio et de belles prières : du rock’n’roll, en somme. Du vrai.

Alice De Jode


Interview publiée le 6 mai 2010 Poétique, surprenant… Le premier album autoproduit d’Ödland, Ottocento, est un projet fou et unique dans l’univers de la création musicale indépendante.

ÖDLAND

Pouvez vous nous présenter Ödland en quelques mots ? C’est un projet musical intégralement acoustique qui puise ses inspirations dans le XIXe siècle et le Romantisme. Le groupe est formé de Lorenzo Papace, pianiste et compositeur, à l’origine du projet, d’Alizée Bingöllü au chant, d’Isabelle Royet-Journoud aux ukulélé et jouets et de Léa Bingöllü au violon. Sur l’album, la formation est complétée par Alice Tahon, au violoncelle. Votre unité est musicale mais, au delà, votre album est comme visuel, presque théâtral. Ce n’est pas seulement de la musique que l’on écoute, c’est aussi des images ! Par qui/quoi ont-elles été inspirées ? L’image est en effet une composante essentielle du groupe, comme de tout projet par essence en réalité. Le monde est pensé et dicté par l’image. Cela ne signifie pas que la nôtre est superficielle mais elle est un chemin obligatoire pour faire passer nos idées. Lorsqu’une image est ratée ou mal adaptée, un projet est mal perçu voire incompris. Nous utilisons beaucoup internet pour diffuser notre musique. Or internet est un média lui-même voué à l’image. Il n’y a que ça, pas de sons et encore moins de goûts ou d’odeurs. Si l’odorat était le sens le plus important dans notre société, alors peut-être aurions nous développé un parfum qui reflèterait notre univers musical. Quelle odeur ce parfum aurait-il pu avoir ? L’odeur d’un fruit désuet, sûrement. Notre culture est

bien trop limitée en ce sens pour imaginer quelque chose d’intéressant. En revanche pour l’image, nous sommes plus à l’aise. Dans le groupe, Alizée est comédienne, Isabelle est photographe et Lorenzo est photographe et réalisateur. Ottocento en tant que disque, ce n’est donc pas seulement de la musique, c’est aussi un objet graphique précieux, inspiré par l’imagerie artisanale des vieilles boîtes de collection richement décorées. Nous avons réalisé les photographies en argentique, pour garder la magie de la chimie, en surface. Lorenzo a coréalisé deux clips pour la sortie du disque. “The Queen of Hearts” avec Vincent Pianina et “The Well” avec Maximilien Dumesnil sur le thème d’Alice au Pays des merveilles. L’idée était de se rapprocher des ambiances originales créées par Lewis Carroll. En parlant de Lewis Caroll, le nom du groupe fait d’ailleurs référence à un conte scandinave. Et l’univers de l’album pourrait parfaitement se retranscrire en livre… Absolument ! Nous aimerions beaucoup faire un livre qui reprenne l’ensemble des photographies que l’on a faites. Nous tenons énormément à ces images et au bout d’un moment, les voir sur un écran c’est lassant. Le format papier est incomparable, bien que le web fasse des merveilles, avec CRUMB, vous le savez, mais nous sommes déjà très contents du livret intérieur d’ « Ottocento » pour lequel on a vraiment soigné la présentation. Nous aimerions aussi publier un livre de partitions, mais c’est sûrement encore trop tôt. Il ne faut pas oublier qu’Ödland n’a pas plus d’un


an. Et même si en une année il s’est passé beaucoup de choses, on voudrait que cela aille toujours plus vite. Alors on tente d’être patients et de laisser le temps aux gens de découvrir notre musique avant de décliner notre univers sur d’autres supports. Vous êtes aux antipodes de la création musicale actuelle. La scène française d’aujourd’hui est-elle trop conventionnelle selon vous ? Beaucoup d’expériences sont menées mais trop souvent dans le silence. Ce n’est pas un problème de musiciens. En France comme ailleurs, il y a beaucoup de personnes créatives. Ce n’est pas non plus un problème de public. Quoi qu’on en dise, le public français n’est pas une “masse” qui ne supporte que la musique facile et bête. Il y a au contraire beaucoup de curieux. Nous sommes à chaque fois étonnés de voir que notre musique touche des personnes de tous les horizons, sans limite de culture ou de distinction. Cela fait d’ailleurs plaisir à voir car nous apportons quelque chose d’assez proche de la musique classique. Beaucoup de personnes y sont réceptives et laissent tomber les préjugés. S’il y a un problème, il vient de l’industrie et des personnes qui prennent des décisions automatiques au nom de la culture de masse. Ce phénomène n’est pas limité au seul domaine de la musique mais c’est là que nous le ressentons le plus. Ödland n’intéresse pas les majors de l’industrie musicale. On nous a reproché de ne pas être assez “mainstream” ! Alors, nous avons décidé de promouvoir notre musique telle qu’elle est et nous verrons si cela fonctionne ou non. Nous autoproduisons nos albums, nous les dessinons nousmêmes, les enregistrons, les fabriquons, les vendons, les distribuons. Alors bien sûr c’est beaucoup moins rapide, mais les personnes que nous touchons de cette façon ne tombent pas amoureuses de notre musique sous l’effet d’une campagne de publicité, seulement parce que notre univers les a séduit d’une façon ou d’une autre. Nous ne savons pas jusqu’où nous irons, si un jour l’industrie nous aidera ou non,

mais nous savons que les débuts se font seuls, que chaque nouveau fan ou chaque CD vendu représente déjà pour nous une grande chance. La plupart de vos chansons sont écrites et interprétées en anglais. Pourquoi ? C’est avant tout parce que nous avons d’abord eu plus d’écoute en Angleterre et en Allemagne avec notre premier EP que nous utilisons cette langue. Dans notre premier EP, il n’y a qu’une seule chanson qui contient un peu d’anglais. Si vous écoutez Ottocento, les parties anglaises qui s’y trouvent sont presque absolument toutes extraites de l’œuvre originale d’Alice au Pays des Merveilles. Pour tout le reste, nous restons des amoureux de la langue française, il serait trop dommage de la laisser de côté ! La signification des chansons, les histoires et l’humour nous importent beaucoup. Nous avons énormément d’écoute à l’international. Nous envoyons des albums aux États-Unis et même au Japon. C’est pourquoi nous sommes partagés entre l’anglais et le français. Notre premier morceau, The Caterpillar mélangeait anglais et français, politesse et irrévérence, à l’image de ce chapitre d’Alice où la discussion avec la chenille se perd dans des jeux sur les bonnes manières. Ces paroles ouvrent notre album “That Is Not Said Right, Not Quite Right I’m Afraid” et parlent de la peur. Quelle est la chose qui vous fait le plus peur ? Ne pas avoir le temps de conquérir le monde. Une dernière chose à dire aux lecteurs de CRUMB ? Nous aimons vents et violons, piano et nuages. Il faut que nous rêvions pour ne pas oublier ce paysage. Nous sommes nés dans un train fou et voyageons avec des fantômes. Notre ombre va renaître car le passé nous éclaire. Bienvenue sur nos terres !

Propos recueillis par Thomas Carrié.


DOMINIQUE

A

Interview publiée le 17 mars 2012


« Dieu que cette histoire finit mal / On n’imagine jamais très bien / Qu’une histoire puisse finir si mal / Quand elle a commencé si bien » Voilà vingt ans que ces quatre vers, relayés par Bernard Lenoir, résonnent dans nos oreilles. Dominique avec le Courage Des Oiseaux débarquait sur la scène française. A l’heure de la rétrospective, l’intégralité des ses albums a été rééditée. Une tournée anniversaire, A passant par le Théâtre de la Ville de Paris, a pris fin quelques jours avant la sortie de Vers Les Lueurs, son neuvième album, attendu le 26 mars prochain. Dominique, pour fêter vos vingt ans de carrière, vous ressortez tous vos CDs, dont les quatre premiers remasterisés. Cela vous tenez à cœur de retravailler le son de ces albums? Cela me tenait à cœur dans le sens où comme on ressortait tous les disques, je voulais que ce soit optimisé. J’avais vraiment envie d’en ressortir quelques-uns, surtout La Fossette, mais je n’espérais pas que tout le soit (rires). Cela a été difficile, suite à mon changement de maison de disque de EMI à Cinq7, puis finalement ils se sont entendus. Il y a également eu le hasard du calendrier avec la programmation au Théâtre de la Ville, à Paris, coïncidant avec les vingt ans du premier album. Cela me permettait d’envisager de rejouer le premier album sur scène, et donc de le reproposer remasterisé dans les bacs. Finalement par ricochets, tout est ressorti. En regardant ces rééditions et tous les bonus présents, on remarque que vous avez fait beaucoup de tris, vous auriez pu sortir quinze albums ! C’est vrai, cela fait seize disques en tout. J’aime bien les ébauches et les versions de travail qui n’aboutissent jamais et restent en l’état. Il y a les disques officiels et des espèces de morceaux qui courent, qui s’agrippent, comme ces bonus. Au final, ces morceaux-là sont tout de même rattachés à des périodes, symbolisées par les disques. J’avais envie de les faire écouter. Le fait de tout ressortir aujourd’hui en magasin, implique de toute façon une politique de bonus. On peut être contre ou pas, moi je n’ai rien contre, du moment que ce n’est pas vendu trente euros. Il fallait que ce soit cohérent, que le disque bonus soit au moins aussi long que l’album original, et c’est le cas. Cette réédition m’a permis de vider le sac, Maintenant il n’y a plus rien à sortir, j’en suis débarrassé et vous aussi (rires). Le mois dernier j’ai réécouté La Fossette, chose que je n’avais plus faite depuis des années. Et j’ai éprouvé deux sensations inédites. La première j’ai souri, puis la seconde a été une réflexion sur le fait d’avoir sorti un album comme celui-ci fait maison, à cette époque.

Vous avez ouvert des portes incroyables à de nombreux artistes. Comment avez-vous vécu cela il y a vingt ans ? Dans une inconscience totale. La démarche a été personnelle, mais tout de même dirigée. J’avais conscience que ce n’était pas dans la norme, mais en même temps j’étais persuadé du bien fondé de ma démarche. Par contre, de là à déclencher des déclics chez des gens, ce n’était pas mesurable. Je savais que cela pouvait plaire à des personnes qui étaient dans le même esprit que moi, mais je n’aurais pas pensé que cela puisse susciter des réactions tant extrêmes, aussi fortes. Aujourd’hui, à l’heure de la rétrospective, maintenant que les choses se sont décantées on se dit “Oui cela a ouvert des portes”, mais sur le moment ce n’était pas aussi clair. L’histoire se réécrit un peu a posteriori. Cet album ne s’est pas vendu par centaine de milliers, cela a été assez souterrain, très progressif, le bouche à oreille a très bien fonctionné. Au final, tout cela amène la dimension du disque culte, mais ce n’est que très tard que je m’en suis rendu compte. C’est comme Un Disque Sourd en bonus de La Fossette dans cette rétrospective. Cet album a un son incroyable avec le vinyle que l’on entend craquer, pourquoi ne pas l’avoir sorti à l’époque ? En fait, La Fossette est Un Disque Sourd abouti. Au départ Un Disque Sourd a été autoproduit et tiré à très peu d’exemplaires. Par la suite, Vincent Chauvier de Lithium (son premier label, ndlr), m’a contacté pour faire un disque. Je lui ai dit que je voulais sortir celuilà tel quel. Seulement, d’autres morceaux sont arrivés entre temps. A l’époque, il n’y avait pas lieu de ressortir un disque où la moitié des morceaux auraient été communs. Vous regrettez ce label indépendant qu’était Lithium ? Non pas du tout. Cela a été une belle histoire, assez passionnante d’ailleurs, parce que c’était un état d’esprit. Ce label avait une identité très forte. L’histoire lui a échappé, il n’a pas eu l’identité qu’il avait envie de se construire autour de la chanson française.


Vincent Chauvier voulait faire de la Noisy Pop. La Fossette a ensuite eu du succès et de fil en aiguille il a sorti pas mal d’artistes solos similaires à ce genre. A la longue, il en avait marre de cette image de label proposant de nouveaux chanteurs français. Au fond, cela ne l’intéressait pas. Le label a été imprégné de la personnalité de Vincent. Même sur mes disques et notamment les quatre premiers, des choix ont vraiment été faits, de par sa personnalité. Je ne peux pas dire que je regrette car à la fin on arrivait dans le mur où on se frittait sur les choix artistiques, mais cela a été très fructueux. Beaucoup d’artistes vous citent comme influence. Vous êtes une référence pour les acteurs de la chanson française, de la scène rock ou indé. Vous faites également parti d’une même scène globale, on pourrait dire. Je pense à Miossec, Cali, Yann Tiersen, entre autres. Christophe Miossec vous a même piqué votre groupe pour son très bon dernier album. (Rires) Oui c’est vrai, qu’un cercle s’est créé. Bon cette fois-ci cela en devenait quand même un peu grotesque. Le groupe est parti enregistrer avec Miossec sans trop m’en avoir parlé ; je l’ai un peu mal pris. En même temps je ne les salarie pas, il n’y a pas de contrat d’exclusivité. Ce groupe composé de David Euverte, Thomas Poli et Sébastien Buffet a été constitué sur ma tournée précédente et un son de groupe s’est créé sur celle-ci. J’avais envie de continuer avec eux. Ensuite ils ont eu envie de faire des choses avec Miossec, j’ai rien à dire, simplement, ce que je disais à Christophe,- et on s’est expliqué à ce niveau-là, c’est que l’on s’est déjà tellement rapproché l’un de l’autre que si en plus on tourne avec les mêmes musiciens, hormis les problèmes d’organisations, cela ne peut être sain. Après ce qu’ils ont fait sur l’album de Miossec a une identité, qui n’est pas forcément celle qu’il y aura sur mon prochain disque. Donc pour moi il n’y a pas de souci, du moment qu’on ne tourne pas en même temps. C’est tout le problème, justement, pour rejoindre ta question, d’appartenir à une même scène. Pour continuer à parler de cette scène justement, vous aviez d’ailleurs failli monter un groupe avec Philippe Katerine plus jeune ? Oui, on avait créé un petit truc tous les deux, on faisait cela chez lui, il habitait encore chez ses parents. On avait fait des enregistrements quatre pistes, qui ont donné trois-quatre morceaux débiles, assez marrant d’ailleurs. C’était surtout un truc d’amitié. Un mot sur la tournée événement-anniversaire. Cela se passe bien ? Oui très bien. On propose une relecture à trois (piano, guitare, synthé, voix, ndlr) de La Fossette, avec très peu de boîtes à rythmes contrairement au disque original. C’est assez épuré, mais cela fonctionne plutôt bien. La deuxième partie est réservée exclusivement aux nouvelles chansons, on est dix sur scène dont un quintet à vents. C’est à la fois très électrique et arrangé, assez ample en fin de compte. Les gens viennent voir un double truc, c’est assez marrant.

Ce n’est pas vraiment une tournée, car c’est une formule qui est très lourde. Onze musiciens plus cinq techniciens, cela fait seize personnes sur la route, pour des soucis de logistiques on est davantage sur des dates événementielles. On fait cinq dates en janvier juste après avoir enregistré l’album. Début février nous mixons et l’on ne rejouera pas avant fin mars, début avril. D’ailleurs, quelle sera l’ambiance de ce nouveau disque ? Il y aura le groupe rock de base, plus un bassiste, un américain excellent, Jeff Hallam. Nous avons mis l’accent sur le quintet à vent (hautbois, cor anglais, clarinette, clarinette basse, et flûte, ndlr). Les arrangements ont été faits par David Euverte aux claviers. Je lui ai remis les guitares-voix, je voulais vraiment travailler sur le mélange électrique et acoustique, du coup on s’est basé sur un quintet à vents pour l’accompagnement. Une fois les arrangements fait à partir de mes guitare-voix, on a travaillé tous ensemble, électrique plus acoustique. Il y a vraiment eu un travail autour du quintet, et harmoniquement c’est assez riche, très coloré. Beaucoup de chansons sont accès sur le thème de la lumière, avec une approche un peu moins urbaine. En contraste avec Remué ? Oui, c’est un peu plus rural (rires). Il y a beaucoup de chansons sur la campagne, comme un cadre rupestre. C’est quelque chose qui est à la fois énergique, tenu, mais avec beaucoup d’éléments mélodiques et harmoniques. Nous avons enregistrés dans des conditions qui s’apparentent à du live. Avec le groupe de base on a fait les prises de cette façon, cela nous a permis de transmettre une nouvelle énergie et le quintet est venu se greffer par-dessus. C’est quelque chose de nouveau pour vous en studio, d’enregistrer en live. Oui. Je crois que le disque va sonner de manière différente. Tout sera comme avant, assez boursouflé. Je voulais retenter quelque chose dans ce genre là, mais sans les boursouflures, avec un côté immédiat, sans aucunes bricoles ou bidouillages sur Pro Tools. A la base, sur celui-ci on devait enregistrer en live total, pour être au plus proche de ce que l’on fait actuellement sur scène. Au Théâtre de la Ville, ce que l’on va jouer, ce sera le son de l’album. Il y a un truc très direct. L’écriture est assez ambitieuse en terme d’arrangements, il fallait alors que ce soit très immédiat, et c’est cela qui marche. Ce sera toujours Dominique Brusson au son? (Collaborateur, co-producteur ou mixeur des albums de Dominique A depuis 1999 et l’album Remué, et ingénieur du son des lives, ndlr) Oui, comme c’est lui qui fait le live, c’était évident que pour ce disque ce soit encore lui. On travaille bien, il y a vraiment un ping-pong entre lui et moi. Il y a un rapport de complicité dans la production que j’aime. Si aujourd’hui on me dit de travailler avec un autre producteur, cela ne m’intéresse pas. C’est un truc que l’on a développé ensemble sur des années, que moi


j’adore. Comme les projets changent et évoluent, c’est passionnant. Tant que cela ne ronronne pas, tant que l’on sent que l’on va sur des terrains différents, il n’y a pas de raison d’arrêter la collaboration, au contraire. Pour ce neuvième opus, qu’est-ce qui a déclenché l’écriture et la composition? Un moment particulier? Comme votre voyage au Groenland qui a provoqué l’album L’horizon par exemple. Il y a quelque chose de terre à terre qui s’est imposé. Il était hors de question pour moi de rejouer La Fossette en live pour ces concerts événements, sans seconde partie originale. J’y suis allé un peu à tâtons, je n’avais pas vraiment d’envie particulière, si ce n’est dans les textes d’avoir une approche un peu plus différente, moins urbaine. Le thème de la lumière est venu assez rapidement, et cela a été très évolutif. J’ai du me tenir à une certaine simplicité. Je ne voulais pas que l’ambition des arrangements ne parasite la simplicité de l’écriture. Avez-vous déjà eu envie d’associer votre musique à d’autres arts ? Cinéma ? Théâtre ? Littérature ? Non, pas encore. Par contre, j’ai écrit un petit bouquin en prose qui paraîtra chez Stock en mai, qui est autobiographique et lié au rapport qu’on entretient avec l’idée de l’enfance. Il s’appelle Y revenir. C’est mon unique incursion hors chansons. Dernièrement on m’a demandé d’intervenir pour le théâtre sur un projet intéressant. Un jeune metteur en scène rennais a envie de travailler sur un texte de Marina Tsvetaeva, qui est une poétesse russe du début du XXème siècle. Elle a eu une destiné incroyable. J’ai fait une chanson sur ce personnage il y a quelques années. Par ce biais là il m’a contacté, et il aurait aimé mettre en scène un texte qui est réputé pour être quasiment impossible à monter. J’ai bien aimé son discours, la pièce à l’air passionnante. En ce moment, je n’ai pas le temps de me plonger dans des aventures comme cela, mais dans le futur pourquoi pas. J’ai essayé de faire des musiques de films par le passé. Je n’ai pas aimé la démarche, le rapport à l’art, le langage différent. J’ai besoin de me sentir en interaction avec un texte. Faire de la musique indépendamment d’un travail sur l’écriture m’intéresse moins, je me sens moins légitime, pas suffisamment armé. Pouvez-vous nous dire ce qu’il tourne en ce moment sur votre platine ? Les derniers trucs que j’ai écouté et aimé, ce sont deux disques sortis par un label Suisse que j’aime vraiment bien. Le label s’appelle Two Gentlemen. Le premier CD a pour nom General Thoughts And Tastes et le groupe Honey For Petzi. Petzi comme l’ours des BD, c’est du math-rock assez mélodique avec un super son. Sur le même label, j’ai beaucoup apprécié un artiste qui s’appelle Fauve, c’est son deuxième album Clocks ’N’ Clouds, et il est vraiment brillant, mélange de Sufjan Stevens, et David Sylvian dont il s’est beaucoup inspiré, les chansons sont excellentes. Ce sont les derniers sons récents que j’ai vraiment aimé et que j’ai surtout pris le temps d’écouter.

Et sur votre table de chevet qu’est-ce qu’il traîne ? Je lis plusieurs livres à la fois. Je suis en train de lire Les Solidarités Mystérieuses de Pascal Quignard, je n’avais jamais rien lu de cet auteur, j’aime bien le style. J’ai aussi commencé un bouquin qui s’appelle Le Pilon de Paul Desalmand, c’est un bouquin assez marrant. C’est un livre qui parle de sa vie de livre. C’est un exercice de style mais qui est plutôt pas mal, on sait déjà qu’il va finir au pilon (rires), mais cela parle du rapport à la culture, à la littérature. Je l’ai dans la poche, je l’ai acheté par hasard, j’aime bien piocher comme cela dans les librairies. (Il va le chercher dans sa veste pour me le faire feuilleter). J’ai également acheté un bouquin dont j’avais entendu parler, mais je ne sais pas si je vais avoir le courage de le lire. Il s’appelle La Traversée de la France à la nage de Pierre Patrolin, chez P.O.L, cela fait 700 pages, et c’est un mec qui se baigne dans tous les fleuves de France (rires). C’est assez contemplatif et naturaliste, mais cela a vraiment l’air super bien. Vous avez parlé de l’enfance tout à l’heure, et avec toute votre actualité (Rétrospective dans les bacs, rejouer La fossette sur scène, votre bouquin Y revenir), j’ai envie de vous demander si vous êtes nostalgique ? Non, je ne crois pas. Je pense être honnête en disant cela, mais il n’y a pas d’autres périodes où j’aimerais être en dehors de celle-ci. Aujourd’hui ne me semble pas moins enviable qu’hier, aucunement. Par contre, j’aime le rapport assez franc avec le passé, qui n’est pas un rapport de fuite mais une sorte de régurgitation de ce que l’on a vécu, de ce que l’on vit, qui nous permet d’appréhender l’avenir avec plus d’armes. Je suis donc dans une régurgitation volontaire et permanente, mais je ne suis pas dans le regret. Je ne lamente pas mon enfance, je ne la magnifie pas non plus, je ne l’idéalise pas. Les beaux moments je les garde, comme chacun, comme des trésors. Mais quand c’est fini, c’est fini. Pour beaucoup, nostalgie rime avec blessures et souffrances, comme quelque chose qui ronge. J’adore le rapport avec le passé, celui au temps. Les gens croient que je suis passéiste, puis là je fais un bouquin qui s’appelle Y revenir. Mais c’est simplement une digestion des choses, d’acceptations, et de toutes ces choses qui permettent d’asseoir le présent et le jour d’après. Si tu ne construis pas ton passé, il va te rattraper et te pourrir la vie. Pour moi le passé est une construction tout comme le souvenir. Ce sont des thèmes qui me passionnent, même si je ne les pas. Je n’ai pas l’impression que ce soit par volonté de revivre ce que j’ai vécu. Mêmes les meilleurs moments de ma vie, je parle notamment des rencontres amoureuses, et bien je peux te dire que je préfère faire une interview avec toi là maintenant, pour CRUMB, plutôt que de revivre cela. Propos recueillis par Aurélien Lovalente Photo : Pauline Darley, assistée de Maxime Stange, pour Crumb Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.



BLEU

by Johann Bouché-Pillon




Série photo publiée le 27 janvier 2014

Johann Bouché-Pillon est un photographe-plasticien parisien. Issu du street-art, l’artiste affirme son goût pour l’expressionnisme et la transgression. Pour Crumb, il dévoile aujourd’hui “Bleu”, une série inédite.



Interview publiée le 19 mars 2011 Le couple franco-finlandais a connu son premier succès en 2008 avec On My Shoulders. Ils reviennent avec Both Ways Open Jaws, second opus aux sonorités plus électriques. Nous avons rencontré Olivia.

THE DØ

Votre nouvel opus est encore plus créatif et riche que le précédent… Comment l’avez-vous appréhendé et travaillé ? Dan a une manière amnésique de travailler. Il est dans l’oubli permanent de ce qui vient de se passer, de ce qui vient d’être réalisé et du coup, il était dans un système de création permanente. Je pense que c’est en rapport avec toutes les musiques qu’il écoute, qu’elles soient improvisées ou contemporaines. A quinze ans il écoutait Boulez (Pierre Boulez, ndlr) et toujours aujourd’hui d’ailleurs. Ce n’était pas du tout structuré dans sa tête, alors que, de mon côté, j’ai essayé de faire en sorte que ça le soit. J’ai bien dit « essayé ». Au final, cela a donné Both Open Jaws… L’album recèle une part de cinématographie que n’avait pas forcément le premier… Dans la texture, les arrangements et les couleurs, oui. Cela fait partie du travail de Dan, de son obsession à vouloir donner à chaque morceau une vraie identité. Je pense que l’on peut considérer cet album comme un « long métrage » dans le sens où il apparaît comme beaucoup plus cohérent que le premier, qui était lui, dans une veine déstructurée. A Mouthful aurait pu être un recueil de courts-métrages. Un long-métrage ici, qui reprend me semble t-il, l’imagerie de contes pour enfants… C’est possible, oui. Nous avons beaucoup regardé de films pendant l’enregistrement. Je pense que cela nous a vraiment inspiré, notamment un film japonais de 1964 : Onibaba, de Kaneto Shindô. J’ai lu un article dessus, d’ailleurs, qui disait « Onibaba se

ressent plus qu’il ne se critique ». Ca le décrit très bien. Il y a de la poésie, de la violence, de la magie. C’est l’histoire de deux femmes qui vivent seules au milieu des roseaux en temps de guerre. Des soldats se perdent dans ce champ et elles les tuent parce qu’elles n’ont pas d’argent. Elles vont revendre leurs vêtements, leurs armes, leurs armures et le tout devient une super histoire. Et puis, surtout, il y a toute cette imagerie autour du masque… Ce masque qui engendre un rapport totalement personnel, presque intime avec vos chansons… Je ne peux pas l’imaginer autrement ! C’est la raison pour laquelle j’ai encore un peu de mal à en parler. J’ai affronté beaucoup de démons et mis en forme certains mots que je n’utilisais jamais, j’ai essayé de combattre beaucoup de peurs dans cet album. Dan aussi. Je crois bien que nous sommes un duo de peureux. De quoi avez-vous peur ? J’ai eu peur du noir pendant longtemps. Je crois que j’ai gardé quelques traces de mes traumatismes. A vrai dire, j’ai peur un peu de tout. Il y a un côté très sombre sur cet album sauf sur Bohemian Dances précisément où l’on ressent beaucoup plus d’insouciance et de légèreté. Quoi qu’il en soit, j’aime l’idée que cet album soit hanté. Propos recueillis par Bastien Internicola.

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.



Interview publiée le 16 mai 2012 SOKO. Ses vidéos révèlent une nostalgie en 8mm, des influences si multiples qu’on ne les reconnaît pas forcément toutes. Nous l’avons rencontré. Exercice délicat qu’échanger avec une artiste à la personnalité riche mais qui semble préférer le silence aux grands discours.

SOKO

Comment qualifierais-tu ce premier album ? Je voulais que cet album soit très intime, honnête et touchant. Un ensemble vrai, intense et un peu dreamy. Les chansons sont pour moi comme des secrets racontés. Un peu journal intime ? Oui, parce que tout ce que j’écris, je l’ai vraiment vécu. Je ne me verrais pas du tout monter sur scène et raconter des histoires fausses ou des trucs inventés. On sent dans tes chansons le besoin de parler d’un certain mal-être… J’ai vraiment ce truc débile d’artiste torturé qui ne peut écrire que quand il ne va pas bien. J’imagine que c’est cliché mais ça transparaît forcément. Je suis tout le temps un peu up and down et les chansons que j’écoute ne sont pas très joyeuses donc. J’ai écris beaucoup de paroles sur la dépression et le suicide. Et tu penses qu’un jour tu pourrais parler de tes joies aussi ? Que ça t’inspirerait ? Je ne sais pas. Je crois que je suis un peu trop torturée pour ça. Dans tes vidéos et tes textes, tu as un fort rapport à

l’enfance, c’est une source d’inspiration très importante ? J’ai un vrai côté nostalgique. J’ai grandi trop vite et voulu être une adulte trop tôt. Je suis partie de chez mes parents à 16 ans et à 20 ans j’avais l’impression d’être une mamie, d’avoir déjà tout fait. Si je restais là, immobile, j’allais stagner et ma vie allait être misérable. J’ai fait une espèce de crise d’adolescence, du genre bombe à retardement. J’avais envie d’être complètement sans attaches, insouciante et vivre un peu comme un enfant. Hook, est mon film préféré. Je pense que quand on sait cela de moi, on sait beaucoup de choses. C’est vraiment important pour moi de ne pas perdre l’enfant que l’on était, de pouvoir encore s’amuser, voler et aller au pays imaginaire si on en a envie. Et ce premier album, c’est ton bébé ? Oui ! À chaque montée de chaque petite marche, j’avais envie d’y arriver toute seule. Je voulais pouvoir jouer de tous les instruments, faire tous les arrangements, être à fond dans la production, réaliser mon artwork, faire mon site web, tourner mes vidéos. Pour moi, c’est un ensemble ! Le truc le plus flippant, ce serait d’être un produit contrôlé par d’autres. J’ai la chance que l’on me laisse faire un peu ce que je veux. Donc j’en profite et je contrôle tout !



Et sans perdre ce pouvoir-là, tu as tout de même collaboré avec des artistes à L.A. ? Comment ça s’est passé, et avec qui ? À L.A., il y a une vraie scène musicale indé et quand on joue un peu là-bas, on rencontre vite tout le monde. Stella de Warpaint, une de mes super potes, a fait des guitares sur mon album. Harper Simon, le fils de Paul Simon, a aussi joué de la guitare vingt secondes sur un morceau. C’était très spontané, j’habitais à Echo Park, j’avais une grande maison avec un studio, les gens passaient prendre le thé tout le temps et on faisait de la musique. Tu as aussi collaboré avec Alexander Ebert… (album solo Alexander sorti en 2011 et chanteur du groupe Edward Sharpe and the Magnetic Zero, ndlr) On peut dire que c’était une collaboration en quelque sorte. Pas musicalement, mais c’était mon amoureux. Il m’a aidée de manière différente, à choisir les chansons de l’album, à faire le séquençage. Nous étions séparés quand je finissais l’album mais il a vraiment été d’un soutien incroyable. Et quand j’avais arrêté de faire de la musique pendant un an, parce que je ne supportais plus et que je ne m’en sortais pas avec mon album, c’est lui qui m’a motivée à m’y remettre. Tu a écris cet album depuis un bout de temps et il est prêt depuis juin 2011. Comment te sens-tu depuis la sortie ? J’ai été complètement en énorme dépression et je suis sous antidépresseurs depuis un mois. Voilà comment je me sens. … Je ne m’étais jamais dit, en écrivant, que les gens allaient écouter. Dans la vie, tu n’as qu’une chance pour faire un truc une première fois ; ça y est, cette première fois est passée, qu’est-ce que je fais après ? Tu commences à réfléchir à tes projets futurs ? Je fais peut-être un film cet été et je vais à LA dans quatre jours pour faire une autre vidéo et mixer. Que tu vas aussi réaliser ? Oui. Toujours avec un iPhone ? Oui, avec l’application 8mm. Est-ce que tu penses ou travailles déjà à d’autres projets musicaux ? J’ai déjà deux autres albums prêts, oui, que j’ai juste à mixer. J’écris et je fais de la musique tous les jours. Je suis une grosse « music nerd ». Le premier truc que je

fais quand je me réveille le matin c’est mettre la musique et le dernier truc c’est éteindre la musique. C’est ma vie. Quels sont les albums qui tournent en ce moment dans ton iPod/iPhone ? Le nouveau Perfume Genius, quelques chansons du nouveau Baxter Jury, le dernier The Tallest Man On Earth, le dernier Kurt Vile, que j’écoute depuis un an… Le dernier Deerhunter dont je ne me lasse pas… Pas d’influences plus anciennes, depuis l’enfance par exemple ? J’ai Odyssey and Oracle des Zombies, qui est un de mes albums préférés. Leonard Cohen, Paul Simon, qui sont des génies… Tu as aimé le dernier album de Leonard Cohen ? Je n’ai pas vraiment écouté. A vrai dire, j’ai un peu peur… Ton meilleur souvenir musical à L.A. ? Monsters of Folk au Greek Theater. Tous mes musiciens préférés dans le même groupe : M.Ward, Conor Oberst et le mec de My Morning Jacket. Y-a-il une question que tu aurais aimé qu’on te pose en particulier ? Moins on m’en pose, mieux je me porte. J’en ai encore quelques unes pour toi. Dans la chanson I Just Want to Make it New with You, on dirait presque que tu conclues un genre de pacte avec tes fans. Est-ce que tu avais peur de les décevoir après ta longue absence ? Je n’ai pas du tout écrit cette chanson pour cela. J’ai écris cette chanson pour un mec dont j’étais complètement amoureuse et qui fait de la musique très différente de la mienne. On s’était dit tous les deux que dès qu’on découvrirait la musique de l’autre, on serait tellement déçus, on allait se détester et jamais s’aimer. Donc toutes les paroles « You’ll Discover Me From My Songs, My Heartbreaks And Fears And Depression », c’était un peu « tu vas découvrir toutes les pires facettes de moi dans mes chansons et après tu vas me détester » ! Quelles paroles de tes chansons te résumeraient le mieux tu penses ? « We Might Be Dead By Tomorrow ».

Textes et propos recueillis par Elsa Launay, assistée de Charline Buda Photographie : Diane Sagnier


Interview publiée le 17 mai 2012 Avec son nouvel album « L’Amour, l’Argent et le Vent », la chanteuse au long parcours, sème des mots d’amour sur la scène musicale. Cet album lui permet, après une carrière prolifique, de se révéler à un public plus grand.

BARBARA CARLOTTI

Tu as produit tes deux précédents albums sur un label anglais. Aujourd’hui, tu sors un nouvel album chez Atmosphériques, un label partenaire que l’on aime beaucoup. Pourquoi ce choix ? L’équipe du précédent label chez qui j’étais a changé. Les gens avec qui j’avais signé n’étaient plus là, ce n’était plus ceux qui avaient aimé et défendu mon projet. Il y avait comme une distance, de fait. J’ai donc décidé de partir. Ma manageuse et moi avons cherché un label en France et la suite de l’histoire s’écrit donc chez Atmosphériques. D’ailleurs, dans ce dernier album tu chantes exclusivement en français… Oui. C’est finalement dans cette langue que je travaille mieux. Quand j’écrivais des chansons en anglais, c’était généralement pour le fun. Je suis, bien évidemment plus à l’aise avec le français. Je peux développer davantage les choses il me semble.

Tu as récemment voyagé en Inde au brésil au japon… une quête d’inspiration ? A peu près, oui. Le Brésil est le point de départ de ma chanson L’amour, l’Argent et le Vent. C’est sûrement celle qui a la plus forte empreinte. Le but de ces voyages était surtout d’essayer de s’imprégner d’endroits différents, de m’accrocher à d’autres repères. Ça m’a permis de porter une attention particulière à la musique, de développer des couleurs de sons que je ne connaissais pas. Mais c’est surtout un contexte d’écriture en fait, comment ailleurs on réagit dans un environnement et comment ça joue sur la manière d’aborder les choses. Justement on perçoit quelque chose de fort dans ton écriture. Tu cites très souvent Baudelaire ou Verlaine qui sont de grands mélancoliques. Te considères-tu comme telle ? Ce que j’aime chez Baudelaire c’est les thèmes qu’il


©Serge de Rossi / Atmosphériques


aborde, après oui il y a une forme de mélancolie en filigrane, cela va de soi. Je pense que la chanson a intrinsèquement quelque chose d’introspectif. A l’intérieur se développe la mélancolie. Mais pas que, je ne crois pas. Il y a aussi de l’humour, de la distance et de la légèreté, c’est un mélange de pleins de trucs. Les références à Baudelaire viennent du fait qu’ils abordent des thèmes qui me sont chers, comme l’invitation au voyage tout simplement. Tu signes un duo avec Philippe Katerine (lire interview page 137), qui me semble avoir une personnalité relativement opposée à la tienne. Pourquoi cette collaboration ? Avec Philippe on s’est rencontré sur mes premiers concerts, je l’ai croisé dans un festival à Rennes, il y a huit ans, je ne sais plus. On est resté amis. J’adore son côté exubérant, drôle plein d’humour un peu décalé et en même temps je trouve que c’est un super musicien qui écrit des mélodies magnifiques et ça fait longtemps qu’on se dit qu’il fallait que l’on fasse une chanson ensemble. On s’est retrouvé en soirée, on a écrit des cadavres exquis et on les a conclus en chanson. Voilà comment cela s’est fait. Cet album, qu’a-t-il de plus que tes précédents ? Je pense qu’il est plus affirmé, plus direct en fait. Les rythmiques sont plus denses. Il y a, en tout cas quelque chose de plus libre, un je-ne-sais quoi de plus libre, voilà. Qu’attends-tu du public vis-à-vis de la réception de cet opus ? (Elle ouvre grand les yeux) Qu’il m’adore enfin ! (Rires). Enfin, surtout de faire des concerts et de pouvoir partager des moments avec tous ceux qui m’écoutent. Et puis la scène, monter un beau spectacle, avec des lumières un déroulement entres les chansons, une vraie histoire, que ce soit encore plus vivant que sur l’album. Si tu devais choisir un morceau, ce serait lequel ? Je suis incapable de choisir. J’aime un milliard de trucs dans le monde. Pour moi le titre le plus affectif c’est « Quatorze Ans ». En même temps quand on écrit c’est difficile de choisir. Il y a une raison pour tout. Tu aurais aimé vivre à une autre époque ? Non, je ne suis pas une nostalgique dans l’âme mais on vit une époque où les choses sont difficiles. Avec la crise économique, en tout cas celle que l’on nous vante, partout, dans les médias, on sait que les choses sont difficiles, notamment par rapport aux disques. J’ai tout de même mis deux ans à trouver un label qui veuille bien de moi. Il y a quelques années

Aujourd’hui, internet a pris le relais. On est dans une période de transition, qui demande de s’adapter. Ça demande à réfléchir aussi, de se poser des questions, notamment sur ce que l’on vit, ce que l’on s’apprête à vivre et ce que l’on a envie de vivre ! « Les Choses Importantes De La Vie » renvoie d’emblée au titre de ton album « L’Amour, l’Argent et le Vent ». Quand tu dis « Vent » est ce que cela veut dire que finalement l’amour et l’argent ne sont qu’éphémères ? Cela peut être une des lectures, en effet. Dans ces trois choses, il y a une valeur, un élément et un sentiment. C’est impalpable, cela nous traverse, c’est toujours avec nous. Un vent s’il est trop fort peut faire des ravages. C’est à peu près pareil si on se préoccupe trop de l’argent ou de l’amour. Ca bouleverse tout. Ce titre, c’est une manière poétique de mettre en perspective tout cela. Certaines critiques trouvent et jugent tes textes particulièrement tristes et mélancoliques… Quel est ton regard là-dessus ? Il n’y a pas que des choses tristes. Je pense qu’écrire des chansons permet de mettre les choses à distance, des choses que l’on n’exprime pas forcément publiquement. Mais il y aussi des clins d’œil, de l’ironie. Mes chansons sont un rapport à la vie. Elle n’est pas tout le temps gaie, ni tout le temps joyeuse. On n’est pas toujours heureux d’exister. L’exprimer en mots, dans des textes permet d’immortaliser ces instants de vie et finalement de mieux s’en débarrasser. Dans une de tes chansons « Ouai Ouai Ouai », tu parles d’une icône des années 60, ça m’a fait penser au titre Ava… Cette chanson, elle aurait pu parler de Lana del Rey (rires). Non mais elle m’a inspirée un personnage totalement fictif. Ca m’amusait d’imaginer quelqu’un. En l’occurrence une jeune fille superficielle qui pourrait être mal menée, un peu perdue, qui passe ses nuits en boite de nuit mais qui est un peu fragile aussi. C’est en effet un hommage pur à Lana Del Rey (rires). Il paraît qu’elle a des rituels assez superficiels d’ailleurs avant de monter sur scène. Tu en as toi ? Oui. J’ai toujours un trac de malade avant d’y aller, de monter sur scène, d’affonter le public, de chanter. Avec mes musiciens on fait le check des « Chivers » qui est tiré du film « Steak » de Quentin Dupieux. C’est super débile mais ça marche ! (Rires).

Propos recueillis par Camélia Mohamed


BERTRAND

BELIN Interview publiée le 20 novembre 2010


Bertrand Belin pour son troisième album nous offre un album sublimé par des textes dont lui seul a le secret. Comment pouvait-il nous en parler ? Simplement en évoquant la notion de « territoire ». Un album à traverser, un espace à découvrir. Bertrand Belin nous parle de sonorités, de littérature et de la scène française… Et l’on resterait des heures à l’écouter parler. A la première écoute de l’album j’ai cru entendre Bashung. C’est peut-être une chose que l’on vous répète souvent et je ne vais pas déroger à la règle : At-il eu une influence sur votre travail ? Et bien je dirais que la ressemblance je ne peux pas la nier mais je ne la vois pas vraiment. Je ne suis pas particulièrement influencé par Bashung plus que par d’autres mais il y a peut-être dans notre rapport au texte quelque chose qui nous rapproche. J’ai, comme lui, des chansons qui n’offrent pas une réelle clarté narrative. Après, s’il s’agit d’une ressemblance dans le timbre de la voix, je n’en sais trop rien. Dans votre rapport au timbre vocal justement, y a-t-il eu des voix emblématiques, particulières du paysage musical ou cinématographiques, qui vous marquent, vous ont marqués, inspirés ? Oui. Beaucoup m’ont inspirés. Pas forcément d’ailleurs dans une approche de mimétisme ou d’imitation. Par exemple, j’aime beaucoup Caetano Veloso. Je trouve qu’il y a chez lui, dans sa voix, quelque chose qui me touche. J’aime énormément les voix masculines. Je pourrais citer aussi Rodolphe Burger. Leurs univers sont très opposés mais c’est quelque chose qui a à voir avec un ancrage dans le sol, un chant qui transmet une certaine humanité… Dans vos textes on retrouve souvent une part de cinématographie… Vous savez, la musique ne se matérialise pas. Elle se déploie sous forme d’ondes dans l’air. Je crois qu’on ne peut pas échapper à la vocation naturelle de la musique de créer des images. Elle emprunte son langage à l’art visuel, à savoir l’horizontalité, la verticalité, les tonalités, qui sont d’ailleurs des termes analogiques que l’on emploi à la fois en peinture et en musique. Les images ne sont jamais voulues, la musique déploie d’elle-même ses paysages… Par rapport à ce qui se fait actuellement, vous êtes presque un ovni dans le paysage de la chanson. Quel regard portez-vous sur la création actuelle française ? Ce dont je me rends compte jour après jour c’est que l’on est dans une période de paradoxe complet, avec, d’un côté, des disques qui se vendent de moins en moins et de l’autre, une profusion incroyable d’artistes, une multiplication de festivals et de lieux culturels. Je pense que les récents bouleversements, notamment liés à la diffusion de la musique, en particulier sur internet, ont obligés les maisons de disques, les labels à se positionner différemment, à se questionner sur ce qui fonde leur travail, le devoir de

recherche, le devoir de renouvellement, sur ce que l’on pourrait appeler « la volonté de trouver la perle rare » et non plus à s’habituer à prescrire à la manière d’un médicament une musique qui plait au plus grand nombre sans qu’elle ne se renouvelle et dont on sait que l’exploitation remplie assez facilement les caisses des actionnaires. Je ne sais pas si c’était si différent que ça il y a 30 ans. Pour ma part en tout cas, dans le périmètre dans lequel j’évolue, je n’ai pas à me plaindre de la diversité et de l’excellence de la production française. Si vous deviez qualifier votre album « Hypernuit » en un mot, vous diriez quoi ? (Sourire) Si je devais le qualifier je parlerais de territoire, quelque chose que l’on peut fouler. Pas un territoire au sens de la propriété mais un territoire habité par des gens, des personnages, des figures dont on sait peu finalement. J’ai lu que vous aviez déclaré à propos de ce disque « ce sont des chansons et non de la littérature »… Oui, parce que l’on vit dans une époque où la littérature est partout. Elle recouvre un nombre incroyable de domaines alors qu’elle ne se trouve pas plus partout que depuis toujours. Elle est quelque chose de rare et quand elle existe en vrai et qu’elle de qualité cela finit toujours par se savoir. Or je trouve qu’il n’y a pas de littérature dans la chanson. Il y a de la littéralité, un caractère littéraire oui, mais parler de littérature non, ce n’est pas le lieu. Il y a dans vos chansons, certains éléments qui ne viennent pas à la première écoute, comme si elles étaient voilées… Oui car je crois qu’il faudrait avoir une acuité très particulière à comprendre le monde dans lequel on vit pour retranscrire une histoire de A à Z avec un scénario précis. Je préfère cela à une narration strictement linéaire car c’est comme ça que je reçois le monde, c’est comme cela qu’il m’arrive. Voilà pourquoi je le restitue de manière un peu voilée.

Propos recueillis et interview par Thomas Carrié. Photographie : Diane Sagnier

Cette interview et la photographie qui l’accompagne ont fait l’objet de la couverture du numéro de 5 de Crumb magazine, première version, alors qu’il était une revue digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 20 novembre 2010.


Interview. Rencontre publiée le 5 novembre 2015 BØRNS était de passage à Paris en ouverture du Pitchfork Music Festival, le 27 octobre dernier. Dans la petite salle du Café de la Danse, l’auteur-compositeur-interprète de 23 ans a présenté quelques morceaux de Dopamine, son premier album. Un concert court qui nous a confirmé la première intuition : il a encore beaucoup à révéler. La veille de sa performance, Garrett Borns, de son vrai nom, nous a reçus à la table d’un restaurant parisien. Une atmosphère calme et inspirante où le jeune homme est revenu avec nous son (jeune) passé de magicien professionnel, ses premiers pas à Paris à l’âge de 19 ans et ce qui l’a sur inspiré dans l’écriture de son premier album.

Il a une silhouette mince et élancée. Un visage en partie caché par ses cheveux qui tombent négligemment juste au-dessus de ses épaules. On se dit qu’il doit être fatigué : il a atterri le matin même à Paris, sur les coups de 6 heures. Il met même quelques secondes à se souvenir de ce qu’il a fait la veille et où il était, tant les soirs de concerts s’enchaînent, passant d’un continent à l’autre en quelques heures de vol. Aujourd’hui Paris, demain Londres. Hier, un festival de musique à North Charleston, en Caroline du Sud, sponsorisé par une célèbre marque de thé. Une étrangeté qui fait sourire Garrett Borns, surtout parce que le thé n’est pas très bon, selon lui. Au fur et à mesure que progresse l’interview, après avoir bu un ou deux verres d’eau fraîche et plaisanté sur ces petits chiens habillés avec des robes qu’il a vus le matin même à l’aéroport, Garrett Borns partage ses expériences et sa vision de la musique avec un naturel déconcertant. Peut-être qu’il se sent à l’aise à Paris, une ville qu’il aime bien et dans laquelle il s’est déjà rendu à l’âge de 18 ans. Un ami réalisateur du Michigan l’avait invité à le suivre dans la capitale française pour deux ou trois jours. Le résultat ? On peut encore le voir aujourd’hui sur YouTube, grâce à une performance TedX, enregistrée à Grand Rapids, dans le Michigan, son État de naissance. Quand on lui évoque la vidéo, il rougit presque. Et pourtant Garrett Borns, connu aujourd’hui sous le nom de BØRNS, n’a pas vraiment de quoi être embarrassé. Dans cette vidéo, le jeune homme a la voix déjà affirmée et un aplomb attendrissant. Une vision d’artiste aussi, qu’il partage aux spectateurs sans pudeur et tout en poésie.

commencée sur la côte Est américaine où le jeune Garrett a grandi. Son enfance, il raconte l’avoir passée à construire des forts en bois ou à skier avec son husky tout en évoluant dans son propre univers artistique. Le piano, l’écriture de “chansons stupides” à l’école élémentaire, la magie à 10 ans qu’il pratique comme un vrai pro : “J’ai appris quelques tours car il y avait beaucoup de magiciens professionnels dans ma ville et je me suis dit que je pouvais moi aussi en faire sérieusement. J’étais un gamin mais même à cet âge, ce qui m’intéressait, c’était de repousser mes limites. Essayer de voir jusqu’où je pouvais aller.” Après le lycée, l’envie de passer derrière la caméra et une escale de 6 mois à New York, Garrett s’envole de l’autre côté des Etats-Unis, à Los Angeles. C’est là bas qu’il finira par composer et enregistrer les 11 morceaux de Dopamine. “Je suis arrivé à Los Angeles pour une session d’écriture. Je ne devais y rester que quelques jours”. Mais l’air des plaines californiennes sied bien à BØRNS. Il affine son style musical, conduit une Mustang dans les rues de LA et vit dans une cabane dans les arbres. Une vie de bohème, de soleil et d’espaces qui se traduit dans chacun des morceaux de Dopamine, où l’amour se vit comme une drogue. “La plupart des chansons de l’album ont été inspirées par cette réaction chimique qui se déclenche lorsque qu’on cède à la tentation amoureuse et au désir”, explique t-il. “Mon inspiration vient aussi des fantasmes ou des fantaisies que j’imagine dans mon esprit. Je me demande toujours « Qu’est-ce qui aurait pu se passer si j’avais fait ça » ou « J’aurais dû lui dire ça » à cette fille qui est maintenant très loin”. Dommage pour elle. Tant mieux pour nous.

BØRNS a aujourd’hui troqué sa guitare acoustique contre une électrique, raccourci son blaze et rallongé ses cheveux. Il vient de sortir Dopamine, son premier album. Le résultat d’une quête de soi artistique,

Propos recueillis par Arièle Bonte


BØRNS © Hobbes Ginsberg / BEAT


ALT-J Interview publiée le 22 septembre 2014

Troublante atmosphère pour les débuts de cette interview : une musique supposée nous détendre installe une ambiance assez louche. Un piano macabre, le style de son qui te fout la chair de poule. Le silence nous soulage. Les trois membres d’Alt-J s’enfoncent plus confortablement dans leur canapé en cuir et on s’engouffre directement dans le coeur de l’album, In medias res. Retour sur ce nouveau langage.


Les vocalises, les bruits primitifs que l’on entend, notamment au début de votre disque, semblent donner forme à une sorte langage qui va résonner jusqu’à la dernière piste. La voix émerge comme un outil bien particulier… On essaye d’utiliser la voix comme un instrument à part entière, il ne s’agit pas seulement d’un chant. On utilise des mélodies, sans mots. Même si le résultat donne un titre qui ne contient qu’à moitié des paroles, ce n’est pas important. Les paroles sont riches, sur ce disque. Nous avons traversé une période de transformations. L’enregistrement de l’album a débuté après le départ de Quill, en février. Il est parti deux jours avant l’entrée en studio. Cela nous a poussés à nous remettre en question. 
Est-ce une pratique courante en Angleterre ? Vous êtes quatre membres, vous sortez un premier album qui marche super bien, et puis vous vous retrouvez à trois ? C’est ce qui est arrivé à The XX aussi. On adore leur deuxième album d’ailleurs. Peu importe que l’on soit trois ou quatre, le spectacle doit continuer. La séparation a été difficile mais encourageante. On s’est rendu compte que l’on était très proches, tous les trois, en tant qu’équipe. C’était nécessaire, en fait, pour l’équilibre du groupe, même si on ne l’entendait pas de cette oreille à l’époque. 
En lisant les titres des morceaux de votre nouveau disque, on sent qu’il y a une sorte de voyage tout au long du disque, avec l’arrivée, le départ, etc. Nara est une ville du Japon où les cerfs sont sacrés. Ils peuvent évoluer dans les rues. Le titre Nara parle des droits des homosexuels. Il parle de la liberté de vivre avec la sexualité que l’on veut. C’est d’ailleurs un sujet sensible en ce moment, notamment lorsque l’on voit ce qui se passe en Russie ces jours-ci. Les paroles sont bien écrites d’ailleurs (ils se félicitent et se donnent un high-five). C’est une analogie avec le cerf à l’intérieur de Nara, avoir la liberté de faire ce que l’on veut sans entrave… Vous sentez-vous politiquement impliqués ? Nous sommes ouverts à l’idée de vivre une vie tranquille, sans être jugés alors que l’on ne fait de mal à personne. Nous ne sommes pas un groupe politique, c’est certain. En Russie, ils utilisent le terme propagande pour dénoncer la Gay Pride, par exemple. C’est dingue d’utiliser le terme propagande pour ça. Surtout venant de leur part. Qu’essayez-vous de construire avec cet album ? Je pense qu’il s’agit d’un voyage qui a pour destination le dernier titre. Nous ne pensions cependant pas construire quoi que ce soit pendant son élaboration. On n’a pas particulièrement voulu écrire un album concept si c’est cela ta question. Vous prenez votre temps pour faire entrer l’auditeur dans les morceaux. Les intros sont longues, les outros aussi. Pourquoi ? Nous avons volontairement écrit des chansons plus longues sur cet album que sur les précédents. Les espaces entre les chansons sont tout aussi importants

que les chansons elles-mêmes, de la même manière que les moments plus calmes étaient nécessaires, et aussi importants que les moments énergiques. Left Hand Free est un des morceaux les plus courts de l’album. Pourquoi ce choix ? Ce titre ne durait qu’une minute et vingt secondes, on a dû le rallonger ! C’était supposé être très bref, dans l’album. Honnêtement en l’écoutant, je le trouve toujours trop long (rires). Une particularité dans le langage : pourquoi le passage en Français dans Hunger of The Pine [Une immense espérance a traversé la terre/Une immense espérance a traversé ma peur] ? Car c’est cool. Enfin, c’est une citation du livre Lady Chatterley’s Lover. En fait, je croyais que l’écrivain, D.H. Lawrence, essayait d’être poétique, en écrivant en Français. Je ne savais pas que c’était une poésie française pré-existante. Je pense qu’une bonne phrase en Français a un très grand potentiel de rendre bien en chant. Les français sont renommés pour savoir bien s’exprimer et ça me fait plaisir de pouvoir profiter de cette langue. Gus parle Français et peut m’aider pour la prononciation. Il y a une voix feminine sur Warm Foothills. Est-ce Feist ? Non, c’est Liane La Havas et Marika Hacknan. Tu ne nous crois pas, hein ?! (Ils rient). Y-a-t-il d’autres invités sur l’album ? Oui, Conor Oberst des Bright Eyes ainsi que Sivu sont aussi sur Warm Foothills. Pourquoi rester si proche de l’album lorsque vous êtes sur scène ? C’est vrai que nous reproduisons l’album sans vraiment faire de variations considérables. C’était un peu notre but initialement. Nous voulons être aussi bien que sur l’album. Le groupe Foals, par exemple, peut se permettre d’étirer ses morceaux jusqu’à sept minutes et de faire des variations. Ce genre de confiance se gagne avec le temps. Nous aimons l’album, donc c’est ce que nous jouons. Seriez vous surpris d’être parmi les meilleurs albums ou les pires couvertures de l’année 2014 dans des classements ? En tant que trio il est difficile que nous ne soyons pas satisfaits de ce que nous avons sorti. Oui, je pense que Pitchfork nous mettra sur la liste des pires pochettes d’album. “Haters Gonna Hate”, n’est ce pas ? Et, vous CRUMB, vous diriez quoi ?

Propos recueillis par Bastien Internicola 
Photographie : Yann Morrison, pour Crumb 
Traduction : Bastien Internicola & Jacopo Martini. Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.




Sunbathing WITH MAGGI by Alessandro Casagrande







Série photo publiée le 29 avril 2013



ZELLA DAY


Interview/Rencontre publiée le 3 novembre 2015 Le premier album de Zella Day raconte l’amour, le désir et la souffrance dans une pop-folk ensoleillée qui puise ses racines dans le songwriting des 70’s. Rencontre avec une enfant de l’Ouest américain.

Zella Day est une jeune américaine de 20 ans qui a grandi à Pinetop, une ville paumée d’Arizona. Là bas, pas de scène musicale mais un seul coffee shop tenu par ses parents. Biberonnée à Bob Dylan et “à la bonne musique” dit-elle, elle gratte sa première guitare à 10 ans et se produit déjà devant les clients et amis artistes de sa famille. Le début d’une vocation pour cette gamine à la blondeur californienne. “En tant que jeune femme artiste, c’est dur de trouver des personnes qui croient en toi” Une décennie plus tard, la demoiselle entame déjà sa deuxième vie musicale après une première expérience à 15 ans à Nashville. Le résultat ? Des morceaux trop country. Et des producteurs bornés. Mais Zella Day ne voit pas ce premier ratage comme un échec, tant elle se nourrit de sa détermination. Tout en restant fidèle à elle-même. “J’étais trop jeune pour savoir qui j’étais et ce que je voulais vraiment. Mais je savais ce que je ne voulais pas et la direction musicale qu’on m’imposait ne me convenait pas”, explique-t-elle à CRUMB au téléphone, à l’autre bout du monde. Plutôt que de faire quelque chose qui ne lui ressemble pas, elle préfère quitter la capitale de la musique country et à pose finalement ses valises à LA. C’est dans la Cité des Anges qu’elle va affirmer son identité, avoir le cœur brisé et construire sa team musicale. “A Los Angeles j’ai trouvé des producteurs qui croyaient en ma vision des choses. C’est une chance car en tant que jeune femme artiste, c’est dur de trouver des personnes qui croient en toi, alors que les hommes dominent l’industrie musicale”, confie-t-elle. Avec Xandy Barry ou Wally Gagel (le duo de producteurs derrière des morceaux de Best Coast ou de Bon Iver), Zella Day va alors composer les 12 morceaux de Kicker et construire un univers à la fois musical et esthétique, fidèle à ce qu’elle est.

Social Queen Zella Day n’est pas qu’une chanteuse. En plus d’écrire ses chansons, elle a une maîtrise parfaite de son image ou de ses vidéos clips et a le luxe de pouvoir choisir ses réalisateurs parmi ses amis. Elle manie également les réseaux sociaux avec une certaine virtuosité. Un job à part entière, selon elle. “J’y partage mes voyages et ma vie d’artiste. Mais je communique peu sur ma vie privée. J’en montre en fait suffisamment pour livrer une image de moi sincère et authentique”. Derrière son look de queen des 70’s, inspirée par Stevie Nicks ou Mick Jagger, Zella Day est bien un pur produit des nouvelles technologies et a tout compris au pouvoir du numérique. Pour toucher un maximum de gens. “Tu ne sais jamais ce qui va t’arriver sur la route” Après avoir passé l’été à sillonner les routes des Etats-Unis, Zella Day va désormais parcourir le continent européen. Un voyage de plus d’un mois qui sera immortalisé par l’un de ses amis californien. “Pour la première fois de ma vie j’ai un public qui me suit. Aller en Europe est très important pour moi, alors j’ai envie de pouvoir le partager et de capturer les moments sur la route, en backstage ou dans les chambres d’hôtel”, explique-t-elle. “Tu ne sais jamais ce qui va t’arriver sur la route, tu es toujours en train d’essayer de tenir le coup. Il y a des moments durs, où l’on ne sait pas quoi faire de soimême…” (…) “Mais j’ai rencontré beaucoup de gens et je comprends le monde d’une nouvelle manière maintenant. Mon écriture a radicalement changé”, me confie-t-elle avant de rappeler que le plus cadeau de sa vie d’artiste est de monter sur scène et d’entendre les spectateurs chanter ses propres chansons. Ce dont elle a toujours rêvé. Désormais, sa réalité.

Propos recueillis par Arièle Bonte, par téléphone.


YUKSEK Rencontre/texte publiée le 7 mai 2013

Deux ans après la sortie de son deuxième album, Living on the Edge of Time, qui l’avait propulsé sur le devant de la scène, Yuksek revient. Avec un projet ambitieux et surprenant, notamment le lancement de son propre label “Partyfine”. Il nous raconte l’histoire du projet.

On t’a vu travailler sur beaucoup de choses différentes ces derniers temps, ton projet personnel sous le nom de Yuksek, plusieurs remixes intéressants et la production d’autres groupes comme Juveniles par exemple. Comment est née cette envie de monter ton propre label en plus de tout ça ? J’ai toujours travaillé tout seul en studio, enfin, artistiquement en tout cas. Encore plus sur le deuxième album où il n’y avait pas de featuring, je chantais, faisais le mixage, l’écriture, tout ! Et je crois que je suis arrivé au bout de cette logique. Même pour le live, j’avais décidé de ne pas le faire en solo et de recommencer une “vie de groupe” et des collaborations. En septembre, à la fin de ma tournée, je me suis remis à la production pour d’autres gens. J’ai travaillé sur l’album de Juveniles, je produis toujours The Magician avec qui j’ai d’ailleurs un autre projet (Peter & The Magician), j’ai fait des sessions studio avec Oh Land, bossé avec JD Samson… Du coup, j’ai vraiment eu envie de développer tout ça. C’est un truc que l’on me demandait depuis longtemps mais que je n’avais pas encore eu le temps de faire. J’avais produit l’album de Birdy Nam Nam ainsi que celui de

Bewitched Hands, mais c’était toujours entre deux trucs personnels. En septembre, je me suis dit qu’il fallait que je laisse le champ libre à tout ça et que je fasse le contraire. Si entre temps j’ai des trucs pour moi je les sortirais mais l’idée c’est vraiment de travailler pour et avec les autres désormais. Comment s’est réellement concrétisée cette envie ? Quand j’ai produit l’album de Juveniles, on s’est super bien entendus, on a fait un morceau en plus ensemble mais on ne savait pas trop quoi en faire. Et puis il y a eu beaucoup de rencontres, celle avec Oh Land avec qui j’avais commencé à faire quelque chose, et un nouveau Peter & The Magician. On avait sorti deux maxi chez Kitsuné qui ont eu un bon impact. On s’est dit qu’avec l’image et la notoriété que l’on a, ce ne serait pas si différent de le sortir nous-même. La valeur ajoutée d’un label indépendant, que ce soit le tien ou un autre, est quasiment la même. Alors, oui, des labels comme Kitsuné renvoient une image forte, mais je pense que Stéphane (de The Magician, ndlr) et moi, en avons une aussi. Qui nous est propre. C’est ça leur logique chez Kitsuné : sortir des nouveaux projets de mecs pas trop connus et garder un ou deux groupes pour faire des albums plutôt Pop.



Un label, un concept : où as-tu envie de nous emmener avec cette nouvelle histoire ? C’est une démarche vraiment indépendante qui vise à concrétiser toutes ces collaborations et leurs extensions en faisant ça moi-même. C’est aussi avoir l’idée d’un son plus que d’un style. J’aime énormément de trucs et j’ai toujours mixé des styles différents. L’idée est de faire quelque chose dans le genre de ce qu’a pu faire Murphy [aka James Murphy] avec DFA (LCD Soundsystem, The Rapture), toute proportion gardée évidemment, un vrai label de producteur de studio, en somme ! Il y a déjà des noms signés sur ce label que tu pourrais nous annoncer ? On va sortir le nouveau Peter & The Magician avec JD Samson en featuring vocal fin juin. Et je peux aussi vous dire qu’on va sortir le premier maxi de Get A Room en septembre. Le reste des collaborations est un peu secrète ! Le label sera basé à Reims, chez toi ? Un peu à Reims, un peu à Paris. Le bureau officiel est à Paris mais le studio à Reims, chez moi, oui. Tu parles beaucoup de rencontres et de collaborations, l’EP que tu sors le 13 mai sous le nom de Partyfine est clairement dans la lignée de ce concept. Il est composé de deux titres : Last of Our Kinds avec Oh Land et Truth avec Juveniles. J’ai personnellement beaucoup aimé ce titre, comment est-il né et comment s’est fait le choix d’Oh Land ? J’avais fait un remix pour elle il y a 2 ou 3 ans, je ne l’avais pas rencontrée mais on s’est toujours dit que ce serait cool d’arriver à se croiser à Paris ou NewYork et d’enregistrer un morceau ensemble. On a réussi à se voir à New-York, on a fait une journée et demie de studio et on a sorti ce titre. C’est toujours une question de rencontre. Magician, je l’ai rencontré à Calvi il y a 3 ou 4 ans quand il avait quitté Aeroplane. Je crois qu’il ne s’appelait pas encore Magician, il n’avait pas encore de morceaux. C’est son manager qui nous a présenté, il est venu à Reims, j’ai fait le mixage de son remix de I Follow Rivers de Lykke Li, on a fait Twist ensemble et on s’est juste dit « c’est cool continuons ». Les choses se sont faites comme cela, à vrai dire, rien n’a été planifié. Je crois que je suis assez fataliste. Si on doit se croiser on se croise, si les choses doivent se faire elles se font et voilà. Il y a aussi pleins de gens avec lesquels j’ai travaillé et avec qui j’aimerais bien refaire des trucs : Ebony Bones par exemple, Brodinski ou encore Amanda Blank avec qui j’ai fait le titre Extraball sur mon premier album. Des collabs, des remixes, un label, un EP avec des featuring, ta carrière est-elle mise entre parenthèses ou aura-t-on bientôt un nouvel album ? Je ne sais pas du tout et en même temps j’ai toujours bossé comme ça. Je n’ai jamais su ce que j’allais faire ni après le premier album ni après le deuxième. Je

n’ai pas de logique de carrière ou de développement. Pour l’instant, je suis dans un état d’esprit de collaboration, ce qui correspond à mon label, mais je suis toujours en contrat avec Universal, je leur dois encore un album et il me donne gentiment le droit de faire tout cela en ce moment et de prendre mon temps. Oui, il y aura un troisième album un jour, et à priori je pense qu’il y aura une majorité de chansons que je chanterai moi-même parce que j’y ai pris beaucoup de plaisir sur l’album précédent mais je ne pense pas que je le ferai complètement tout seul. Peut-être que j’écrirai les morceaux avec quelqu’un, il y aura une forme d’échange… Mon second album, je l’ai voulu comme ça donc j’assume, mais ça a été hyper dur de faire cet album tout seul et un peu long aussi. Même s’il s’est fait en 6 mois, ça m’a paru interminable. J’ai vraiment envie d’être, pour le prochain, dans un truc plus “instantané” et direct. Dans l’échange, c’est plus simple et je prends davantage de plaisir à faire de la musique. Je ne veux vraiment pas planifier tous ces projets ni me donner une deadline pour le faire, j’ai envie que ce soit un truc un peu à l’ancienne. J’ai envie de ne pas le penser.

Propos recueillis par Patricia Fontenas 
Photographie : Diane Sagnier. Merci à Brice Bossavie


STROMAE Interview publiée le 26 août 2013

Pour la sortie de Racine Carrée, on a peu de temps. La conversation part un peu dans tous les sens. On commence par parler de cinéma, de manière informelle, de ses siestes interminables en cours d’histoire du cinéma. Le film impossible à regarder par excellence, selon lui : Le Cuirassé Potemkine, Eisenstein, 1925. Le bruxellois n’hésite pas à s’interrompre de temps en temps pour me rappeler « Arrête-moi, hein, si je dis n’importe quoi. Je parle trop. ». Mais non, on t’écoute…

On commence par lui faire visionner une vidéo vieille de cinquante ans : Aznavour, 1962, « Tu t’laisses aller ». Réactions : C’est Eric Zemmour ? (Rires). Ah, c’est Aznavour. On n’invente rien… Je n’ai jamais entendu cette chanson. C’est le mec qui rentre du boulot qui est bourré, c’est ça ? C’est quoi le titre du morceau ? Tu t’laisses aller, Charles Aznavour en live à la télévision au Québec en 1962. Il sourit. En regardant la vidéo, il parle très peu. Attentif, il laisse transparaître certaines réactions. Il rit, fronce les sourcils, hoche la tête. Le personnage, la diction, le caractère du chanteur l’intriguent. On te compare souvent à Brel, il suffit de lire les commentaires sur tes vidéos.
 C’est bien de regarder cette vidéo d’Aznavour. Il n’y a pas que Brel qui jouait des personnages sur scène. Toute l’ancienne école le faisait. Piaf le faisait, Nougaro aussi. Ces artistes avaient une distance par rapport à leur image personnelle. C’est important. C’est sain, pour l’esprit, de jouer des personnages. Ce sont des petits films que l’on joue. Ce n’est pas étonnant de voir des médias qui sont outrés de voir Orelsan qui chante Sale Pute, parce que c’est

vraiment scandaleux. Mais il a le droit. Évidemment que cela se dit. Une meuf a aussi le droit de dire que c’est un vrai connard, un enculé, tout ce qu’elle veut. Mais les beaux couples, ce sont des connards et des connasses et c’est ça qui est beau. C’est la consommation de l’amour qui s’exprime. J’ai déjà raconté ça et on m’a rétorqué qu’avant, dans certains couples, des femmes étaient forcées de rester avec des hommes, à cause du mariage. Mais l’amour, c’est un peu ça. Et inversement. Aznavour chante “Tout a changé”. C’est normal, il ne faut pas s’attendre à ce que tout reste comme avant. Peut être que je ne le comprendrai jamais. Au final, à part des relations qui n’ont duré guère plus que trois ans, je n’ai rien connu. Cela reflète bien ma façon de “consommer” l’amour. Il y a des tutoriels pour utiliser Reason sur la toile, un logiciel qui sert à composer des morceaux. En trois minutes, tu cliquais sur deux boutons pour en faire un titre. C’est si facile que ça, pour toi ? Sur la vidéo, on ne montre pas les nombreuses nuits blanches de galère. Notamment au moment de l’écriture du deuxième album. Je calculais tellement, qu’il fallait que je sois dans un état de fatigue et de faim telle, qu’au bout de la nuit enfin, je lâche prise et arrive à être sincère et spontané. À ce moment là,


j’arrivais à trouver des solutions intéressantes. Tu ne dors plus chez maman ? J’ai quitté ma mère. Je vis tout seul. Du moins, j’essaie. C’était il y a un an seulement, j’avais vingtsept ans. Au bout d’un moment, faut bouger. Ma génération est quand même composée de vieux Tanguy. À mort. Que partages-tu avec la génération d’artistes dont tu fais partie ? Ce que tous les auteur-interprètes ont en commun : nous sommes une bande de démagos. Tu sors davantage pour t’inspirer ou oublier ? Les deux ! La sortie, la fête, pour composer le deuxième album. La musique, le hip-hop sont utiles, mais la mélancolie compte pour beaucoup aussi, au delà du côté dance, groove. Il y a autant de mélancolie dans les discothèques que dans le métro, au final, car elles représentent tellement l’exagération de la fête qu’elles masquent une tristesse inouïe. √ : Racine Carrée, c’est le titre de ton nouvel album. Cela a un rapport avec les mathématiques ou c’est simplement pour te la jouer hipster ? 
 Ce symbole reflète mon côté maniaque, pragmatique. Malgré le fait que je sois complètement bâtard, j’ai envie que cela soit noir ou blanc. Je me suis fait avoir au niveau du contrat de la vie. Au début, on te dit, d’une manière manichéenne, qu’il y a les gentils et les méchants. En grandissant, tu te rends vite compte que c’est hyper compliqué. Et heureusement. Je ne suis pas une tête en maths mais j’aime bien tout ce qui est scientifique, pragmatique. J’ai du mal à lire des fictions, je n’aime pas les romans. J’ai l’impression de perdre mon temps en les lisant. Les films me saoulent aussi parfois. Je me dis “putain je vais passer une heure et demie à regarder un truc qui n’a pas existé“. C’est totalement prétentieux d’ailleurs, parce que je passe mon temps à faire cela dans ma musique. On aborde la notion de Gloire. Stromae évite ce terme. Il préfère célébrité. Il y a une raison à la célébrité : le métier de quelqu’un par exemple. La gloire, qu’il décrit comme “beaucoup plus vide” n’existe pas, dit-il, car elle n’implique que du positif, contrairement à la célébrité. On rejoint la visibilité éphémère que peut offrir twitter à certains… Tu parles de ce réseau social au petit oiseau bleu sur ton titre Carmen d’ailleurs. J’utiliserais plus le mot buzz. C’est du marketing, et cela a toujours existé. Le buzz devient la promotion de sa propre personne, à frimer même devant ses potes, à montrer là où on est parti en vacances. Facebook, Twitter c’est super, mais je les utilise pour la promotion de mon métier, c’est tout. Ma vie privée s’arrête à un moment bien précis : heureusement que je ne suis pas le même sur scène, dans mes chansons -qui sont légèrement inspirées de mon histoire- et à la maison. J’ai un côté politiquement correct mais une fois devant ma télé, cela fait plaisir d’insulter les gens qui sont dedans.

Un film t’a marqué récemment? 
La merditude des choses (deFelix Van Groeningen, Belgique, 2009, ndlr). On peut avoir l’impression que c’est encore une caricature du misérabilisme belge comme on en voit toujours mais au final, les gens sont beaux parce que ce sont des cassos. C’est ça la merditude des choses. C’est aussi ce que je défends dans mon album. On est beaux parce qu’on est des frimeurs, parce qu’on est un peu tout ça à la fois. Pour en revenir à la célébrité éphémère. Je lisais un article dans un journal, récemment, qui présentait une analyse sur Le Loft. C’était peut-être dans Libération. Un des premiers participants déclarait : « Ce qui est horrible, c’est que c’est la vérité : c’est ce que l’on est ». Mais pour qui se prend-on pour juger ? C’est tellement facile de casser du sucre sur leur dos. Au final, on est tous des connards, autant que les gens à l’intérieur. La production, les spectateurs n’échappent pas à la règle. Les personnes enfermées ne font que refléter ce que nous sommes tous. Si cela fonctionne, c’est que le concept représente bien notre société actuelle. Il faut que cela nous serve de leçon. Personne n’est à l’abri. Tu as vu Nabila sur le plateau de Canal+ face à ton compatriote Stéphane de Groodt ? Ce qui fait chier les gens, c’est de se voir eux mêmes dans des personnages comme Nabila. C’est une mise en abîme. Nabila, c’est un résumé du fait de se mettre en photo sur Facebook. J’ai vu cette vidéo, et j’ai ri, évidemment, parce qu’elle jouait le jeu. Cela l’arrange de jouer la simplette. Je ne pense pas être optimiste en disant qu’elle le fait exprès. Et cela arrange tout le monde qu’elle soit comme ça. Ce que j’ai aimé, c’est que Stéphane de Groodt n’était pas méchant. Ce n’était pas violent. C’est ça qui est marrant, chez nous : il y a des Nabila, il y a des Stéphane de Groodt. La langue française : une cause à défendre ? C’est une aussi belle langue que le flamand, l’anglais, que toutes les langues du monde. Ca m’énerve d’entendre dire que le français sonne moins bien que l’anglais. On n’a pas attendu l’anglais pour savoir qu’on avait, tous, une richesse culturelle à défendre, même si l’on est tous mélangés et que tout s’influence. Mon travail, ce n’est pas d’imiter les américains. C’est d’être qui je suis, en français. As-tu l’impression d’être schizo parfois ? La schizophrénie, c’est ma façon de me soigner. Quand je joue Formidable ou Papaoutai, ce n’est pas ma vie. C’est en endossant le rôle de différents personnages que j’arrive à prendre de la distance entre ce que je fais et ce que je suis. Dans la maison de disques, nous sommes plusieurs à rassembler des idées. Il est malsain de faire porter une attention telle sur une seule personne, alors j’espère gagner une certaine distance en me mettant dans la peau de personnages. Et le tout, mélangé, ça donne vie à Stromae… Propos recueillis par Bastien Internicola

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.



Interview publiée le 16 mai 2012

En provenance directe de Los Angeles, nous avons rencontré les héritiers des MGMT, Electric Guest. Groupe qui a de grandes chances de gravir les sommets et s’impose déjà comme une des révélations de l’année ! Rencontre avec Asa et Matthew.

Les médias français parlent de vous comme d’un groupe « électro funk psychédélique ». Vos instruments et voix sont souvent comparés à Vampire Weekend ou Two Door Cinema Club et votre musique est assez trippante pour qu’on vous vous appelle les « nouveaux MGMT », cela vous plaît ? Asa : MGMT ! Wow, j’aime beaucoup ce dernier commentaire ! Enfin, Vampire Weekend ont fait deux albums vraiment cool mais ils ne sont pas si bien passé que ça aux US… Quant à Two Door Cinema Club, c’est un peu trop pop pour moi… Matthiew : Par contre, j’adore vraiment MGMT ! Asa : C’est tellement génial que les gens croient autant en nous ! Quel serait le pire groupe auquel on puisse vous comparer ? Asa : Ouh ! Je crois qu’on sait tous les deux la réponse à cette question ! Matthiew : Ah oui ! Quel est ta chanson préféré mec ? « Pumped Up Kicks » ! (Rires) Foster The People ? Vous avez tout de même fait leur première partie… Matthiew : Oui mais je ne peux juste pas ! C’est une différence de culture je crois… Asa : Je sais que cela va sonner bizarre et je crois que c’est quasiment impossible d’expliquer ça à un français. Mais la base du problème c’est que Foster The People est comment dire, « fourbe ». Quand on connaît toutes les tendances musicales qu’il peut y avoir aux US, ce qui est sorti ces dernières années, les différents genres, etc, on a l’impression qu’ils ont étudié ce qui était populaire et ont fait un parfait package de ce qui était en vogue pour s’assurer le succès. Quel est le morceau que vous auriez rêvé de créer ? Asa : « Follow », de Danny Richie Havens. C’est lui qui a ouvert à Woodstock. Son arrivée sur scène en hélicoptère a marqué tous les esprits. Il y avait tellement de monde qu’il ne pouvait pas y accéder autrement ! Une fois sur scène, on lui a dit qu’il devait y rester 2 heures alors qu’il n’avait que 8 morceaux à jouer. Il s’est mis à improviser. C’est de là qu’est né «

Follow ». Cela reste, pour moi, le meilleur morceau de tous les temps! Derrière la mélodie de vos chansons, les paroles sont assez dures. Chaque morceau semble être une critique de la société Asa : Avec les temps qui courent, les gens ne veulent pas forcément faire passer un message dans leur musique, ils préfèrent que le public se change les idées avec. Mais pour moi c’est essentiel. La musique est un moyen de se faire entendre sur tous les plans et ce que je vais dire dans mes chansons compte beaucoup. Les paroles que j’écris sont travaillées et pensées pour chaque morceau. Alors oui, j’y parle de société. Vous avez une anecdote folle à nous raconter ? Asa : (Rires) Où trouvez-vous ces questions ? Quand on était en train d’enregistrer l’album, on est resté quasiment 2 semaines cloitrés dans le studio avec Danger Mouse. Il y avait toujours Brian et ses deux ingénieurs du son. A force d’être ensemble vingtquatre heures sur vingt-quatre, Brian et moi avons eu quelques tensions. Un jour, je suis rentré dans le studio et les deux ingénieurs qui ne sortaient jamais ont, décidé d’aller chez Starbucks. Je me suis retrouvé en tête à tête avec Brian, dans une atmosphère très tendue. Au bout d’un moment, il me dit : « Asa, viens t’asseoir ! Faut qu’on parle. Il va falloir qu’on arrive à s’entendre tous les deux si on veut réussir à travailler ensemble… ». Et là, il me fait écouter un album entier de David Bowie et il me dit : « Il faut que t’écoutes ça. Que tu l’écoutes vraiment. Fais en l’expérience totale ». Et il est parti. C’est peutêtre la manière de régler des problèmes la plus incroyable que j’ai connu. Et ça a marché. Propos recueillis par Marie Polo. Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.

Cette interview et les photographies qui l’accompagnent ont fait l’objet de la couverture du numéro 14 de Crumb magazine, première version, alors qu’il était une revue digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 16 mai 2012.


ELECTRIC GUEST


THE DODOZ Interview publiée le 25 novembre 2011

14h10. Vincent s’approche de nous, l’air penaud. « C’est vous Crumb ? – C’est nous. ». Voix grave, cernes prolongés, la nuit a été visiblement longue. Quelques bières plus tard, le reste du groupe nous rejoint. Géraldine, Jules, Adrien et Vincent sont les Dodoz. Depuis leur passage très remarqué sur la compil CQFD (Ce Qu’il Faut Découvrir) des Inrocks en 2008 et après un premier album éponyme applaudi par la critique, les toulousains ont le vent en poupe.

Vous vous appelez les Dodoz, un poulet sans aile qui s’est fait bouffé par tous les autres prédateurs, ce n’est pas un peu contradictoire avec l’envol de votre carrière ? Vincent : (Rires) On essaie justement de le faire revivre, de le réhabiliter. Sorte de clin d’œil ! Vous avez commencé avec le festival des Inrocks, puis des premières parties prestigieuses. Difficile de ne pas perdre les pédales ? Géraldine : Tout n’a pas été si rapide. La plupart des gens ne nous ont découvert que récemment mais cela faisait déjà 4 ans que l’on travaillait sur le projet. Nous avons fait nos premiers concerts comme on a pu, seuls sur les routes, en dormant chez des fans de la première heure qui nous hébergeaient. Quand la médiatisation est arrivée, nous n’avons fait que profiter, sans jamais nous demander si ça allait continuer… Vincent : A Toulouse, dans notre cocon familial, c’est beaucoup plus simple de garder les pieds sur terre. Votre nouvel album Forever I Can Purr a été mixé par Mike Crossey – qui a travaillée, entre autres, avec Arctic Monkeys, Foals, Razorlight, ndlr)… Géraldine : Oui. Mais nous n’avons pas directement

enregistré avec lui. Le tout s’est fait au Vega Studio, avec notre producteur, Peter Murray et notre ingénieur du son Bertrand Montandon. Une fois le travail prêt, nous lui avons tout envoyé. Le mixage s’est fait à Liverpool et nous avons déjà eu de très bons retours. Vincent : Ce nouvel album sera plus « réverbéré », c’est à dire qu’on a voulu que le disque soit plus large, que les sons soient enregistrés comme dans une pièce plus vaste avec des échos. Plus nuancé aussi mais toujours tourné vers le live. L’an dernier, les anglais disaient de vous que vous étiez un groupe plein de « jeunesse dans sa forme la plus pure ». Vous l’avez pris comment ? Géraldine : Tant que c’est le bon côté de la jeunesse qui est exposé : la fraicheur, la naïveté, l’énergie, c’est génial, on est très fiers. C’est ce que l’on essaie de transmettre modestement à travers notre musique et en live. Propos recueillis par Paul Bousquet et Théo Moncassin, à Toulouse. Photographies : Alexis Pech Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.



Interview publiée le 16 juillet 2011 Récit d’une rencontre entre The Shoes et Crumb par un beau matin de Juillet, place de la République, à Paris.

THE SHOES

Au delà du travail studio, vous êtes surtout un groupe de scène… Benjamin : Oui ! En live, nous sommes quatre, avec la plupart du temps deux batteurs qui jouent debout pendant que nous nous occupons de la basse et du clavier. C’est assez tribal et rythmique. Guillaume : Nous ne sommes pas de grands chanteurs mais avons de la force physique à revendre. Nous avons un rapport assez intime au son et la scène se joue à l’énergie. Et puis, évidemment on s’amuse beaucoup à réinterpréter ou réinventer nos compositions. Benjamin : Nos chansons sur scène prennent une tournure rock’n’roll. Et pourtant, il n’y a pas une seule note de guitare ! Ni sur l’album, ni en live… Guillaume : C’est vrai. On a pourtant essayé mais ce n’est pas un instrument qui colle à notre univers et à notre esthétique. Je ne sais pas pourquoi. Comme votre nom de scène d’ailleurs, personne ne sait… Benjamin : Nous avons fait une liste de tous les jeux de mots que les journalistes ont réalisés sur notre nom. Essayez-donc, CRUMB ! En réalité on s’appelle The Shoes par un concours de circonstances. Cela n’a pas plus de sens que ça pour nous. J’ai vu que vous aviez quand même réalisé une interview, exclusivement sur le thème des chaussures…

Benjamin : Imagine que l’on se soit appelé«The Slips» Guillaume : À la base, « The Shoes » était un nom provisoire. A l’époque, nous avions un MySpace. On a mis une photo d’une paire de chaussures dessus et le buzz est parti. On ne pouvait plus la retirer ni abandonner le concept. On a été dépassé par la chose en elle- même ! Aujourd’hui que vous accès à tout, au succès et aux lives, que vous avez collaboré, travaillé avec et produit une pléiade d’artistes, y a t’il une personne en particulier avec qui vous aimeriez collaborer ? Guillaume : Osmar Souleymane, sans hésitation ! C’est un chanteur syrien complètement incroyable. On essaie de faire en sorte que cela soit possible. Nous aimerions continuer à travailler avec Esser aussi, sur un prochain disque, parce que c’est un super pote et que ça marche plutôt pas mal entre nous. Maintenant, les gens qui nous accompagnent sont des proches, des personnes que l’on connaît. Il n’y a pas de superstar, ce n’est pas l’intérêt. Nous aimons les gens de notre génération, être sur un même pied d’égalité. Une paire mais deux mêmes pieds ! (Rires).

Propos recueillis par Bastien Internicola Photographie : Diane Sagnier Cette interview et les photographies qui l’accompagnent ont fait l’objet de la couverture du numéro 9 de Crumb magazine, première version, alors qu’il était une revue digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 16 juillet 2011.



Amélie Monti, portfolio




Amélie Monti est une jeune photographe française, originaire de Paris. Autodidacte, c’est après des études de cinéma qu’elle va se consacre à la photographie avant de rejoindre le collectif Le Garage (direction artistique du groupe 1995 entre autres). Ses photos, principalement en noir et blanc, s’intéressent aux détails et aux instants de vie, d’un oeil éloigné et curieux. Elle touche ainsi plus particulièrement à l’inattendu et à la perception du réel.


DISCLOSURE Interview publiée le 22 mai 2013

Entre la sortie de leur premier EP et aujourd’hui, la donne a changé pour Disclosure. Respectivement agés de 19 et 21 ans, les frères Guy & Howard Lawrence ont connu ensemble un succès fulgurant ces deux dernières années grâce à des titres tels que Latch ou encore White Noise en featuring avec AlunaGeorge (lire interview, page 36). Le second EP « The Face », sorti sur le label précurseur GrecoRoman en juin 2012, augmenté d’un irrésistible remix de Running par Jessie Ware, les propulse sur le devant de la scène .Ce succès leur permet de tourner aux cotés de SBTRKT, Annie Mac ou encore Hot Chip. Le duo s’apprête à sortir son prochain album, Settle, le 3 Juin prochain et partira ensuite faire une tournée mondiale.

Avant Disclosure, quelle a été votre formation musicale ? Guy : J’ai commencé à jouer de la batterie quand j’avais trois ou quatre ans, ensuite vers sept ans j’ai appris à jouer de la guitare. Je n’écoutais pas de genre en particulier mais vers seize ans je me suis intéressé au hip-hop américain. Il y a cinq ans j’ai commencé à sortir en club et j’ai découvert le Dubstep. J’en ai tout de suite parlé à Howard, c’est comme ça qu’on a commencé à “créer” de la musique. Howard : Oui, c’est un peu la première fois qu’on aimait la même musique au même moment. Nous n’avions pas du tout les mêmes goûts musicaux. Comme Burial ou Joy Orbison ? Guy : Oui totalement ! Du dubstep, mais pas du genre woa-woa-woa (rires), du bon dubstep ! Pas mal de House music aussi. Quand avez-vous décidé de former Disclosure ? Howard : Nous n’avons pas vraiment décidé. C’était un accident. Nous faisions des beats sur mon

ordinateur pour s’amuser et un jour, à l’école, un mec a vu ce que je faisais. C’était un prof de technologies. Il m’a demandé s’il pouvait produire et mixer certains morceaux qu’on avait fait. Nous en avons fait deux que l’on a publié sur Myspace. A partir de là, des labels se sont intéressés à nous… Votre morceau Latch est resté longtemps dans le UK Top Ten, de même pour White Noise, décrit comme « le single le plus hot au Monde ». Vous attendiez-vous à un tel succès ? Guy : Non. En fait on voulait faire de la House Music, un truc assez underground. Nos titres sont vraiment arrivés dans les charts par accident (rires). Howard : C’est une histoire assez incroyable. Et on est toujours dans le Top 40. Qu’avez-vous appris de votre tournée avec SBTRKT, Hot Chip ou encore Annie Mac ? Howard : Nous avons fait trois ou quatre shows avec Annie Mac, et à chaque fois c’était vraiment très cool parce qu’elle ramenait principalement des filles ! Les filles semblent plus apprécier notre musique que les





mecs et aussi mieux la comprendre. Quand on était avec Hot Chip, leur public ne savait pas du tout qui on était, cela nous a offert un peu plus de notoriété… Guy : Oui et la tournée avec SRTKT (prononcez « Subtrakt », ndlr) était vraiment cool ! Comment travaillez-vous ? Howard : On commence généralement pas les mélodies voire la batterie… Mais cela change selon les chansons ou les personnes avec lesquelles on travaille. Impossible de répondre à cette question ! Vous venez tout juste de revenir des États-Unis, comment s’est passée votre tournée et en quoi le public américain est-il différent du public européen ? Guy : C’est surtout la musique qui est différente làbas. Eux en sont toujours à écouter du Dubstep. Nous, on écoutait ça il y a quatre ans, tandis qu’ils sont encore à fond dedans et dans tout ce qui est mainstream aussi d’ailleurs. On a donc eu un peu de mal à se faire comprendre, même si nos show ont tous été complets. Ce fut le cas à Coachella ? Howard : Oui ! Nous étions le dernier concert du festival, c’était énorme. Parlez-nous de votre collaboration avec AlunaGeorge… Howard : Les choses se sont faites très naturellement. On adore ce qu’ils font. Et la voix d’Aluna est unique. Ils ont fait notre première partie lors de la tournée du Royaume-Uni. C’est comme cela que le lien s’est tissé… Pourquoi avez-vous nommé votre prochain album Settle ? Howard : C’est en fait une blague de notre manager !

Nous étions tous tellement super excités par le succès de nos morceaux que du coup on s’est souvent répété qu’il fallait qu’on se calme, d’où le “Settle Down” / To Settle Down (rires). Pouvez-vous nous parler de cet album… Guy : C’est le première fois que l’on travaille avec autant de voix et de chœurs en même temps en en arrangements. C’est vraiment un mélange entre la Dance et le Garage. Il y a un bon équilibre entre les deux. C’est la seule chose qu’on voulait faire. Le reste est secret… Votre meilleur souvenir de scène ? Guy : L’année dernière, à Ibiza, en haut du vieux château de l’île ! Il y avait à peu près 5000 personnes, le soleil se couchait, c’était le soir de mes 21 ans. Une super soirée d’anniversaire. L’occasion de rappeler que vous êtes tous les deux très jeunes… Si un jour tout s’arrête vous avez prévu de faire quoi ? Guy : J’aimerais produire du hip-hop, ce serait cool. En fait, en dehors de la musique je ne sais pas du tout ce que je ferais… Howard : Moi, écrire pour d’autres artistes, je crois. En attendant, la suite à venir ces prochains mois, c’est… ? Guy : 39 festivals cet été ! Ensuite on à notre tournée au Royaume-Uni, en Europe, en Amérique, Australie et des Dj Sets, un peu partout, aussi. Pas de date à Paris ? Guy : Pas pour le moment. Mais nous allons revenir. C’est sûr. On adore Paris.

Propos recueillis par Lucie de Keyser


Interview publiée le 16 octobre 2013 Toutes celles et ceux qui ont écouté l’album de Disclosure cet été (lire interview en pages précédentes) sont tombés amoureux de la voix de la fille qui chante Help Me lose my mind. Cette fille, c’est Hannah Reid. Acompagnée de Dot Major à la batterie, au djembé et aux claviers et de Dan Rothman à la guitare, les anglais forment le groupe London Grammar. Ils ont sorti leur premier album If You wait le 9 septembre, quelques mois seulement après leur EP Metal & Dust. À Paris, avant un showcase à la Fnac des Halles, le groupe s’est installé bien au chaud dans un café.

LONDON

GRAMMAR

Comment concevez-vous votre musique ? Dan : de plein de manières différentes, et ça change tout le temps ! On a passé beaucoup de temps dans mon garage à jammer ensemble, beaucoup de chansons sont nées comme cela. Il y a aussi des chansons qu’Hannah a écrit juste en improvisant au piano, d’autres qui étaient à la base des expérimentations électro. A la fin, on a voulu mélanger tout ça pour en faire un album. Parlez-nous un peu de l’album et des thèmes que vous y abordez. Hannah : Il y a beaucoup de thèmes différents sur l’album, les paroles sont principalement basées sur mes expériences personnelles, mes histoires d’amour

mais aussi sur des images qui me viennent à l’esprit quand j’écoute les compositions que Dan et Dot ont écrit. D’autres abordent la condition humaine, l’esprit humain, la psychanalyse… Comment décririez-vous cet album à quelqu’un qui ne l’a jamais écouté ? Dan : Il y a d’abord un côté minimaliste, électro expérimentale, influencé par des groupes comme Radiohead, Massive Attack. Il y a ensuite un côté plus Classic Pop, influencé par ce que Hannah écoute, Michael Jackson ou Tina Turner par exemple. Toutes ces influences réunies donnent une certaine consistance à l’album, une atmosphère que je qualifierais de mélancolique.


dub-reggae, l’influence s’entend sur l’album. Parlez-nous de la chanson Flickers. Dot : C’est la chanson la plus ancienne de l’album avec If You Wait. C’est la première chanson qu’Hannah et Dan ont écrit avant mon arrivée dans le groupe et c’est la première qu’on a composée ensemble. C’est pour ça que tu peux y entendre du djembé. Elle est assez représentative des débuts de notre groupe car à cette époque, Dan composait beaucoup avec une pédale de loop. Hannah : Je me souviens très bien du moment où on a écrit cette chanson. C’était dans la chambre de Dan à l’université, il venait d’écrire (elle commence à chanter, ndlr) : « The path is long, it’s cold and wet, desire path will lead you quicker here than the rest »

Vous aimez danser ? Dot : Moi pas du tout. Ce qui est assez paradoxal car je suis le batteur du groupe, mais ce n’est pas mon truc ! Hannah : moi j’adore ça et Dan est un excellent danseur ! Parlez-nous de votre collaboration avec Disclosure. Hannah : C’était vraiment chouette. C’est notre manager qui les connait depuis un moment et qui nous les a présentés. Tout s’est fait très rapidement ! Ils sont très talentueux mais aussi très efficaces. On a passé que deux jours en studio avec eux, ils travaillent tellement vite !

Dan : Ce ne sont pas vraiment des paroles ! (Rires). Hannah : Oui mais c’est brillant. C’est de ce petit bout de phrase que la chanson est née, c’était le thème de base. On a ensuite écrit le reste de la chanson ensemble. Dot : A l’origine, il n’y avait pas la partie plus rythmée que tu peux entendre au milieu de la chanson, je l’ai ajoutée en arrivant dans le groupe. Dan : Quand nous sommes allé en studio, le producteur de l’album Tim Bran a rajouté d’autres éléments live comme les Delays Dub par exemple. Il a joué pas mal de temps avec Dreadzone, un groupe de

Dot : Ca doit pas être facile pour des producteurs d’électro de trouver ses repères dans un album comme le nôtre où le chant occupe la plus grande place, mais ils l’ont fait brillamment et ils sont tombés littéralement amoureux de la voix d’Hannah en écoutant If you wait. En même temps, tout le monde tombe amoureux de sa voix, non ?

Entretien et textes par Bastien Internicola Traduction : Maxime Rosenfeld


Interview publiée le 12 mai 2013 Fuzati m’observe du coin de l’œil quand j’arrive. Je m’installe à côté de lui. L’échange commence, il semble sentir ma sensibilité pour sa musique et se détend. Parsemé de chaleur et d’étrangetés attirantes, son dernier Last Days remet au goût du jour la musique chambre. de samples vocaux te susurrent à l’oreille et résonnent dans les coins, les bruitages cosmiques Les imprègnent la tapisserie pour transformer l’acoustique, le beat masse ton esprit vide affalé dans un fauteuil : Last Days s’introduit chez toi par la porte secrète…

KLUB DES LOOSERS

Last Days avant quoi ? Avant la mort… (Rires). Last Days raconte l’histoire des derniers jours du personnage de l’album, un personnage obnubilé par le fait de faire de la musique et qui se drogue jusqu’au dernier morceau. Il meurt d’un arrêt cardiaque dans Goodbye qui finit juste avec le beat pour illustrer le rythme cardiaque décroissant. En même temps, ça va avec mon histoire. J’ai vraiment failli y passer à cette époque. Le truc c’est que je ne dormais pas, je bossais tout le temps, je prenais pas mal de “substances” donc à la fin ça a joué sur ma santé. Dans Last Days, je raconte mon histoire avec des samples et non en rappant. C’est ça

la différence avec les projets précédents. Au sujet des derniers albums tu dis que Fuzati c’est toi, poussé à l’extrême. Alors, sans les paroles saignantes, qui se cache derrière le son ? Est-ce que le masque et sa symbolique sont encore de vigueur sur cet album instrumental ? C’est moi. Quand j’écris, j’assume tout ce que dit Fuzati mais c’est simplement des émotions poussées à l’extrême parce que c’est là où se trouve le plus intéressant. Mais ici c’est vraiment moi, mes goûts musicaux. Je l’ai fait il y a super longtemps et je suis content quand je le réécoute aujourd’hui. Ce qui est



pas mal avec les instrus c’est que je m’en lasse pas et j’arrive même à en profiter sans me dire que c’est moi qui l’ai composé. Je l’ai fait que pour moi au départ et j’apprécie la distance sentimentale que je peux avoir avec cet album. J’essaie de ne jamais sacraliser la musique par rapport à une période. Enregistré en 2006, quel effet cela te fait de le sortir maintenant, 7 ans après et à la suite d’un album composé plus tard ? Je trouve ça super bien. Le rapport que j’ai avec la musique est très distancié de l’actualité. Moi je suis surtout dans le jazz, j’écoute des trucs des années 60, sans tout ce que l’on trouve aujourd’hui autour de la musique du type promotion-buzz-image. Ce sont des mots horribles qui t’éloignent de la musique ellemême. Là avec la distance je ne suis plus dans l’album, j’en parle mieux, avec du recul. Ca ne m’était jamais vraiment arrivé et c’est pas mal même si je ne le ferai pas sur chaque album. Tu as une relation particulière à la production et ici tu apparais exclusivement comme un producteur, un beatmaker. Quel effet cela te fait par rapport à l’image que le public a de toi, c’est à dire purement un chanteur/rappeur ? Je suis beatmaker depuis le départ, depuis 15 ans mais les gens pensent que c’est Detect qui fait les sons alors qu’il est mon Dj et mon ingé-son. Au départ, même avec le Klub des 7 c’était mon album de beatmaker mais je me suis juste caché derrière le groupe. Donc moi cela me fait pas bizarre d’apparaître exclusivement en tant que beatmaker. Ce qui est marrant c’est que mon travail de rappeur est très cloisonné de celui de beatmaker, je ne les associe que pour la finition mais dans ma tête ce sont deux mondes. Pour Last Days, je me dis « Enfin ! Les gens ne pourront pas fermer les yeux sur mon travail sonore ». Je n’ai pas fait cet album pour montrer ma production en tant que beatmaker parce que chez moi ce travail est continu. Il y avait déjà Spring Tales même si c’est purement un album hiphop pour rapper dessus alors qu’avec Last Days c’est un projet en tant que tel. Je ne dirais même pas que Last Days est un album hiphop mais plutôt un disque de beats. Il n’y a pas du tout que du sampling. Sur pleins de morceaux j’ai tout joué, modifié, programmé. Mais bien sûr il y a toujours mon approche hiphop avec la boucle. Sur Last Days alors, avec quelles machines as tu composé ? Ahah. C’est cool d’enfin parler de musique. Merci CRUMB. Normalement on me demande juste : « Pourquoi le masque ? ». Dans Last Days j’ai bossé essentiellement sur la MPC 2000 XL, un Minimoog et des machines plus vintages comme le Korg Sigma et le Fender Rhodes. Ce n’est que de l’analogique parce que je suis très attaché à ce grain chaud. Tu le sens, l’album est sale mais dans le bon sens du terme, il grésille. J’adore quand le son est chaleureux, c’est ma marque du Klub. Cet album vient un peu de mon obsession pour le Minimoog et toutes ces ambiances

spatiales… Tu sembles chercher l’harmonie sonore, un grain musical particulier sur chacun de tes albums. Complètement. Ici je suis encore dans la lignée des précédents projets : un son hyper chaud, hyper LowFi, analogique. C’est pour ça que j’ai toujours Detect comme ingé-son qui vient nettoyer mes mixs. Parfois je lui donne des morceaux vraiment trop crades pour qu’ils soient passables (rires). A quel point Detect t’a apporté sa patte sur Last Days ? Par énormément sur ce projet là. Juste que comme on bosse ensemble depuis longtemps il sait parfaitement ce que je veux et le grain que je cherche. Donc il fait le travail de finition au niveau du son en neutralisant certaines fréquences qui crachaient trop. Il me connaît bien. De la manière dont je t’écoute on dirait que tu te préfères comme beatmaker ? En fait, oui, je pense. En tout cas plus que comme rappeur. J’ai toujours rêvé d’être beatmaker depuis mes 13 ou 14 ans mais j’ai dû attendre de signer chez Record Makers pour avoir des avances et m’acheter une MPC. J’ai trouvé un Minimoog pas trop cher en 2005 après Vive la Vie. A partir de ce moment là j’ai rattrapé le temps perdu. J’avais plein de vinyls prêts à être samplés et j’étais comme un gosse. C’est là que tout a vraiment commencé pour moi. Quand tu composes, comment avances-tu ? Est-ce l’improvisation qui te fait progresser ou tout est déjà organisé dans ta tête ? Comme c’est un travail constant, parfois ça va partir d’une boucle à partir de laquelle je retravaille ou parfois c’est un air qui me vient du synthé et qui m’accroche. Je n’ai pas de méthode type puisque je compose tous les jours. Ce qui est super c’est que les instruments t’aident à composer ta musique. Le Minimoog ca ne fonctionne pas avec des accords donc il va m’inciter à jouer d’une certaine manière alors que le Fender Rhodes me permet de me lâcher sur les accords. L’instrument m’amène à composer d’une certaine manière, ça fait évoluer ma musique. C’est pour cela que je pense aussi que les mecs d’aujourd’hui font souvent tous la même musique. Sur numérique c’est une machine avec les mêmes réglages c’est plus difficile d’être original. Alors qu’avec l’analogique ce qui est intéressant c’est l’erreur. Par exemple le Minimoog il est hyper capricieux : ça met 10 minutes à chauffer, parfois tu joues et il se coupe. Comme tu nous l’as raconté, il y une histoire solide dans Last Days, c’est un album qui parle facilement grâce aux samples mais aussi à un effet roadtrip passionnant. Est ce que tu associes ta musique à des images ? Pas à des images mais plus à des couleurs. C’est un peu con mais cet album est bleu parce que pour moi l’espace c’est forcément bleu et cosmique donc je l’ai illustré par des pianos et du Moog. Tout ce qui est


Fender Rhodes et trompette c’est plus jaune tandis que le xylophone et les aigues c’est bleu. Non, ma composition n’était pas associée à des images parce que sur cet album je raconte une histoire grâce aux dialogues. Ces dialogues te sont venus comment ? C’est une recherche constante. Chez moi c’est un magasin donc je pioche. Le plus difficile c’est de chercher plein de bouts différents et de créer au final une cohérence, de donner l’impression que c’est le même groupe qui a tout joué, d’en faire ton son. C’est ça qui est marrant aussi, c’est de faire des collages à partir de voix de vieux disques et de les détourner pour recréer une pièce décalée. Sur Wet Dreams c’est une fille qui rêve de faire du fistfucking alors qu’évidemment ce n’était pas du tout le dialogue d’origine (rires). Comment les utilises-tu dans ta composition, pour rythmer la musique ? Je tombe sur une boucle et cela m’inspire tel ou tel sentiment. Le plus difficile c’est de trouver la bonne caisse claire qui permet de l’intégrer à la boucle en donnant l’impression qu’elle a toujours fait partie du morceau d’origine. Le travail de texture me prend le plus de temps. J’ai l’impression que le travail sur Last Days a été sensiblement différent. C’est vrai. Habituellement je fais de la musique tout le temps, par-ci par-là, alors que pour Last Days je me suis concentré pour faire un album construit. Je l’ai fait pour moi, sans vouloir le sortir, donc dès le départ ça allait devenir un album harmonieux. Pour Spring Tales j’avais simplement réuni pleins d’instrus. Pour La Fin de l’Espèce il y avait une grosse attente. J’ai un ressenti beaucoup plus intime avec Last Days. Avec La Fin de l’Espèce, le Klub a atteint un succès plus large que précédemment. Comment cela a joué par rapport à la sortie de Last Days ? Je sais pas pourquoi mais d’un coup j’avais envie de sortir Last Days. En le réécoutant il y a pas longtemps je me suis dit que c’était con de le garder que pour moi et que cela pouvait intéresser des gens. Mais avant je ne voulais pas le sortir parce que je savais que les gens attendaient une suite à Vive la Vie. Les gens ont tendance à moins faire attention à mes projets d’instrus alors qu’ils ont autant de valeur pour moi. Ils pensent que c’est juste un « sideproject ». J’ai donc attendu pour offrir à Last Days la place qu’il mérite à mes yeux. Les gens seraient passés à côté si je l’avais sorti avant La Fin de l’Espèce. Ils n’y auraient pas fait attention. Tu nous parles de substances et du son du Klub qui a toujours été teinté de pop. Comment ont-elles influencé ta production ? Aucun effet, c’est des conneries, dans le sens que c’est un mythe de dire que les substances te font créer une bonne musique. Simplement que je suis assez nerveux donc après une grosse journée de taff ‘ de bureau j’avais besoin de ça pour me calmer. A la

limite, parfois les substances te font entendre différemment la musique, tu te concentres sur un effet que tu n’avais pas assez remarqué, tu entres par une nouvelle porte dans ta musique. Mais sinon, quand tu t’es défoncé, il ne faut pas faire de musique. Tu fais une boucle, tu crois que c’est mortel et le lendemain matin t’écoutes et c’est nul. Quand t’es défoncé, t’es défoncé, c’est tout. Ca ne sert à rien. Ca ne mène nulle part. Tu aimes poser le doigt là où ça fait mal. Sur Vive la Vie c’était l’adolescence et le suicide, avec La Fin de l’Espèce c’était sur la reproduction et les relations aux femmes. Avec Last Days, tu cherches à soulever des questions ? Sur celui-ci c’est différent. C’était à un moment où je n’avais plus envie de rapper. Après la sortie de Vive la Vie, j’avais fait une grosse tournée mais j’étais dans une période de doutes à cause de l’industrie du disque qui se cassait la gueule. Donc j’ai compris que si je voulais bien vivre de ma musique il fallait que je travaille à côté sinon c’était difficile de ne pas « corrompre » ma musique. Donc j’ai trouvé un vrai taff’, à côté et j’avais plus forcement l’envie de rapper. Par contre, je voulais toujours raconter une histoire, d’où l’utilisation des dialogues. C’est un album qui est vraiment conçu pour chez toi. T’ouvres une bière et t’écoutes de la Musique, au-delà du style hiphop. Dans le catalogue on trouve une traduction en japonais. Quel est ton rapport à ce pays ? L’album sort au Japon mais je ne le savais pas quand je composais. Les japonais sont vachement dans ce style de musique cosmique. J’en reviens d’ailleurs et c’est fou là-bas. Tu trouves tout. Ils ne téléchargent pas du tout illégalement par respect de la musique d’abord et ensuite de la loi. Donc c’est un marché où le disque fonctionne encore, où les japonais font plus attention à la musique que nous. 70% de la musique que j’ai achetée sont des vinyls français qu’on ne trouve plus ici et qu’eux respectent. Il y a du jazz partout là-bas, tu vas pisser et c’est du Blue Note qui tourne - c’est leur musique de base. Même quand tu te balades au supermarché tu as l’impression d’être dans Cobra. Je pense qu’inconsciemment c’est pour cela que j’adore le jazz-funk parce que gamin quand je regardais les dessins animés j’étais face à de la qualité. Tes textes portent en eux l’esprit d’écriture française. Pourquoi ici présenter l’album en anglais ? Simplement parce que c’est un album qui pourrait être produit par un allemand ou un anglais donc j’ai voulu rentrer dans l’universel, à la fois par la langue utilisée mais aussi par la musique que je partage. C’est un projet international même si inversement ce serait ridicule de mettre mais titre en anglais sur le Klub des Loosers. Au fond, Last Days n’est même pas un album de beatmaker mais de musique, tout simplement. C’est fini la séparation de genres que l’on trouve dans les bacs chez le disquaire. Quand tu fais de la musique tu fais ce qu’il te plaît, sans cloisonnement mais avec emprunts. C’est pour cela que j’adore la musique brésilienne, elle est faite de


fusions. Mais il y aura toujours des extrémistes du genre, des mecs qui veulent garder des chapelles comme quand Miles Davis quand il a introduit le Fender Rhodes dans le jazz.

ne fera pas partie de la trilogie. Je reste dans le même univers, avec le même personnage mais je le présente à travers un autre prisme. Après il y aura le dernier épisode de la trilogie.

Tu sembles davantage posé avec ce type de projet comme Last Days. Tu vas en sortir d’autres du même genre? Il y en aura d’autres parce que vers 2006 j’ai énormément travaillé et donc j’ai au moins deux ou trois autres albums d’instrus. J’ai fait d’autres beats très différents de Last Days. J’ai des sons plus funk et d’autres plus différents. Vous verrez !

Tu peux nous en dire quelques mots ? Non, je suis en plein dedans. Je préfère prendre mon temps, tu comprends…

T’en penses quoi de conclure la trilogie après Vive la Vie et La Fin de l’Espèce ? Oui, j’ai envie de finir cette trilogie même si pour l’instant je bosse sur le prochain Klub des Loosers qui

Après l’adolescence et la trentaine, tu vas parler des vieux ? Non non non (rires effleurés). Ce n’est pas si logique que ça. Non. Je ne suis pas logique.

Interview et propos recueillis par Sirius Epron. Photograhies : Laurent Nalin, du Collectif 5.6, pour Crumb magazine


RODRIGO AMARANTE Interview publiée le 11 février 2014

Il s’en est passé, du temps, depuis 2008. Little Joy, groupe éphémère, sort un album, fait le tour des festivals et rencontre un franc succès. Rodrigo Amarante y chantait en anglais des refrains dont certains d’entre vous se souviennent sûrement. Membre de Los Hermanos et Orquestra Imperial, le brésilien s’aventure aujourd’hui en solo dans un album solo, éminemment touchant. Il nous parle de ses amis, de ses voyages sur la Terre et en lui même.


L’album sort bientôt en Europe. Comment a-t-il été reçu au Brésil, chez toi ? Je ne peux pas vraiment savoir. Toutes les informations que j’ai proviennent de mes amis et des concerts. Cela dit, je peux dire que j’en suis très satisfait. Les réactions ont été très intéressantes. Pas seulement positives. Les gens parlaient des paroles, des idées et du son de l’album. Ils ont été surpris que je fasse un disque comme cela ! J’ai eu le retour que je voulais. En plus, jouer l’album en concert a été très libérateur car je savais que ça allait être quelque chose de très délicat : ce sont des chansons qui prennent beaucoup d’espace, qui ont un certain dynamisme. Les Brésiliens ont l’habitude de me voir très bruyant avec Los Hermanos ou même avec Orquestra Imperial. C’est un autre groupe que j’ai. C’est dans le style de la musique des casinos des années 1940. Nous avons commencé il y a maintenant douze ans. Nous avons fait l’Europe et les Etats-Unis ensemble. Avec ce groupe, nous avons apporté un type de musique qui avait d’une certaine façon disparue au Brésil et aussi un type de samba qui est la gafieira. C’est un type de samba qui a été particulièrement influencé par le jazz américain dans les années 1940 et 1950. J’ai formé ce groupe avec plusieurs amis dont Seu Jorge, un chanteur compositeur brésilien qui a notamment travaillé sur un film de Wes Anderson. C’est lui qui chante Bowie en portugais ? Tout a fait. Le groupe était composé de Seu, Caetano, qui est un très bon ami moi et quelques autres gars de Rio. Je raconte cela pour te dire que c’était quelque chose de très différent et que mon nouvel album est aussi différent par rapport à tout ce que j’ai fait auparavant. Même par rapport à Little Joy. Ce fut un véritable défi. Avec Cavalo, au lieu de pousser, je me retire légèrement. Je crée du silence pour que les gens puissent se rapprocher. Tout l’album contient cette idée de silence. En tout cas, j’ai eu de bons résultats, de bonnes critiques, et mes amis ont apprécié. Je sens que pour sortir un album comme ça il faudrait du temps, mais je l’ai laissé sortir. Je ne parle pas de temps pour atteindre un certain succès, mais du temps pour que les gens l’écoutent. C’est bien plus calme que Little Joy, qui était déjà assez détendu avec une ambiance plus silencieuse. J’ai lu ta lettre qui expliquait que tu étais sans meubles… Parle-moi un peu de cette histoire. C’était une lettre pour Caetano Veloso, peut-être le plus grand compositeur brésilien. C’est le fondateur du mouvement Tropicália. Il a une certaine importance et il se trouve que je suis son ami. Je lui ai écrit une lettre avant la sortie de l’album. Pendant que j’écrivais, je parlais avec Devendra Banhart. Nous sommes partis en tournée ensemble. Il m’a alors conseillé d’écrire mon propre communiqué pour la sortie de mon album au lieu de la faire faire à quelqu’un. D’habitude on donne ce travail à une personne qui a un certain nom ou une opinion qui compte. Cela dit, je n’ai jamais trop aimé ce processus. Alors, quand j’ai réfléchi à ce que j’aurais

dit, je me suis rendu compte que la lettre que j’avais écrite à Caetano était parfaite. J’ai effacé le “Cher Caetano” et j’ai changé quelques passages pour que cela devienne la chronique de l’album. J’écris à quelqu’un qui est intéressé, qui apprécie les idées et les concepts. Je me suis dit, “C’est parfait ! Je ne devrais pas me retenir ou m’excuser car je veux dire quelque chose en particulier !”. C’est plus ou moins la manière dont cela s’est déroulé. Vous avez besoin d’une chronique ? La voilà ! J’étais un peu inquiet que cela ne marche pas en dehors du Brésil, car il y avait quand même une sorte d’attente et j’ai voulu présenter le projet correctement pour ceux qui auraient eu une certaine envie de savoir ce que je pense. L’album t’intéresse ? Tu veux savoir ce qu’il y a derrière l’album ? D’où ça vient ? Eh bien voilà ! Cela a très bien marché dans mon pays. Les gens qui posaient les questions savaient de quoi ils parlaient et cela se sentait. Cela a dirigé leur écoute. C’est plutôt nouveau comme concept, je n’y avais jamais pensé avant et je suis très heureux de l’avoir fait. Où as-tu déménagé ? Aux États-Unis. J’ai vécu au Brésil toute ma vie et j’ai commencé à y aller pour enregistrer. Je n’ai jamais imaginé aller un jour vivre aux States, mais j’ai rencontré Devendra Banhart à Londres quand je jouais à un festival et nous sommes devenus amis. Nous avons échangé nos adresses électroniques et quelques chansons. Il m’a ensuite invité à aller aux États-Unis pour enregistrer avec lui. À l’époque, Los Hermanos étaient encore actifs, c’était en 2007 je crois. J’y suis allé pour enregistrer quelques chansons mais j’ai fini par enregistrer tout l’album avec lui. Nous sommes devenus de très bons amis, y compris avec Nowa, le productueur et ingé-son. C’est aussi l’ingéson de Cavalo et de Little Joy. C’est d’ailleurs à cette époque que j’ai reçu un appel de Fabrizio, le mec avec qui j’ai fait l’album de Litlle Joy. C’est le batteur des Strokes. Je l’avais rencontré au Portugal à un autre festival quelques années auparavant. Il m’avait dit “J’ai cru comprendre que t’es à L.A., on se voit ?”. On s’est vu et il m’a proposé de l’aider à finir sa chanson. Cela devait être une seule chanson, mais c’était tellement facile de composer avec lui qu’au final c’est devenu un album entier : Little Joy. Ensuite je suis parti en tournée aux U.S. avec Devendra, puis avec Little Joy. Au bout d’un moment je me suis retrouvé avec deux adresses, et je me suis dit “Tu sais quoi ? C’est génial !”. Après l’album de Devendra, nous avons décidé de se séparer avec Los Hermanos. Nous avons fait une pause. C’était parfait pour moi d’aller sur une nouvelle terre où il faut que je parle une autre langue. Un autre défi pour moi et ma musique, aller quelque part où il n’y a pas d’attente de la part du public et où tout le monde se fout de toi. Je me disais “Présente ta musique et l’on verra ce qui se passe”. En tant que compositeur, c’était important pour moi de le faire. Parle-moi de ta chanson en français, Mon Nom. C’est un grand défi d’écrire en anglais. Je parle assez bien anglais maintenant, mais écrire est quelque


chose qui nécessite une exploration des sens de chaque mot. Il m’a fallu beaucoup d’entraînement et d’engagement. Quand j’ai finalement été à l’aise, j’ai écrit quelques chansons en anglais et j’ai remarqué que les textes parlaient du processus même de l’écriture, du fait que j’étais en dehors de ma “terre”. Ils commençaient à devenir très personnels. Je voulais écrire une chanson à propos du fait d’être étranger et j’ai pensé à la langue française. La culture française entretient une relation d’amour avec ce qui l’entoure, dans le monde. Le mot exotique vient de la langue française. Malgré cela, une tension existe en France, dûe aux conséquences du colonialisme. C’est ce paradoxe qui m’a poussé à écrire en Français. J’ai étudié la langue et je l’adore. Ce fut un processus très intéressant. J’ai commencé la chanson en disant “Je suis l’étranger” et puis “Je ne parle pas tout à fait comme toi”. Au début de la chanson, je m’excuse quant à la manière dont je parle. En écoutant, on pourrait penser que je parle d’une manière différente ou que je ne dis pas exactement ce que je voudrais dire, ce qui peut limiter le degré de compréhension à la surface du texte. Pourtant, ce sont bien évidemment des métaphores. La langue française a particulièrement bien marché. J’ai trouvé le thème, le nom, Bruno et le mot “brun”, qui peut être lu comme ayant un lien avec la race et la culture arabe. J’ai choisi des mots et des choses que peut-être même les Français n’auraient pas su comprendre. Par exemple, quand je dis “aubergine”, je parle des femmes près des parcmètres qui portent des vêtements violets. Quand je dis “plate-bande”, je parle du trottoir. Tu sais à Paris, il y a ces petits endroits avec les fleurs sur les cotés. Je dis que je viens de cela… Je parle aussi un peu du film Being There de Hal Ashby avec Peter Sellers, son personnage est un jardinier. Le propriétaire du territoire sur lequel il travaille meurt et les gens le prennent pour le propriétaire. Ainsi, ils pensent que c’est un ‘economic adviser’ et ils l’écoutent en tant que tel alors que ses discours sur le jardinage ne sont pas des métaphores. Il parle des saisons, où investir, où planter mais les personnes ne savent pas qu’il parle littéralement de jardinage. C’est une autre idée présente dans la chanson. Le personnage n’est pas au courant du message qu’il donne, voire dans l’autre sens : je m’excuse et je ne suis pas conscient du sens de mon message. Cela a été dangereux pour moi, un autre niveau de danger. J’aime beaucoup la France. J’aime le cinéma français, la littérature et je voulais en faire partie. C’était également la langue parfaite pour cette chanson, pour ce thème. Mais tu n’as pas commencé à partir de rien n’est-ce pas ? Tu avais étudié le français auparavant ? Oui et j’étais amoureux d’une Française, ça aide. Une autre chose qui m’a encouragé c’est le projet Brassens. On m’a proposé de traduire Brassens et j’ai accepté ! Mais je n’aurais pas pu le faire tout seul, alors j’ai invité un ami français. C’est un batteur qui joue avec moi dans Orquestra Imperial. Je connaissais la musique de Brassens auparavant et j’avais étudié le français à travers les paroles de ses chansons. Mais je ne suis pas français et il y a

tellement de niveaux d’humour et en général des choses que le chanteur portait dans ses textes. Mon ami m’a parlé de la vie de Brassens, sa relation avec sa femme, d’où il vient, ce qu’il se passait en France à l’époque. Je me suis demandé comment est-ce que je pouvais préserver les rimes et le prodige du discours. Comment souligner le sens de l’humour et comment le faire de manière élégante tel que le faisait Brassens. Il le fait de manière très élégante et du coup cette traduction a été un défi. J’ai adoré le faire ! Au début, c’était un peu “Merde ! C’est trop compliqué. Je ne vais pas pouvoir finir tout ça”, mais aujourd’hui, je suis très satisfait du résultat ! J’ai mis la chanson en français sur l’album. J’ai commencé à écrire une autre chanson en français. Je l’aime bien. Je veux que mon français s’améliore rapidement. J’ai découvert une dimension positive et intéressante dans le fait de ne pas écrire en portugais. Je ne peux pas utiliser le vocabulaire comme outil pour créer des couches au-dessus d’un concept et ainsi faire passer un message qui n’est pas très clair ou vrai. Si j’écris en anglais, je dois être propre dans mon écriture, je dois savoir ce que je dis. Bien sûr, c’est pareil pour toutes les langues. Mais en portugais, par exemple, il y a une chanson que j’ai écrite pour Los Hermanos qui traite du discours de l’homme envers la femme. C’est toute une chanson avec un langage très compliqué, mais qui au final ne dit rien. Toute la chanson est une excuse pour n’avoir rien à dire mais le tout est masqué par un langage très flamboyant. C’est une métaphore de la rationalité masculine qui est mise en opposition à la femme. La femme exprimerait davantage de sentiments sous forme pure alors que le discours flamboyant et le vocabulaire appartiendraient au profil du mâle. Donc je peux faire cela en portugais, mais pas en anglais. Pas encore. Mais en étant dans le pays, tu peux apprendre les petites subtilités de la langue. Oui c’est vrai. J’adore les langues. Je travaille très dur pour comprendre. S’il y a un mot que je ne connais pas, je demande ce qu’il signifie. Je collectionne des dictionnaires et j’adore rechercher les origines des mots. C’est amusant. Tu penses qu’il y aura un retour avec Little Joy ? Bien sûr ! Il y a une grande possibilité. Fab et moi sommes allés en tournée avec Devendra cette année, aux Etats-Unis ainsi qu’en Europe. Nous avions un certain nombre de chansons que nous avons commencé à écrire mais qui ont été mises de côté. Nous avons commencé à les reprendre en main. Fab a écrit plusieurs chansons, c’est un compositeur incroyable. Il est très bon. Il me montrait ses chansons et nous étions en train de recommencer à collaborer mais les Strokes l’ont rappelé. On s’adore, et nous avons toujours pensé que ce serait dommage de n’avoir qu’un seul album de Little Joy. Propos recueillis par Bastien Internicola. Traduction : Jacopo Martini Photographie : Yann Morrison, pour Crumb


JACKSON

SCOTT Interview publiée le 17 décembre 2013

A cinq millions de visiteurs uniques par mois, c’est aujourd’hui Pitchfork qui fait et défait les réputations musicales sur le web. L’histoire de cet américain d’à peine vingt ans, Jackson Scott en est la dernière illustration en date. Un morceau posté sur Soundcloud et c’est le graal : That Awful Sound est nommé ‘Best New Track’ par le site américain. En quelques mois, il signe chez Fat Possum, sort son premier album Melbourne et entame une tournée. Nous sommes partis à la rencontre de ce petit génie à l’air désinvolte. C’était au Trabendo, juste avant l’ouverture du Pitchfork Festival de Paris, où il était justement programmé.

D’où viens-tu, Jackson ? J’ai grandi à Pittsburg en Pennsylvanie et je vis à Asheville en Caroline du Nord depuis quelques années. J’y ai rapidement arrêté la fac. A Pittsburg c’était un peu vide. Il n’y avait pas grand chose à faire à part traîner avec des potes et donc faire de la musique. Je pense que certains me trouvaient ennuyeux mais je m’en fichais un peu. J’avais juste envie de faire de la musique, le reste je m’en foutais. J’ai apprécié les grands espaces, les forêts. C’est un peu pareil à Asheville d’ailleurs. Je ne suis pas vraiment un mec de la ville.

En arrivant à Asheville, tu t’es connecté avec la scène locale? Oui, j’ai monté un groupe. On jouait des trucs. Mais je ne sais pas si on peut dire qu’il y a une « scène » là bas, c’est juste des kids qui traînent et c’est cool. Tout le monde à la fac était dans cet esprit-là. On jouait, on chantait, personne ne jugeait. C’est vraiment un endroit où tu peux faire ce que tu as envie de faire. J’aime vraiment bien Asheville. Quand as-tu commencé la musique ? J’ai commencé à faire de la musique quand j’avais



huit ans. J’ai commencé par apprendre le piano, puis la guitare et la batterie quand j’étais ado. Je ne sais pas, j’ai toujours aimé faire de la musique. Qu’est-ce qu’écoutaient tes parents ? Tu as été nourri aux Nugget’s je crois (des compilations, ndlr) ? Ils ont tous les deux grandi dans les sixties donc il y avait beaucoup de musique de ce genre à la maison : Jimmy Hendrix, les Beatles. Ma mère, c’était surtout Hendrix et les Stones. J’ai aussi un grand frère donc j’écoutais pas mal sa musique aussi, et les trucs qui passaient à la radio dans les nineties. Je me souviens qu’on avait Nevermind de Nirvana en cassette, on l’écoutait tout le temps dans la voiture. Ça m’a probablement influencé. Comment as-tu réagis quand Pitchfork t’as nommé « Best New Track » et quand tu as signé chez Fat Possum dans la foulée ? Je ne m’y attendais pas. Je voulais juste sortir mon truc sur vinyle, peu importe la taille du label. J’ai mis mon morceau en ligne et je l’ai envoyé un peu partout. Je n’avais pas tellement de réponse de la part des labels mais les gens ont commencé à écrire dessus. Notamment Pitchfork, ouais, qui l’a nommé « Best New Track ». D’un coup j’ai juste été submergé par les emails. J’ai choisi Fat Possum pace que je suis fan depuis très longtemps et puis ça avait l’air d’être des mecs cools ! La « hype » autour de toi, est donc arrivée très vite. Comment tu te sens par rapport à ça ? J’en suis très content ! Je suis conscient qu’en général ça n’arrive pas aussi vite, c’est plus long pour la plupart des gens. Je suis juste vraiment heureux de pouvoir partir en tournée et tout ce qui va avec. Mais ça ne veut pas dire que ça vient de nulle part. J’ai travaillé dessus pendant deux ans ! J’ai essayé de faire les choses sérieusement et c’est vrai, tout s’est enchaîné rapidement… Parlons un peu de tes influences. Comme le chante Television Personalities dans I Know Where Syd Barret Lives, tu sais où vit Syd Barret ? (Rires) Il y a une tonne de musiciens que j’aime et Syd Barret est l’un deux. Je suis très admiratif, il force le respect. Et pas juste pour ses frasques et les moments où il devenait fou ! Vraiment, son attitude et le fait qu’il n’ait pas besoin de faire des longues interviews pour expliquer ce qu’il fait me touche beaucoup. Tu le comprends juste en l’écoutant ! Il a toujours parlé pour lui-même. Ceci dit, je peux aussi être inspiré par à peu près n’importe quoi. Je peux écouter une Pop Song à la radio et me dire : « Tiens, il faudrait que j’essaye de faire ça ». Tu écoutes beaucoup de musique mainstream ? Ça dépend de ta définition du mainstream ! La plupart du temps non, mais ça m’arrive de temps en temps, comme tout le monde. J’ai rien contre, si je trouve qu’un morceau est bon… Un exemple ? Ok, c’est un peu absurde mais le plus récent… Le truc

c’est que cela ne doit pas être pris hors contexte ! Ce n’est pas comme si je restais là, assis à l’écouter mais je dirais le morceau de Robin Thicke. C’est la première Pop Song que j’ai bien aimée depuis un moment. La mélodie est vraiment bien. J’aime vraiment bien l’aspect mélodique dans la musique. C’est vrai, tu as beau sonner très Lo-Fi, tes morceaux sont très mélodiques. C’est un choix de ne pas avoir du tout poli ton son ? Oui, c’est en partie dû au fait que j’aime enregistrer en analogique. J’aime bien l’analogique en général, en photo, en cinéma… J’ai commencé à enregistrer en numérique et puis un de mes amis a acheté un quatre pistes. J’ai aimé comment cela sonnait et la manière de faire. Je l’ai gardé. Pourquoi avoir intitulé ton album Melbourne alors ? C’était le nom de la maison où on vivait. Enfin, c’est le nom de la rue et on appelait la maison comme ça, genre « On rentre à Melbourne ! ». Comme j’ai tout enregistré là bas, j’ai trouvé que ça collait bien. T’as pris des acides quand tu enregistrais ton album ? Oui, effectivement. J’en ai pris quelques fois. Il y a un ou deux trips qui m’ont influencé. Il y a une fois notamment, il y a quelques étés, où j’ai pris de la mescaline. Je ne l’ai plus refait depuis mais c’était vraiment cool. Un peu comme, je n’sais pas, ça m’a inspiré. Pas tant pour les choses auxquelles tu penses que celles que tu vois. Ça peut t’amener à des idées très intéressantes. Mais je dois dire que Melbourne ce n’est pas vraiment ça. Je n’étais pas tout le temps à coté de la plaque ! Ça m’est arrivé de fumer de la Weed ou de boire, mais la plus part du temps j’étais sobre et concentré. Je voulais créer un album que peut-être tu pourrais écouter sous drogues mais on a jamais besoin d’être défoncé pour créer, c’est pas vrai. Tu as l’air de rejeter cette étiquette d’Indie Boy. Pourquoi ? Parce que je ne vois pourquoi on dit cela de moi. Effectivement, je suis sur un label indé mais certains ont l’impression que j’ai été nourri à l’Indie Music, que je n’écoutais que ça. Cela m’arrive bien sûr, mais j’écoute autant de rock que de rap. C’est juste cette connotation que je n’aime pas. Je n’ai vraiment rien contre en fait. Ca peut être rapidement tentant du coup de me catégoriser comme cela. Tu es très jeune et tu divises la critique. Un partie voit en toi quelqu’un de talentueux mais encore un peu jeune, l’autre pense que tu es juste très malin. Alors, branleur ou génie ? Je pense que mon jeune âge alimente tout ça. Je comprends pourquoi les gens le prennent en compte mais ça n’a jamais été important pour moi. Regarde Syd Barret, il n’avait que 21 ou 22 ans quand il a commencé ! Ca m’est complétement égal en fait.

Propos recueillis par Quentin Monville.



Rencontre/Texte publiée le 22 décembre 2013 Notre coup de cœur aux cheveux longs que nous suivons de près, déjà, depuis trois ans (avant même le buzz provoqué sur les internets cette année) : le charmant trio des sœurs Haim, auteur d’un premier album respirant le soleil et la bonne humeur, était de passage à Paris au début du mois pour un concert à guichets fermés à la Gaîté Lyrique. On n’a pas pu s’empêcher de sauter sur l’occasion pour enfin leur poser quelques questions.

HAIM

D’emblée, dès notre rencontre, les HAIM admettent sans concession leur admiration pour la culture française. “Il y a quelque chose de très charmant, que ce soit avec la chanson ou la mode, en France. Je crois que ça séduit encore plus quand on vient de Californie. Gainsbourg, Piaf, Françoise Hardy ou Brigitte Bardot ont vraiment écrit des titres magnifiques”. Il se pourrait aussi que Phoenix ait participé à renforcer leur culte, puisque les demoiselles ont ouvert leurs concerts dans toute l’Europe. Este, chanteuse et guitariste, rappelle qu’elle avait rencontré le groupe lorsqu’elle accompagnait Julian Casablancas sur scène puis, “Il y a trois ans, on s’est faufilées dans les backstages après leur concert à Santa Barbara. Je ne pensais pas qu’ils me reconnaîtraient, je ne leur avais d’ailleurs jamais dit avoir un groupe et dès qu’ils nous ont aperçues, ils m’ont accueillie à bras ouverts. Je suis triste qu’ils soient encore en

tournée, j’aurais voulu faire la fête avec eux, on n’a jamais fait de vraie soirée à Paris”. Leur attachement pour le groupe date… Tout comme leur amour pour les Vampire Weekend (lire interview page 14) ou encore The Strokes, ce qui explique en l’occurence pourquoi elles ne réalisent toujours pas avoir partagé de si beaux moments avec chacun d’entre eux. Un de leurs plus beaux souvenirs était un concert de Florence and The Machine, “devant des milliers de personnes, Florence a la capacité de rendre ces shows toujours plus intimes, on avait l’impression d’être vingt, on a beaucoup appris en l’observant”. Avec Days are Gone, leur année 2013 fut un véritable tourbillon d’expériences nouvelles. Este se rappelle qu’elles ont toutes les trois pleuré sur scène la première fois qu’elles ont entendu la foule chanter les paroles de leurs chansons. “Glastonbury était un moment vraiment intense.


En plus de notre concert, on a vu des groupes merveilleux, on a même chanté avec Primal Scream sur la grande scène, juste avant que les Rolling Stones arrivent. Mais la sortie de notre album restera gravée dans nos mémoires. Un premier album représente une chance unique et on en est très fières. On a vraiment l’impression d’être dans un rêve depuis plusieurs mois, donc on essaie d’en profiter au maximum”. Même en tournée, elles continuent à écrire des paroles, qu’elles enregistrent dans leur téléphone… “Il faut rester créatif pour garder de la fraîcheur dans nos titres”. Fraîcheur ou le mot parfait pour définir ce premier bijou qui en aura fait danser plus d’un cette année, puisque chaque morceau contient un potentiel “tubesque” remarquable qui n’a pas échappé à Georgio Moroder, publiant un remix il y a une dizaine de jours de leur premier single Forever. Insouciant, le trio, invité un peu partout pour leur promo, a repris lors de l’enregistrement de

l’émission de radio BBC Live “Lounge Wrecking Ball” de Miley Cyrus, peu de temps après la prestation controversée de l’ado Disney aux MTV Music Awards. Alana, la cadette, trouve cette controverse exagérée, “En France ca ne vous a pas choqué tant que cela, non ? Je la trouve vraiment cool Miley, elle semble vraiment s’amuser quand elle est sur scène, c’est tout ce qui compte. A 20 ans, personne n’a envie de se faire dicter sa conduite, elle a raison de faire ce qu’elle veut”. Este chantonne Hold On We’re Going Home et nous avoue que c’était ce titre qu’elles souhaitaient reprendre lors de leur passage à l’émission de la BBC, mais les Arctic Monkeys s’étaient ré-appropriés le morceau quelques jours plus tôt. D’ailleurs unanime, la belle famille revendique comme meilleurs albums de l’année Yeezus de Kanye West et Nothing Was The Same, de Drake. Surprenant ou pas. Pas le même genre mais la même origine géographique. West Coast quand tu nous tiens. Alice de Jode


PORTFO LIO LMIR ANDA B

ARNES 2 Série photo publiée le 11 mars 2014








Interview publiée le 21 novembre 2014 Dans la lignée de Mac Demarco et Devendra Banhart, voici Mikhael Paskalev, débarque avec un premier album en Europe et un premier EP aux Etats-Unis. Il sait que les amateurs de musique n’en peuvent plus des machine-stars que l’on voit partout mais attendent des concerts intimes d’un mec qui pourrait être et qui est, en fait, notre ami. Il nous regarde avec nostalgie : “Cela fait un mois que nous sommes en tournée.” Juste avant de monter sur scène, il ajoute: “Je commence à avoir envie de rentrer à la maison.”

MIKHAEL PASKALEV

Quel est le morceau de ton album, What’s Life Without Losers que tu préfères? J’aime beaucoup Jive Babe, je trouve qu’elle a une énergie particulière. I Remember You, aussi, je l’ai enregistrée et écrite avec mon producteur. C’est la première fois que je collaborais avec quelqu’un d’autre sur l’un de mes titres. Où l’as-tu enregistré ? Surtout à Liverpool. Au début, j’ai été deux semaines dans un studio en Norvège, mais cela me dérangeait de regarder l’horloge au dessus de moi qui me narguait en me rappelant tout l’argent que j’étais en train de dépenser. Du coup j’ai enregistré dans l’appartement de mon meilleur ami – qui est ingé-son

– et dans une salle de gym à Liverpool. Pas seulement pour avoir un son Lo-Fi mais aussi parce que c’était plutôt agréable, plus humain. L’album ressemble à un livre… Il y a plusieurs personnages : Jenny, Jonny, Susie, Brother, etc. En apprenant l’hsitoire de ces personnages, on apprend aussi des choses sur toi. C’était voulu ? Non (Il rit). Je pense que quand je serai plus âgé, que j’aurai plus d’expérience, je pourrais peut-être viser quelque chose de précis à travers mes créations. Pour l’instant, ce n’est pas assez spontané. Cela ne m’intéresse pas d’écrire une chanson en pensant déjà à la prochaine. Pour revenir sur l’idée du livre, j’ai justement toujours pensé que cet aspect était un


défaut de l’album. Le premier album est toujours un regroupement un peu flou de ce qui a été écrit pendant plusieurs années. Par exemple, le dernier album de Metronomy– Love Letters– est très défini : il est parfaitement cohérent musicalement et conceptuellement (lire interview pages 44 et 50). De quoi parle exactement le titre Jailhouse Talk ? C’est un échange entre trois personnages. Jenny et Johnny voudraient être ensemble. Ils ne peuvent pas car Johnny est en prison pour meurtre. Il y a aussi le gardien de la prison qui est le troisième personnage. Il représente toutes les raisons pour lesquelles Johnny est en prison. J’aime penser que cela est presque comme un scénario avec des répliques pour chaque personnage. La chanson est inspirée d’une scène de Paris, Texas de Wim Wenders. Tu as étudié au Liverpool Institute for Performing Arts. Est-ce que tu as réalisé ce dont tu rêvais ? 
J’osais même pas rêver d’un truc comme ça ! A l’époque j’étais guitariste et il n’y avait que cela qui m’intéressait. J’ai eu une tendinite aux deux bras qui a durée trois ans, j’ai donc été obligé de repenser ma manière de voir la musique. J’ai commencé par dédier beaucoup plus de temps à l’écoute des paroles, des mélodies et des histoires. 
 En tant qu’ancien étudiant en musique, te sens-tu différent par rapport aux autres musiciens qui t’entourent ? 
A vrai dire, en ce moment, je suis en tournée avec des musiciens de Juliard et Berklee (deux collèges de

musique, ndlr). Ils sont tellement habiles et intelligents, musicalement parlant. De mon côté, ça n’a jamais été quelque chose que j’ai vraiment recherché. Je n’ai pas l’impression que les autres me regardent différemment dans la mesure où ma musique et ma personnalité n’ont rien à voir avec un style académique et scolaire. 
 As-tu envie que l’on se souvienne de toi, musicalement, dans 100 ans ?
 Je m’en fous. Certains artistes racontent comment ils ont aidé des gens grâce à leur musique. Je n’ai jamais fait des chansons pour les autres, je les fais pour moi. Quand les gens aiment ce que je fais, c’est la plus belle chose au monde mais ce n’est pas mon but. Je pense que ca n’a jamais été le but de qui que ce soit de faire partie de l’histoire de la musique. Au contraire, je crois que c’est toxique de penser de cette façon. Cela dit, ça ne me dérangerait pas que l’on se souvienne de moi (rires).

 Tu connaît des artistes qui vont entrer dans l’histoire ?
 Oui. J’ai de très bons amis extrêmement talentueux comme Jonas Alaska et Billie Van. Je pense qu’Avi Buffalo est un des meilleurs compositeurs de notre époque, il est aussi très bon en concert. Phosphorecent est aussi très cool, même s’il ne fait pas forcément quelque chose de spécial, les histoires et les mélodies sont ce qui il y a de plus important. Pouvu que ce soient elles qui restent.

Propos recueillis par Martin O’Pojac.


NATALIE

PRASS Interview publiée le 27 avril 2015

Après avoir conquis les États-Unis par un son venu d’un autre temps, Natalie Prass sort enfin son premier album éponyme en France. Intrigués par la capacité de ce disque à remettre au goût du jour une production orchestrale et subtile, nous sommes allés à sa rencontre. Elle évoque Austin, Nashville, Boston et sa figurine porte-bonheur, Godzilla devenue l’emblème de ses tournées. Un retard sur un planning d’interview peut parfois avoir du bon : c’est-à-dire arriver pile pour l’enregistrement d’une session live. Avant même de s’assoir pour discuter avec l’artiste, on comprend rapidement qu’elle a plus d’un tour dans son sac. Si l’album pourrait être une synthèse d’un certain folklore musical américain -soul, folk et une touche de bonne vieille comédie musicale de Broadwaylorsqu’il est interprété avec deux guitares, c’est un accent de blues brulant qui en ressort, contrasté par la voix mutine de Natalie Prass. Les deux titres nous font voyager dans le mythe d’un American Dream intemporel où les notes de guitare semblent résonner perpétuellement dans les grandes étendues désertiques de la Sun Belt. La plupart des chansons de Natalie Prass ont été écrites après une rupture. La prouesse du travail de son auteur réside dans sa capacité à éviter le risque de la plainte lourde et chargée de pathos. Natalie Prass offre plutôt un instant de volupté, qui n’a pas échappé aux médias américains criant au talent.



L’artiste vient ensuite s’assoir à nos côtés. Elle se relève pour aller chercher un objet qui s’apparente de loin à un jouet en forme de dinosaure, laissé près de sa guitare. Serait-ce Godzilla ? C’est plutôt un faux Godzilla, vu qu’il a été fait en Chine, le vrai est japonais (rires). Je l’ai trouvé dans un marché en Angleterre, je le ballade beaucoup depuis : sur scène, partout et tout le temps. Tu as donné plusieurs concerts au festival South by Southwest le mois dernier, que retiens-tu de cette experience ? C’était déjà il y a si longtemps ? (Rires). Je n’en reviens pas. C’était vraiment incroyable car nous avions tourné en Europe juste avant, le choc thermique fut violent ! La chaleur était insoutenable et mon corps n’y était pas préparé. Ca grouillait de monde et une sorte de bruit permanent arrivait de toute part. Pour nos derniers shows, j’étais d’humeur à jouer très bas, pour donner du répit à mes oreilles tant il y avait de la musique venant de partout dans la ville. Je me demande vraiment comment les gens ont supporté ça. Là-bas, on ne peut pas vraiment savoir l’impact que l’on a sur les gens, il n’y a pas de balances et les shows sont très courts. Certains furent vraiment épiques, mon clavier m’a lâché pour plusieurs concerts donc j’ai dû jouer de la guitare. Au final, le concert que je pensais le plus catastrophique a été le plus commenté par la presse et de manière positive, ça m’a surprise. Le contraste avec notre tournée précédente avec Ryan Adams où nous avions des balances d’une heure et jouions dans des salles magnifique ont rendu l’expérience encore plus absurde. Comment t’es tu retrouvée à Nashville pour écrire cet album ? Habiter à Nashville ne m’avait jamais attiré auparavant. Je n’avais jamais écouté de la musique country, cela ne m’intéressait pas. Lorsque je me suis installée à Boston je me suis sentie misérable pendant un an. L’ambiance de la ville était trop sombre à mon goût et j’y avais très froid. Mon père a eu un nouveau job à Nashville. En allant lui rendre visite j’y ai retrouvé deux amis de Virginia Beach (sa ville natale, ndlr) qui m’ont baladé dans la ville. J’ai tout de suite aimé l’atmosphère très cool. C’est une ville de musiciens et à l’époque, je souhaitais vraiment apprendre le plus possible sur ce qu’implique être un songwriter et un musicien. Quelles influences la ville a-t-elle eu sur ton disque ? Je n’écoute toujours pas de country, ça n’a jamais été un type de musique avec lequel je sens une connexion. Mais tout de même, il y a des chansons vraiment superbes que j’écoutais beaucoup et qui m’ont influencée. Patty Cline et Dolly Parton par exemple, avec des tonalités plus soul que la country

en général. Et puis, c’est un peu difficile de ne pas être influencée par l’atmosphère générale de la ville. Comment as-tu abouti à ce son très orchestral ? Je dois donner tout le mérite à Trey Pollard pour cette prouesse ! C’est lui qui s’est chargé des arrangements des cordes. J’adore ce son et bien que j’avais déjà fait des chansons avec de genre de production, je n’ai pas les capacités d’écrire tout cela. Trey et Matthew E. White se sont chargés d’emmener mes chansons aussi loin qu’ils pouvaient. J’avais une vague idée de ce que je voulais entendre, mais je n’avais jamais imaginé que It Is You se transformerait en musique de conte de fée. Bien sûr j’avais ce désir d’expérimenter le plus possible mais je ne pensais pas en avoir l’opportunité un jour. Lorsque Trey m’a dit « Allons-y à fond pour celle-ci » je pensais qu’il plaisantait. A cause de cette chanson ta voix a été comparée à celle d’une princesse Disney, comment l’as-tu perçu ? Je suppose que je suis habituée maintenant. La première fois il me semblait que les gens me comparaient à cela car c’était facile. Mais au final, je sais que ma voix a toujours été comme ça et puis j’adore les chansons de Disney. Je pense que tout le monde les aime, non ? Ce n’est pas grand chose, je ne veux simplement pas que cela devienne quelque chose de réducteur ou négatif. Qu’as-tu appris en écrivant pour d’autres artistes ? J’ai appris que ce n’était pas toujours très fun (rires) ! Ce n’était pas ce que j’avais envie de faire, mais c’est un bon exercice. Cela aide à sortir de son interprétation personnelle du monde. Lorsque j’ai pu parler en tête à tête avec un artiste que j’aidais, je me suis senti comme dans la peau d’un médium ou d’un capteur d’énergie à essayer de comprendre ce qu’il souhaitait exprimer. Mais c’est une situation compliquée. Il y a beaucoup de pression, le travail est moins stimulant que lorsqu’on écrit pour soi. J’ai des amis à Nashville qui écrivent deux à trois chansons par jour pour d’autres artistes, dans l’espoir qu’un de leur morceau se retrouve sur un album de country. Ils font ça depuis des années. Ils obtiennent peu mais travaillent comme des dingues. Je ne pourrais jamais me torturer ainsi aussi longtemps. Ta musique n’a rien à voir avec tout ce qui sort en ce moment. Quelles ont étaient les réactions des gens avant que tu ne trouves ta place chez Spacebomb Records ? J’avais vbesoin de faire un vrai album. J’ai rencontré tant de producteurs à Nashville dans des diners, des cafés, autour de verres pour présenter mes envies. Mais il y avait souvent un décalage. Les gens faisaient une tête bizarre lorsque j’évoquais Dionne Warwick comme référence, maintenant elle parait plus normale. Même quand j’étais en tournée avec Jenny Lewis pour ouvrir les shows de Beck l’été dernier, lorsque je parlais avec l’un des musiciens de Beck, il me demandait à quoi ressemblerait mon album. Je lui


répondais : « J’aimerais qu’il évoque Dionne Warwick » et il était choqué. Je savais que toutes ces années d’expérimentations, pour savoir précisément quelle artiste j’avais envie d’être, ne pouvaient être effacées par des gens qui ne voyaient pas où je voulais en venir. Il y a eu beaucoup de discussions, mais pas de vrais liens naissant avec la plupart des gens que je rencontrais. J’étais très frustrée. Un ami m’a conseillé de parler avec Matthew (Matthew E. White, un ami d’enfance, ndlr) et le courant est tout de suite passé. Il me comprenait très bien, nous venons de la même ville. Il était étonné par mon travail. Il m’a vue sur scène et a compris ce que je voulais. Nous avons commencé à travailler ensemble de manière très instinctive. Même au delà de la musique, nous avons les mêmes expériences de jeunesse à Virginia Beach donc tout cela rendait les discussions naturelles. A Nashville, tout le monde fait de la musique, mais personne ne prend le temps de soigner les choses. On est allés à Richmond, les gens y étudient la musique, l’ambiance est différente. C’est ce dont j’avais besoin, un album qui respire, pour lequel nous avons pris notre temps. Je voulais prendre un an, et c’est ce que nous avons fait ! Puisque tu évoques ton adolescence à Virginia Beach, comment t’es venue l’envie d’être musicienne dans cette petite station balnéaire ? Je dois cela à mon père. Ce n’est pas un musicien professionnel mais ça lui arrivait de jouer de la guitare à la maison pour le plaisir et cela me fascinait. Je me souviens parfaitement qu’enfant j’ai eu cette espèce de révélation lorsque je l’ai entendu jouer un air, e lui ai demandé ce que c’était, il m’a répondu qu’il venait de l’inventer. J’ai trouvé cela incroyable, je lui ai dit que j’allais faire pareil. Je trouvais cela vraiment cool que l’on puisse écrire de la musique uniquement pour le plaisir. A l’école primaire je faisais des concerts pour mes voisins, puis au collège j’allais voir les amis de mon frère pour leur demander comment monter un groupe. Ils me répondaient “Demande à quelqu’un de jouer avec toi, c’est tout”. Je ne savais pas par où commencer, mais je savais que je voulais le faire à fond. Avec Matthew on se demande souvent comment les choses seraient si nous avions grandi à Nashville, avec toute l’atmosphère de l’industrie du disque autour de nous. C’est aurait été peut être plus simple pour comprendre l’industrie. Mais Matt et moi n’avions aucune idée de ce qu’il fallait faire ! On était naïfs, on l’est encore. Nous ne faisions qu’écrire et jouer. C’est intéressant parce que Virginia Beach est une ville touristique à l’atmosphère un peu étrange, qui n’a rien avoir avec Nashville. Les paroles de tes chansons sont assez personnelles, ton écriture fait-elle office de thérapie ? La plupart du temps oui, car l’écriture a toujours été un moyen de clarifier mes idées, de comprendre ce que je ressens et m’éviter de devenir dingue. C’est ma façon de communiquer et de me calmer. J’écris par

passion, c’est quelque chose de personnel, qui m’est absolument nécessaire. Mais parfois, je vais chercher des mots ailleurs. Par exemple pour le morceau Christy, c’était juste une histoire inventée. Pour It Is You, je voulais emmener les gens dans des endroits oniriques. Mes amis m’appellent Elfe, un nom qui résume bien les choses je suppose (rires). D’où l’atmosphère un peu rêveuse de ta musique… Tu étais dans la lune quand tu étais ado ? Oh mon dieu, oui. Et encore aujourd’hui ! Je m’intéresse un peu à l’astrologie, tu sais. Mon signe, poisson est caractéristique du rêveur. Je crois correspondre assez bien à la description du poisson, toujours ailleurs…!

Propos recueillis par Alice De Jode


Interview publiée le 13 mai 2013

ALAN

MCGEE


Tout commence à Glasgow dans les années 70. Alan McGee rencontre Bobby Gillespie avec qui il rejoint le groupe punk The Drains. A peine trois ans après, Creation Records naît. Une histoire qui commence tellement bien que le parcours de McGee, producteur-musicien-manager-blogeur hyperactif, passionné et (l’un ne va pas sans l’autre) acharné n’est finalement que suite logique. Un héros à qui l’on doit beaucoup de ce DIY très présent dans le discours ambiant et sans qui The Jesus and Mary Chain, My Bloody Valentine, Slowdive, Primal Scream et même Oasis ou The Libertines ne seraient sans doute pas ce qu’ils sont. Parti de rien, opiniâtre, porteur d’une philosophie qui laisse admiratif, ce gamin amoureux de rock devenu géant de l’industrie persiste à surprendre par son autodidactisme exemplaire et à cœur ouvert. Entre la folie Creation et la sortie de son premier film cette année il y a un itinéraire hors du commun, une œuvre passionnelle qui a tatoué l’histoire de la musique, jusqu’au lancement tout récent de son nouveau label.

Alternative master 1978, Alan McGee a 18 ans et développe une sérieuse fascination pour le mouvement punk aux côtés de Bobby Gillespie, son ami de toujours. Après avoir posé un premier pied dans le monde de la musique avec The Drains, il forme en 1980 The Laughing Apple avec le guitariste Andrew Innes. A peine deux ans plus tard, il emprunte £1000 et fonde Creation Records avec Dick Green et Joe Foster (autre figure du milieu, producteur, musicien, acteur et historien, rien que ça). Cette année là, il commence aussi sa carrière de manager avec The Jesus And Mary Chain fraîchement formé, il crée son propre fanzine Communication Blur et Creation édite un tout premier disque, “’73 in ’83” de The Legend. Quelques mois plus tard, le label publie le single du nouveau groupe de McGee, Biff Bang Pow ! et celui des Jesus And Mary Chain : la machine est lancée, le label gagne l’attention immédiate de l’underground et s’installe parmi les record companies les plus prometteuses de la scène alternative en gestation.

De Creation à Poptones Tiré du groupe The Creation qui produisait un rock déjà bien crasseux dans les sixties, le nom choisi par

McGee et ses camarades pour le label donne le ton. L’ambition de McGee est claire : soutenir à sa façon des groupes qu’il aime et produire leur musique en vinyle. Fermement opposé à toute subordination aux majors, obstiné à soutenir une autre musique que la pop « manufacturée » très en vogue à l’époque, il se fait remarquer en imposant sa vision très personnelle de la production. Creation devient un incontournable de l‘Indie movement dès 1984. Le Label proposera jusqu’en 2000 un éventail impressionnant de singles, d’EP et d’albums incluant The Pastels, Primal Scream, The Weather Prophets, Felt, The House of Love, 18 Wheeler, My Bloody Valentine, Slowdive, Ride, The Telescopes, Super Furry Animals, Boo Radleys, Oasis ou encore The Cramps.


En 1992, des problèmes de financement viennent malgré tout compliquer les choses et McGee se voit dans l’obligation de vendre la moitié du label à Sony, rude période qu’il décrit comme « le début de la fin du véritable Creation ». Une mise sous administration judiciaire difficile à accepter au moment où Oasis fait son entrée dans le catalogue. Le groupe mancunien, devenu très vite LE symbole britpop de l’époque, vend ses albums comme jamais pour un groupe indépendant. Leur second LP (What’s the Story) Morning Glory? (1995), souvent présenté comme l’album anglais le plus vendu de la décennie, marque un profonde rupture dans l’histoire de Creation et dans la vie de McGee. Cette année là, il retourne tout de même à la musique et fonde The Chemical Pilot avec Ed Ball dont le premier album Journey to the Centre of the Mind sortira en 1996. Mais l’impact de Sony devenant trop lourd, il annonce trois ans après la fin de Creation, son petit label indé qui ne ressemble finalement plus à ce qu’il était. Il reste malgré tout le manager des Jesus And Mary Chain, Mogwai, The Kills, The Libertines, The Beta Band ou de Dirty Pretty Things et continue de publier My Bloody Valentine, Swervedriver ou Primal Scream sous le nom de « Creation Songs ». Le dernier album sorti sur Creation est XTRMNTR de Primal Scream (2000). Quelques mois après et emporté par la volonté de renouer avec l’indépendance absolue de ses débuts, McGee crée Poptones (nom en référence à Public Image Ltd) et produit plusieurs albums remarqués, notamment le premier de The Hives en 2002 qui fixe le succès du label. Pour les mêmes raisons financières, accentuées cette fois par le numérique, et parce que McGee souhaite se consacrer au management de groupes, Poptones s’arrête en 2007. Un docu culte Un jour écrivain pour le Guardian Weekly Music Blog ou pour le Huffington Post UK, une autre fois conférencier à l’Université de Gloucestershire (Angleterre) puis manager du fameux club Death Disco ou DJ aux quatre coins du monde, McGee restera un hyperactif incorrigible jusqu’à la sortie en DVD du génialissime et déjà culte documentaire Upside Down (2011). Présenté cette année là au festival ‘Filmer la Musique’ (Gaité Lyrique) par McGee himself et le réalisateur Danny O’Connor, le film retrace avec honnêteté et virulence toute l’histoire de Creation Records à coup d’images d’archives hallucinantes imprégnées de dope, de passion, d’amitié, de prises de tête, de concerts, de dettes, de galères ou même de politique. Un docu très réussi, pour une histoire humaine avant tout, basée sur les témoignages de McGee, Bobby Gillespie, Noel Gallagher ou Kevin Shields et qui, non seulement

rend compte de l’importance du label mais qui nous en apprend aussi beaucoup sur l’industrie de la musique. A la limite du surnaturel, le film nous fait entrer dans l’univers Creation, l’alternatif eighties/nineties et donne de quoi affirmer que le label britannique reste un des plus importants de l’histoire aux côtés de Factory, Rough Trade ou Mute. De la musique au cinéma Depuis 2012, McGee se concentre sur divers autres projets, en commençant par le cinéma. Il fonde la société de production Escalier 39 avec le scénariste, réalisateur et producteur britannique Dean Cavanagh (connu notamment pour ses collaborations avec Irvin Welsh, l’auteur de Trainspotting). Dévoilé avec une bande originale époustouflante en juillet 2012, leur premier film Kubricks dessine l’histoire de Donald The Director (joué par Roger Evans), un réalisateur qui souffre de dépression et qui, au beau milieu du tournage de son film, plonge toute l’équipe et les acteurs dans ses délires sinistres et obsessionnels. Le trailer du film annonce une bonne dose de spiritualité et de physique quantique, que McGee résume comme ceci : « Kubricks a été tourné pendant le solstice d’été sur une ligne cosmique et l’histoire parle d’un réalisateur qui devient fou en essayant de faire un film DIY ». « No music business, no bullshit » Aussi, annoncé depuis plusieurs mois, le retour de McGee à la production pure (et après 5 ans d’absence) vient tout juste de se confirmer avec le lancement de son nouveau label basé à Londres, 359 Music. Une nouvelle histoire qui débute et issue d’une amitié vieille de plus de 30 ans avec Iain McNay de Cherry Red Records. McGee prévoit de produire une dizaine de groupes par an et présente le label comme un tremplin pour des artistes qu’il aime et des talents ignorés. Clairement opposé à l’idée de le faire devenir aussi gros que Creation, McGee explique son désir de retour au DIY à l’ère du numérique : « Il y a un vrai besoin de proposer une ouverture à de nouveaux artistes qui ont été exclus par le système et j’espère que 359 Music sera cette ouverture ». Il précise d’ailleurs que tout artiste souhaitant être considéré par le label peut envoyer ses demos musique et bandesson, par mail à infoat359music@aol.com et qu’il « écoutera personnellement » chaque envoi ! A bon entendeur…

Gaelle Simonetti. Retrouvez une interview d’Alan McGee pour nos amis de The Autojubilator ici.


Interview publiée le 21 janvier 2012 Quatre lettres, des fêlures et des blessures et une envie de musique qui résonne en elle comme une évidence. Trouver la voie n’a pas été simple et pourtant elle était là, devant elle, depuis son enfance et ces moments où elle s’imaginait que Gainsbourg écrirait un jour pour elle. Aujourd’hui, en cessant de tout vouloir maîtriser, Røbi s’est enfin trouvé. Pour notre plus grand bonheur. « Cette interview, c’est un peu une psychanalyse », balance t-elle, le regard noir, profond. Elle avait arrêté de se poser des questions. Le temps d’un café, on lui en a reposé quelques-unes…

R0BI

L’interview est simple. Une conversation. Tu prends ce que tu veux. On commence par l’enfance. Tu as passé la tienne en Afrique… Oui. Jusqu’à l’âge de dix ans (puis à la Réunion, ndlr). Je pense que le fait d’y avoir grandi m’a éduqué à un rapport au rythme qui n’est pas le même que celui que nous connaissons ici, en Occident. Ces sonorités, je me suis rendu compte plus tard qu’elles agissaient sur moi presque comme une obsession à laquelle je n’ai pas donné libre cours de suite – la part très intellectuelle de moi-même ne me l’ayant pas autorisé (rires). Aujourd’hui, ma musique est essentiellement basée sur des basses et des drums. Ce sont là les traces qu’il me reste de mon enfance. Très tôt, tu t’es réfugiée dans la chanson française… Oui. J’avais des parents passionnés par Brel, Brassens, Barbara… Lorsque je suis arrivée à La Réunion, les choses auxquelles j’avais accès étaient particulièrement commerciales. Mes seules révélations rock furent Nirvana et Noir Désir – qui étaient déjà de grosses machines à l’époque – je

n’avais pas accès à la culture « indé » métropolitaine et c’est vrai que, de manière un petit peu rebelle, comme en opposition, je me suis tournée vers la chanson française. C’était la seule chose à laquelle je pouvais vraiment me rattacher. Je n’avais pas la culture rock pointue des rennais de mon âge. A La Réunion, l’alternative était assez limitée. Ton arrivée à Paris a donc été une révélation musicale ? Complètement. Avec ce sentiment de frustration d’arriver dans la capitale et de me rendre compte à quel point j’étais loin d’avoir tout découvert. Plus qu’une révélation, Paris a été une révolution. Et le cheminement entre le moment où j’ai commencé à faire de la musique et celui où je me suis dit que je ne pouvais rien faire d’autre a été long et rapide à la fois mais surtout inconscient. Il s’est imposé à moi, il n’y a pas eu de déclic. Ceci étant, à 9 ans, j’étais déjà persuadée que Gainsbourg allait un jour m’écrire des chansons. Quand il est mort ce fut un choc. Je me suis demandé ce que j’allais faire de ma vie ! (Rires).



A ce moment-là de ton adolescence, la musique devient-elle un refuge, comme un moyen – le seul peut-être – de canaliser ton énergie ? Je vais répondre par la négative : je ne savais absolument rien faire d’autre. J’ai commencé par écrire. Pendant assez longtemps d’ailleurs, je n’ai fait que cela, je ne compose pas, peut-être parce que je ne m’en sens pas capable. Plus tard, en m’autorisant à composer, mon écriture a changé, la musique a pris le dessus. J’avais une démarche beaucoup trop intellectuelle, trop construite et il a finalement a fallu que je m’autorise à tout déconstruire pour être pleinement moi. Suivant cette démarche, tu as sorti un premier album, autoproduit dont tu n’es pas très fière et que tu écoutes pour ce qu’il est, comme on regarde des dessins d’enfants, avec de la tendresse… Jusqu’à ta rencontre décisive, avec un certain Jeff Hallam… Oui ! Il est arrivé au moment où j’en avais vraiment besoin. Je ne suis pas technicienne, je n’ai pas le langage pour. Jeff, oui. On travaille sur l’organique, on se comprend, avec ses mots à lui, avec mes périphrases à moi (il est américain, ndlr) et l’on arrive souvent au même point. Au-delà de la musique, as-tu déjà pensé la littérature comme un outil d’expression ? J’écris depuis -presque- toujours. Il aurait fallu que je garde tous mes vieux textes pour voir si cela me fait le même effet que d’écouter mon premier album (rires). J’ai toujours eu un rapport extrêmement fort à la littérature. J’avais espoir d’écrire de grandes choses, mais ce n’est qu’en me débarrassant de ces grands modèles et grands idéaux que je me suis rapprochée au mieux de ma propre écriture, celle qui me paraît aujourd’hui la plus naturelle. Car peut-être plus spontanée… Absolument. Je pense que j’écrivais pour me prouver à moi-même que je savais écrire, que je le pouvais. Quand j’ai pris conscience que je n’étais pas Rimbaud et qu’il fallait que je sorte de ces schémas de pensées, le problème a été réglé. Finalement, tu n’est parvenu à créer qu’en arrêtant de tout vouloir maîtriser… Exactement… Et en ne me posant plus de questions. Quel regard portes-tu sur cette nouvelle « scène » française, qui émerge ? Je sais que tu as participé au festival « La Nouvelle voie de la Chanson Française » à La Réunion, justement, avec des artistes comme JP Nataf, Arlt, ou encore Bertrand Belin (lire interview page 140)… Je suis une grande admiratrice des artistes dont tu parles. Mais à mon sens, ce ne sont pas des artistes de la « Chanson Française ». C’est une idée extrêmement bizarre de considérer que la chanson française puisse être un genre en soi. Ils font de la chanson française soit par amour de la langue soit par accident, tout simplement parce qu’ils sont nés en France mais ce sont avant tout des gens qui font de la

musique. Avec un grand M. C’est en tout cas assez joli de voir que se dessine comme cela une sorte de génération spontanée, en quête d’autre chose, d’univers personnels mais qui touchent un grand public. (Après un temps) En fait, je me rends compte que cette interview me sert de psychanalyse (rires) ! Il y a encore beaucoup de choses qui te révoltent aujourd’hui ? Tout (Rires) ! Beaucoup de choses récurrentes et exceptionnelles mais surtout cette capacité assez surprenante à ne pas se rendre compte que l’on est vivant, dans l’instant présent et que cela ne va pas durer. On ne se rend pas toujours assez compte de la chance que l’on a. L’idée de la mort est particulièrement révoltante mais c’est en même temps une bénédiction dont on n’a pas conscience. La mort devrait nous rendre la vie plus belle… Pourtant tu n’écris pratiquement pas sur des sujets engagés… C’est une question que je me pose depuis longtemps. Pour écrire une chanson engagée, il faut être particulièrement doué. Je trouve que c’était déjà difficile de le faire dans les années 70. Aujourd’hui en 2012, nous maîtrisons mal les tenants et les aboutissants des problèmes de notre société, le monde et sa lecture se sont terriblement complexifiés. Il me semble cependant que toute chanson en général fait réfléchir, dans l’idéal, tant qu’elle parle d’absolu…

Propos recueillis par Thomas Carrié.


Deuxième rencontre publiée le 18 novembre 2013 Presque deux ans après notre première rencontre, nous retrouvons Chloé Robineau, alias Røbi. Il est tôt le matin, Røbi est au chaud sous ses gros pulls. Elle s’excuse de ses périphrases et de ses digressions, elle prend son temps pour répondre aux questions parce chaque mot a sa place et sa force. Nous sommes quelques jours avant son concert au Nouveau Casino, à Paris. Un concert qu’elle considère comme le point d’ancrage de sa tournée. C’est avec justesse à soi qu’elle nous parle de sa musique. Parle moi de ton chemin dans la musique, de ton chemin intérieur et des rencontres qui ont donné naissance à cette Røbi qui nous parle des sentiments et de la vie. Par où commencer… Pendant longtemps, j’ai écrit, réécrit, rayé, barré, cherché consciemment et inconsciemment à tendre vers certains modèles d’écriture et de composition mais c’était terriblement frustrant car évidemment je ne serai jamais Baudelaire ou Gainsbourg, aucun de ces artistes que j’admire. Il a fallu que j’arrive à découvrir que je n’étais que moi-même pour commencer à travailler à l’intérieur de mes concours limités. J’ai pu m’exprimer d’une façon plus forte et plus vraie. Ce travail demande de s’extraire de toute référence et de l’exigence intellectuelle qui n’a pas lieu d’être. J’ai vraiment envie de travailler sur l’émotion, ce qui ne veut pas dire pas d’exigence mais une exigence qui passe par l’intime et par la vérité de parole, pas par le biais cérébral. Røbi est née à partir du moment où j’ai été capable d’arrêter de me penser, de me réfléchir, de me regarder en miroir. À partir du moment où je me suis trouvée, tout est allé très vite : une première rencontre avec Frank qui a monté le label avec moi et qui est à la fois mon manager et directeur artistique puis une deuxième rencontre avec Jeff Hallam, bassiste. Il est le premier à avoir accompagné mon projet en tant que compositeur sans égo aucun, me laissant l’espace pour pouvoir m’exprimer avec le peu de mots que j’ai puisque je suis une musicienne autodidacte, je ne savais pas dire les choses. Le dialogue entre nous a été facile. Quelques mois d’enfermement en toute intimité et nous avons construit une sorte de petite maison sous forme d’un premier EP qui s’est transformé en album, L’Hiver et la Joie. Pourquoi n’as-tu pas gardé ton prénom comme nom d’artiste ? J’ai très vite éliminé le prénom Chloé car il porte une trop forte connotation féminine alors même que j’avais envie d’inscrire ma musique et ma démarche dans quelque chose qui soit plus universel, dans une sorte de neutralité. Røbi est mon surnom depuis que je suis à Paris et qui ne m’est pas étranger puisque c’était aussi celui de mon père. C’est comme une sorte

d’écho, quelque chose de l’ordre du passage qui me permet à la fois d’être moi-même et quelqu’un d’autre. Dans l’écriture de tes textes, comment arrives-tu à passer d’un aspect intime (voire intimiste) à une dimension plus universelle ? Je crois profondément que plus on va vers l’intime, plus on va vers une justesse à soi et vers une chance de toucher non pas le plus grand nombre mais le plus fortement. Les chansons qui ont touché le plus fortement les gens sont celles qui sont les plus universelles comme “Ne Me Quitte Pas” ou “Avec Le Temps” qui sont des chansons de l’intime. Nous sommes tous traversés par les mêmes choses et les mêmes questions : le sens de la vie, l’absurdité de la mort, l’absolu et la façon dans l’amour de répondre aux autres questions. C’est en ce sens qu’on a le plus de chance d’être entendu. C’est une façon de transformer son cœur en hall de gare. Tu réalises toi-même tes clips. Pourquoi ne pas avoir choisi de déléguer cette partie du travail d’un titre à un tiers ? Pour être honnête, c’est avant tout une nécessité financière lorsqu’on est dans une petite économie artisanale voire familiale comme la nôtre. À cette dimension financière s’ajoute la dimension de l’image. Il aurait été contradictoire et compliqué pour moi de confier mon image à quelqu’un. Je l’aurais ressenti comme quelque chose de très vaniteux. Il aurait fallu intellectualiser l’image que je voudrais qu’on ait de moi et imposer le fait que quelqu’un entre dans mon univers, d’être regardée et mise en scène. Ma seule envie était de poser la caméra et de voir ce que je pouvais en faire, comment je pouvais capter quelque chose dans une forme de solitude, comme un adolescent qui danse devant sa glace. J’ai adoré ça ! Je me suis découvert un plaisir fou à travailler cette matière qu’est l’image en mouvements. C’est une écriture qui me passionne et je compte continuer à le faire. Ton choix esthétique pour le clip d’“On Ne Meurt Plus D’Amour” (premier extrait de son album, ndlr) est plutôt fort.


L’esthétique est un choix, je suis plutôt d’accord. Ce n’est pas quelque chose qui vient se poser sur le fond puisque qu’ils ne fonctionnent pas indépendamment l’un de l’autre. Je me suis amusée avec mes mains et mon visage devant la caméra et j’ai trouvé ça fascinant, ce que cela pouvait raconter et cacher. “On Ne Meurt Plus D’Amour” est-il adressé à une personne en particulier ? C’est une chanson d’amour adressée, évidemment. Elle vient de quelqu’un et de quelque part mais c’est aussi une interrogation. Je me souviens, après ce terrible chagrin d’amour, mes amis étaient nombreux autour de moi à me dire de ne pas m’inquiéter et que j’allais m’en remettre. Je crois qu’il était plus terrible encore de m’entendre dire ces choses que la perspective que je pouvais en mourir. C’était insupportable de me dire qu’on pouvait se remettre de ça puisque ça voulait dire que si je m’en remettais, plus rien définitivement n’avait de sens. C’est une chanson avant tout adressée à moi-même et évidemment à cet autre en miroir. C’est aussi une réflexion. Est-ce que finalement on n’en meurt pas ? Et si on n’en meurt pas, est-ce que ce n’est pas plus absurde encore ? Est-elle en adresse aux femmes qui, peut-être, auraient pu partager tes sentiments ? Je pense que ma musique est asexuée puisque je pense que les hommes aiment et souffrent aussi. Le sentiment n’est pas le seul fait de la femme. C’est d’ailleurs amusant de remarquer le virement de situation quand on voit que le fait sentimental était réservé à l’homme et que la femme n’était pas

capable de grands sentiments mais confinée à des choses très concrètes. Aujourd’hui, la question sentimentale est à la femme et le concret est à l’homme. Il est bon de le rappeler de temps en temps. Avec des titres si personnels et si intimes, le fait d’un concert doit beaucoup apporter à ta musique. C’est évident puisque la musique est vécue à travers le corps. C’est beaucoup plus physique mais la musique reste du même ordre puisque qu’un concert est un équilibre entre une nécessité de rester juste à l’intérieur de soi et d’être dans le partage à la fois. C’est un moment très plaisant dans lequel j’ai beaucoup de bonheur mais c’est aussi un endroit dans lequel on peut facilement s’enfermer ou au contraire être trop à l’extérieur de l’intimité du propos. C’est en ce sens que c’est un travail de spectacle vivant et que c’est un travail qui m’intéresse énormément. Ton hiver à toi, tu veux qu’il soit comment ? Ah ! L’hiver ! J’ai beaucoup de mal avec l’hiver mais en même temps, ce qu’il bouscule en moi et ce qu’il m’oblige à mettre en œuvre pour lutter m’intéresse. En tant que grande fainéante, je travaille bien davantage et mieux en hiver. Cet hiver sera essentiellement consacré au prochain album, ce qui est encore une joie.

Textes et propos recueillis par Ariel Carol Novak.
 Photographies : Justine Tellier, pour Crumb magazine


GUNTHER

LOVE Interview publiée le 21 mai 2011

Mimer un guitariste sans instrument en main, dans une tenue kitsch à souhait, c’est ce qu’on appelle l’Air Guitar. Combien de générations ont imité les plus grands groupes de rock, leurs riffs mythiques ou leurs solos, à l’abri de tous, cachées dans une chambre ou dans une salle de bain ? C’est précisément ce « sport musical » qui a permis en 2009, à un certain Gunther Love, d’acquérir sa notoriété en devenant champion du monde de la discipline à Oulu, dans le nord de la Finlande. Ce showman à moustache et pantalons dorés a d’ailleurs maintenu son titre en 2010. Il a, à sa manière, marqué l’histoire de France, en faisant sortir de l’ombre une discipline méconnue, qu’il continu de mettre en scène, plusieurs fois par an, avec son Air Band (oui, oui) « Airnadette ». Déjanté, plein d’humour et d’auto-dérision mais lucide sur ce qui l’entoure, nous avons échangé avec lui, dans le décor du Bus Palladium, spécialement privatisé pour l’occasion. Histoire enfin de se retrouver en tête à tête avec un champion du monde français, ouais ; et de tenter de percer les mystères de ses succès et de ses nombreux projets…

Comment as-tu découvert l’Air Guitar ? C’est en 2008, lors des Eurockéennes de Belfort. Je devais réaliser une publicité pour la marque Puma. Deux jours avant de partir, la directrice marketing de la marque me téléphone pour m’annoncer qu’elle a embauché la patrouille de France d’Air Guitar pour m’aider. Autant dire que je ne savais pas de quoi elle

me parlait. Arrivé à la gare de Belfort, je me retrouve avec deux des Airnadettes : « Moche Pitt » et « Château Brutal », en tenue d’exercice. Là, je me suis dit que le weekend allait être très long. En réalité, j’ai passé quatre jours de folie. Ce fut ma première expérience d’Air Guitar. Je ne connaissais rien de l’univers. Juste que nous avons fait la fête pendant de



longues nuits et que Moche Pitt m’a initié à la discipline. Il m’a annoncé qu’il comptait m’inscrire au prochain championnat et que je deviendrais le futur champion du monde. Je n’avais pas de nom, je n’étais personne. Le lendemain, ma carrière était pourtant lancée. Je m’appelais Gunther Love et j’allais tout défoncer ! Tu as choisi un nom plutôt kitsch… Le côté kitsch me plait. L’Air Guitar, c’est une dédicace à la musique. Tout le monde le pratique plus ou moins dans sa chambre ou sa salle de bain. Et tu es champion du monde de la discipline… Oui ! Champion du monde 2009 et 2010 ! L’année dernière, je ne souhaitais pas tellement participer au championnat. Tu sais, il faut avoir envie d’y aller dans le nord de la Finlande (rires). Tu n’y mets pas les pieds si on ne te donne pas rendez- vous pour du Air Guitar ! Pour toi, tout ça c’est de la rigolade ou bien c’est un vrai métier, sérieux ? Je suis devenu Gunther, tout le monde m’appelle Gunther ! Médiatiquement parlant, je fais preuve d’humour et prend tout ça à la légère mais, depuis quelques temps, c’est devenu très sérieux. Le problème, c’est que je suis arrivé dans ce milieu par erreur et que je pense encore et toujours que mon titre de champion du monde est une erreur. Ton look est-il vraiment réfléchi ? Oui, il l’est vraiment ! Vous allez voir le nouveau… Nous avons réussi, avec ma copine (Daphné Burki, ndlr), à obtenir le numéro de la couturière qui crée les véritables costumes des patineurs artistiques français. Elle m’a dessiné une tenue parfaite. Fini le doré alors ? Ah non ! Restons humble. Toujours en or, médaille d’or. Tu n’as jamais essayé de jouer de la guitare en vrai ? Non, je suis très mauvais. J’ai chanté dans un groupe de rock pendant neuf ans mais je suis vraiment nul. Je me suis arrêté à Zombie des Cranberries : c’est le seul morceau que je sais jouer, et encore avec les mauvais accords ! Il y a vraiment un aspect théâtral lors de tes prestations. C’est surtout de la comédie ! Cela fait dix ans que je suis comédien – intermittent du spectacle. L’Air Guitar c’est une erreur de parcours. Là, où je m’exprime réellement, c’est sur scène, avec les Airnadette. Nous sommes sept et faisons tout comme un vrai groupe de rock : nous avons tourné aux États-Unis, nous préparons une tournée en Asie, Canal+ nous a suivis pendant 3 semaines pour tourner un documentaire qui sortira le 8 juin, bref, nous sommes devenus un vrai band international ! On a assuré la première partie de -M- à Bercy pendant 3 dates, et ce, chaque soir devant 17 000 personnes ! Lenny Kravitz est même venu me voir pour me dire que c’était cool ! En fait, on est un

peu comme Britney Spears, sauf que nous, on avoue, dès le départ que l’on chante en playback (rires) ! Comment est né Airnadette ? Ça a débuté au musée d’Art Moderne, à Paris. Nous pratiquions tous le playback brosse à dents ou brosse à cheveux dans la salle de bain, donc on s’est dit « On va monter un groupe ! ». On a débuté à l’Alimentation Générale, à Paris, puis nous avons fait les premières parties de Camille à la Cigale il y a deux ans et, de fil en aiguille, on s’est lancés, sur plus de 150 dates. A la rentrée débutera une « Air Comédie Musicale » d’une heure et quart, mise en scène par Pef, des Robins des Bois. Et la kermesse de Gunther, explique nous… J’adorais les kermesses à l’école quand j’étais petit. A Paris, les gens sont trop sophistiqués. Je me suis dit qu’il serait intéressant d’y organiser des soirées régressives. J’ai proposé l’idée à mon ami Nicolas Ullman (Le Bus Palladium, ndlr) et à Daphné. On s’est dit qu’on ferait une kermesse typique : marelles, chaises musicales, chamboule-tout, 1, 2, 3, soleil, etc mais aussi l’élection du meilleur danseur, du meilleur costume. L’idée, c’est que tout le monde joue le jeu, il y a des personnes qui m’écrivent après les kermesses pour me dire que ça leur a coûté cher en Amourpropre mais que ça leur a fait du bien. Finalement, tu as le meilleur job du monde, non ? Je me lève tous les matins en riant déjà de la journée que je vais passer, alors oui, j’ai le meilleur job du monde ! Même quand je travaille sur Canal+, ce n’est que blague et drôlerie. Tu ne penses pas avoir besoin ou envie de sérieux par moment ? Non. On se fait suffisamment chier dans la vie, non ? Être cadré ? Non plus ! Ou seulement sur une photo. Pas plus. Tout le monde peut devenir champion du monde d’Air Guitar selon toi ? Oui. Je pars du principe que pour devenir champion d’Air Guitar, il faut jouer avec l’envie de pisser et comme tout le monde a envie de pisser, finalement tout le monde a sa chance… Si tu devais donner des conseils aux débutants pour réussir ? Arrêtez tout de suite ! Il n y a pas de débutants. Tu es Rock n’roll, ou tu ne l’es pas ! Il faut avoir un style qui tue, tout miser sur le costume. Ce n’est pas pour les amateurs, tu sais, c’est un sport extrême. Tu penses être en partie responsable de sa démocratisation ? Les médias se sont emparés du phénomène parce que je suis arrivé pendant la période creuse des Jeux Olympiques. J’étais le seul français médaillé de l’été, mais personne ne savait de quoi il s’agissait. Je suis rentré de vacances au mois d’août, et j’ai vu un titre sur une page web : « La France devient championne du monde », je clique, et je vois une grande photo de


ma tête s’afficher ! Le soir où je suis rentré de Finlande, j’ai clôturé le journal de Claire Chazal, j’ai fait bon nombre d’interviews, j’ai aussi été invité sur le plateau de LCI qui m’a laissé commenter l’actualité comme je le souhaitais, durant quinze minutes… C’est ça la vie. Mais, pour répondre à ta question, est-ce que j’ai, pour ma part, aider à démocratiser l’Air Guitar, je ne pense pas. Tu as peut-être donné envie à des jeunes de se lancer, même si ce genre de passion est parfois catalogué de « ringardes », un peu comme le tunning… Oui ! Mais celui qui trouve cela ringard, c’est qu’il n’a jamais passé une soirée Airnadette ou assisté à une compétition. Ce que l’on dit souvent c’est que ce ne sont pas les gens qui n’aiment pas l’Air Guitar, c’est nous qui ne voulons pas d’eux ! Les événements qui sont organisés autour de nous font partie d’un même petit univers. D’ailleurs, avec Airnadette et tous les gens qui nous suivent, nous pensions que ça ne durerait qu’un mois et au final cela fait deux ans que nous « exerçons » et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Tu dis ne pas vouloir de certaines personnes, dans le milieu de l’Air Guitar. De qui parles-tu ? De ceux qui nous critiquent lorsque l’on poste des vidéos en ligne. On peut avoir plus de 100 000 vues mais le peu de personnes qui laissent des commentaires insultants ou dégradants sot toujours les mêmes. J’ai juste envie de leur dire: «Hé les mecs, si vous n’aimez pas ce que l’on fait, pourquoi vous perdez votre temps à suivre notre travail et à nous regarder ? ». Après, l’important, c’est déjà qu’on puisse parler librement d’Air Guitar, que ce soit en bien ou en mal. En parallèle des critiques, tu as quand même un vrai public fidèle ? Oui. Il y a des gens qui nous suivent. Je m’en suis aperçu sur Facebook. Je me retrouve avec une quantité incroyable d’amis, je n’en connais pas plus d’une trentaine. Les gens me connaissent généralement car ils m’ont vu sur Canal+. Le pire, tu sais, c’est que je reçois de vraies lettres de fans, oui, comme dans les années 70 (rires). La dernière que j’ai reçu était celle d’une petite fille de huit ans qui avait écrit quelque chose du genre « vous êtes trop génial génialement génial ! ». C’est extraordinaire. L’Air Guitar est un sport fédérateur ? Bien sûr ! Et si je parle constamment des Airnadette, c’est parce que le Gunther que je suis ne fait pas de shows tout seul. L’important, c’est qu’à chaque nouveau spectacle, on retrouve des gens, qui viennent là pour rire et ça fait du bien. Il n’y a pas de codes. Sans qu’on sache expliquer pourquoi, le public accepte toujours le concept et rentre dans son rôle. Tu t’inventes une nouvelle vie sur scène ? Je la démultiplie. Un personnage d’Air Guitar, c’est un prolongement de soi, un peu comme Sacha Baron Cohen qui interprète Borat. Il entre dans le rôle de son personnage lors d’interviews, comme ici, mais en

dehors, il reste Sacha Baron Cohen. Dans le milieu de la musique, en France, il y a les Airnadette : une caricature de ce qu’est précisément le monde de la musique et celui des paillettes. Comment est le vrai Gunther dans la vraie vie ? En fait, un peu comme maintenant. L’Air Guitar prend tellement de temps que je n’ai plus le choix. Depuis deux ans, tout le monde m’appelle Gunther (Sylvain Quimène, dans la vraie vie, ndlr). Même mon père ! Rassures moi, tu n’es pas schizophrène ? Non, ça va. J’ai travaillé pendant trois ans au sein d’un hôpital psychiatrique. Ca m’as plutôt aidé (rires). Parmi les gens qui t’ont aidé ou lancé d’ailleurs, qui ont compté pour toi, il y a Bruce Toussaint (Canal+, ndlr). Si tu devais lui faire une déclaration d’amour, tu lui dirais quoi ? Bruce ? C’est mon mentor ! Lorsque je suis arrivée chez Canal, il m’a immédiatement pris sous son aile et m’as mis en confiance. C’est quelqu’un de très rassurant. D’ailleurs s’il lit cette interview dans CRUMB, j’aimerais lui dire de raser sa barbe. Il m’avait promis en début d’année, qu’il ne raserait pas sa barbe tant que je ne serais pas reçu officiellement à l’Élysée, en tant que champion du monde officiel d’Air Guitar. Du coup, il ne s’est toujours pas rasé et il commence sérieusement à ressembler au Père Noël. Et une déclaration d’amour à Daphné? Et bien que des bouffées d’amour. C’est mon amoureuse. Qu’est-ce que qu’on peut te souhaiter pour la suite ? Toujours autant de bêtises. Et surtout de plaisir !

Propos recueillis par Laurie Cassagnes Photographie : Diane Sagnier


Interview publiée le 25 septembre 2015 A l’occasion de la sortie du nouvel album de Destroyer — Poison Season — qui nous emmène sensuellement vers l’automne, nous avons rencontré Dan Bejar qui nous parle de ce nouveau “morceau de fiction insulaire”. L’artiste qui répète vouloir maintenant prendre son rôle de chanteur de jazz au sérieux, s’approche des bords de profonds états d’âme sans jamais plonger, explorant une sorte de vertige à travers des paysages mentaux qui longent l’idée romantique de la chose jamais atteinte. On ne peut pas parler de retenue quand on l’écoute. Il y a là plutôt une mélancolie maîtrisée qui identifie sa musique à une forme de détachement lyrique où le ravissement serait du côté d’une vague tristesse. L’obscurité n’est donc jamais très loin et quand Dan Bejar nous fait presque croire à une résignation, il se rattrape finalement en évoquant sa musique comme l’empreinte d’une quête passionnée.

DESTROYER

Quelle idée avez-vous du romantisme ? J’ai deux réponses. La première est musicale donc peut-être historique : des sons de large envergure mais toujours mélancoliques, des sons peut-être antérieurs au rock’n’roll, des sons qui font comme allusion aux européens, qui ne sont pas nordaméricains. C’est plutôt de l’ordre d’une définition historique : une influence de la musique classique, des accords de Jazz qui pour moi sont très romantiques. Et puis il y a une définition lyrique où le romantisme évoque ce qui est voué à l’échec. Pensez-vous qu’aujourd’hui le romantisme soit anachronique ? J’ai beaucoup de mal à imaginer des versions du XXIème siècle, parce qu’il a l’air ruiné. Je suis aussi plus âgé et donc plus attaché au XXème siècle. J’ai adoré le XXème siècle, c’était super, vous auriez dû être là !

Le romantisme du XIXème siècle est-il toujours possible ? Non, ce n’est plus possible —je ne réponds pas de façon personnelle bien sûr, je garde en tête ce que je fais, des albums. Je pense qu’il y a certains artistes ou écrivains qui essaient de retrouver cette tradition simplement parce qu’ils sont attirés par ce qui semble universel, les formes dégageant une sorte de classicisme mais qui ne sont pas aussi bonnes. Cela peut être une béquille mais c’est toujours plus facile d’en faire quelque chose de beau ou d’étrange que ça ne l’est avec des sons obsédés par l’idée d’être actuels. Je pense qu’une jeune personne est plus impliquée dans ce qui se passe autour d’elle culturellement — par la culture jeune ou pop — et peut-être aurait-elle une meilleure réponse à ce que le romantisme veut dire dans un sens contemporain. Elle dirait sans doute qu’il s’agit de quelque chose de sexuel.



Vous parlez comme un dinosaure, vous n’êtes pas si vieux… Non c’est vrai, mais quand j’écoute de la nouvelle musique je me sens distant, je n’ai pas l’impression d’en faire partie et c’est comme ça depuis plusieurs années. Il doit y avoir une raison. Un vieux type, oui, je me suis toujours senti comme ça. D’une certaine manière, vous essayez dans votre musique de neutraliser le romantisme quand vous approchez trop près de ses bords, de même avec le drame. Vous ne l’atteignez jamais mais vous en êtes souvent très proche. Oui. Je ne suis pas acteur, je ne peux pas vraiment incarner ces états et je me méfie de ce qui serait seulement cent pour cent émotionnel. Ce n’est pas très intéressant selon moi de simplement essayer de peindre une belle image. Cela ne vaut pas la peine à moins qu’elle soit vraiment belle. Peut-être que je ne peux pas le faire car je ne sais pas comment m’y prendre. Mais j’écoute la musique de Destroyer et elle me semble plutôt en conflit, elle veut toujours faire deux ou trois choses différentes en même temps. J’ai l’impression de toujours vouloir une musique assez large, sensuelle, dramatique. Mais d’autres univers sont plutôt spécifiques, détaillés et bizarres. J’aime cette idée de conflit permanent. Connaissezvous l’écrivain Robert Walser ? J’ai l’impression qu’il y a un lien avec votre musique. Peut-être. J’ai seulement lu quelques uns de ses écrits. Il y côtoie un certain humour noir. C’est drôle parce que cela semble naïf. Il y a un tiraillement constant entre des descriptions très froides et d’autres qui sont presque trop romantiques. Il faut que je lise plus de ses écrits, je l’ai toujours voulu. Je pense que quand tu commences à prendre des influences, comme la littérature et que tu essaies de les insérer dans ta musique, cela génère une bataille, parce que j’ai toujours envie d’avoir d’abord une réaction sensible. C’est la seule réaction que je comprends en musique, je réagis émotionnellement à la musique. Je ne sais pas si l’écriture marche de cette façon ou même si ma manière de chanter marche ainsi, donc je ne sais pas non plus si le ton de ce qui est dit ou le ton de tout ce qu’il y a autour fonctionne. J’ai l’impression que plus je fais d’albums plus ils deviennent une seule et même chose, un ensemble. Je pense que c’est le but de l’artiste d’être une seule chose, unique. Et dans ce sens je devrais peut-être complètement abandonner la littérature. Malgré l’aspect d’inquiétante étrangeté de votre musique, la présence de personnages mélancoliques, elle, semble confortable, ce qui encore une fois est conflictuel. Oui, je ne sais pas parler d’une autre voix. J’ai l’impression que ce nouvel album est peut-être un peu différent. Il y a de vrais moments où la personne qui parle semble méprisable ou diabolique, plutôt que juste mélancolique. Ou peut-être qu’il y a simplement une véritable tristesse comme opposée à la simple mélancolie, qui sont pour moi deux choses différentes.

Mais oui la mélancolie c’est la voix naturelle de Destroyer. C’est celle qui me paraît la plus consciente du monde. Et c’est comme une tristesse agréable, comme quand tu n’es pas dévasté mais que tu as la sensation que tout est foutu. Pensez-vous qu’une ville comme Vancouver laisse une place à la mélancolie ? Je pense que les gens ont différentes idées de ce qu’est cet endroit. Quand tu y vas pour la première fois, tu vois une ville le long de l’océan Pacifique avec ses montagnes couvertes de forêts en arrière-plan. Ça a l’air idyllique mais je crois que quiconque y passe du temps réalise que ce n’est pas vrai. D’abord parce qu’il y fait gris la plupart du temps et qu’il pleut en permanence. Mais surtout parce que c’est une ville écrasée par le capitalisme, ce qui est une véritable source de tristesse pour n’importe quelle personne qui n’est pas putain de riche. Elle a probablement une des populations vivant dans la rue des plus visibles d’Amérique du Nord — c’est un fait important. La ville est déchirée. Je ne pense pas tant que ça à Vancouver, j’y suis simplement né. J’ai essayé d’en partir mais je ne l’ai pas fait. Ou peut-être que je n’y suis pas arrivé. Il y a une chanson que j’ai écrite il y a quelques années, Chinatown, c’est un quartier que je connais assez bien. Je marchais sous la pluie et j’ai écris cette chanson. Cela résume d’une manière très simple ma relation à la ville. Aujourd’hui, je ne pense plus avoir aucune envie d’écrire à son propos. J’en ai fini avec cet endroit. J’y habite, simplement. Pensez-vous que le côté stérile de cette ville soit la raison d’une certaine effervescence artistique et musicale, comme si les artistes avaient besoin d’y insuffler quelque chose de vivant ? Elle a une réputation d’endroit inactif. Elle est active pour y faire du roller ou du vélo, mais si tu es jeune et que tu as un groupe de musique ou si tu es un artiste, tu veux généralement en partir. Mais cela reste un endroit très critique dans le bon sens du terme. La plupart des groupes que j’ai vu sortir de Vancouver ont quelque chose que les groupes de Montréal ou de Toronto n’ont pas et dans ce sens je suis fier de Vancouver. C’est aussi compliqué de mettre en lumière quoi que ce soit à Vancouver car tout ce qui est bon se passe dans l’ombre, et les médias ne trouvent rien. La scène underground est très désorganisée. Quand j’étais plus jeune et que je traînais dans ce milieu, ce n’était pas vraiment cool de poursuivre la musique de manière fonctionnelle ou professionnelle. C’était important d’être un raté. Je vois une différence avec les scènes de Montréal et Toronto où tout le monde était positif, très actif, où les gens écrivaient tout le temps sur les groupes, en parlaient, à travers la presse ou le bouche à oreilles. À Vancouver tout se passe dans l’ombre, il y a un rejet plus virulent de la culture mainstream que dans n’importe quel autre endroit. Considérez-vous les lieux comme des personnages ? Je les pense comme des toiles de fond pour drame,


Comme un décor de théâtre. J’associe des villes à certains albums sans doute parce que j’y ai habité et écrit un bon nombre des chansons. Cela m’est arrivé plusieurs fois quand j’habitais en Espagne, ou même à Montréal. J’ai l’impression de me concentrer de plus en plus sur ce qu’il se passe en moi quand j’écris, plutôt que d’être celui qui erre en regardant autour de lui. Je crois, dans tous les cas, que le dernier album de Destroyer ressemble plus à un morceau d’une fiction insulaire, d’un monde intérieur. Il n’y a donc pas de lien avec le lieu où vous êtes ? Ou avez-vous besoin de vous sentir chez vous ? Je pense que je me suis toujours senti revigoré par le voyage, par le déplacement. J’ai beaucoup écrit dans des lieux étrangers. Je ne sais pas si c’est encore vrai. Je crois avoir perdu tout intérêt pour certains aspects du monde. J’ai l’impression que la mélancolie peut provenir d’une nostalgie permanente du chez-soi. Je ne me suis jamais trouvé quelque part où je me sentais complètement chez moi. Peut-être que c’est ça, d’une certaine manière, l’idée de ne jamais se sentir à sa place. Tu sais j’habite à Vancouver, mon père était espagnol et ma mère vient de Californie, je ne me suis jamais vraiment senti canadien. Je ne dis pas que si j’avais grandi en Espagne ou à Los Angeles je me sentirais complètement chez moi. Je ne pense pas que ce serait le cas. Je me suis toujours senti un peu en dehors de tout. Quand je parlais d’anachronisme, je pensais au côté passéiste de votre musique, mais en même temps le recours permanent aux cuivres la rend très présente, vivante. Je n’ai jamais pensé aux cuivres comme un symbole du corps — c’est du véritable souffle. J’ai toujours adoré les trompettes et saxophones. Je crois que je suis juste cupide, et plus je pense à la musique que j’ai écouté ces dernières années, plus j’ai envie de m’en emparer et de l’utiliser pour moi-même. Il y a quelque chose que j’obtiens de ces instruments qu’il n’y a pas chez les autres. Cela appartient aussi à une tradition qui me permet de sortir un peu de moi-même, surtout si je suis sérieux dans le fait de devenir un chanteur de jazz, je dois m’envelopper de ces influences. Je ne le vois pas comme une décision consciente ou une construction, ce sont des sons que j’aime, c’est tout. Ce sont des choix simples. Allez-vous jouer d’un instrument pendant votre prochaine tournée ? Non, je considère vraiment sérieusement le fait de ne toucher aucun instrument. Je l’ai fait pendant longtemps, puis j’ai arrêté il y a quelques années. Je crois que ça m’a vraiment aidé, car je ne prenais pas le rôle de chanteur au sérieux jusqu’à ce que je pose la guitare. Je pense que ma manière de chanter s’est améliorée une fois que j’ai fait cela, j’ai même changé mes chansons et ce que je pensais qu’il serait bien de chanter. Ça semble traumatisant, mais je crois que ça a changé toute mon idée de ce que je fais, parce que j’aime avoir des boucliers. La guitare était ce derrière

quoi je me protégeais. Quand je me tiens là juste debout sans rien, c’est beaucoup plus intense. Vous évoquez souvent la rédemption, il y a également quelques personnages bibliques dans vos morceaux. Souhaitez-vous parler de la part mystique de votre musique ? Je ne sais pas comment en parler sans avoir l’air fou ou prétentieux. Je me fiche que l’on pense ça mais ce n’est pas vraiment qui je suis. Je pense que dans d’autres arts, comme la poésie, c’est assez simple de faire partie de cette tradition ou d’utiliser ces images, alors qu’en musique c’est impossible de le faire ou d’en parler sans rappeler Jim Morrison. Je sais qu’il est très important ici à Paris et je l’aime beaucoup, mais il y a une version caricaturale de la mystique — la mystique rock’n’roll — que je ne trouve pas très intéressante. En revanche, il y a la mystique de Clarise Lispector, l’idée de la quête. Ce n’est pas la quête d’un sens mais plutôt la recherche d’un éclairage dans son travail. Je trouve ça plutôt normal en ce qui concerne l’écriture musicale, c’est une tradition bien ancrée ; on retrouve cela chez des gens comme Van Morisson ou Joni Mitchell, même dans des éléments du travail de Dylan tu peux ressentir une certaine ferveur religieuse. Tu veux utiliser l’imagerie religieuse et les personnages religieux pour que les gens comprennent à quel point ce que tu essaies de faire ou de révéler est important. Je ne le vois cependant pas comme un élément crucial dans la musique de Destroyer, jusqu’à ce dernier album. Pour une raison que j’ignore il a l’air perdu dans le monde, errant, et le spectre de la mort le surplombe. C’est un album (Poison Season) plus lourd que d’habitude. Mais je ne m’assieds pas en me disant “Tiens, c’est l’heure du mystique, l’heure d’écrire une chanson mystique“. Je n’écris pas en y réfléchissant à deux fois, c’est très instinctif. Si j’en parle, je ne fais que regarder en arrière et essayer de comprendre ce que j’ai fait. Mais, d’une part, je n’ai aucun désir de comprendre ce que j’ai fait, ça ne m’intéresse pas. Je veux simplement que ça existe, que ça exerce une sorte de force et, d’autre part, à la minute où j’en parle, je suis sûr que ça change. Je vois un morceau d’une certaine façon un jour, et le lendemain il peut prendre un tout autre sens. Donc on devient artiste ou musicien par manque de religion ? Selon moi les artistes sont supposés exprimer tout ce que je suis incapable de dire maintenant, aussi sensiblement que possible. L’art doit aussi être conscient qu’il ne pourra jamais complètement exprimer cette chose. Mais tu laisses une trace de ta quête, ou une trace de ta lutte, et c’est ce qui d’une certaine façon est touchant. Ou bien c’est nul et ça n’a rien d’émouvant ! Tout ce que j’essaie de faire avec Destroyer, c’est rattraper ce manque dans le monde qui m’entoure…

Propos recueillis et interview par Gaëlle Cognée



Ces photos ont été prises le 13 novembre 2015 pendant le Concert du groupe Eagles Of Death Metal au Bataclan, à Paris, par Manuwino. Elles sont publiées ici en format libre de droit et disponibles à la diffusion sans modification, recadrage ni retouche supplémentaire sur simple demande auprès de Manuwino.

À Thomas. À Marie. À tous ceux qui étaient là. À leurs regards. À leurs sourires. À Paris. À la vie. À la Génération Bataclan.








FRANZ

FERDINAND Interview publiée le 3 septembre 2013

C’est à l’étage d’un troquet Parisien que notre rencontre avec les Franz Ferdinand prend place. Très vite, on a le sentiment de discuter avec des types qui sortent de leur tanière. Et pour cause, voilà plus de quatre longues années que la bande Ecossaise n’avait pas sorti un seul morceau sous ce nom. Après une période de doute avec l’album Tonight, electro et pessimiste, mais follement bon, il était temps pour les quatre garçons de retrouver le sourire en nous présentant “Right Thoughts, Right Words, Right Actions“, simple, direct et efficace. Quoi de mieux que de laisser la parole à Alex Kapranos, leader incontestablement doté d’un charisme explosif ? Là ou un Alex Turner se grime en un Elvis Presley de manière poussive, Kapranos reste lui même et attribue les bons et les mauvais points…

Que s’est-il passé pour les Franz Ferdinand ces quatre dernières années ? 
Nous avons sorti notre album Tonight en 2009, puis nous avons tourné ensuite jusqu’en 2011. Nous avons décidé de faire une pause, pour que chacun puisse se consacrer à ses projets personnels dans son coin pendant un petit moment. J’ai produit plusieurs albums, Nick a fait de la musique pour du théâtre par exemple et nous nous sommes retrouvés pour recommencer à écrire des chansons ensemble. Nous voici aujourd’hui, devant vous. A quel moment avez-vous décidé de travailler sur ce nouveau disque ?
 Il y a un an et demi. Nous voulions garder une véritable spontanéité dans notre travail, que ce qui

sorte du studio reste frais. On a alterné sessions en studio et tournées en festivals, pour un peu se changer d’air. Nous avions disparu ces dernières années, oui, mais c’était absolument voulu. On ne l’avait jamais fais auparavant. Nous avions envie de disparaître. On ne voulait pas se sentir scrutés par les gens ni que l’on parle trop de nous. Si tu parles de toimême, tu es conscient que tu es en train de créer quelque chose, et ça te fait justement perdre toute spontanéité. Moins on parle de vous, mieux vous travaillez ?
 Je pense, oui. Tu trouves toujours de meilleures idées quand on te laisse tranquille. Mais c’est surtout qu’il n’y a globalement rien à dire sur nous. Aujourd’hui, on a un nouveau disque, on a de la matière à défendre.



Ce n’est pas vraiment intéressant de dire à la presse que tu es en train d’essayer mille choses en studio. C’est la différence, pour moi, entre les artistes et les célébrités, même si, médiatiquement, les routes se croisent. Nous ne sommes pas des célébrités mais des musiciens. On aime que les gens s’intéressent aux bonnes choses. A nos chansons. Surtout.

choses se sont faites naturellement, comme une évolution ! Et ce sera la même pour le prochain ? 
Je n’en sais rien, je n’ai pas envie de le savoir. Peutêtre qu’un jour nous nous poserons. Des contraires contre des contraires contre des contraires, c’est infini.

Enregistrer votre disque par sessions, c’était un moyen d’éviter l’isolation ?
 Oui. On l’a fait pendant quelques temps, mais cela ne dépassait jamais les deux semaines. S’isoler, c’est devenir claustrophobique, oublier l’objectif final des chansons et ça reniait aussi notre versant live. On aime la scène, il ne nous fallait pas perdre l’énergie et l’adrénaline de ces moments. C’était agréable de faire des pauses, de parcourir des festivals. Nous avions un véritable désir d’aller vers les autres avec ce disque, de trouver des idées pour les transformer en chansons. Et il est vrai qu’il est plus difficile de trouver des idées, enfermés entre quatre murs dans un studio sous terre.

Right Thoughts semble plus “léger” ?
 Je ne sais pas si “léger” est le bon terme mais je comprends ce que tu veux dire. Nous nous sommes focalisés sur les bonnes mélodies en tout cas. Nous avions un but précis : faire des chansons qui fonctionnent à l’instinct, sanguines, directes. Nous voulons que les gens ressentent quelque chose dès la première écoute, mais aient aussi envie d’y revenir plus tard, dans le détail. Notamment au niveau des paroles : la majorité des textes se présentent comme des grandes questions. Chacun peux y réfléchir à sa façon en fonction de son humeur. C’est aussi intéressant. Mais dans tous les cas, nous sommes d’humeur beaucoup plus « sympathique » avec ce disque que pour Tonight.

A l’écoute de votre album, on a un sentiment de retour aux sources du son Franz Ferdinand…
 Je pense que nous sommes revenus à l’essence même du groupe, en effet. Je me souviens d’une discussion avec Peter Bjorn en 2011 autour d’un café à Glasgow, où il nous demandait comment le disque allait sonner. On a juste répondu “Franz Ferdinand” ! Nous avons essayé de faire évoluer les choses mais sans oublier les bases de notre son et de son identité. Peter avait quand même répondu “Ah oui, un mélange entre Daft Punk et Dr Feelgood”. C’est une remarque que l’on nous fait souvent. C’est amusant parce qu’on a ajouté des éléments jamais entendus dans notre musique avec ce nouvel album, comme du saxophone, des cuivres, un solo de hautbois même, mais on a tenu à garder une sorte d’efficacité particulièrement importante pour nous. Vous avez un peu mis les synthétiseurs de côté ? 
Il y en a ! « Love Illuminations », « Goodbye Lovers And Friends », « Stand On The Horizon »mais contrairement à Tonight, nous n’avons pas basé les chansons que sur cela.. Quatre après, quel regard portez vous sur Tonight ?
 À cette période, nous étions plutôt pessimistes, fatigués du monde qui nous entourait, et nous voulions faire quelque chose de très différent de ce à quoi les gens pouvaient s’attendre. S’il fallait décrire notre groupe en un seul mot, j’utiliserai le terme “contraire”. Lorsque nous nous sommes formés, nous voulions sonner à l’opposé de tout ce qu’il se faisait, et c’est dans cette même philosophie que l’on a fait ce disque, qui reflétait aussi nos états d’esprits personnels à cette époque… Vous avez donc travaillé ce nouvel album par opposition totale à Tonight alors ?
 Oui ! C’était en pure réaction à cette période. Mais les

Vous semblez moins prendre de risques… Je pense qu’il est beaucoup plus risqué de trouver de vraies mélodies, avec des bons refrains, plutôt que de faire quelque chose de complètement abstrait et tortueux. Ces chansons sont très faciles à écouter, mais bien plus compliquées à écrire. Il faut beaucoup d’effort pour justement avoir un résultat qui ne s’écoute sans aucuns efforts. Peter Bjorn, Todd Terje : Qu’est ce qui a autant amené les Franz Ferdinand en Scandinavie ? Le monde froid qui nous entoure et son cœur de glace impartial (rires) ! Plus sérieusement, nous adorons la scène scandinave : Lykke Li, Lindstrom, les dernières sorties de Terje. J’ai l’impression qu’il y a une véritable humanité dans la musique de ces gens là. Peter (Bjorn, ndlr), lui, est un ami de longue date. Quel regard portez vous sur l’industrie musicale depuis que vous nous avez quittés il y a quatre ans ? Il n’y avait pas de Skrillex à l’époque…
 L’Amérique a découvert l’EDM trente ans après sa naissance, les jeunes groupes peuvent malheureusement de moins en moins se permettre de vivre de leur musique, mais je retiendrais surtout le boom de la musique électro. Quelques uns font du bon boulot, mais la grande majorité de ce qui en sort est plutôt merdique et c’est comme cela dans tous les genres ! On a récemment joué avec Major Lazer en Argentine, c’était assez marrant à voir sur scène, c’est plus un show que de la musique. Mais les choses risquent bien de changer. Notamment à cause de l’album de Daft Punk : l’influence que ce groupe arrive à avoir est impressionnante et indéniable. Bravo la France !

Propos recueillis par Brice Bossavie


Interview publiée le 24 octobre 2013 On s’est tapé des barres avec les Écossais CHVRCHES. Ils nous accueillent le sourire aux lèvres et font preuve d’une auto-dérision qui nous met d’emblée à l’aise, entre potes. Si l’on vous dit : Taxidermie, internet, accent à couper au couteau et démocratie, vous voyez le rapport entre tous ces termes ? Ou pas ? “On devrait peut être consulter un psy”, nous déclarent-ils avant de partir. Lisez-donc pour mieux comprendre…

CHVRCHES


Le choix du V de Chvrches, c’était pour faire hype ou surtout pour faciliter les recherches sur Google ? Lauren : C’est principalement dû au fait qu’on a commencé à vouloir déposer notre nom de domaine et “Churches Music” ou “Churches Band” ne donnaient pas grand chose. Parallèlement, notre amie Amy avait fait un logo pour nous -elle fait tout nos artworks désormais- et déjà, cet artwork avait ces figures en formes de V. Nous avons décidé de le faire correspondre au nom du groupe. C’est plus une question esthétique mais aussi la nécessité d’être facilement reconnaissable sur Internet. Cela peut paraître idiot mais c’est comme cela que les gens trouvent le plus facilement notre musique. Nous avons eu la même conversation il y a quelques temps avec “!!!” Martin : (Rires) Les gens ont enfin compris, après toutes ces années ! Il faut écrire Chk Chk Chk, sinon ça ne donne rien… Martin : En tout cas nous ne sommes pas vraiment des hipsters donc ce n’a jamais été pour ça. Et qu’est ce qu’un hipster pour vous ? Ca n’a pas vraiment de sens. Iain : Conduire un monocycle en portant une moustache frisée ? Lauren : S’amuser de tout de manière ironique, ça me dépasse, pourquoi pas rire, simplement. Martin : La boisson immonde que tout le monde boit à Berlin, comment s’appelle-t-elle ? Lauren : Club-mate ?! Martin : Oui, ça c’est hipster ! C’est quoi ? Lauren : Une boisson qui ressemble à une bière mais qui est, en réalité, plutôt de la limonade. Il y en a dans tous les cafés de Berlin. Martin : Et la taxidermie, ça a été cool à un moment… Iain : Si les hipsters achètent nos disques et aiment notre musique, tant mieux ! Le nom de domaine de votre site web est enregistré en Espagne, pourquoi ? Martin : Un type a acheté tous les domaines “chvrches.com” dès que nous sommes devenus ce groupe pour ensuite nous les revendre contre un accès backstage à vie pour nos concerts et 3000 euros. On lui a dit qu’il pouvait avoir le Pass et un point dans la figure mais pas l’argent. Lauren : Il faut croire que c’est plus répandu qu’on ne le pense, des gens gagnent bizarrement leur vie comme cela. C’est absurde. On n’allait pas payer quelqu’un qui nous avait doublé. Surtout qu’il n’avait pas été assez intelligent pour penser à acheter le domaine en Espagne, du coup on a pu échapper à ce

chantage. Les gens pensent probablement que c’est un effet de style de voir écrit chvrch.es mais c’était surtout un moyen pour ne pas rester dans l’ombre du net. Vous avez joué au festival de Pitchfork à Paris en 2012, qu’est ce que cela représente pour vous ? Iain : D’un côté, il y a Pitchfork, mais aussi tous les blogs, les sites internet et magazines autres, comme CRUMB, qui sont en grande partie responsables de la vitesse à laquelle nous avons attiré l’attention des gens. Vu d’un grand angle, Internet c’est chercher puis trouver une information. La façon dont les gens peuvent télécharger des morceaux sur leur téléphone n’importe où, en une minute a un impact sur la vitesse à laquelle les gens commencent à s’intéresser à des groupes comme nous. Je trouve cela extrêmement positif. Ce ne sont plus les labels qui décident de ce qui doit être entendu ou non, n’importe qui peut apparaître en ligne, sur Pitchfork ou une centaine d’autres médias en lignes et c’est vraiment, pour chaque partie, un moyen de communication excitant. Martin, ton accent me rappelle celui des acteurs de La Part des anges de Ken Loach… Martin : C’est parce que je viens du coin le plus pauvre, c’est ça ? Je n’ai pas encore vu ce film mais si tu trouves mon accent difficile, essaie encore de comprendre ce que je dis après quelques verres. Lauren : Même moi je n’y comprends plus rien. On vit tous à Glasgow mais on vient d’endroits complètement différents. Martin est né pas loin, Ian vient de l’autre côte de l’Ecosse et moi plus du nord. Parlez-nous des thématiques de vos morceaux. Lorsque l’on regarde simplement les titres, elles paraissent assez sombres et en rapport au corps humain. Lauren : Pour Under The Tide, je pensais à ces documentaires où l’on peut observer les vagues, leur mouvement et l’écume par en dessous, tout paraît plus calme, comparé à ce qu’on peut ressentir lorsque l’on est à la surface, remué par la houle. Par rapport au corps, j’ai réalisé après avoir fini l’album que l’on avait travaillé sur beaucoup de références aux membres, pour rendre l’impact ou l’émotion plus physique, je pense. Parler de choses que l’on ne peut pas vraiment voir comme les os et les rendre visible par la musique me fascine. Iain : On devrait peut être consulter un psy. Lauren : Oui, pourquoi suis-je inspirée par des jambes, des hanches ? Je ne sais pas. Mais c’est intéressant de voir comment les gens se réapproprient nos titres. The Mother We Share explore le thème de l’espoir ou son manque, mais cela ne parle pas de famille au sens propre. Les paroles sont plus dans l’impression que dans la narration d’une histoire particulière. Une fille nous a envoyé un mail pour en connaître son sens car elle comptait utiliser cette chanson pour danser avec son père à son mariage et nous étions vraiment surpris.


Nous étions partagés par un sentiment hyper touchant et en même temps la réalité qui est que ce n’est pas vraiment une chanson joyeuse pour danser avec son père. Il est question de désespoir, d’échec mais de la nécessite de continuer. Elle, semblait penser qu’il s’agissait de gens qui restaient unis malgré tout. Ce rapport à la différence entre plusieurs niveaux de lecture est génial. Il faut tout toujours laisser planer du mystère sur les chansons pour que chacun puisse en profiter comme il l’entend.

Martin : Les écossais expriment leur sentiment une fois tous les 9 mois théoriquement.

Vous avez remixé Hurricane de MS MR, c’est un exercice qui vous plait particulièrement ? Lauren : C’est vraiment quelque chose de sympa à faire, s’amuser avec le travail de quelqu’un d’autre et faire quelque chose de différent. Comme une belle chaîne de créativité en se réappropriant une matière qui n’est pas la nôtre. Ca aussi, c’est une question de lecture ou de relecture !

Lauren : Pourquoi ai je choisi d’être dans ce groupe, avec ces deux mecs ?

Martin : Si on est dans un studio en train de mixer et que quelqu’un nous suggère de remixer Speed Demon de Micheal Jackson, la première réaction est toujours « C’es complètement malade ». Puis, on le fait parce qu’on réalise qu’il est important de ne pas avoir peur d’explorer les morceaux, ne pas les considérer comme trop précieux ou intouchables. Nous faisons aussi des DJ set, sous deux formes, la première exclusivement électro, la seconde consiste seulement à faire danser le public jusqu’au petit matin. Chacun d’entre nous s’en charge. Lauren mixe surtout dans les soirées les plus importantes, moi, je commence à prendre ce jeu au sérieux maintenant, si je n’étais pas un musicien je serai DJ. C’est nul sur le papier mais je gagnerais plus d’argent, je crois. L’adjectif “démocratique” revient souvent dans vos interviews, par rapport à votre manière de travailler. Comment arrivez vous à surmonter les désaccords pouvant survenir quand il faut composer de la musique à trois ? Martin : La démocratie c’est se battre pour ses idées. Tout le monde a son mot à dire, chaque jour, mettre en avant des arguments, des raisons, la discussion en studio est fondamentale. Si il y a un problème mais qu’il est vite oublié, on n’y revient pas. On essaie. En revanche, si des doutes persistent, on prend le temps qu’il faut pour les mettre à plat et avancer, à trois. Lauren : C’est une question de respect et de confiance mutuelle, je crois. Un partenariat divisé entre le travail et l’amitié crée une vraie dynamique. Bien sûr on se dispute à 5h du matin à l’aéroport, en studio, en voiture, partout mais quand il s’agit de choses vraiment sérieuses, qui touchent au fond de la musique, à sa forme, on prend le temps de réfléchir. Encore plus lorsque nous prenons du recul sur ce que nous avons vécu depuis quelque temps, il faut être sûr que nous nous sentions à l’aise dans le groupe, chacun à sa place. Les écossais ont la réputation de communiquer, de beaucoup exprimer leurs sentiments. Cela se ressent à travers notre groupe. Pur sarcasme, vous l’avez compris.

Iain : Cela se passe souvent dans un bar d’ailleurs. Un type s’enflamme devant son meilleur pote « I really love you man, I would use a fucking for you » et le lendemain matin c’est oublié. Jusqu’à une nouvelle démonstration d’amitié… Martin : 9 mois plus tard.

Propos recueillis par Bastien Internicola Traduction : Alice De Jode Photos : Justine Tellier, pour Crumb magazine


Interview publiée le 15 janvier 2011 Choisir comme nom “Photo” lorsqu’on est un groupe de musique est un pari risqué. Un choix audacieux, pour mieux traduire, peut-être, l’influence esthétique et graphique des textes du groupe et l’imagerie visuelle qui s’en dégage. Photo c’est Antoine et Augustin, deux frères passionnés de musique, qui, par leur rencontre avec Théo et Pascal ont su mettre à profit l’étendue de leur talent. Une complémentarité musicale totale qui donne à ce groupe l’un des cachets les plus prometteurs de la scène French Touch.

PHOTO


Vous avez commencé la musique par la formation d’un autre groupe, les Racing Seagulls… Antoine : Oui mais ça remonte à loin ! Au départ cela fait 4-5 ans que l’on joue ensemble, avec divers musiciens. On a essayé de trouver notre univers mais c’est seulement quand Pascal est arrivé (le bassiste, ndlr), que cela a fait une vraie différence. Quelque part on a l’impression d’avoir mûris pendant cette première période, de s’être trouvé musicalement. Mais il n’y a pas grand-chose de passionnant à dire sur nos anciens groupes Augustin : Il n’empêche que ces formations nous ont appris à jouer ensemble, à se connaître musicalement mais par rapport aux projets que l’on fait aujourd’hui, par rapport à PHOTO, il n’y a pas de lien direct, ni de vraie influence. Il y a dans votre rapport à la musique quelque chose de très personnel, que vous explorez depuis longtemps… Augustin : Antoine et moi, on ne vient pas vraiment d’une famille où la musique est importante, mais c’est vrai que très jeunes on s’est retrouvés là-dedans. C’est plutôt une démarche personnelle, autodidacte et je pense que ce qui fait notre originalité musicale c’est qu’aucun d’entre nous n’as appris à jouer d’un instrument dans un schéma classique. A l’âge de quinze ans, je savais que je voulais être musicien et j’ai entrainé Antoine avec moi là-dedans… Antoine : Je suis arrivé, pour ma part, à la musique, par des chemins de traverse (le théâtre, le cinéma, ndlr). J’ai mis plus de temps à me focaliser sur certains domaines. Et puis j’ai été reçu dans une école prestigieuse de cinéma (l’INSAS, ndlr), en Belgique, pour des études. Je ne pouvais pas passer à côté de cette opportunité. On commençait à mettre en place quelques créations, j’ai dit aux garçons « Ne vous arrêtez pas pour moi, j’en ai pour 5 ans, trouvez un autre chanteur », et la réponse a été unanime : Hors de question. Ils sont venus me rejoindre en Belgique et l’on a vécu tous ensemble. Ce qui est assez dingue d’ailleurs. C’est ce genre de choses qui a fait que ce groupe est aujourd’hui incassable. Et puis, je ne sais pas si tu connais la Belgique, mais ce n’est quand même pas Hawaï. Ils n’étaient pas obligés de me suivre. On a loué là-bas une maison immense pour le prix d’une chambre de bonne à Paris. On y jouait toute la nuit. Il y a une relation à l’espace et au voisinage totalement différente d’ici. Et les gens aiment vraiment la musique. Est-ce que dans l’interview, tu peux peut mettre « États- Unis » à la place de Belgique, peut-être, non ?… (Rires). En fait, vous ne seriez pas allé en Belgique, il n’y aurait pas eu de vraie émulation au sein de PHOTO ? Théo : On ne peut pas vraiment répondre. En tout cas, je ne pense pas. Mais c’est vrai que se retrouver tous ensemble nous a aidé à apprendre à mieux se connaitre et à faire naitre un langage commun. Aujourd’hui, on arrive vraiment à se comprendre. On a su créer notre bulle.

Antoine : En Belgique, on répétait tous les jours et je crois que c’est une phrase de Kurt Cobain qui dit, «Un groupe sérieux doit répéter au moins 4 fois par semaine», le temps de trouver son propre style, de se chercher. Je crois que c’est vrai. Si l’on avait eu qu’une seule répétition par semaine, dans un grand studio parisien, avec 2 heures pour jouer, nous n’aurions pas eu le temps de chercher des choses ni même de nous planter. Je pense au travail de la voix notamment. A force de s’enregistrer, d’essayer, tu trouves une voix, un timbre qui te semble être le tien et tu essaies de le traiter de telle ou telle manière, mais cela prend du temps et tu ne peux pas le faire en ne répétant que 2 heures par semaine. Théo : Pour nous, le son a une vraie importance. On le place au-dessus de la technique. Donc il est vrai qu’avoir eu la possibilité de répéter 7 jours sur 7, nous a permis de vraiment maitriser notre travail. Après l’arrivée de Pascal, il y a eu un temps d’adaptation ? Antoine : Pascal (qui n’est pas encore arrivée à ce moment de l’interview, ndlr) a toujours eu une manière très particulière de jouer, c’est quelqu’un de très mélomane. Beaucoup plus que ce que l’on pourrait attendre d’un bassiste qui se contenterait de suivre la ligne de basse. Lui, apporte quelque chose de très travaillé. On pourrait avoir, c’est vrai, un bassiste plus simple qui ne nous poserait pas de problèmes et s’en contenter, mais les problèmes que nous pose Pascal enrichissent toujours d’une manière ou d’une autre nos compositions. D’ailleurs, si vous avez l’occasion de tendre l’oreille vers ce qu’il fait, il a des lignes de basse très particulières, avec un style bien à lui. Il a vraiment trouvé sa place et affirmé son style. Augustin : Le groupe est devenu vachement plus rock à une période et c’est beaucoup grâce à lui. C’est un excellent mélodiste. Il a libéré les autres instruments qui étaient un petit peu frustré par le manque de basse. Ca a, du coup, épanoui le groupe et a permis à chacun de se concentrer sur son propre instrument. (Un temps) finalement, je me dis que l’on a toujours eu de la chance dans notre cheminement artistique. Je ne parle pas en termes de contrat ni de réussite, mais par exemple l’arrivée de Pascal, ce genre de chose… Ou le fait que tout se passe bien en Belgique. Sans chercher de bassiste, on en a trouvé un, très bon, au bon moment ! Antoine : Nous sommes nous quatre, en perpétuel mouvement d’adaptation. On aime la musique qui parle aux gens. Donc à chaque fois qu’un morceau nous parait trop compliqué, on essaie de le retravailler. Un message simple en somme, pas trop long, mais profond, qui va vite à l’essentiel, à l’évidence. On ne cherche pas à faire des choses extraordinaires. Tout le monde pourrait faire ce que l’on fait mais personne ne le fait ! Théo : Au début surtout, juste après nos premiers concerts, on centrait nos compositions sur ce qui plaisait ou non au public. On est encore aujourd’hui en


train de se remettre en question. Même si l’on est parfaitement convaincu de notre démarche artistique, on vit notre aventure à cinq : nous quatre et le public ! La femme de notre bassiste filme la plupart des concerts et cela nous permet vraiment de nous mettre face à face, de regarder les détails à améliorer, les choses qui ne fonctionnent pas… Donc chaque concert est différent ? Théo : Chaque concert diffère parce qu’après chaque remise en question, on essaie de mettre en forme un espèce de «savant mélange musical», de manière à ce qu’à chaque fois le public soit réceptif de façon différente. Antoine : Ce n’est ni prétentieux ni populiste. On n’a pas la vanité de se retrouver face à un public qui ne s’amuserait pas, on le prend donc en considération. Et puis sur scène, on essaie de ne pas s’enfermer dans une bulle, mais d’être véritablement présent et de s’amuser. Ne serait que pour moi, qui chante, être face au public, les yeux ouverts et regarder les gens, c’est quelque chose qui frappe, qui fait toute la différence, par rapport à un chanteur qui fait semblant d’être aveuglé ! Je crois savoir que tu fais du théâtre, alors tu dois connaître cela… Absolument ! Donc, en quelque sorte, pour résumer, vous faites de la musique participative ? Antoine : C’est un peu ça, oui ! Pour nous, avoir une démarche qui tient compte du public, c’est avoir une vraie démarche d’artiste. Un artiste qui se parle à luimême, que ce soit en sculpture, en peinture ou au cinéma, cela peut être très beau mais ça reste stérile. Est-ce que cette manière de vouloir à tout prix tenir compte du public n’enlève pas un peu de spontanéité à votre travail ? Augustin : Non, je ne pense pas. Si on sent que le public décroche, on se regarde, on est à l’écoute, on décide d’adapter l’interprétation à ce que le public aime. C’est une remise en question sur scène, il n’y a rien de figé. C’est d’autant plus spontané que l’on est réellement intéressé par le procédé chimique qui fera que tel ou tel morceau va plaire ou non à un moment donné. Augustin, tu parlais toute à l’heure d’une période plutôt rock. Puis vous avez dérivé vers la pop. Vous êtes à quelle frontière aujourd’hui entre les deux ? Augustin : Sur une frontière électro rock ! Pascal (qui vient d’arriver) : Mais cela se voit davantage en live que sur ce que l’on propose à l’écoute sur notre MySpace actuellement. Augustin : Le truc c’est qu’on évolue très vite. Quand on enregistre, qu’on se réécoute quatre mois après, on a envie de passer à autre chose. Ce n’est pas de l’autocritique, mais une vraie recherche d’évolution. Et l’avantage aussi de n’avoir pas signé avec un label, c’est que cela nous laisse le temps de changer, de

bouger, de prendre d’autres orientations. Et on expérimente cela en live. Vous pensez d’abord au live avant de composer ? Théo : Oui. Je pense que l’avenir de la musique, en tout cas à l’heure actuelle, se joue sur le live. Et puis, il y a un vrai plaisir personnel… Il y a un rapport esthétique assez important dans le groupe. Antoine, tu as fait des études cinématographiques, avec sans doute, une certaine influence. C’est toi qui écris les textes ? Antoine : Moi et ma femme. Oui, je suis marié, tu n’es pas obligé de le mettre dans l’interview ! Comment travailles-tu pour reproduire tes influences graphiques dans les textes ? Antoine : Tu as senti une influence graphique dans les textes ? Oui ! Antoine : C’est génial, parce que les gens n’écoutent généralement pas les paroles. Dans la construction, cela dépend. Par exemple, pour Big, on est parti de Max et les Maxi monstres, d’une esthétique enfantine, un espèce de rêve-cauchemar. Il n’y a pas de référence de film pour chaque morceau mais l’élaboration d’un univers cinématographique imagé. Si l’on sent des références, elles ne sont pas forcément conscientes donc ? Antoine : Exactement. Et comme j’écris en anglais et que je n’ai pas vraiment de référence littéraire – même si je comprends tout ce que j’écris hein (rires), j’ai des références visuelles. C’est aussi pour cela que l’on s’appelle PHOTO. Il y a l’image, la lumière, un langage simple, minimaliste, universel. Sur scène, est-ce que cela se traduit par un esthétisme particulier ? Antoine : Pas pour le moment. Nous n’avons ni les moyens ni le public pour. On a joué dans plein de petites salles parisiennes, mettre en place une vraie mise en scène déshumaniserait le concert. Et puis comme on a mis pas mal de temps à trouver notre son, nous n’avons pas vraiment défini l’esthétique graphique du groupe. On teste des trucs. Et comme le son bouge très vite, c’est assez difficile de suivre l’image. Mais dans un avenir riche et célèbre, on fera des shows à la Madonna ! Pour finir, un titre que vous écoutez en ce moment, que vous aimez particulièrement ? Antoine : Lady Dada’s Nightmare, MGMT Pascal : Wax Simulacra, The Mars Volta Théo : The Rip, Portishead Augustin : Et moi ? Myxomatosis, de Radiohead

Propos recueillis par Thomas Carrié


CHARLOTTE OC Interview publiée le 6 mars 2015

Il y a quelques mois, on vous parlait de Charlotte OC, jeune anglaise de 24 ans, qui débute sa deuxième vie dans l’industrie musicale. Burning, son nouvel EP, sort aujourd’hui. Passée par Paris en novembre dernier pour le Pitchfork Music Festival, Charlotte OC est revenue dans la capitale française soutenir The Avener, lors d’un enregistrement pour la télévision. L’occasion pour nous de rencontrer cette artiste et d’en savoir plus sur elle et sur son univers, à quelques heures de son retour en Angleterre. Le dédale d’Universal, dans le Vème arrondissement de Paris. Il est bientôt l’heure de déjeuner et je n’ai que vingt minutes pour faire connaissance avec Charlotte OC. Alors que je parcours les nombreux couloirs et escaliers du label, j’ai les yeux rivés sur mes notes. Il faut être efficace et aller vite me dit-on. Frustrant. Lorsque j’entre dans la salle de réunion, Charlotte OC vient de terminer une interview. Assise autour d’une grande table ronde, entourée de sièges mais complètement seule, elle illumine la pièce. Sourire aux lèvres, elle accepte le café qu’on lui tend et me lance un « Salut ». Longs cheveux couleur corbeau parfaitement lissés, visage angélique, regard rieur, la jeune artiste impose par sa présence. Elle me tend une poignée de main délicate. “Je suis à Paris pour quelques jours. Je travaille avec The Avener. On a enregistré l’émission C à vous, explique t-elle.” Le DJ français et l’artiste anglaise ont été mis en relation par leur label. The Avener avait

besoin d’une chanteuse pour l’émission de France 5 – le morceau est, à l’origine, interprété par Phoebe Killdeer and The Short Straws – et le label a suggéré Charlotte. “On a fait quelques répétitions et puis on a filmé. C’était vraiment sympa comme moment, surtout que c’était ma première collaboration avec un autre artiste.” Le résultat : une interprétation habitée sur le plateau d’Anne-Sophie Lapix. The Avener et Charlotte OC se sont totalement approprié le morceau de Phoebe Killder, lui donnant une dimension plus électro, presque mystique. Flashback. Charlotte O’Connor est à peine majeure et vient de signer avec le label Columbia. Elle enregistre un premier album, For Kenny. Il ne sera jamais commercialisé. A l’évocation de ce premier essai, elle sourit. Elle garde une certaine bienveillance à l’égard de cette expérience musicale, sponsorisée par Quiksilver - On peut la voir sur des vidéos d’événements de la marque de surf interpréter. Elle a déjà cette voix, cette présence magnétique sur scène. Mais le style est différent. Alors que la Charlotte de ces vieilles vidéos adopte un style de plage, short en jean, tee-shirt loose et cheveux ondulés, la Charlotte 2.0 a grandi – au même titre que son style musical - le noir est devenu sa couleur préférée et un aura mystique émane d’elle. Une sorte de personnage entre l’univers de Tim Burton et la Famille Addams. Attention quand même, de ne pas me faire ensorceler.



Tu as écrit et composé For Kenny, ton premier album, très jeune. Il est aussi très différent de ce que tu fais maintenant. As-tu eu une liberté artistique pour l’écriture des morceaux ? Charlotte OC : J’ai été signée par Columbia après un événement Quiksilver. J’ai beaucoup travaillé avec la marque et je pensais que j’étais influencée par tout cet univers lié à l’eau et à la plage. Je le trouvais très romantique. Alors que je n’ai pas du tout grandi dans cet univers là. Avec le recul, je pense que c’était un peu comme une parenthèse dans ma vie : c’était plus une vie que je voulais, pas forcément celle que j’avais ni même ce que j’étais. Je déteste la mer ! J’ai la phobie des poissons mais j’étais sponsorisée par une maque de surf, c’est comme cela. Ça n’a pas vraiment de sens. J’ai grandi dans une ville industrielle – Blackburn, au Royaume-Uni – un peu sombre et sinistre. C’est à peu près ce que je suis maintenant d’ailleurs. Quel regard portes-tu sur For Kenny, aujourd’hui ? J’étais une gamine et je m’amusais beaucoup ! J’ai vraiment eu beaucoup de chance de pouvoir expérimenter tout ça. Je pense que tout le monde devrait faire un très mauvais album et ne pas le sortir, pour pouvoir apprendre et faire mieux après ! Tout le monde devrait passer par ce schéma : être signé, être viré. Qu’est-ce que tu as fais après avoir été lâchée par ton label ? J’ai pris deux années Off et j’ai embrassé beaucoup de garçons ! J’ai expérimenté pas mal de trucs, j’ai fait la fête, je me suis levée tard, j’ai voyagé à Berlin, et dans d’autres villes. Je voulais juste être une jeune fille. Quand j’avais 16 ans, je vivais dans des chambres d’hôtel. C’est bizarre de vivre ça à cet âge. Chanter, c’est un job, un business. C’est sympa d’être dans un studio et d’écrire de la musique. Mais tu le fais avec des hommes qui ont la cinquantaine, alors que tu es une adolescente. On n’avait pas vraiment les mêmes goûts musicaux. J’avais besoin de ces deux ans pour devenir une jeune fille. Au moins le redevenir. ! Pour m’amuser, avoir le coeur brisé. A quel moment t’es-tu remis à la musique ? En janvier 2012, je me suis envolée pour Los Angeles et j’ai commencé à travailler avec Tim Anderson. On a écrit “Color My Heart” et “Hangover” ensemble. Je revenais tout juste de Berlin. J’étais toujours dans l’esprit de la ville, de ce que j’avais expérimenté làbas et de la musique que j’avais entendue. Je crois que c’est la première fois de ma vie que quelque chose me touchait autant et j’avais besoin de le dire… J’étais au Berghain (club berlinois, ndlr) et il y avait un remix techno de Bon Iver. Le club a une ambiance d’étrange église. Il y a une atmosphère très religieuse. Il n’y a pas d’horloge, tu ne sais jamais quelle heure il est. Tu es juste là pour passer le meilleur moment de ta vie. Là-bas, j’ai entendu des musiques incroyables. J’ai été très touchée et émue de ces sensations et j’avais besoin d’en dire quelque chose. Donc quand je suis arrivée à L.A, j’ai raconté à Tim ce que j’avais vécu et il m’a dit qu’il fallait que l’on fasse de la

musique ensemble. Il a très bien compris ce que j’avais à dire. Il est la première personne avec laquelle j’ai écrit aux États-Unis et ça a instantanément marché ! Les morceaux de tes deux EPs – Strange et Color My Heart – semblent assez personnels… Qu’est-ce qui t’inspire ? Certains morceaux sont à propos de moi et d’autres ne le sont pas. “Hangover” est à propos de quelque chose dont je ne parlerai jamais et que je ne veux pas expliquer. Mais ce n’est pas à propos de boire de l’alcool, on pourrait penser que ça parle de ça. Enfin si, la chanson parle d’alcool mais pas de Love Hangover. C’est un peu plus sombre. “Color My Heart” parle de ma soeur. Elle était en train de divorcer. Quand j’ai écrit cette chanson, je savais qu’elle aimait encore ce type alors qu’il n’était pas très sympa avec elle. Cette chanson est une sorte de prière que je voulais lui adresser. Quelle genre de musique écoutes-tu ? Leonard Cohen, Talking Heads, Aretha Franklin, Roberta Flack, entre autres. Mon père écoutait beaucoup de Folk et ma mère beaucoup de Soul. Je pense que c’est ce qui m’a le plus influencé quand j’ai commencé à jouer de la guitare à 15 ans. J’ai pris des cours pendant deux ou trois mois. Je ne voulais pas en apprendre trop. Je voulais travailler avec le minimum syndical et voir ce que je pouvais créer à partir de ça. C’est un vrai challenge. Quand tu es ado, tu veux toujours te rendre la vie plus compliquée. J’ai lu quelque part que tu avais passé deux ans avec ta mère, dans son salon de coiffure. C’est vrai ? Oui mais j’ai tenu une semaine ! Je n’étais pas très sympa avec les clients. Je lavais les cheveux de ces gens alors que je voulais juste faire de la musique. Je n’aimais pas trop que l’on me dise ce que je devais faire aussi. Donc oui, je ne suis pas restée très longtemps, jusqu’à ce que ma propre mère me mette à la porte ! Quand j’étais plus jeune, j’étais fascinée par ma mère ! Elle est toujours l’être humain le plus incroyable que je connaisse mais je voulais être comme elle. Je la trouvais tellement belle, je voulais faire de la coiffure pour lui ressembler ! Je pense que ce qui m’intéressait dans la coiffure, c’était le fait de créer quelque chose. Ton premier album en tant que “Charlotte OC” n’est pas encore sorti. A quoi peut-on s’attendre ? C’est difficile à dire parce que je suis toujours en train d’écrire des chansons. J’ai encore beaucoup de choses à dire. J’espère que l’écriture sera terminée d’ici septembre. Mais on ne peut jamais prévoir à l’avance. Pour le son, je ne sais pas comment l’expliquer mais je ne veux pas trop de production lourde. Je veux que ma voix soit l’élément principal des morceaux et qu’il y ait autour d’elle de petits éléments, comme les cordes sur “Color My Heart”. J’ai hâte. . 
Propos recueillis par Arièle Bonte


Interview publiée le 24 novembre 2013 Souvent la frontière peut s’avérer bien étroite entre l’hypnotique et le fun, l’envoûtant et le débordement. Avec les Twin Twin, nouveaux héros d’un slam-pop à la française, cela ne tient qu’au talent. Hip-hop, hyperactifs, bariolés mais surtout particulièrement généreux dans leur travail, l’exploration d’univers variés et la création d’une musique graphique aux couleurs uniques, le trio est le groupe français le plus incontrôlable et déroutant de l’année. Leur premier « vrai » album, comme ils disent,Vive La Vie, sorti ce mois, les raconte. Mais qui sont-ils donc ? Questions fleuves et réponses croisées.

TWIN TWIN

Commençons par le tout début. Votre rencontre et votre amitié. Cela me semble capital dans l’histoire du groupe. D’ailleurs, certaines légendes urbaines racontent qu’alors que vous aviez monté le groupe Chimère – Lorent et François – vous avez trouvé Patrick qui faisait du beatbox dans une cave… Patrick : Alors, je tiens à démentir cette information (rires). Pour être honnête, j’ai intégré Chimère en fin de vie. Le hasard a voulu qu’au moment où je cherchais un endroit où me loger, j’ai rencontré Lorent et François qui avaient une maison à Montreuil. J’y ai emménagé en même temps qu’ils me proposaient de bosser avec eux. Nous souhaitions quelque part tous évoluer et passer à une autre forme de musique…

On travaillait sans cesse, ça nous a soudé. C’est ce qui a fait naître l’amitié avant même le projet.

Et ça a collé tout de suite ? François : Oui ! Parce qu’il a fait des travaux dans la maison (rires). Patrick : En plus il y avait une cheminée ! François était le seul à répéter qu’il fallait aller chercher du bois. On ne l’a jamais trop écouté jusqu’à l’arrivée de l’hiver. Là, tout le monde était motivé pour aller en chercher ! Lorent : C’est l’histoire vraie. Il y avait pas mal d’autres artistes, c’était une vraie communauté. Chacun faisait sa musique, ses photos, ses images.

Vous êtes finalement un groupe qui est né du live… Ensemble : Totalement ! Patrick : On a surtout beaucoup de choses à apprendre de l’autre monde, le studio.

Qui s’est fait dans la bricole… Lorent : Complètement ! A l’époque, mon frère faisait de la basse et j’écrivais des textes dessus. Patrick faisait du beatbox. Petit à petit, on a trouvé ensemble un schéma qui fonctionnait, avec une boite à rythme, des gimmicks de synthé-samplé et des ajouts vocaux et notre style est né. Dans Vive La Vie, il y a ces détails, ces petits riens qui créent un univers. Nous n’avions rien mais nous faisions des concerts dans des squats. Il y en avait un mythique : le Cercle PAN, rue de Belleville où l’on a fait de très belles soirées…

J’allais y venir. Quand on vit de la scène et que l’on en dégage autant d’énergie comment appréhendes ton le travail en studio où tout est clos ? 
Lorent : C’est hyper-dur. Patrick : Désolé je te coupe mais il faut que je dise un truc. Je veux parler des textes, parce que Lorent vient



de parler du style musical du groupe mais si Twin Twin a une vraie valeur par rapport au texte, c’est grâce à lui. Il vient du slam, il a vraiment su simplifier l’écriture et mettre en valeur premier et second degrés. Lorent : (tout sourire) Merci ! Par rapport au studio, c’est vrai que retranscrire en audio l’énergie pure du live est impossible. On fait du bidouillage, des essais mais on n’est pas encore satisfaits. Patrick : C’est d’autant plus difficile qu’on fait un mélange de rock, d’électro et de Hip-Hop. François : Peut-être que la solution serait de ne sortir que des albums live (rires) ! C’est un bon concept ! A l’origine de la formation du groupe donc et de la naissance du projet, vous ne pensiez pas du tout à l’album…
 Ensemble : Pas du tout ! 
François : Les premiers morceaux que l’on a crée sont nés d’une situation maison. Patrick jouait un truc, je l’entendais, ça me donnait idée de mettre des lignes de basse dessus et Lorent d’écrire les textes. C’est comme ça qu’est née Vive La Vie, notre première chanson. On a d’ailleurs appelé l’album comme cela car c’est la première chanson que l’on a vraiment faite ensemble et celle avec laquelle on ouvre tous nos concerts… Lorent : Comme on avait pas mal de connaissances dans différents milieux : musique, squat, mode, on s’est très vite retrouvés à jouer dans pas mal d’endroits et à faire plein de dates mais l’album on n’y pensait pas du tout. D’ailleurs, maintenant quand j’y repense, je me demande pourquoi on l’a fait (rires). François : C’est vraiment une démarche spontanée. Ce qui est marrant d’ailleurs, c’est que l’on n’a jamais cherché à avoir une vraie structure de chanson. On faisait les trucs, à notre matière et c’était les gens qui nous disaient ce qu’il fallait changer… Le public a, en effet, vraiment eu une importance capitale pour vous. Au delà du live d’ailleurs, vous avez remporté plusieurs prix dont SFR Jeunes Talents et le FAIR…
 François : Oui. C’est arrivé assez vite et ça nous a pas mal aidé. C’était important et on en garde que des bons souvenirs. D’ailleurs, le FAIR nous a emmené en Colombie pendant une semaine, c’était génial ! Patrick : J’ai fêté mon anniversaire dans l’avion ! Quelle a été la réception du public colombien ? François : Énorme. Pour t’expliquer. Là-bas, il n’y a pas de train. L’équivalent du train ce sont de petits avions de ligne, même pour des trajets de 30 minutes car tout est montagneux et il y a peu de routes. Pendant qu’on jouait, des gens nous suivaient et prenaient l’avion, juste pour venir nous voir… Lorent : Les groupes internationaux ne vont pas y jouer car il n’y a pas d’économie suffisante. La grande star internationale, c’est Shakira. Du coup, quand on est arrivés, les gens étaient incroyables avec nous. Ils sont hyper friands de nouveautés et de découverte lorsque des groupes étrangers viennent jouer. C’était hyper « à l’ancienne ». Des gamins venaient nous voir à la fin des concerts pour nous dire « On voudrait les

tablatures des morceaux, s’il vous plaît » (rires). François : Je pense que cela plairait vachement aux lecteurs de CRUMB. La ville de Bogota est un mélange de New-York et Berlin, avec du high-tech d’un côté, des tours recouvertes de graffitis de l’autre, à moitié détruites, à moitié modernes mais super vivantes… Ce sont ces prix qui vous ont aidé à signer chez Warner ? Lorent : Pas vraiment. Ca nous a évidemment aidé et apporté de la visibilité mais ce qui nous a amené chez Warner, c’est notre rencontre avec Nizard Bacar (Directeur Artistique, ndlr, membre de la chaîne Ofive). Il bossait dans le label à ce moment-là et il avait entendu parler de nous. François : Il y a quelque chose qui a attiré le regard des gens du métier, en revanche, c’est la tournée de 8 dates Ricard Live Music que l’on a faite avec VV Brown et BB Brunes. C’était à chaque fois des dates de 20,000 personnes. Lorent : Et ensuite on a vachement tourné… François : On a fait un peu plus de 220 dates en une année et demie… Sans album ! Lorent : L’album, ça a été la découverte d’un autre monde. Celui de la vente et des chiffres où les dates et les lives n’ont plus d’importance. Revenons sur le studio et l’album justement. Comment avez-vous travaillé ? François : On l’a pas mal taffé pendant notre tournée au départ. On n’avait pas le temps de se poser. Lorent : On a enregistré et maquetté avec un objectif de 12 titres mais on s’est vite rendu compte que l’on n’était pas satisfaits. Patrick : Cela rejoint ce que l’on disait au début. Nous ne sommes pas vraiment un groupe de studio. Lorent : On a longtemps discuté avec Warner. Eux aussi avaient des impératifs et des déceptions. Du coup, on a fait appel ensemble à deux producteurs, Ninja et Benjamin Constant. On a travaillé ensemble, dans leur studio de Montreuil. Ils nous ont apporté leur patte et leur expérience. Ils ont joué le rôle de magiciens. On a, je crois, crée un panel de tout ce qu’il est possible de faire. On a appris énormément. Cet album représente notre parcours, nos désirs, ce que l’on a n’a pas réussi à faire, nos succès, ce vers quoi on veut aller. Avec de l’inconnu, du travail, des erreurs. C’est un vrai premier album ! Patrick : Même s’il a été dur à faire – on est passés par des phases où l’on était enfermés pendant 6 semaines en studio, sans voir la lumière du jour – cet album c’est mon premier amour, je m’en souviendrais toute ma vie. Il y a souvent en France un frein social ou culturel face justement au côté « fun » que peuvent avoir certains artistes ou projets. Vous qui avez voyagé, vous avez senti une différence de perception par rapport aux publics étrangers ? Lorent : Totalement. Et c’est hyper intéressant. En Colombie par exemple, personne ne se pose de questions. Patrick : Je marchais dans les rues en leggings et les


meufs se retournaient en s’écriant « COOL » ! Lorent : Au Canada aussi, tu peux te maquiller ou te promener nu, personne ne te calcule. Les gens comprennent le fun, ça fait partie de la culture. François : C’est parce qu’ils ont tellement froid qu’ils ont besoin d’avoir une autre vision de la vie (rires). Patrick : La France est un pays littéraire où il faut se justifier de tout et prendre le temps de tout expliquer. Or un artiste ne peut pas tout expliquer. Les démarches artistiques sont le plus souvent libres et spontanées. Je lisais récemment un article du Time, écrit par une dizaine de sociologues internationaux, qui disaient que les français ne sont jamais contents de rien, parce qu’ils ont tout et sont blazés.
 François : Exactement. Ici il y a moins de possible et tu es très vite jugé. Aux U.S, si tu montes un magasin de chaussettes et que tu fais faillite, tu peux monter dans la foulée une pizzeria, tout le monde t’encouragera. C’est ça l’Amérique (rires) ! Patrick : Le poids de l’histoire joue beaucoup. 
Lorent : Ce que l’on voit de ce point de vue là dans la musique, si on analyse, ça se traduit par deux tendances. D’un côté le « Hardcore », avec des rappeurs comme Kaaris qui gueule « j’t’encule » toutes les 2 minutes – parce que les gens ont besoin d’un défouloir – et de l’autre des artistes hyper références type Stromaé qui ont tendance à rassurer, avec beaucoup de talent… Lorent, en parlant de ce besoin de « défouloir », avant les TWIN-TWIN, tu découvres le slam. Dans cet esprit-là ? Avec un besoin de dire des choses ? Par militantisme ? 
Lorent : Dans mon cas non. 
Patrick : En soi, faire de la musique c’est déjà militer. Lorent : Exactement. Le slam est venu à moi parce que je m’intéressais à l’écriture. J’avais déjà écrit un premier roman (Un nageur en plein ciel, ndlr) et j’avais besoin de partager quelque chose. A ce moment de ma vie, c’était une façon de se rencontrer. J’ai fait la connaissance de plein de gens importants du milieu underground, hyper actifs. Aller dire mon texte était presque anecdotique. L’idéal était d’être ensemble, dans un bar miteux, quel que soit les âges et de crée une utopie, quelque chose de vrai et puissant. En cela, oui, ça a un côté militant. Quelles ont été vos influences à chacun avant la formation des TWIN TWIN ? Patrick : Pour moi, c’était essentiellement du rap. Et quand j’ai eu 13 ans, je me suis mis au métal. Je kiffais énormément le côté « White Trash », subversif… Lorent : C’est cool pour un renoi d’aimer le côté « White Trash » (rires) ! Patrick : Non mais je te jure. Quand j’allais à des concerts de métal, les mecs me disaient « Qu’est-ce que tu fous là ? », « Bah je kiffe ! » (Rires). Lorent : Pour moi, c’était le rap aussi, forcément. Et puis, plus tard, de la chanson : Brassens, Boby Lapointe, je me rappelle encore des textes. Mais la vraie claque reste et restera l’album de Lunatic,

Mauvais Œil. Patrick : Une époque que ceux qui écoutent 1995 (lire interview page 289) aujourd’hui ne comprendront jamais. C’était notre quotidien, le gris, la pluie. C’était nouveau, avec des flows complémentaires. Cet album reste le number one.vcfd force je crois. Et aussi, au delà de la musique, nous sommes intéressés par l’art, la création, la forme pure, graphique, cela rajoute quelque chose au groupe. François : Quand je te disais que lors du travail sur l’album, nous ne nous sommes pas posé de questions ni suivi une démarche construite, on faisait du dessin, en essayant de trouver quelle touche de ton il fallait que l’on mette pour donner telle couleur à la musique… Lorent : Et c’était la même chose en écriture. Les mots ont des valeurs rythmiques, bien plus que textuelles et le tout forme un schéma visuel qui accompagne les gimmicks. Finalement, on est un groupe graphique ! Travaillez-vous déjà « graphiquement » sur le prochain album ? Patrick : Oui ! On est en train de tester pas mal de choses, à base de maquettes, de bouts de textes et d’idées. En essayant d’être encore plus rigoureux qu’avant. L’artiste que vous aimeriez interdire ?
 Patrick : Damien-Jean (rires). 
Lorent : Non, lui tu peux pas l’interdire, il s’interdit tout seul ! François : Franchement ? Robin Thicke. Quand mes potes métalleux regardent le clip, ils tombent par terre de rire en pleurant tellement c’est pathétique. Lorent : Moi j’interdis Lady Gaga ! Tant qu’elle ne revient pas à quelque chose de sérieux. Il faut qu’elle arrête de prendre l’art contemporain pour un torchecul, qu’elle revienne à la musique, ce qu’elle sait faire. Même par rapport à Abramovic et ses performances, par rapport à l’engagement des artistes. Tout ce qu’elle a repris est vulgaire. Elle a institutionnalisé à elle seule ce système de reprises de références artistiques pour en faire un truc pourri ! 
En revanche, j’adorerais travailler avec KRAFTWERK. Je n’avais pas réalisé l’impact qu’ils ont eu sur l’époque aujourd’hui, avec leurs masques, leurs voix vocodées, etc. Ils étaient déjà en 2013, trente ans plus tôt. François : Totalement. Ils ont écrit la grammaire d’aujourd’hui. Patrick : Moi j’aimerais collaborer avec Booba, parce qu’il est moderne, dans l’apprentissage, les techniques, la carrière. Depuis dix ans, c’est l’un des seuls qui se maintient. Il plane au dessus des autres, chie un peu sur la tête de certains mais il a inventé son genre. Ou bien alors NTM mais il faudrait les ressortir de leur époque 90 !

Propos recueillis par Thomas Carrié. Photographie Enzo Addi. La photograhie illustrant cet interview est extraite d’un portfolio inédit du groupe, par Enzo Addi, publié lors d’une journée spéciale « Twin-Twin », le 25 novembre 2013, (Assistant photo : Kamel Bentot, Stylisme, Edem Dossou, Assistante stylisme : Bénédicte).


Interview publiée le 4 novembre 2013 « My Name Is » est à la fois un premier album et un album de la maturité. Pensé et élaboré pendant plus de cinq années et porté par des collaborations multiples et prestigieuses, il matérialise l’entrée de Cécile Cassel dans le monde de la musique. Ce n’est pas un double qu’elle convoque alors mais bien une identité nouvelle. Cécile Cassel choisit de s’affirmer avec ses codes graphiques, musicaux et un nouveau nom, piquant et à son image. Rencontre à la croisée des arts.

HOLLYSIZ

Pourquoi as-tu choisi le nom Hollysiz ? Qu’est ce qu’il veut dire pour toi ? Déjà c’est le diminutif de mon petit surnom qui est Siz depuis longtemps. Mes amis m’appellent comme ça. J’avais donc vraiment envie qu’il soit présent dans le nom et Holly c’est plusieurs choses. En anglais c’est le houx et c’est une plante qui est rouge et qui pique donc ça me plaisait bien par rapport au projet vu qu’il y avait déjà cette dominante rouge. C’est aussi un personnage de La Balade Sauvage de Terrence Malick, qui a inspiré une chanson de l’album. Je trouvais que cela sonnait bien. J’aime bien le côté doux et ciselé en même temps. C’est un changement d’identité ? Presque. C’est une manière de changer d’identité pour se rapprocher encore plus de soi. Quand on pense aux supers-héros des comics, ils mettent une cape pour se rapprocher de ce qu’ils sont profondément. C’est un peu ça, mettre une cape pour faire des choses que je n’osais pas faire avant. Comme quoi ? La musique, tout bêtement. Le fait d’avoir fait le choix de l’anglais fait d’ailleurs partie de la même démarche, une manière pudique de parler de choses dont je n’aurai pas osé parler en français. C’est comme

mettre un espèce de filtre pour pouvoir dire des choses personnelles, tout en restant proche de mon identité. Du coup, la musique c’était une évidence ? Ca a toujours été présent. Je fais de la musique depuis toujours, j’écris des textes qui au départ étaient des poèmes, des nouvelles, pour moi. Et puis un jour il a fallu que j’officialise un peu tout. Ca a pris du temps. Cet album, c’est justement l’officialisation que je n’osais pas vraiment faire. Tu as fait beaucoup de scène avant d’enregistrer. L’album est nourri de ça ? C’est un mélange de mes textes très personnels avec l’envie de faire de la musique qui marcherait pour la scène. Lorsque j’ai fait des premières parties, j’ai réécrit totalement des morceaux en sortant de scène parce que d’un coup je me disais “ça marche pas comme j’en ai envie”. La scène a imprégné l’album de partout. Le studio aussi. J’ai eu cependant la chance de faire ce disque sans pression, parce que personne ne le savait, personne ne m’attendait. Ca m’a permis de réfléchir, retravailler, prendre le temps juste par plaisir de faire de la musique, mélanger et au final de faire quelque chose qui me paraissait cohérent parce que d’un coup j’y retrouvais tout ce qui me plaisait.



Tu dis que personne ne le savait mais tu as quand même eu de belles collaborations tout au long de l’album… Elles se sont faites assez naturellement en fait. J’ai pas mal travaillé en famille. Les filles de Brigitte pour ne citer qu’elles, par exemple, sont des amis de très longue date. Aurélie (la blonde, ndlr) est une de mes meilleures amies depuis quinze ans. Ours, (le fils d’Alain Souchon, ndlr) c’est pareil, ça fait des années que l’on se connait, un jour on a improvisé à la campagne sur ce qui est devenu Daisyduke. Pour Yodelice et Xavier Quo qui ont une identité propre, cela s’est fait un peu différemment. Jai rencontré Maxime (de Yodelice, ndlr) il y a quelques années. Il m’a entendu chanter à une soirée. Il m’a demandé ce que j’avais chanté. Je lui ai répondu “Une chanson à moi”. Il m’a proposé de passer à son studio. Je lui ai fait écouter des maquettes, qui étaient des trucs faits sur Garageband que je n’avais jamais fait écouter. D’un coup j’ai eu envie et confiance et voilà comment tout a commencé. Seuls ces gens étaient au courant finalement, mais sans eux, cet album n’aurait jamais existé. Tu parlais de ton envie de faire de la musique autour de toi ? J’ai fait venir le noyau dur des gens qui m’entourent dans les premières parties, quand je jouais dans les bars, etc mais je ne l’ai jamais trop ramené non plus. Cela s’est fait doucement. Et puis, ça me faisait plutôt marrer parce que quand quelqu’un l’évoquait, c’était “Ouais, il paraît que tu prépares un album…”. Il y a eu plusieurs réactions. J’ai vu les gens suspicieux. C’était beaucoup plus sain de travailler comme ça, sans rien. L’univers graphique de l’album est très marquant, très cohérent. Qu’est-ce qu’il a déterminé pour toi musicalement ? Je n’ai pas d’explication mais depuis le tout début de ce projet j’ai cette obsession des rayures rouges et blanches qui est là. Le rouge est une couleur que je porte beaucoup, que j’ai toujours aimée. Dans la vie je suis assez cartésienne donc j’aime beaucoup les lignes, les diagonales, les perspectives, ce qui est graphique. J’ai beaucoup parlé de la verticalité mais c’est très bizarre, tout ça était très spontané en fait. Il y a quelques chose d’instinctif visuellement là-dedans. Tu as déterminé le track-listing de l’album selon cette métaphore graphique ? Le track-listing est presque ce qui a été le plus difficile à faire car il y a beaucoup d’univers qui se confrontent dans l’album, certaines chansons que l’on ne pouvait pas mettre l’une à côté de l’autre. Pour cette raison, il y a des chansons que j’ai mises de côté. Je me disais qu’il fallait une porte d’entrée et la chanson numéro 1, Better than Yesterday était une bonne porte d’entrée pour pouvoir au fur et à mesure aller vers des morceaux parfois plus exigents, qui demandent une écoute différente. The Fall par exemple est en plein milieu de l’album et dure cinq minutes. C’est un morceau très produit, je ne pouvais pas la mettre en numéro 2. Il faut le temps de rentrer dans un album. Ca été très difficile.

Quels groupes (ou artistes) actuels t’inspirent ? Il y en a plein. Les gens qui m’ont influencé ? Ting Tings, LCD Sound System, Portishead dans un autre style ou encore Radiohead. Ce sont des groupes que j’ai énormément écouté. En ce moment j’adore ce que fait Disclosure (lire interview page 174), je suis vraiment épatée par leurs propositions, le fait qu’ils aient douze ans et demi et qu’ils soient des producteurs aussi dingues. J’adore AlunaGeorge aussi (lire interview page 36). Je regarde beaucoup tout ce qui se passe en Angleterre parce que j’ai toujours été beaucoup influencée par ce pays et sa culture et que j’y ai habité. Les renouveaux musicaux partent souvent de chez eux. Bon. Et je dois avouer un petit faible un peu moins pointu pour Bruno Mars. Voilà je l’ai dit. Il faut que j’arrête de faire la faux cul (Rires). Je n’adhère pas sur tout, j’aime moins les balades, mais je suis assez bluffée par son travail. Et je dois dire que ce que j’aime beaucoup c’est l’empreinte aussi d’un autre artiste, Mark Ronson dont j’aime le travail en tant que producteur et compositeur. On ressent une certaine mélancolie à l’écoute de certains titres. C’est une mélancolie que j’ai naturellement. Plus je parle de l’album et plus je me rends compte qu’il est très personnel. Le fait d’avoir écrit des textes mélancoliques et d’avoir mis dessus une énergie parfois très contradictoire, ce qui est le cas pour Come Back To Me, c’est assez ce que je suis. C’est à dire qu’il y a la première couche de l’énergie qu’on reçoit et qui rend optimiste et en deçà, une partie très sensible voire “soupe au lait” parfois, qui se traduit par une mélancolie qui vient peut-être de l’adolescence et qui est restée, cette espèce de truc qu’on peut avoir, où tout est terrible. Cette mélancolie-là, au lieu de la réduire en quelque chose qui pourrit la vie, j’ai voulu la transformer en une proposition artistique. Cela vaut aussi certainement pour ton parcours. Aujourd’hui il est à la croisée des arts. Qu’est-ce qui t’inspire en dehors de la musique ? Tout ! Dans le cinéma, Terrence Malick ! Parce qu’il a inspiré une des chansons, Daisyduke. Après je suis très alerte des oeuvres d’un vidéaste qui s’appelle Ange Lecchia, qui travaille beaucoup sur la lumière. La lumière me fascine beaucoup, d’ailleurs c’est pour ça que le clip de Come Back To Me est rempli de lumières très différentes. J’adore aussi Egon Schiele, les expressionnistes allemands. J’aime profondément Ingres et sa manière de travailler les peaux. L’inspiration est partout, chez les gens, elle est émotionnelle. J’ai entendu l’autre jour une interview d’Oxmo Puccino qui disait « Quand les artistes disent qu’ils n’ont plus d’inspiration je leur propose de retourner dans le métro ». Je suis assez d’accord avec ça. J’ai toujours pris le métro et c’est vrai que ça résonne, c’est palpable, les gens que l’on croise, les visages, ce que l’on s’imagine de leur histoire…

Propos recueillis et textes : Lucie Rico. Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages



JAIN Interview publiée le 25 novembre 2015

Il y a quelques jours, nous avons rencontré Jain, dans sa petite robe noire et ses sneakers personnalisées. Depuis quelques mois, elle nous fait danser sur des beats ethniques, hip-hop et parfois même folk. Son premier album, Zanaka, est sorti le 6 novembre dernier. On a cherché à comprendre qui était Jain. Pas facile, au vu de son parcours atypique. Rencontre avec la plus africaine des françaises.


Qui est Jain ? Je m’appelle Jain, enfin, mon vrai prénom est Jeanne. Je suis née à Toulouse dans le Sud-Ouest de la France. Lorsque j’avais 3 ans, on a déménagé avec ma famille à Pau. Là-bas, j’ai commencé la musique en faisant de la batterie pendant 12 ans. Et à mes 9 ans, nous sommes partis vivre à Dubaï où j’ai fait des percussions arabes, notamment de la « Derbouka ». J’étais dans un lycée français, c’était la première fois que je partais hors de France et que je voyageais hors du pays. C’était un peu un choc. Après 3 ans là-bas, nous sommes allé au Congo, dans une ville du Sud, à côté de l’océan. C’est là-bas que j’ai fait mes premières compositions de musique avec Mr Flash, un rappeur et beatmaker très connu - il y a énormément de rappeurs congolais. Il faisait des rythmiques et m’a donné des logiciels pour pouvoir m’enregistrer chez moi. J’ai pu mettre mes chansons sur Myspace, où j’ai rencontré mon manager et producteur (Yodelice, ndlr). C’est à partir de ce moment-là que la musique a réellement commencé pour moi. Ensuite, j’ai déménagé à Abou Dabi pour passer mon bac et enfin, je suis retournée à Paris où je me suis inscrite en Prépa Art. Comment on fait pour se construire, lorsque l’on passe son adolescence aux quatre coins du monde ? C’est justement ce qui était assez compliqué et ce pour quoi j’ai commencé à écrire des chansons. À un moment, je me suis vraiment sentie déracinée. A 18 ans, j’avais passé la moitié de ma vie hors de France, et je ne me sentais pas non plus tout à fait française. Pourtant, je n’étais ni congolaise ni d’Abou Dabi. J’en suis finalement venue à me dire que cette question d’appartenance n’est pas liée seulement à un pays, mais plutôt à une famille. Elle concerne les gens qui nous entourent. Donc voilà, je viens de ma famille ! J’ai décidé que pour ma musique ce serait pareil et que je ne choisirais pas un camp particulier mais que j’essaierai plutôt d’apprendre de tout ce que j’ai vu et des pays où j’ai vécu. Tu as justement pleins de cordes à ton arc. Ta musique est à la fois ethnique, hip-hop, soul, folk, etc. Qu’est-ce qu’il y a dans tes écouteurs ? Un peu de tout. Il y a pas mal de hip-hop mais aussi des chansons africaines et musiques traditionnelles. J’aime beaucoup écouter les musiques traditionnelles, qu’elles viennent d’Amérique du Sud, ou d’Afrique. Il y a quelque chose de tribal, un son chaud que j’aime et que j’aimerais bien retranscrire dans mes chansons. Il y a également de l’électro, notamment Daft Punk. Ce qui est drôle c’est qu’avant mes concerts, généralement, on me demande de faire une playlist d’attente. La mienne est très éclectique, il y a vraiment de tout, ça en énerve certains (rires). Tu as dit que ton coeur venait d’Afrique et que tu aimais beaucoup la black music… Oui, c’est quelque chose qui me touche énormément car quand j’étais petite, on en écoutait beaucoup à la maison. Ma mère est d’origine Malgache, elle écoutait beaucoup d’artistes comme Miriam Makeba, Youssou

N’Dour. Et surtout, j’ai commencé la musique par la batterie et les percussions, donc forcément, il y a quelque chose d’ethnique qui me touche dans ce rapport au rythme, qui est très riche. Je t’ai vue en concert au MaMa Festival. Sur scène, tu passes d’un instrument à un autre. Comment composes-tu ? Tu fais tout toute seule ou tu es aidée par quelques musiciens ? Chez moi j’ai mon petit atelier, mon laboratoire. Je commence par faire des maquettes très « roots », pas très professionnelles où je banlances toutes mes idées et ensuite je vais au studio de mon producteur. C’est à partir de ce moment qu’il m’aide à rendre le tout plus professionnel, à l’enrichir et surtout à bien le cadrer. Car chez moi, tout part souvent dans tous les sens. Tu l’as dit, Yodelice t’a reperée sur Myspace. Quel rapport entretien-tu avec internet ? Je cherchais surtout à avoir un avis professionnel, car j’avais des retours de ma famille et mes amis, mais qui n’étaient forcément pas objectifs. J’ai donc envoyé des mails à tout le monde, j’ai eu quelques réponses. La plupart me disaient que c’était trop fouillis. J’ai reçu une réponse de mon manager actuel qui m’a mis en contact avec Yodelice. Internet a vraiment joué un rôle très important pour moi car c’était vraiment ma seule solution de partage et de communication lorsque j’étais au Congo, de par les réseaux mais aussi étant donné que je ne viens pas d’une famille qui fait de la musique ou qui est implantée ou reconnue dans le milieu. C’était le seul moyen dont je disposais pour me faire connaître. Ton premier album s’appelle Zanaka. Parle-nous-en. Et d’ailleurs, que signifie Zanaka ? Ma mère est métisse malgache, Zanaka, cela veut dire enfant en malgache. C’est un album que j’ai écrit il y a sept ans au Congo et qui a grandi avec moi, pendant toute mon adolescence, et aussi un peu plus tard, lors de mon retour à Paris. C’est un album très joyeux, assez optimiste, avec pleins d’influences. J’aime beaucoup dire que c’est un melting-pot qui mêle un peu d’ethnique, du hip-hop, de la soul. C’est un petit bordel organisé, quoi ! Moi j’ai un petit faible pour All My Days. J’ai beaucoup aimé la pochette de ton album qui fait référence à la déesse Shiva. C’est toi qui l’as imaginée ? J’avais fait la pochette de l’EP et on voulait garder cette même idée. Un peu comme avec mes chansons, nous sommes partis de ma maquette avec Paul & Martin qui sont les deux photographes. Je voulais commencer à mettre de la couleur car il y a beaucoup de noir et blanc. C’est aussi une manière de montrer ce qui se passe en live, l’idée de multi-tâche et faire aussi un petit clin d’oeil à la déesse Shiva. Cela montre la démultiplication. C’est comme créer le visuel d’une super-woman multi tâche (rires). Tu as fait une Prépa Art. Tes clips sont très visuels, y compris tes photographies et tes mises en


scène. C’est important pour toi de garder la main sur ton image ? Je voulais faire de l’Art avant-même de vouloir faire de la musique. Le choix a été assez difficile d’arrêter ma Prépa Art pour faire de la musique. Mais c’était nécessaire car je n’arrivais plus à faire les deux en même temps. J’ai décidé que si je faisais de la musique, je voulais vraiment avoir la main mise sur ce qui se passerait à l’image car c’est ce qui m’intéresse aussi et que c’est un ensemble. Je veux vraiment quelque chose de sincère et qu’à aucun moment on ne m’impose quelque chose. Généralement, c’est moi qui propose les maquettes et ce sont ensuite mes maquettes qui sont proposées à des professionnels de la photographie. Comme Coco Chanel et sa fameuse petite robe noire, tu as choisi la sobriété en portant toujours ta petite robe noire. Pourquoi ce choix ? A la base, c’était principalement pour ne pas influencer les gens. Je voulais vraiment qu’au niveau de l’image, on voit bien le contre pied avec ce que je proposes dans mon album. Je voulais quelque chose de sobre et de classique, jouer sur le blanc et le noir, que l’on retrouve aussi peut-être dans les sonorités de ma musique. Cette robe montre le contraste qu’il y a dans l’album. J’aime bien surprendre les gens par exemple lors des festivals, lorsqu’ils me voient arriver dans cet habit qui fait un peu « nonne ». Ils se demandent ce que je vais faire avant de m’écouter rapper. C’est drôle de voir leur réaction. Avant de te voir en concert, je me suis figurée que tu étais un petit peu comme un paquet cadeau dont on ne sait pas du tout ce qu’il contient avant de le déballer. Finalement, on ne sait pas du tout à quoi s’attendre en te voyant, on ne sait pas du tout quelle étiquette te donner.

C’est quelque chose qui m’a toujours fait peur car la musique, c’est quelque chose qui doit évoluer. J’ai envie d’essayer plein de choses différentes et surtout qu’on me laisse tranquille et qu’on ne me range dans aucune case. Je ne veux correspondre à aucune étiquette. Je ne veux pas que l’on m’impose de faire un style de musique particulier, je veux proposer, réaliser et vivre celle dont j’ai envie, qui est mienne.s Tu passes bientôt aux Étoiles, à Paris (à guichet fermé, ndlr) et ensuite à la Maroquinerie. Comment appréhendes-tu ces premiers concerts ? C’est plus la sortie de l’album qui me fait un petit peu peur que ces concerts. Je ne sais pas du tout comment il va être reçu. Mais pour le moment je suis très contente des live que j’ai fait et surtout d’avoir enfin pu rencontrer mon public. Les dates parisiennes seront assez émouvantes car il y aura ma famille, mes amis, les gens qui ont soutenu le projet pendant beaucoup de temps. Est-ce que tu aimerais un jour collaborer avec certains artistes ? J’aimerais beaucoup collaborer avec un rappeur, pour croiser nos univers mais aussi avec des artistes africains. Je ne me suis pas encore trop posée la question mais oui, j’aimerais beaucoup faire des collaborations et d’ailleurs pas forcément qu’avec des chanteurs, mais pourquoi pas aussi avec des artistes en général, quels que soient leurs domaines. Je vais y réfléchir ! Tu penses retourner au Congo un jour et leur présenter ta musique ? J’aimerais beaucoup. Donner un concert un jour, làbas, ainsi la boucle serait bouclée… Propos recueillis par Mélodie Ravasi.


PORTFO LIO LLUD OVIC ZU ILI ARAW Série photo publiée le 14 mai 2012









ÉMILIE

SIMON Interview publiée le 23 mars 2014

C’est l’une des personnalités les plus atypiques de la scène française. Chanson ? Pop ? Électro ? Les mondes d’Émilie Simon sont imperméables à toute tentative de classification. Artiste indépendante dans son mode de production autant que dans son inspiration artistique, distinguée par plusieurs Césars du Cinéma et Victoires de la Musique, elle revient aujourd’hui avec un sixième album au titre explicite : Mue. Après le sombre Franky Knight, ce nouvel opus est un lumineux retour vers la France où nous lui avons donné rendez-vous.

La chanson d’ouverture de votre album Paris J’ai Pris Perpète est un hymne à la belle capitale française. Qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir en France et plus particulièrement à Paris ? J’ai habité à New York pendant quatre ans. La découverte d’un autre pays, l’immersion dans une nouvelle culture, tout cela a été très important pour moi et a donné l’album Big machine. Mais cela m’a également permis de redécouvrir Paris sous un autre angle, au retour. En habitant à l’étranger, j’ai perçu des choses, une sorte de magie que je n’avais jamais eu, avant en étant étudiante à Paris. J’étais dans une autre réalité, une autre époque. Là, j’avais une sorte de distance sur la

France et sur Paris en particulier. J’ai pu voir des choses magnifiques qui prennent sens, se révèlent lorsque l’on est loin. Je crois que c’est ce qui m’a inspiré, j’ai écrit tout l’album ici, dans le Paris poétique, romantique. Comparé à vos précédents albums, dans celui-ci vous n’avez que deux chansons en anglais, c’était aussi important de revenir à la langue française ? Je crois que cela suit tout simplement ma vie. J’ai écrit Big machine alors que j’étais nourrie par une curiosité du pays, une envie de m’immerger dans la culture américaine, d’apprendre, d’absorber, d’avoir une meilleure compréhension de la langue et de la culture.


C’est ce qui m’a donné envie d’écrire en anglais d’une manière extrêmement naturelle. Ce n’est pas vraiment une décision que j’ai prise consciemment, j’étais simplement en état de réceptivité par rapport à l’inspiration. C’est souvent ma vie et son contexte qui vont orienter mes inspirations. J’ai passé plus de temps ici et j’ai eu l’envie de creuser cette facette romantique parisienne : l’Amour, Paris, comment je l’exprimerais en musique… Cet album comporte une orchestration très riche, comme si tout votre univers synthétique avait fusionné avec quelque chose de plus organique. Parlez-nous de la composition même d’une chanson, de la finition d’un morceau à une orchestration complète, avezvous déjà une idée précise du rendu final ? Cela dépend des titres, certains viennent déjà avec leurs orchestrations. Paris J’ai Pris Perpète venait naturellement avec des cordes, des cloches, une espèce de peinture sonore. C’est très cinématographique aussi. Certains morceaux me font des surprises, je les écris, ils existent en piano-voix ou guitare-voix et puis d’un coup j’essaie une programmation qui m’emmène complètement ailleurs. Un peu comme un voyage. Parfois je vois très bien là où je vais et c’est très clair, d’autres fois, j’avance à petits pas, je découvres où je suis, à tâtons et je ne sais pas trop où les choses me mènent. L’album débute par un hymne à la capitale avant de nous mener vers d’autres altitudes, de nous diriger vers différents registres musicaux que vous n’aviez pas encore ou très peu abordé avant, notamment des influences latino-cubaines dans Encre, un registre asiatique avec Perdu Dans Tes Bras. Avez-vous entièrement réalisé cet album ? Oui. J’ai réalisé l’album mais aussi collaboré avec des artistes, producteurs et réalisateurs que j’ai invité pour l’occasion : Tahiti Boy, Ian Caple, et David Kahne à New York qui a aussi travaillé avec nous. C’est un album que j’ai réalisé comme les précédents, mais pour la première fois je n’étais pas entièrement seule à prendre toutes les décisions de production. J’ai invité des gens à avoir une vision extérieure sur certains titres. C’était très enrichissant, on apprend toujours des collaborations. Un réalisateur comme Ian Caple a tellement d’expérience, qu’il arrive avec ses « bagages » et sa bienveillance, ce qui m’inspire forcément ou me donne envie de développer plus ou moins certains aspects de la création. Certaines collaborations m’aident à aller plus loin, à me pousser, à être plus audacieuse. D’autres m’encouragent à être plus classique, cela dépend et c’est toujours très enrichissant. Cet album est en fait très international, parce que je lai enregistré à Paris, puis les cordes et les cuivres à Londres et à New York j’ai mixé et enregistré les voix. Parlez-nous de la pochette de l’album où vous vous mettez littéralement à nue. Il y a quelque chose de très épuré, parfaitement serein. J’ai travaillé dessus avec un artiste qui m’a proposé plusieurs idées. Sur celle que l’on a retenue, j’aimais

le côté « peau », très nue, comme si le visuel portait des émotions écrites sur le corps. J’aimais aussi le contraste avec le livret sur l’édition limitée où l’on raconte l’histoire d’amour qui passe par différentes météos intérieures pour finalement tourner la page et passer à autre chose. L’image laisse sa « mue » et accepte de laisser des choses dont on a plus besoin, de se renouveler. Vous êtes une artiste touche-à-tout. Vous composez, jouez, arrangez, chantez. Aujourd’hui vvous endossez également la casquette de metteur en scène pour votre clip Menteur que vous avez écrit et réalisé, seule... J’ai adoré imaginer, écrire l’histoire, oui. Il y en avait plusieurs d’ailleurs avant celle-là, parce que j’ai beaucoup tourné autour du sujet de Menteur, la façon dont on pouvait travailler avec ce morceau. Il y tellement de possibilités, c’est incroyable. Écrire l’histoire, trouver l’équipe, m’amuser à me trouver des personnages, faire le casting, trouver des visages que je voulais projeter, des lieux, des décors, les essais d’images, les différentes textures possibles, c’était un tout absolument fabuleux. Le clip a été tourné aux États-Unis avec une équipe de Los Angeles qui a été superbe. Ça a été une incroyable expérience en tant que réalisatrice. Ils ont été super, eux-mêmes réalisateurs. Jai été très bien entourée et je n’aurais pas pu imaginer une meilleure première expérience. J’adore cela en fait, imaginer une histoire, d’un bout à l’autre. Peu de réalisateurs ont également la capacité de savoir réellement mettre en scène. Ce n’est pas simple, c’est vrai.. Mais tout s’est très bien passé et je suis ravie du résultat. Faire les deux c’est certain que ça n’a pas été facile mais je n’imaginais pas le tournage autrement. Votre univers musical est souvent rattaché au domaine cinématographique, décrit comme étant très visuel. Le bonus track Wicked Game de Chris Isaac est grandement rattaché à Sailor et Lula de Lynch. Est-ce un hommage ? Je crois qu’il y a beaucoup de choses. C’est vrai qu’il y a l’univers cinématographique, mais j’avais aussi fait un duo avec Chris Isaac il y a deux ans pour Taratata. On s’était rencontrés et on avait fait notre duo sur Blue Hotel. Il avait aussi été question de le faire sur Wicked Game à un moment, je l’avais écouté et j’avais adoré. Je pense que c’est plus un clin d’oeil, un petit hommage, mais c’est effectivement aussi des morceaux qui sont dans des films cultes pour moi, cela marche à plusieurs niveaux. Quel est l’intérêt pour un artiste d’avoir autant de liberté, de contrôle concernant toute la conception d’un album. Est-ce qu’il n’y pas une limite à ne recevoir de l’aide d’aucun regard extérieur ? Je ne sais pas. D’abord c’est ce que j’ai envie de faire et cela me remplit de bonheur de l’imaginer. J’ai des


idées, je sais ce que je veux donc je n’ai pas tellement le réflexe de demander aux autres. On se tourne vers des personnes dans les domaines où l’on n’a pas accès car on n’a pas les connaissances. Je m’entoure donc de gens qui savent faire, mais quand je m’en sens capable, ou que j’ai envie de développer quelque chose et d’apprendre, je fonce, je n’ai jamais su faire les choses autrement. Je racontais cette histoire au premier album. Cela fait longtemps que je ne l’ai pas racontée donc je vais vous la dire. Quand j’étais petite on m’a offert un album de Kate Bush et j’ai adoré. Je me souviens très bien qu’avec mon regard d’enfant, quand je tenais ce disque, que j’écoutais la musique tout en lisant les paroles dans le livret, je voyais son visage en photo sur la couverture, je la voyais, elle. Je voyais ses mots, je voyais que c’était elle qui avait écrit et pour moi c’était normal. Je ne pouvais m’imaginer que d’autres artistes chantaient les mots d’autres personnes. J’ai grandi en écoutant des artistes qui ont développé un univers fort et personnel. Il y avait Kate Bush, Joni Mitchell, aussi. Adolescente, j’ai découvert Björk. Ce contrôle, c’est une façon de faire, une philosophie. J’ai envie de développer un maximum de choses dans la limite de mes capacités mais je pense que l’on a tous des compétences illimitées pour rejoindre ce que tu dis. Il faut juste se donner le temps pour bien diriger son objectif et au moins essayer. Cet album est très ouvert, très riche, comment allezvous le transposer sur scène ? On a commencé les répétitions la semaine dernière. Il y a beaucoup de changements par rapport aux albums précédents. Nous avons simplement fait un seul concert pour Franky Knight. Avec The Big Machine, nous étions trois sur scène et c’est vrai que le pari de cet album était de pouvoir tout gérer. J’étais au contrôle de tout ou presque, j’avais quatre claviers, quatre pédales, l’ordinateur, le micro, le bras, etc. J’avais envie de voir jusqu’où je pouvais aller en m’occupant de tous ces postes. Aujourd’hui, je n’ai plus du tout envie d’aller dans cette direction-là, en live, contrairement à la réalisation d’ailleurs. Pour le coup-là, j’ai envie de m’alléger de plein de choses. Je crois que j’ai envie d’être vraiment avec les gens et de chanter tout simplement, sans forcément faire plusieurs choses en même temps. Sur scène, cela va être intéressant de me retrouver finalement plus comme au premier album où je jouais de temps en temps des instruments, mais n’étais pas systématiquement derrière le clavier, j’étais un peu plus libre de mes mouvements. Comment se passe votre relation avec le public sur scène ? Je suis super contente de pouvoir bientôt retrouver mon public, ça me rend tellement heureuse.

C’est assez étrange car on écrit des morceaux au départ pour nous et finalement, l’envie de les partager avec d’autres personnes surgit. Faire vivre les morceaux sur scène, c’est juste fantastique, c’est une forme de communication, de communion parfois. Il y a des choses magnifiques qui peuvent se passer sur scène, rien qu’avec des notes de musique et du chant. Lorsque tout cela se transforme dans la même pièce, c’est super. Cela me manque énormément, entre deux albums. J’ai hâte. Qu’avez-vous découvert récemment qui vous a permis d’enrichir votre domaine musical ? La Côte Ouest des États-Unis, la Californie, les couchers de soleil de l’Arizona, il y a beaucoup de cela dans l’album. Les grands espaces assez épiques, c’est un mélange entre de nombreux lieux et d’images qui ont défilé devant mes yeux et qui défilent aujourd’hui dans ma tête.

Propos recueillis par Louise Autain


Interview publiée le 25 novembre 2011 Charlie nous a mordu… Chez Shakespeare & Co, ou la librairie anglaise de Paris. Nous nous sommes faufilé, le temps d’un instant, parmi les étagères, remplies d’illustrations, d’histoires et d’odeurs de papiers noirs ou jaunis, à la recherche de Charlie. Et de son nouvel album « Running Still ».

CHARLIE WINSTON

Au delà de tes succès artistiques et médiatiques, particulièrement en France d’ailleurs, nous savons finalement peu de choses sur toi. D’où viens-tu Charlie ? Par où commencer ? Pendant longtemps, j’ai joué dans des clubs et bars à Londres, dans différents groupes, avec mon beau-frère, à la fin des années 90. Assez rapidement, nous avons signé un contrat avec une maison de disques. Je me suis mis à écrire ma propre musique, de mon côté, à voyager à travers l’Europe… J’ai rencontré des amis, qui sont aujourd’hui toujours là. Et puis, un jour, un CD que j’avais enregistré avec l’aide de Peter Gabriel tomba dans les mains de Marc Thonon (Monsieur Atmosphériques, le très joli label français, fidèle partenaire de Crumb, ndlr). Ma musique lui a plu. Il a voulu produire un album sur-le-champ. Nous avons pris notre temps – huit mois – pour enregistrer mon premier “vrai” opus et « préparer le terrain » afin d’avoir la meilleure réception possible. Je parle de celle du public. Hobo est sorti en janvier 2009 et c’est devenu dingue : les français se sont rués dessus dès le début. Je ne m’attendais vraiment pas à une telle ampleur. En deux ans, j’ai vendu plus d’un demi-million d’exemplaires de l’album. Et maintenant, me voilà, devant vous. J’ai arrêté la promo de Hobo il y a bientôt un an. 2011 m’a permis de repenser ma manière de travailler. Je suis parti un moment à Los Angeles, c’était assez difficile d’enregistrer à nouveau en France. Tout était miroir, tout ce que je regardais semblait appartenir au personnage de Hobo, alors je me suis exilé quelques temps pour puiser quelque chose de nouveau en moi. Je viens de là. Cela répond à ta question ?

Absolument. Aujourd’hui te voilà de retour avec Running Still, peux-tu nous en dire quelques mots… Tout un tout nouvel album, oui. J’y ai beaucoup pensé, réfléchi. Hobo, de son côté, s’était construit et développé des années durant. Après cela, je ne savais pas vraiment où j’allais, mais ce dont j’étais certain, c’était une sensation que j’avais envie de transmettre. Running Still laisse transparaître un sentiment de laisser aller, pour s’échapper et prendre le temps d’être spontané. L’album est né d’un mélange de solitude et de mélancolie. Il illustre de manière très juste le fait qu’en travaillant pendant deux ans, en gagnant expérience et succès, j’ai compris que plus on est au centre des attentions, plus la solitude nous gagne. C’est ce dont cet album parle, au fond. On le ressent dans le premier extrait, qui porte d’ailleurs bien son nom, « Hello Alone »… Oui. C’est une sorte de solitude accueillante, comme avec un vieil ami dont tu pensais t’être débarrassé, dans ta tête mais qui est toujours là, au fond de toi. Il me semble que c’est le seul morceau cependant qui ressemble à peu près à l’univers de mon premier album, celui pour lequel les gens me connaissent. Il rappelle aux gens qui je suis. J’avais besoin, je crois, de cette chanson, besoin de convier à nouveau les gens, de leur dire « C’est toujours moi, mais je vous emmène ailleurs, cette fois ». Propos recueillis par Bastien Internicola. Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.


Interview publiée le 15 janvier 2011 “Tout dire en très peu de mots…” Une rencontre, un destin ont fait de La fiancée ce qu’elle est : une chanteuse à la fois touchante et enivrante. Pas vraiment le hasard. Petite, déjà, elle s’amusait à faire des vocalises devant ses frères et soeurs excédés. De cette enfance, elle a gardé quelques traces de sublime enfouies quelque part dans sa rêverie amoureuse…

LA FIANCÉE

Tu baignes dans la musique depuis toute petite. Or il a fallu attendre la rencontre avec Edgar Ficat et Florent Marchet pour qu’un univers et des chansons se mettent en place. Tu y pensais avant ou bien ces rencontres ont créent le déclic ? Je n’y ai jamais pensé une seule seconde ! Si on m’avait dit que j’aurais un jour mes chansons sur un CD, j’aurais certainement rigolé. Mais il est vrai que je baigne là-dedans depuis toute petite. Mes parents se sont rencontrés en faisant de la musique et cela a toujours complétement fait parti de ma vie même si j’ai arrêté après le lycée parce que j’avais juste autre chose à faire. Edgar m’a mis devant un micro un soir. Il cherchait justement une chanteuse. Sans cela je n’aurais jamais essayé. Il avait des mélodies libres, sans trop de paroles dessus. Moi je venais de me faire larguer donc j’avais beaucoup de choses à dire (rires). On a fait une première chanson, on l’a mise sur Myspace et très vite on a été contactés par un producteur.

Quel souvenir gardes tu de ton rapport à la musique pendant l’enfance ? Quelque chose de très apaisant. Ma maman me chantait tout le temps quelques chansons pour m’endormir, des titres de Joan Baez et de choses comme cela, que j’adorais. Et puis je faisais de la danse classique, donc j’avais en même temps une ouverture sur le Folk par mes parents et sur la musique classique par la danse. J’en garde un grand plaisir, celui des souvenirs de vacances où l’on chantait en voiture, un peu comme tout le monde, mais mon grand bonheur c’était surtout de faire des harmonies vocales avec mes parents, de chanter à deux, trois voix. On rigolait bien et j’emmerdais énormément mes frères et sœurs qui détestaient cela. Et ton rapport aux sixties ? Car on t’en parle beaucoup… Oui ! On m’en parle énormément et finalement je n’en ai pas tant que cela. Je suis plutôt seventies dans


mes influences musicales. Ce qui touche aux années 60, je l’ai atteint plus tard, par le biais de la chanson française, France Gall, Dutronc, des artistes comme ça. Rien qu’au niveau de l’image c’est magnifique, hyper pop, coloré. C’est une époque qui paraît formidable. Je ne sais pas si je m’y serais sentie bien mais quand tu regardes cela avec du recul tu t’aperçois qu’ils étaient tous beaux à cette époque-là, jeunes, fringants, le monde était en train de s’ouvrir, il n’y avait pas de crise. Ils avaient certainement bien d’autres problèmes mais en tout cas pas ceux que l’on connaît aujourd’hui. Tu as justement repris quelques chansons d’artistes de cette époque et d’autres, plus contemporains, comme Benjamin Biolay… Oui ! J’adore Benjamin Biolay. Je trouve incroyable qu’il soit juste reconnu par le public maintenant alors qu’il a donné vie à des perles musicales incroyables, depuis le tout début. En reprenant des chansons qui te plaisent, tu donnes à entendre finalement un jukebox personnel en plusieurs EP, un peu comme une collection de 33 tours… Exactement ! C’est un objet que j’aime énormément. Et puis il y a un truc génial dans le fait de sortir des disques à 4 chansons : c’est beaucoup plus court donc, comme dirait mon ami Edgar, si tu te plantes sur un 4 titres c’est beaucoup moins grave que si tu te plantes sur un album. Tu peux prendre plus de liberté, plus de risque, tu t’ennuies moins. Faire des reprises, c’était aussi pour moi l’occasion de chanter en anglais – chose que je n’aurais pas tenté sur un album entier. Enfin, je me suis lancé un mini défi. Celui d’arranger le troisième EP. Pour les précédents j’avais fait appel à Florent Marchet et à Julien Ribot sur le deuxième. Là, on a vraiment fait cela avec les garçons, qui m’accompagnent sur scène. On a passé des journées de pré-prod, à écouter, essayé, choisir les arrangements qui nous plaisaient. Et puis après on ne les a plus écouté du tout, on les a un peu bousculé pour se les réapproprier et j’ai complètement oublié la question… (Rires). Je parlais de jukebox personnel… Oui ! C’est cela ! C’est un excellent moyen de faire connaître mes influences musicales et en même temps je me suis énormément demandé si ce n’était pas une erreur car reprendre les chansons d’un artiste que tu aimes est toujours un pari risqué. Si tu fais moins bien que ce que tu espères notamment. En même temps, si tu te poses trop de questions, tu ne fais plus rien ! Alors voilà, j’ai livré ma version des choses et j’en suis tout de même assez satisfaite. J’ai lu que tu comparais ces sortes de mini disques à des nouvelles de roman. Est-ce que justement plutôt que de passer par la musique, tu n’as pas envie de t’essayer à la littérature ? A vrai dire, tout est toujours venu par le texte – j’ai fait des études littéraires, c’est quelque chose qui me tient à cœur – dans le principe de nouvelles, c’est qui me plait, être capable en très peu de temps – et cela a

aussi un rapport avec la chanson – dans un texte très court, de raconter une histoire poignante. Tout dire en très peu de mots. C’est quelque chose de super compliqué. C’est un défi à chaque fois et c’est en même temps super agréable à faire. J’aurais dû mal à faire des descriptions longues parce que ce n’est pas comme cela que je suis non plus. J’aime bien synthétiser et m’accrocher à certains détails qui vont tout de suite créer une ambiance, un personnage, sans tout dévoiler. Et c’est cela qui est aussi intéressant dans les chansons, en tout cas les miennes, il y a toujours une part d’autobiographie mais elle est toute petite et j’essaie de faire précis tout en restant universel pour que tu puisses toi garçon – alors que je suis une fille – trouver des choses qui te parle dans mes textes. Les arrangements musicaux sont relativement minimalistes, très intimes. Comment tu les as travaillés ? Comme j’enregistre mon travail en plusieurs parties, j’arrive chaque fois en studio avec une expérience un peu plus forte et un peu plus d’idées. Au début j’avais vraiment envie de toucher à la musique mais je ne connaissais rien du langage musical – un peu comme quand tu demandes à un petit enfant, qui n’a que 400 mots de raconter une histoire précise. C’est beaucoup plus facile une fois que tu en as 40 000 pour pouvoir t’exprimer. Pendant le premier E.P, j’ai beaucoup observé Florent (Florent Marchet, ndlr). J’ai eu de la chance qu’il m’intègre dans le processus de création dès le départ. Pour le deuxième, on a travaillé davantage en amont, sur ce que j’aimais, les ambiances que je voulais donner à telle ou telle chanson et puis il s’est passé beaucoup de choses en studio. Notamment, au Studio Gang, qui était le studio de Michel Berger, où l’on travaillait à 2 heures du matin. Il y avait une ambiance très bizarre. On avait préparé beaucoup de choses, pour au final n’en garder que quelques-unes. Et là, sur le dernier EP, on est arrivés avec de simples bases et l’on a tout construit en studio (La Fabrique, à St-Rémy de Provence, ndlr). Pour le prochain, je m’investirais encore davantage. Je ne sais pas encore avec qui je vais travailler. C’est cela que j’aime beaucoup d’ailleurs et que je souhaitais : quelque chose de très spontané. Tu es aussi rédactrice de mode ! Est-ce que cela a une influence sur tes créations ? Oui. Je pense qu’il y a un rapport. La musique et la mode ont toujours été intimement liés et les musiciens sont la plupart du temps une grande source d’inspiration pour les créateurs. Ce qui est génial dans la mode, c’est que l’on est toujours en avance – on travaille six mois à l’avance sur les collections de l’été prochain. Et puis, la mode a un aspect sociologique. Tout ce qui s’y passe y est politique. Cela oblige à être curieux et à rester ouvert sur pleins de choses. Il y a aussi un truc dont je me suis rendu compte le jour où j’ai commencé à écrire: le processus de création d’une chanson est le même que celui d’un vêtement : on part d’une base, une matière, un tissu ou bien un instrument, un matériau, une guitare et l’on brode au


fur et à mesure, on construit, on réajuste. C’est une histoire de style, de précision, de coupe, de rigueur. Il y a un endroit où tu aimes écrire ? Dans les cafés, dans les trains ! Le paysage qui défile, ne plus penser à rien ou bien observer les gens. L’inspiration naît aussi quand tu as tout un tas d’autres choses à faire : en trajet, dans le métro ou quand je suis super occupée, super pressée et là, ça vient, c’est horrible et il faut pouvoir s’arrêter. Si tu devais travailler ton quatrième E.P à partir d’une B.O de film ou de l’univers d’un cinéaste. Ce serait qui ? Quoi ? C’est assez marrant que tu me demandes cela car je me mets, depuis peu de temps, à regarder les films de façon monomaniaque ! Là je viens de finir le coffret Buñuel, que je ne connaissais pas bien. Deux, trois idées me sont venues, dans le rapport hommes et femmes, le rapport à la séduction, à la bourgeoisie. J’ai acheté tout un coffret Rohmer et Romy Schneider. Je suis assez dans des choses comme cela, très parlées, posées. Rohmer c’est génial, ce sont des

structures scénaristiques qui se développent au fur et à mesure. Je ne peux donc pas encore répondre à la question, mais j’y suis en plein dedans ! L’album complet, c’est pour bientôt ? Je considère que l’album est sorti en plusieurs morceaux au fur et à mesure. On risque de livrer au public un format coffret et un format plus classique, avec 11 ou 12 titres ou 13. J’aime bien le chiffre 13, pour en finir avec les superstitions ! Je ne sais pas si je garderais toutes les chansons, notamment les reprises. Elles ont un intérêt pour moi, en tant que disque à part entière, mais après sur l’album, est-ce que ce sera nécessaire ? Je ne suis pas sûre. J’aime bien aussi l’idée que les versions sur les anciens EP ne soient pas vraiment les mêmes que sur l’album, histoire de leur conserver une vraie identité. La question que l’on ne t’as jamais posée et ce que tu y répondrais ? Est-ce que tout cela me rend heureuse ? Oui ! Propos recueillis par Thomas Carrié


LULU GAINSBOURG Interview publiée le 25 novembre 2011

Au coin de la rue Etienne Marcel, à Paris, Lulu Gainsbourg patiente, chapeau sur la tête, en utilisant la table comme un instrument à percussions, il tapote un rythme binaire. J’entre le saluer, il est timide mais souriant. Au premier abord, se retrouver face à Lulu Gainsbourg c’est comme toucher du doigt une infime partie mythique de l’histoire de la chanson française. Mais Lulu n’est pas que le « « fils de », c’est un véritable artiste. Franchement pas dégueu’ comme dirait l’autre…

Depuis le Petit Lulu du Zénith 89, où à l’époque vous étiez l’enfant-star le plus médiatisé, jusqu’à aujourd’hui, la sortie de votre premier album, ou étiez-vous ?
 J’étais sur le point d’arrêter mes études pour devenir acteur et puis j’ai vécu pas mal d’aventures et voyagé ici et là. En 2001 j’ai rendu, en compagnie de ma mère (Bambou, ndlr), cet hommage à mon père avec la chanson Ne dis rien, et dernièrement la chanson Quand Je Suis Seul pour Marc Lavoine en 2010. Cet album aujourd’hui, From Lulu To Gainsbourg, je l’ai fait sur un coup de tête. Avec un ami. Je me suis dit que c’était le moment. Peu importe les critiques, je le fais pour mon père. Comme un message personnel.

Que représente le voyage pour toi ? L’apprentissage. J’ai découvert de nouveaux peuples, de nouvelles atmosphères, c’est un continuel renouveau. J’ai eu la chance d’avoir un père qui a très bien réussi, ma mère qui m’a très bien élevé, je n’ai manqué de rien quand j’étais petit et je ne manque toujours de rien aujourd’hui. Mais j’ai également eu la chance d’aller en Inde et de découvrir justement tout le côté inverse. Et pourtant il y a une telle richesse à travers chaque personne que tu vas croiser. Ils sont heureux alors qu’ils n’ont rien. Quand je vois des gens ici en France qui se plaignent pour des choses superficielles, je trouve cela assez injuste.

On a l’impression qu’une place importante a été laissée à l’improvisation et à la spontanéité… Oui c’est vrai. Surtout dans l’enregistrement. Il y a beaucoup de titres aux couleurs jazz, qui permettent ce genre de liberté. Mon père adorait le jazz, il a commencé comme cela. C’est une musique qui me touche. Le classique aussi.

Es-tu déjà retourné au 5 bis rue de Verneuil ? (L’hôtel particulier de Serge Gainsbourg à St Germain- des-près, où Lulu a grandi jusqu’à la mort de son père en 1991, ndlr). Oui ! La dernière fois c’était en juin. L’avantage c’est que je peux entrer à l’intérieur, il y a toujours une grande énergie. L’âme de mon père y est toujours présente. Je la sens.

Quel genre de classique ? Plutôt contemporain ? Surtout la période classique romantique. La musique classique a un pouvoir en plus par rapport aux autres musiques. Elle peut vous déstresser, vous mettre dans un état euphorique ou bien vous bercer.

Propos recueillis par Aurélien Lovalente. Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.


JAMES VINCENT

MCMORROW Interview publiée le 13 janvier 2014

On retrouve dans le nouvel album de James Vincent McMorrow, Post Tropical, un aspect très envoûtant, un je-ne-sais-quoi d’orchestration qui rend le tout particulièrement puissant. L’idée de ce nouvel opus lui est venue alors qu’il était encore en tournée. Il y a là-dedans, une envie de faire quelque chose de nouveau chez lui…

Vous semblez attacher une importance primordiale à l’orchestration, avez-vous réalisé vos propres arrangements ? Oui, j’avais une idée assez précise du rendu que je souhaitais avoir. J’ai essayé d’aller plus loin dans le travail autour de l’orchestration, en cherchant de nouveaux instruments qui pouvaient illustrer certains sons. Par exemple dans une des chansons, j’ai essayé de reproduire d’un point de vue musical le son d’une cascade, ce qui fonctionne plutôt bien. Avez vous ressenti le besoin de vous retirer pour composer comme pour votre précédent album ? Oui. Il est étrange de se retrouver seul face à soimême, surtout après avoir passé plusieurs mois entouré d’une équipe et après avoir voyagé un peu partout mais c’est le seul moyen que je connaisse pour composer. Parlez nous de ces voyages. Que vous ont-­ils apporté ?

Tous les endroits que j’ai visité ou découvert m’ont apporté quelque chose au niveau culturel et m’ont ouvert l’esprit. J’ai particulièrement aimé passer du temps au Texas où il y avait un vrai côté exotique. C’est aux États-Unis que tout arrive, c’est le pays de la musique moderne. Il y a eu quelques désillusions, bien sûr, mais c’est comme un rêve d’enfant de pouvoir aller jouer là bas. Pratiquement tous les artistes que j’admire viennent de là. Vous serez en concert à Paris le 20 février prochain, à La Maroquinerie. Comment abordez-vous votre relation avec le public ? Tout dépend du pays et c’est assez déroutant d’ailleurs. Par exemple, la première fois que j’ai donné un concert à Paris, les gens étaient beaucoup plus silencieux, à l’écoute. Je n’attache pas cependant pas trop d’importance à la réaction du public. C’est même assez marrant de se dire que certaines personnes vont détester ce que tu fais ou y être complètement impassibles dans un premier temps.



C’est à dire ? Eh bien, la plupart de mes albums préférés sont ceux que j’ai détestés ou qui me dérangeaient profondément. Par exemple la première fois que j’ai entendu The Boxer de The National, cela m’a totalement insupporté. Je n’aimais pas sa voix, son look, la structure des sons. Aujourd’hui, avec le temps, c’est sûrement un de mes albums préférés.

Eye Signal de Jon Hopkins. J’ai décidé de lui laisser toute liberté pour réaliser le clip à sa façon. Je n’ai pas voulu m’imposer car je ne suis pas réalisateur, j’ai totalement confiance en sa vision artistique. Le clip qu’elle a fait venait de son propre ressenti. Le fait de faire réagir un artiste et d’apporter sa pierre à l’édifice d’un autre artiste est toujours extrêmement enrichissant.

Comment avez-vous changé d’avis ? Je ne sais pas. Je ne pouvais pas m’empêcher de revenir dessus, de le réécouter tellement je le détestais. Je ne dis pas que c’est la réaction que j’aimerais forcément provoquer chez les gens mais le nombre de personnes qui écoute un album et l’aime immédiatement rate quelque chose. Il faut passer outre le fait d’aimer un genre de musique et essayer de creuser un peu plus. Pour moi, l’intérêt de faire de la musique c’est de trouver le lien entre quelque chose de beau et d’intéressant sans avoir peur de provoquer une réaction chez l’auditeur, bien au contraire, qu’elle soit positive ou négative.

Pourquoi avoir choisi Cavalier comme premier titre extrait, pour promouvoir votre album ? Parce que je ne voulais pas introduire ce nouvel albul par une chanson dans la lignée du précédent. C’est audacieux mais je voulais que les gens sachent tout de suite que ça allait être différent, surtout au niveau de l’aspect esthétique !

Lorsque vous composez, pensez-vous aux émotions que vous souhaiteriez transmettre ? Lorsqu’on compose seul, on est obligé d’être son seul public. Tout ce que je fais est personnel. Je suis devenu un fan de musique dès l’instant où j’ai commencé à en faire. Quand on travaille dur, on a envie d’être autant impressionné par le travail des autres que par le tien, pas d’un point de vue narcissique bien sûr mais ceux qui font de la musique pour l’argent ou le succès se trompent. Vous devez avoir de nombreuses influences qui vous ont toujours marqué depuis votre enfance, mais récemment, qu’avez-vous découvert dans les autres domaines artistiques qui a enrichi votre univers musical ? Take Care de Drake a eu un énorme impact sur moi. Il m’a surtout impressionné au niveau de la production. C’est un génie dans le sens où il trouve les meilleures personnes et les meilleures idées à placer dans un contexte moderne. Il a osé mettre certains types d’orchestrations là où on ne s’y attend pas, et ça marche. Dans un autre registre, j’ai vu Gravity récemment, un des meilleurs films que j’ai jamais vus. J’adore le réalisateur (Alfonso Cuarón, ndlr). Il a su créer quelque chose de brillant et qui a eu un succès mondial alors que le sujet ne tourne qu’autour d’une seule et même personne. La plupart de mes films ou albums préférés sont de gros succès commerciaux. J’adore l’idée que quelqu’un puisse faire à la fois quelque chose d’ingénieux et commercial et qui va par conséquent s’adresser à un large public. C’est beaucoup plus difficile à faire que quelque chose de faussement artistique qui ne va s’adresser qu’à un groupuscule ou un public niche. En parlant de cinéma, vous avez travaillé en collaboration avec Aoife McArdle pour votre clip et allez en faire une trilogie… Oui, c’est vrai. Elle est en train de travailler dessus. J’avais énormément apprécié son travail sur Open

Propos recueillis par Louise Autain
 Photographies : Yann Morrison, pour Crumb magazine


BEN

HOWARD Interview publiée le 25 novembre 2011

« Le problème, lorsque je viens à Paris, c’est que je n’ai le temps que de fréquenter salles de concerts et cafés et très peu la ville au final ». C’est sur ces mots que Ben Howard commence notre entrevue à l’heure du déjeuner, à quelques minutes de son premier grand rendez-vous dans une radio française. Le temps manquait, alors nous ne nous sommes pas assis. Nous avons préféré nous balader et parler en marchant, dans le dédale des rues du 1er arrondissement de la capitale. Le temps, peut-être, qu’il voie enfin Paris. Des échanges entrecoupés de rires, d’attention aux rues que l’on traverse et aux voitures qui luisent sous la lumière de l’automne. Je pose une première question à Ben, qui rêvasse. Il me répond « Beautiful day isn’t It ? »…

Tu fais partie des artistes qui utilisent leur guitare comme instrument de percussion… Peut-on commencer là-dessus ? Cela m’intrigue assez… (Rires) La guitare est pour moi l’instrument le plus frustrant au monde ! Je suis très souvent limité, j’arrive parfois à cette impression de ne pas en savoir assez. J’aimerais pouvoir composer un bon morceau de blues, jouer de manière plus libre et surtout comprendre comment cela fonctionne. Car je ne sais jamais vraiment ce que je joue. J’imagine, j’entends les notes dans ma tête, mais je ne connais pas leur nom. Alors, en attendant, en effet, je tapote dessus !

Est-ce que tu sais au moins comment fonctionne l’amour ? J’ai remarqué que le mot « Love » revient dans chacune de tes chansons, titres ou paroles ? Ah ça, je ne sais pas. Mais en effet, « Love » est partout. Il me semble qu’il est toujours plus facile d’écrire sur ses sentiments, notamment les chagrins ou contrariétés liées aux relations amoureuses car il s’agit d’émotions brutes, au sens premier du terme. Mes chansons parlent des gens, en général, de la manière dont ils interagissent ensemble et dont j’interagis avec eux. Les relations les plus fortes que l’on entretient avec ceux qui nous entourent impliquent très souvent l’amour. Du moins pour moi.



Et quand cela va mal, j’écris ! Mais tous les artistes font la même chose, non ? Je crois. Il y aussi chez toi la peur et ton titre « The Fear »… Pourquoi ce nom ? Cette chanson concerne en fait la détermination, le but, dans la vie de chacun. A l’origine elle ne devait pas être pour moi. Arrivé à la moitié du texte, dans ma phase de travail, mon processus d’écriture, je me suis rendu compte que j’étais à nouveau en train d’écrire une chanson sur moi. J’y parle de mes réflexions en général, des questions – souvent beaucoup trop nombreuses – que l’on se pose quant aux bonnes décisions à prendre dans nos vies. En tant que musicien, je me demande souvent à quoi sert la musique. Pourquoi est-ce que, nous artistes, montons-nous sur scène ? Devant un public ? Pourquoi les gens sont là, réagissent, applaudissent, encouragent ? C’est un métier étrange. Ce n’est peutêtre même pas un métier, je ne sais pas. Cela des responsabilités. Du coup, je passe pas mal de temps à me demander si je prends les bonnes décisions, si j’emprunte les bons chemins artistiques ou personnels. Parfois, je suis effrayé par ces choix, par les étapes qui suivent. Cette chanson parle de cela. (Silence. Un temps) Pour l’anecdote, ce qui est drôle, c’est que j’ai fini par avoir réellement peur de jouer cette chanson. Chaque fois qu’on l’interprète avec le groupe, il y a quelque chose qui foire. Une fois, en la jouant, j’ai cassé trois cordes, trois fois de suite, sur scène. Une fois, Chris (son bassiste, sur scène, ndlr) en a cassé douze, un record. Dernièrement, les cymbales de la batterie sont tombées par terre en plein milieu du morceau. C’était dingue. A croire qu’il y a quelque chose autour de ce titre, que je ne contrôle pas… Ben continue la promenade. Debout, entre deux immeubles, essayant de respirer ce qu’il reste de soleil, il me demande : « Tu as écouté mon album en entier, d’un bout à l’autre, ou tu seulement des pistes de façon arbitraire ? ». Je lui réponds que j’écoute toujours les albums d’un trait. Ma réponse semble le satisfaire. Il sourit et dit : Il y a beaucoup de chansons écrites à des moments très différents de ma vie dans cet album. Les morceaux représentent mes trois dernières années, jusqu’à aujourd’hui. Lorsque j’ai commencé à travailler dessus, j’avais à peu près vingt-cinq titres avant de passer à l’enregistrement. Il en reste dix aujourd’hui. Keep Your Head Up est la plus ancienne. Elle date d’il y a trois ans, The Wolves d’il y a deux ans, alors qu’Only Love, Black Flies et The Fear sont relativement récentes et toutes fraîches. Le résultat est relativement homogène et il me semble avoir réussi à faire en sorte que tous ces morceaux, composés à différentes périodes de ma vie, dans des états d’esprit différents forment un tout et ne font qu’un. Il y a en ce sens, peut-être un fil conducteur, du

début à la fin… Le tour du quartier terminé, on piétine un peu, pour avoir le temps de continuer à parler quelques secondes, de Laura Marling, de combien elle écrit bien. Ben me confie qu’il la considère comme la meilleure songwriter de Grande-Bretagne du moment. Il dit également écouter Little Dragon, James Blake et adorer Bon Iver. Pour lui, ces derniers tirent véritablement la scène musicale actuelle vers l’avant. En suspens, je le confie à Diane, notre photographe, le temps de quelques clichés et termine sur ces mots avant de vous laisser vous précipiter sur son album, là, maintenant, tout de suite.

Propos recueillis par Bastien Internicola Photographie : Diane Sagnier, pour Crumb magazine


LES CAHIERS BOARDCULTURE Contenus dirigés par Laurie Cassagnes, publiés entre le 19 janvier 2013 et le 8 septembre 2014

En 2013, Crumb a intégré dans ses colonnes, une rubrique « boardculture ». Comme une suite logique d’univers, de rencontres et de chemins à prendre, depuis les landes françaises et la Côte Basque jusqu’en Australie où notre coordinatrice éditoriale d’alors, Laurie, a posé ses valises. Une suite logique de regards sur la musique aussi – car ces univers sont liés, en tempos, en battements de cœur, en dépassement de soi. En deux ans, nous avons monté des partenariats, défriché des festivals, du Fise au Watsa et donné la parole à des baroudeurs de la nature qui ont, avec nous, construit une communauté rassemblée sous l’étiquette de notre magazine et de ce que nous avons appelé « Cross-Culture ». De la musique et de la ride. Quelques écorchures amusées pour deux cultures croisées.



After having scored a 9.97 out of 10 at one of the most feared waves, Pipeline in Hawaii, Nic Von Rupp is one of the biggest hopes in European surfing. Traveller, passionate by surf videos and famous for his colourful wetsuits, he will be one of the ones to watch in 2013. By Laurie Cassagnes.

Nic ! After cover thousands of kilometres and overcome jet lag, where are you today? Hey, I’ve been all over this week. I was in Western Australia at the start of the week, and now in Bali. Can you present yourself for the people who might not know you ? My name is Nic von Rupp. I’m a 22 year old, German Portuguese Pro surfer. I was born in Lisbon Portugal with a German father and Swiss Portuguese mother. My life consists of chasing the world Tour of surfing and filming the best biggest waves our world has to offer. When did you start to chase the waves for the first time and where did that need come from ? I grew up on the beach. As a highly active kid I was always having fun in the waves with skimboards, bodyboards, until time came where I stepped up to the real deal. I must have been around 9 when i started getting into surfing. That was it, my first love, never looked back ever since. You’re only 22…When did you start surfing professionally ? Surfing professionally starts around age 15; at that age you’re already competing internationally against the best in the world in your age group. There is some pay checks involved straight away, but I only really felt professional at 17 when I got 5th in the World Juniors in Australia. You are famous too for your beautiful/colourful wetsuits … Ah my wetsuits! Last year Nike gave us the chance to choose the colours of our wetsuits. I did get a little excited and accidentally put all fluoro colours on all the wetsuits. It was alright for carnival time, but I had to surf in it all year. I do have to admit it was an embarrassing year of surfing … Aha! You even had the chance to sign with big brands as Hurley, Nike, Monster energy… Hurley is owned by Nike, it’s great to have the greatest sports brand involved in our sport. It really has pushed surfing to the next level. Which one of all competitions you did marks your memory the most and why ? Probably 2009 market me the most so far, it was the

year I was finishing school and I really stepped it up for the first time on an international stage. It was like from being an average school boy to becoming 2nd in the European Pro junior tour and then becoming 5th at the World Juniors against the best in the world. Good memories… Your best wave ? Probably this year at the most feared Pipeline in Hawaii, I got a 9.97 score out of 10 in one of the most dangerous waves in the world. On the internet we can more watch you than read you. Do you prefer to appear in video to talk about and show what you do ? Surfing as the interesting visual side that the surfing community really enjoys watching videos of their favourite surfers giving their best moves. That’s why I do a lot of videos. Do you spend all your time to search for the most beautiful waves or you sometimes try to challenge the snow, the wind or the tar ? I go wherever the waves are, if its 10ft snow or 50º tropics. I don’t care; I just want the best waves possible. I like to ask one thing. How many continents did you lay your feet on and which culture that you felt the closest to? I don’t know, it’s been 10 years non stop travelling. But what I can say is I lay feet on every continent at least 1 time a year. I feel blessed to have the life I have I’ve got friends like family in a lot of places that I go to, so I would say those places are where i feel the most comfortable Between two destinations, what do you do? What type of music or artist do you listen ? I read books, Facebook, I listen to music …I like everything, house music, rap, groovy stuff, rock… What are your upcoming projects in the next few months ? I am filming for 5episodes of ”My Road” around the World! What are your objectives for 2013 in terms of results ? Win some some big WQS Events !


Surfing photography is not always the sandy-beach, hot-climate sport it’s made out to be. Christian McLeods passion has led him to explore places around cold and rainy Ireland. He spends his days between finishing college and exploring his lands. CRUMB catches up with the youngster to ask about the technical aspects of shooting in the water, his gear and craziest stories. By Laurie Cassagnes.

Christian, where are you right now and what was the last thing you did before we started this interview? I would love to say something crazy like climbing a volcano or something, but in all honesty, I just got home from college. I’ve been working on my thesis all day. Can’t wait to be finished fully in a months time ! Tell us about your background, where are you from? I am originally from Montana, pretty much the spot to be if you don’t want to be near the ocean ! But I’m living in Ireland right now , I’m never in one spot for too long. When did you first discover an interest in photography and did surf photography kick in? It’s funny, I started studying Engineering in college and had my head focused on that. In the 2nd year, I stumbled upon my Mom’s old cameras. So naturally, I picked them up and started investigating, tearing them apart and taking photos etc… Then I grabbed my own semi-old digital camera and started bringing it to college. A lot of sneaking by Lecturers with my small camera bag had to be done, and it grew into an addiction. From there, I think it was about 5 weeks and I took it with me on a little surf to a local spot, and took a couple snaps, showed them to a friend who said I should send them to Tonnta, the Irish surf magazine. Three weeks later it was published as a double page spread (I still have the copy on my desk)! It was so surreal. Your photos are incredible, when did you realise that photography was the direction you’d like to be heading? Even after I had that image published it was still just a hobby, a fun outlet to pass the time after class. I’ve dreamt about making photography a living and thought that it’s just a dream, until this year, and I made a decision one day in January of this year while I was on a bus back from Germany that I want to do this for the rest of my life. I look at the work I’m doing in college. I like engineering and would have no problem working in that industry, but this is my love. Is there any particular camera that you like to use the most? Right now I’m in a mixing pot. For the past 2 years I’ve been on all Canon gear, mainly a 5Dmk3 and a 7D. But just this year with all the traveling and hiking I’ve been doing I started searching for lighter cameras. Generally with the Fstop Bags I use, I don’t really need to think about the weight on my back, but I find I have so much other necessary gear I’ve had to cut

down on camera weight, so I’ve snagged a new Sony camera to replace my 7D, which is literally a weight off my shoulders. Where was your last shoot ? What did you do there and what did you bring back from it? I can’t say much about Where my last shoot was, but let’s just say the South of Ireland has so much potential for good waves. I was shooting for Riptide Magazine who have started a 200 hours project for their 200th issue, and I’m more than stoked to be a part of it. What is or has been your favourite location to shoot? Do you prefer to shoot from land or in the water? There have been so many beautiful places! Norway was one that really sticks out in my mind, but then again Ireland just has so many amazing landscapes, not many countries can compete. I have no preference, to land or water, when it comes to photography, it completely depends on the waves and the landscape. However on a personal note, I love being in the water more than sitting on dry land. Has the ocean always been a huge part of your life? Shockingly it hasn’t. Being born in the middle of the Rocky Mountains didn’t really offer me much ocean life. First time I remember seeing the sea was when I was 7, in California, and I was only driving by on the way to the airport. I started surfing when I was 15 and from there my love grew for the ocean. You spend a lot of time in the ocean with dangerous currents and house highwaves. What were the most dangerous situations you’ve faced so far when photographing surfers? That would definitely have to be my first swim at a spot down south called Aileen’s. It wasn’t the scariest day and no one was getting into trouble out in the lineup or anything but I just lost attention because of the amazing waves and amazing scenery. I remember i so vividly. I was swimming with my housing, and trying to get a different angle moving closer to the end bowl and sneaking just over the edge each time. Jack Johns dropped into this massive barrel and I started to smile, pulling the trigger I knew I had something special and I just made it over that wave and over the next wave aswel. It seemed like there was a brief lull, so I started taking a couple shots of the landscape and I hear this whistle, and a few hoots and hollars. I thought, “What’s that?“. I look and the jet skis are way out in the channel, and the surfers and way out to sea. I never felt my gut drop like that in my whole life. I got pulled deeper from the rip and closer to the cliffs, and



then the adrenaline kicked in, I swam for dear life. I saw the first wave coming and I couldn’t believe it. I thought I was gonna make it, dove under the wave, popped up, kept my head down and kept swimming, knowing there would be another one, and boy was I right. A massive 15ft set wave was already starting to break out the back and I had the slimest chance of making it. I swam as hard as I could with my 1Kg waterhousing and my little legs. I saw the lip coming on the end bowl and I dove under once more, and gave my arm a huge stretch to grab some seaweed and I couldn’t reach the bottom. It suddenly felt like I was about to make it, the feeling of raising t the surface out the back. Then, I felt this thump and heard the sound of crushing ice. I was immediately thrown and felt as if I just jumped off a giant ledge, then another pounding. I’ve been through wipeouts before but never with a waterhousing and fins. Holding my camera to my chest to protect it, as you are advised by the pro’s to do, was impossible as my whole body was being ragdolled. I eventually came up and took a breath of air to see the next wave break ahead, and white water heading towards me. I made it fine under that, apart from the feeling of my foot being caught on kelp. I started to panic and started shaking my leg, and finally made it free and up to the surface again. Got washed out to the channel and started to kick when I realised my fin was gone, which I later figured out was shaken off by myself in the panic of the attack of the seaweed. Everything worked out fine. I’m actually quite stoked to have experienced that, and also to get a cover from the shot of Jack Johns, really making the beatings worth while. You’ve shot big waves surfers like Nic Von Rupp that we interviewed a year ago. Which other surfers have you already photographed? I actually haven’t shot with many big name Pro surfers, apart from Nic. I’ve shot alot with the local rippers like Gearoid McDaid, and Barry Mottershead, and so many other great surfers here who love to adventure. Do you know them or they ask you to come with them? I know quite alot of the Irish and British surfers and have shot with them on a variety of swells. It’s always great to get a phone call from a surfer and they want you to shoot.I find it such an honor that they find my work good enough for them to ask. If my work can stoke someone out, it makes me happy. The business and the sport has changed over the last years. In your opinion what are the biggest changes that surf photography is confronted with currently? That’s a good question. There have been so many changes as you said, and every change has it’s upsides and it’s downsides. For instance digital/social media. I’ll go shoot waves at Mullaghmore one day, and by the time the surfer has finished the wave it’s already up on the National News. This is great for broadcasters, newspapers, journalists (with their iPhones) but pretty bad for photographers. I am not

worried about losing business or anything like that, but people see the images instantly, and an instant later they’ve forgotten about it and moved onto the next topic, which is a little sad. Saying this, the growth of social media has helped so many photographers and artists like myself to show their work to the world and let people enjoy it, instead of it collecting digital dust on an overpriced hard drive. I love you and hate you social media. In terms of self-marketing and social media, several of your photographs have been regrammed by the Red Bull Instagram account. Do you think that the influence of these kinds of brands helped you? With which brands are you in collaboration now? Working with brands is all a part of the business I’ve jolted myself into. Working with Brands and Magazines, such as O’Neill, Sea Stoke, Fstop Gear, Zeal Optics, Red Bull, or Billabong, are both a brilliant way to bring my work to light but also a great way to help bring a little adventure to alot of people. It’s amazing seeing how happy people get on social media just from seeing a cool photo of a wave or a hiking trail. I love spreading the stoke. If you’re not out shooting, what are you doing? At the moment? Typing out my Thesis for college. Generally? Surfing, sending emails or spending time with my girlfriend (in no particular order). What type of music or artist do you listen? Music my good friend. The band MEW have always been a great travel companion to me, always in m ear reminding me of old adventures. Nothing beats a little old school jazz either… Finally, what does the future hold for you and your work and where do you see yourself in five years from now? I’ve never been good at telling the future, as you can see 4 years ago I would have pictured myself as an engineer in 5 years time. But saying that, I see myself traveling and spreading my adventures and working with the best brands and magazines across the world, no question about it! Have you got any projects up your sleeve? Any last word? I have been doing nothing apart from planning project for the past 4 months, so yes is the answer, and no I can’t tell you yet. You will see. Thanks to my Mom for bringing me to the ocean, and all the people and companies who have helped me stay at the ocean.



He makes average waves look good, he makes powerful waves look soft and impossible tube time look easy. Everything is second nature to him. Half German, half Canarian, globe-trotter … Considering the way we want to speak about the boardculture in Crumb, it appeared as an evidence to us to interview Pablo Prieto for first in Water section and that he makes us share his experiences. By Laurie Cassagnes.

Hey Pablo! Where are you in the world today? Hi, I am in Fuerteventura at this moment. I live in a little apartment in the north of the island. Can you present yourself briefly for the people who might not know you? That is one of those questions no one knows what to say… Well my name is Pablo and I am half german and half spanish. I have grown up most of my life in the canary Islands, Tenerife. I Studied Marketing in England and after University I started up Star Surf Camps together with 2 friends. I love travelling and the ocean and really enjoying photography lately as well. When did you slip on the bodyboard for the first time and where did that need come from ? When I was living in Germany ( age 4 -9) I have always dreamt of Surfing. I think my older brother got me into that thought. When we moved to Tenerife the first thing me and my brother wanted to do is surfing, but there was

only enough money for a Bodyboard and many of the local kids where into bodyboarding. It is a very big sport in the Canary islands and considered one of the best places in the world to practice this sport due to its incredible type of waves. The final Event of The IBA word tour is also hold here. The Fronton Pro. The sensations the sport gives you on so many ways was more than enough to fall in love with the ocean and the sport. When did you start bodyboarding professionally? My first contest was at the age of thirteen. After that point everything happened fairly quickly. Meeting others on a same level provides you with the motivation to improve quickly. With the age of six I entered the German National Team and started to challenge myself to compete on European level. I was still at school at this point and my studies have always been a priority. Once I finished I had more time to


focus on the World tour to compete on the highest level. You even had the chance to sign your own Pro Model: The Pablo Prieto Arin pro Model. Tell us about that. How did you work on it, design and technologies wise ? Throughout your Bodyboarding career you enter many events, that can be forgotten quickly. Being able to design my own Signature Model is something very special to me as a reflection to my achievements. I have been riding with Arin for 6 years now. And the relationship I have with the Shaper and owner of the brand is incredible. We work on different materials depending on the type of wave and water temperature trying to increase the performance of the riders. I had a variety of boards prior of being of Arin. I had a good idea of what kind of boards I liked in terms of shape and dimensions. It was friend Amaury Laverne ,French rider from Reunion Island and 2010 IBA Word Champin Amaury Laverne who helped me finding the final dimensions of an all round board that should suit the kind of waves I identify my surfing the most You did a lot of competitions, which one marks your memory the most and why ? I think those done on local territory are very special due to the support you see on the beach. The actual waves play a big role as well though. The “Margara Big Wave Challenge Invitational” in Puerto Rico was one of my favourite events. I just love that place, the people and the waves. Being an invitational event and not part of the World Tour changed the attitude and atmosphere entirely. Friendship in incredible waves with only a few people out, combined with a good result ( 2nd ) is definitely one of my best memories. Big Hallo to all my friends From Puerto Rico. Your best wave ? The best wave is always at home. No matter how good it gets it will be the one where you have experienced the most and shared good moments amongst your friends. You’ve also travelled a lot, how many continents did you lay your feet on, how many miles have you been through? (approximately !) Wow, made me count now….. North and South America, Australia, Asia, Afrika and Europe. Miles? that I could really not tell you ! I would definitely say that if I have had my frequent flyer cards on me at all times, I would be considered a very good customer. A destination, or a culture that you felt the closest to ? I am a mix of cultures myself and have always felt comfortable with cultures that have had many foreign influences in their past .On the other hand every place has so many incredible things to offer that are so unique and not found elsewhere. I still have a lot to discover but once again Puerto Rico is one of those places I felt like at home. It has the latin, the island live-style I am used to and a great passion for the ocean, light-life…..

I heard that you created your own surf camps, what were your motivations ? I have worked as a Surf Instructer within Surfcamps since the age of 17. Every Summer between school or University I spent my time in the South of France, Moliets to teach Surfing and Bodyboarding. I love the sport, the people you meet and the lifestyle. Whilst in University I met my 2 best Friends and business partners Joe and Sami who also follow the passion for the sport. We had similar ideas on how we would like our future to be, and after 4 years we still live together working hard every day and enjoying what we do. Of course there is learning how to surf, skate, bodyboard… but there are also cultural excursions organised in big cites close to the camps, and party… Can you explain the goals you set to achieve thanks to those activities ? I guess we try to teach the lifestyle of surfing that surrounds the sport as much as the technical part of it. Travelling and meeting people from around the world who share the same passion is just part of it. Most people who come to visit us come back and develop their skills and passion for travelling visiting us in Indonesia, Morocco and on Fuerteventura. I’ve heard the lessons your surf camps give are one of the best ? How do you explain that ? That is very nice to hear, thank you. I believe in having teachers who love what they do. These have been in the sport for many years, travelled the world and many of them have also competed on international level. They love to be in the water helping until they see the satisfaction and excitement of their students first waves. The students motivation and excitement is a reflection of the Instructor. Thanks boys. What are your upcoming projects in the next few months ? We have been working really hard on our current projects. Bali, Morroco and Fuerteventura are our new destinations and we hope to be able to deliver the same quality we have been delivering in France so far. Is there something or someone you wish to talk about ? I would like everyone who has not done the sport to try it. Find the time to escape from routine and find a passion. Going surfing will always make you smile and forget about problems.


Capturing adventure and immortalizing the beautiful is the fuel for Adrian’s artistic fire. With a knapsack on his back, a camera around his neck, and his feet on a skateboard, He illustrates and photographs people and places that inspire and stimulate astonishing moments, from every corner of the world. How to do what he does? Go travel, go experience, go live. By Laurie Cassagnes.

Adrian! Can you talk a little about where you grew up and when you got into art and more especially photography? I grew up in Australia on the Gold Coast, well known for its amazing surf and perfect weather, so I spent a lot of time outdoors exploring which I guess lead to my passion for travelling and adventuring later on. My interest in Photography came from travelling; I became obsessed with trying to capture the beautiful and interesting places and situations that I discovered around me. With art and illustration it is something that I have always been doing since i was a child; I have loved drawing for as long as I can remember. What drew you to life as a photographer? Travelling! Skating, exploring, cultures, interesting people, beautiful places… All the things that need to be shared! Can you share what visually appeals to you as a photographer and why you shoot what you shoot?
I am drawn to images that create a feeling or atmosphere of a place or a moment. Something that feels totally true and real to the moment, something very organic. These images are the most interesting for me. What advice would you offer to photographers that would like to get into lifestyle photography? Live! Travel the world, meet interesting people, explore… Be inspired by your surroundings. It is hard to understand what to capture if you have not experienced it yourself. I know you travel a lot. Where were you in the world? On how many continents have you laid your feet on? 
I have been to every continent except for South America! (and Antarctica). I first started travelling around Southeast Asia many times (Vietnam, Malaysia, Thailand, Philippines, Singapore, Hong Kong) spent some time in Japan also. I have travelled in India a few times and spent some time in Sri Lanka… also apart from that I have spent the last few years back and forth travelling around many places in Europe and also down to Morocco. I have lived in England, Italy, Portugal and Turkey and recently lived in New York for a few months and travelled around America in a van. Currently I am living in London! Hopefully I will continue to travel and learn and gain new experiences. How do you feel when you travel when you leave your hometown? Do you take the travel as a break or a new adventure? Everything is always a new adventure I guess, I haven’t lived in my hometown for 7 years now, so it is nice to go home, but also good to keep everything

fresh and new at the same time. Can you explain why you choose Mowgli ?
People started to call me Mowgli because I look a lot like Mowgli from the Jungle book and I have a crazy love for animals. I guess it suits my passion for exploring and adventure aswell so I thought it was the most fitting name to use for myself! Which aspects of surfing, skating, travelling and lifestyle do you try and capture through your photographs? I think all of these things have a sense of freedom and creativity that is an important part to try and capture as a part of the lifestyle. Do you skate or surf? Your favourite tricks/spot? 
I grew up skating and I can surf but I am really bad! My two favourite surf spots are in Morocco and Sri Lanka but they are secret spots don’t want to give it away! We talk about photography, lifestyle and boardculture. Beside all of this, there is another part of culture… I know you love drawing/ painting on the paper/walls… Can you explain your graphic illustrations/your way to draw? My drawings I guess are a way of expressing a more light hearted and fun side of my brain, everything I draw tends to be quite twisted and quirky.. i like to try and make people feel happy and less serious when seeing something i have drawn or painted on a wall. Is there a link between photography, boardculture and art? In your work too?
Of course! Alot of my drawings and photos are influenced by boardculture, from graphics I see, videos, magazines.. certain things that are visually connected to Boardculture influence the images and art that I create. To close this conversation what is on your MP3 in this moment ? Your favourite band or music ? Right now I am listening to Teebs but also have been listening alot to The Holydrug Couple and Mulatu Astatke… Three very differents but chilled! Beats, Psychadelic and Ethiopian Jazz! Where do you hope to take your talents in the future?
I would like to just keep travelling and learning, taking photos and creating art and improving what I do and how to do it. I would love to be involved in a project where I am able to use my skills to benefit others in another country that I have visited. I have a really exciting project like this that I have already pitched coming up in the next year which is exciting so you have to stay tuned for that !



MINA

TINDLE


Interview publiée le 16 mai 2012 Le Limier, 1972. Dernier film de Mankiewicz en tant que réalisateur -un de ses réalisateurs préférés. Elle parle d’un huis clos, d’une belle rencontre entre le théâtre et le cinéma. Milo Tindle, lui, coiffeur, correspond parfaitement à l’image du parvenu américain, du nouveau riche. Il rencontre le propriétaire d’une maison immense, une sorte de magnifique manoir, riche collectionneur d’objets de cirque, de maquettes, disséminées dans toutes les pièces de la demeure. Le film parle d’une lutte entre les deux hommes, qui se piègent chacun leur tour pour l’amour d’une femme. Si les deux personnages ne partagent guère plus qu’un nom très similaire, Mina Tindle trouvait que ce dernier sonnait bien. Elle l’a gardé à cause de sa page MySpace nommée ainsi, de ses premiers concerts joués sous ce pseudonyme, de même que les premiers articles écrits sur elle. Nous l’avons rencontrée un après midi ensoleillé pour l’entendre raconter l’histoire de Taranta, son premier album. Voilà. Taranta, cela signifie quoi ? C’est une des dernières chansons que j’ai écrite, qui n’est pas sur le disque. Je n’ai pas encore eu le temps de l’enregistrer. Récemment, dans un concert à la maroquinerie, j’ai invité des amies chanteuses, qui chantent divinement. J’avais même invité a mère, mais elle n’a pas osé venir ! Je suis tombée amoureuse de l’Italie du sud, une de mes meilleures amies en est originaire. Il y a cette tradition de la Tarentelle là-bas : cette danse, cette musique ancestrale propre à cette région. C’est une tradition transmise oralement, un véritable rite de passage, que chaque femme apprend différemment. Il s’en dégage une dimension très spirituelle. Ma mère m’a raconté des histoires et le fantasme qu’il y a autour de cette danse, ce qui m’a fasciné au point d’écrire cette chanson. Les femmes qui travaillaient dans les champs de tabac avaient des conditions de vie très difficiles, toute la journée en plein soleil, quand elles ne se faisaient pas taper dessus ou violer par leur patron. Mais une fois par an, elles avaient le droit de danser, dans une sorte de carnaval, ce qui constituait une véritable libération. Lorsqu’elles dansaient ainsi, on les qualifiait volontiers de folles, comme si elles avaient été piquées par une araignée -taranta en italien, d’où la Tarantelle. Les danses étaient justifiées pour faire “sortir” le venin qu’elles avaient en elles, dans une sorte de transe qui pouvait durer des heures, des nuits entières jusqu’au petit jour, en rond. C’est une belle image sur la création, l’hystérie et les femmes que j’ai voulu garder. Tu as pris ton temps pour créer des morceaux riches. Comment faire sur scène pour recréer l’atmosphère de l’album et la complexité de ses arrangements ? On a essayé d’adapter les morceaux pour la scène, bien sûr, car les morceaux sont très produits. J’ai une pédale de loop, pour faire des boucles. L’année dernière je faisais mes concerts toute seule, j’ai appris à m’en servir au fur et à mesure. Deux garçons

m’accompagnent au chant. L’un d’eux a une voix extrêmement aigüe, qui lui permet de chanter presque toutes les lignes que je chante sur le disque. Olivier Margueri, des Syd Matters, s’occupe de la session rythmique. Grace au pads, il balance des séquences prises du disque, pour donner un peu d’épaisseur. En étant peu sur scène numériquement, il est difficile d’habiller les morceaux autrement. Quel est ton moment préféré pour écrire ? La nuit. Je ne crois pas encore avoir de déclic ou d’habitude. Mais la nuit, je peux me retrouver à bosser sur des enregistrements ou des maquettes et être hyper heureuse. J’enregistre beaucoup chez moi. Tu n’écris donc jamais en rentrant, en ayant un peu bu ? En général, j’évite de boire quand je bosse seule. Cela serait un peu triste, non? Quand je bois, c’est que je suis avec des gens et que je n’ai donc pas envie de bosser. Parfois, en tant que bonne « geek » des temps modernes, je me retrouve sur Facebook, à écouter les morceaux que certains amis musiciens postent ou à cliquer sur une vidéo de Nina Simone pour ensuite écouter tous les liens associés. En étant un peu ivre, avec les images, je trouves presque que la musique est mieux que d’ordinaire ! J’ai un rapport bizarre avec les vidéos, Internet. Les gens cliquent, tu « likent », approuvent sans vraiment regarder, mais ne prennent pas le temps de regarder. Internet est complètement chronophage. Passer autant d’heures devant un ordi, quand on y pense, avec du recul, c’est c’est un peu ridicule. Ce que je préfère ? Écouter de beaux vinyles quand je rentre, le soir.

Propos recueillis par Bastien Internicola Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.


Rencontre/Texte publiée le 15 octobre 2013 Avec un premier album au succès indéniable et une fan-base active sur les réseaux sociaux, le groupe 1995 a réussi à s’imposer sur la scène musicale française en donnant un nouveau visage visuel au genre, sur la simple base d’une collaboration artistique avec le collectif Le Garage. Enquête sur l’ascension de 6 types normaux qui brisent les codes du hip hop hexagonal.

1995 & LE GARAGE L’AUTRE IMAGE DU RAP FRANÇAIS

Janvier dernier, l’antre de la (pseudo?) « coolitude » télévisuelle du Grand Journal accueillait pour son début d’année non pas une star américaine venue présenter son dernier single radio ou un groupe alternatif en pleine ascension mais bien une bande de potes originaire de Paris-centre, à même pas 10 kilomètres de l’emplacement du studio. Tous affublés d’un costard bien propre comme il faut, les membres du groupe de rap 1995 inauguraient leur premier grand passage télévisuel sous les yeux du “feuprésentateur” vedette Michel Denisot et de centaines de milliers de téléspectateurs qui avaient plus l’impression de voir s’exécuter des jeunes sortant de la Fac plutôt que des « canailles de banlieue » comme les à priori bien français l’imposent. Une consécration

pour le groupe et le paysage hip-hop français, tant le genre a souffert de sa longue marginalisation dans l’Hexagone. Mais avant de fouler les planches des médias grand public et de pénétrer dans la sphère du « cool » (terme en pleine démocratisation ces tempsci pour le meilleur, surtout le pire), les 6 membres du collectif ont eu recours à une mini-révolution dans le genre, aidé d’un bon coup de pied visuel et codifié. Originaire du Paris plein-Sud, 1995 (un neuf-neuf-cinq / un double-neuf-cinq, ndlr) témoigne de l’histoire de quelques copains qui ont décidé de prendre un micro pour lâcher des couplets sur leur vie, parfois insouciante et festive, d’autres fois plus complexe et lourde de cicatrices. Un rap sincère et direct qui a vite su toucher une large partie de la population



mélomane française, pas habituellement friande de hip- hop comme l’on a vite pu le constater. Avec des productions sortant des carcans rap actuels (gros synthés, turbines à fond et gangstah feeling) la démarcation a d’abord été musicale : 1995 revendique sa passion pour le siècle dernier et ne se gène pas pour en faire sa marque de fabrique. Usant de samples tirés des trésors d’il y a 15 ans, ou s’acoquinant avec des nappes synthétiques plus modernes où planent arrières-pensées nostalgiques et passionnées, les 6 MC’s arrivent à se déconnecter du cercle fermé des ténors du genre, sans pour autant les rejeter. C’est cette singularité qui a permis au collectif de rentrer dans les iPod de pas mal d’aficionados d’autres musiques, tel que la pop, l’électro, ou parfois même le rock. Il suffit alors de se rendre à un concert du groupe pour constater la diversité du public : blancs, noirs, jeunes, vieux, clubbers, banlieusards ou (parfois) même CSP+ Ne manquait plus qu’un levier majeur à ce coup de love musical, pour mieux pénétrer dans d’autres sphères que celui du hip hop français : l’identification. Avec leur look de parisiens « normaux », leur attitude propre, et une ribambelle de clips, pochettes et photos soignées, les 1995 ont très vite, réussi à tirer leur épingle du jeu par un visuel travaillé et original qui a amené la bande vers un nouveau public. Car la philosophie 1995 ne s’arrête pas seulement à des paroles balancées en l’air, elle se construit sur la base d’un logo récurrent, de photos à l’esthétique léchée loin des anciens codes graffs / banlieue / bling et de clips réalisés avec une portée artistique et conceptuelle qui a amené le groupe à faire parler de lui. Qu’ils se fassent trainer par terre pour « La Flemme », filmer de dos pour « La Suite », ou mettre en scène dans un stade municipal pour « Flingue Dessus », les kids intriguent et font parler d’eux. Même cas de figure pour les pochettes de « La Suite » et « Paris Sud Minute » – premier album en date – qui mettent tour à tour le groupe en scène dans une chambre d’hôtel et devant une épicerie avec sac de courses à la clé. A tel point que la bande s’est vu attribuer une étiquette « hype » qui la suit encore aujourd’hui : taxés de rap de bourgeois, rap de blanc, ou rap de « midinettes », 1995 se targue de faire ce qui lui plait, dans un esprit décontracté et détaché des règles imaginaires des puristes. En clair, l’alchimie 1995 relève plus d’une cassure totale dans les codes visuels et sociaux du rap français que d’un véritable blasphème éthique et musical. Mais comment une simple bande de copains a-t-elle réussi à bouleverser esthétiquement toute une scène musicale entière ? Pour y répondre, il a fallu aller un peu creuser au fond de l’entourage 1995. Jusqu’à ce que notre œil soit attiré par un petit détail : à la fin de chacun des clips du groupe, on retrouve un logo apposé le temps d’une fraction de seconde. Formé d’un triangle surplombé d’un cercle, le symbole simple et direct n’a pas l’air anodin. C’est après renseignement que l’on découvrira que la petite entreprise à l’oeuvre derrière le fameux “signe” correspond à Syrine Boulanouar et ses potes du Garage. Formé en 2008 par 5 copains parisiens, tous sorti des arts décoratifs, Le Garage est

une sorte d’épicentre artistique en plein cœur de Paris, dans lequel chacun de ses membres se développe individuellement et spécifiquement (photographie, réalisation, design, scénographie) tout en se rejoignant collectivement autour de certains grands projets. Amateurs de hip-hops et féru d’art contemporain, il manquait à ces garçons là un déclic majeur pour lancer la machine : la rencontre avec les 1995 en sera la clé. Après quelques mails échangés et deux trois coups de fils passés, nous avons donné rendez-vous à Syrine (clippeur de la bande et tête principale de la DA d’1995 avec Antoine Durand et Samuel Lamidey, mais aussi actuellement en train de réaliser son premier long métrage) dans ses propres locaux situés au détour d’une petite rue pavée du cinquième arrondissement parisien. Le tout accompagné à la dernière minute de Sneazzy West, membre de 1995. Installés dans une brasserie parisienne ré-aménagée en atelier arty un peu bordélique, nous avons pu aborder la genèse de cette relation fidèle entre Syrine, le collectif et le groupe. Une rencontre qui a vu le jour par pur hasard, comme l’explique Sneazzy West : « J’habite pas loin d’ici, et je suis passé devant les locaux du collectif en 2007. Du son passait, et en tant que rappeur sauvage je suis allé toquer. A ma grande déception je ne suis pas tombé sur des musiciens mais 4 potes qui buvaient des bières dans des locaux vides, et qui m’ont invité à les rejoindre». Une amitié commence à naître entre le musicien et la bande, jusqu’à ce que les affaires de Sneazzy commencent à prendre. « Quand 1995 est devenu vraiment sérieux, on cherchait à faire des clips et j’ai de suite pensé à eux ». De fil en aiguille, la totalité du Garage va rencontrer les membres du crew et la collaboration s’officialisera. « La rencontre avec 1995 correspondait vraiment au moment où on a décidé de bosser pour et avec des gens qu’on appréciait vraiment » rajoute Syrine. La bande se mettra alors au travail à partir du 2eme EP La Suite, pour donner au groupe une nouvelle identité visuelle. Un travail commun qui s’est révélé extrêmement productif pour plusieurs raisons. Syrine et 1995 développent d’abord une manière de travailler à part, puisque elle est basée sur une amitié réelle qui commence à dater. «L’amitié est venue du travail, mais elle est sincère. Tout repose sur des discussions en amont autour des projets. » comme l’explique Syrine, avant d’ajouter : « On n’a aucune gêne dans notre manière de bosser qui est assez sauvage. Le rapport de confiance est génial entre nous. Même si il y avait des réticences, à partir du moment où l’on sentait que l’un de nous croyait au truc on l’a suivi. ». C’est une réelle prise de position par rapport à la promotion basique, souvent examinée par un label puis travaillée par les concernés. La base vient du groupe et du collectif, ce qui permet par la suite de donner une réelle sincérité au projet et à son univers.


Malgré certains obstacles rencontrés. « On est en licence chez Polydor, ce qui veut dire que l’on investit nous même dans tous nos clips, notre merchandising et nos soirées, c’est le contrat. On travaille bien mieux tout seul qu’avec des gens qui veulent se faire de l’argent sur notre dos, sans vouloir cracher sur les majors» rajoute Sneazzy West, qui tout comme le reste du groupe se sent très bien dans cette situation. En outre, passées les nombreuses heures de discussion collective, une idée en ressort, et la bande se met alors au travail. « 1995, Syrine ou Le Garage, on aime les mêmes choses dans tous les domaines, on a finalement la même passion qui nous poussait à bien faire notre travail » Et si le travail se caractérise par une organisation débrouillarde, le résultat, lui, vient d’une envie bien précise de la part du groupe et de Syrine. Passées des années de clips et de visuels aux carcans très établis dans le milieu hip hop, Sneazzy West et ses acolytes ont pris la décision de faire changer les choses : « Après deux années de streets-clips on avait envie de passer le cap des vidéos de rap français lambda où l’on voit un mec qui rappe sur un parking, ça ne nous intéresse plus. On préfère créer des objets visuels, que ce soit pour nos clips ou nos pochettes » explique-t-il. Une initiative qui quoiqu’on dise, a permis au groupe de se différencier : « C’est clair qu’on a réussi à se démarquer même si on a souvent pris des risques. On nous faisait souvent remarquer que nos clips étaient marrants, originaux, ce n’était pas un hasard. On fait d’abord ça pour nous ». Résultat des courses, le groupe forme une réelle identité au projet 1995 grâce à la patte artistique de Syrine. « Dans une France où les artistes ne font plus forcement attention à leur image, puisque c’est les maisons de disques qui gèrent tout, c’est un plus de faire attention à la leur » montre Syrine, approuvé par son partenaire (une tendance qui se perd maintenant, aidé d’un sentiment d’indépendance artistique de plus en plus présent) Le travail d’image de 1995 a révélé tout son potentiel en accompagnant le groupe hors des sentiers du genre, en se répandant dans les bibliothèque musicales des non initiés. Attirés par un visuel intriguant, ainsi qu’une musique fraiche et différente, ce nouveau public a permis au groupe de prendre un véritable envol en moins de 2 ans, sillonnant les festivals français, et cassant les codes sociaux du hiphop. « Les gens ont pu s’identifier à nous parce qu’ils ont vu qu’on était des rappeurs qui ne se prennent pas la tête, dans un milieu où actuellement l’égocentrisme et le cliche prennent parfois le dessus » explique Sneazzy avant de rajouter « Ça me fait d’autant plus plaisir quand une fille de 15 ou 19 ans me dit qu’on lui a fait découvrir le rap et qu’elle s’ouvre à d’autres artistes ».

La philosophie 1995 relève d’une proposition alternative, sans se compromettre dans ses choix et sa façon de faire : « On passe en radio sans être dictés par un supérieur, on choisit notre truc sans se soumettre. C’est super important pour nous. ». Une façon de faire, et un succès populaire qui n’aurait surement jamais été autant possible sans l’aide du Garage et de Syrine, qui défend réellement une « autre » vision de cette musique : «On fait des choses que le public rap n’irait pas voir en premier, et c’est pour ça qu’on a réussi à attirer une autre catégorie de personnes. Et même dans notre état d’esprit, on refuse la concurrence. On fait juste nos trucs sans faire gaffe aux autres, et sans les juger ». Le succès de 1995 pourrait donc ne pas se résumer à l’image de « boys band du rap français » que leur ont collé leurs plus fervents détracteurs, en allant voir les propositions qu’offre le groupe sur la scène musicale française. En collaborant avec un collectif artistique indépendant comme Le Garage et en s’écartant des codes récents du genre, les 1995 ont montré qu’une autre formule était possible. Plus urbaine et jeune peut être, mais tout autant artistique et soucieuse du détail. Des valeurs que Syrine défend : « On a des envies qu’on veut accomplir et on va au bout, peu importe le style musical. Mais dès qu’on aime bien ou dès que ça nous inspire, on fonce». À tel point que le groupe comme le collectif ont prouvé – en totale indépendance – que malgré les embûches et les fidèles puristes, une seule façon de penser pouvait vraiment payer : la sincérité, encore, toujours.

Par Brice Bossavie Photographie : Améli Monti, pour Crumb


TOPS Interview publiée le 4 juin 2015

TOPS donnera un concert pour notre plus grand plaisir au Point Ephémère, à Paris le 9 Juin prochain. Ils y joueront Tender Opposites et Picture You Staring, deux albums rêveurs où l’innocence pop est souvent rattrapée par la mélancoli, dans un mix ingénieux. Jane, la chanteuse du groupe de Montréal, a répondu à nos questions via mail transatlantique.

Comment le groupe s’est-il formé ? Jane : David et moi écrivions et enregistrions des chansons depuis un bon moment, mais on voulait jouer avec un batteur. Riley en jouait tout seul dans notre studio pendant des heures et tous les jours, alors on lui a proposé de se joindre à nous pour un jam, ça a tout de suite fonctionné. Du coup on s’est lancé dans TOPS.

mais j’aimais l’idée de faire de l’art avec eux, c’était terrifiant au début mais leur attitude très relax et leurs efforts pour me soutenir m’ont donné envie de m’y mettre. C’est en montant sur scène que j’ai réalisé que j’aimais vraiment cela. Puisque je n’avais jamais chanté auparavant, ma voix était différente des autres chanteuses, j’aime encore cette idée de pouvoir développer mon propre style de chant.

Vous êtes considérés comme un groupe DIY, que penses-tu de cette référence ? Nous avons choisi de faire tout nous mêmes, puisque nous n’avions aucune ressources à nos débuts. Cela a très bien fonctionné pour nous. Cette classification fait sens, mais cela peut-être aussi un peu condescendant – des directions artistiques mainstream profitent des artistes comme nous ou nos amis. C’est considéré comme légitime à cause de l’argent et des paillettes qui vont avec.

Tes études en histoire de l’art ont-elles une influence sur ta perception de la musique ? J’ai un intérêt naturel pour l’art et le cinéma qui me fait traiter tout ce que nous faisons en terme de vidéos et de visuels à travers ce spectre. Cela rend mon travail plus gratifiant de me voir comme une artiste performeuse, l’élément visuel compris dans la composition de la musique se rapproche plus de l’art que de la publicité. Il m’arrive aussi de voir des images cinématographiques dans mon imagination lorsque j’écris des paroles.

Comment as-tu découvert ta vocation de chanteuse ? J’ai commencé à chanter des titres pour David et notre ami Sean Nicholas Savage. J’étais très timide

En 2012, TOPS était dans le top album du site de nos amis Gorilla Vs. Bear, aux côtés de Chairlift et Beach


House, deux autres super groupes leadés par des voix féminines. Comment perçois-tu l’image des femmes dans la musique actuellement ? Les femmes interagissent avec la musique par des moyens vraiment uniques. Nous ne sommes pas accablées par les schémas classiques du rock car les perspectives féminines ne s’y sont jamais reflétées dans la plupart des cas. Donc en tant que femme, tu crées quelques chose qui reflète ton unique perception. Les gens sont attirés par la musique faite par les femmes. Par quels liens te sens-tu connectée à la scène musicale de Montréal ? Montréal est ma maison. Lorsque nous y sommes, je passe mon temps à aller à des concerts. Je me sens membre de cette scène en tant que spectatrice. La scène a évolué dans le bon sens depuis que j’ai commencé à jouer dans des groupes, c’est cool à observer. En ce moment, beaucoup de genres et d’approches différents semblent coexister paisiblement, ce qui est très plaisant car j’aime autant aller à des concerts de punk, qu’aller danser ou écouter un concert de rock chill. Je suis inspirée par la musique autour de moi mais en fin de compte, ce que nous faisons existe indépendamment des évolutions de la scène de la ville. Te réfères-tu à des endroits particuliers dans ta musique ou certains t’influencent-ils dans ton processus de création? 
Dès que je suis chez moi, je m’installe un petit studio avec mon synthé, une guitare et une boite à rythmes et j’y passe beaucoup de temps. C’est ici que je

m’entraîne, que j’écris, que j’enregistre beaucoup de notre travail. Sur la route, je suis inspirée par tout ce qui m’entoure et je retranscris tout cela dans un carnet lorsqu’on roule d’une ville à l’autre.
 D’où t’es venue l’idée de cette esthétique épurée pour le clip d’Outside ? La danse est une discipline que tu pratiques régulièrement ? Je savais que je voulais faire une vidéo où je bougeais à travers un espace en exprimant l’isolement. La chanson est à propos d’une femme frappée d’ostracisme pour être prise d’une passion. En commençant à préparer la vidéo, j’ai compris que je devais préparer mes mouvements donc je me suis mise à travailler avec Bronwyn Ford et ça s’est fini en vraie chorégraphie. Je ne suis pas danseuse, il a fallu que je m’entraîne des heures. L’atmosphère évoque la tristesse mais les mouvements sont contrôlés et puissants. Ils reflètent cette prise de responsabilité que je recherchais via l’écriture de ce titre et son clip, en adoptant la vulnérabilité Les histoires que tu racontes dans tes titres gardent toujours une part de mystère, qu’est-ce qui t’attire dans l’exercice d’écriture ? 
C’est très difficile pour moi de séparer mes expériences personnelles de mes chansons. Je sens que j’ai besoin de faire connaître ma perception des choses, la faire proliférer par le biais de la créativité. C’est une pulsion que je ne peux pas expliquer. Mais je fais de la musique pour ça.

Propos recueillis par Alice De Jode



Interview publiée le 15 janvier 2011

Quand la planète hype s’émeut d’une personnalité, on prend toujours une pose suspecte. Soyons au moins honnête, on a tout entendu sur Uffie : arnaque musicale, absence de performance scénique mais aussi artiste incontournable, bad girl talentueuse, princesse de l’électro. Nous nous sommes demandé qui elle était vraiment et pour répondre à nos quelques interrogations, il nous fallait la rencontrer.

Hong-Kong est une terre de contraste. Au modernisme des centres commerciaux et des gratte-ciel immenses, se mêlent les coutumes et traditions établies depuis des siècles par les populations. Un méli-mélo des genres. Beau, compliqué, tiraillé et éclatant à la fois. C’est ici qu’a grandi Anna Catherine Hartley, dite « Uffie ». Elle naît en Floride et passe son temps dès lors à faire (quasiment ou presque) le tour des États-Unis : Miami, Cincinnati et tant d’autres. Et puis enfin Hong Kong ! Pas le temps de se poser, de s’arrêter, de souffler. Pas le temps de se faire des ami(e)s, de nouer des liens, de s’attacher. Des souvenirs ? Oui. Ceux des rares instants où elle allait vendre ses poupées avec sa sœur au marché aux poissons. La ville est grande, mais sans danger. Les gens sont polis, attentionnés, prudents, protecteurs. Comment le vit-on quand on est une enfant que l’indépendance passionne ? On trouve un refuge. Pour Anna, ce sera la musique. La suite vous la connaissez, devenue égérie malgré elle, Uffie a tout connu en peu de temps : le succès, l’argent, la gloire, l’amour, les voyages et enfin la joie d’être maman. Cela fait beaucoup pour une seule personne. Alors, il y a bien évidemment les remises en question, les doutes et… Sex Dreams And Denim Jeans, un étrange ovni, dont elle a mis du temps à accoucher – la sortie ayant été repoussée à plusieurs reprises, après un mariage avec le graffeur André, un divorce et une grossesse. Étrange objet que cet album, oui. A première vue, pas grand-chose pour séduire – en témoigne la voix frêle et ultra trafiquée de la chanteuse – mais voilà Uffie peut faire des miracles. Qu’elle soit associée à Pharell Williams, plus sombre sur un Art Of Uff, signé M. Oizo ou bien mélancolique sur Our Song, la blondinette dévoile ses facettes. Un ovni en somme qui fait bon écouter mais que l’on aime détester. Jamais peut-être un/une artiste électro n’aura suscité autant de controverses et passionné autant d’ados curieux. Nous avons tout entendu oui, des critiques les plus sévères aux éloges les plus grands. Mais tous les témoignages auxquels nous avons eu à faire portaient en eux le regard de la passion. Question de contrastes. Et si c’était cela finalement Uffie ? Un méli-mélo des genres. Beau, compliqué, tiraillé et éclatant à la fois.

Le 22 octobre, le lendemain de son concert à la Cigale à l’occasion de la « Uffie Diesel Party », CRUMB a rencontré Uffie. Encore épuisée de sa prestation de la veille, elle nous a reçu dans les locaux du label Because, pour répondre, en toute simplicité à quelques questions. En 5 minutes chrono. (Uffie commence) : Pour info, je ne suis pas tombée hier soir, sur scène et je n’étais pas bourrée. J’essayais juste de faire monter une fille sur scène et j’ai perdu l’équilibre ! Je n’avais pas prévu de t’en parler ! Tant mieux car d’autres ne parlent que de ça. C’est le boomerang médiatique. Comment tu te situes sur la scène électro rock française ? Je ne me situe pas du tout. Par contre, je pense que je suis probablement une des seules filles à faire de l’électro en France. Et ça je le revendique. Est-ce que ton enfance en Chine a influencé ton rapport à la musique ? Pas vraiment, cela remonte à trop loin. C’est surtout les goûts musicaux de mes parents qui m’ont influencé. Il paraît que tu es en train de préparer un album « rock ». Oui, façon de parler. Mais il va resté très électro. Avoir joué mon album actuel en live m’a appris beaucoup de choses sur ma manière de travailler. Pour le prochain, j’aimerais utiliser beaucoup plus d’instruments. Il y aura donc, oui, même si cela reste très électro, un côté plus « rock ». Comment appréhendes-tu ta carrière, maintenant que tu es maman ? Cela ne se passe pas très bien. Particulièrement ces tempsci. Mais chaque jour est différent. Malheureusement, je ne peux pas être là tous les jours pour mon bébé donc j’essaie juste d’apprécier autant que je peux les moments que je passe avec. J’arrêterai un jour la musique pour ne m’occuper que d’elle. Pour l’instant je ne peux pas. Nicolas Cassagnes (et Thomas Carrié)




NICOLAS

COMMENT Interview publiée le 20 novembre 2010

Tout est dans le regard. Noir, avec une pointe de malice. Nicolas Comment a emprunté la poésie à Manset, le dépouillement à la New Wave et les phrasés subtils à Gainsbourg. Ce qu’il a fait de tout ça ? Un univers mystérieux, mélodique, instantané. Comme en photo. Ca tombe bien, photographechanteur, voilà ce qu’il est…

Pouvez-vous nous parler de votre rapport image/musique ? On voit souvent des chemins artistiques se croiser dans la vie de certaines personnes. Or le passage de la photographie à la musique est assez inédit… C’est vrai… Mais dans les deux cas, il s’agit d’un travail d’auteur, avant tout artistique. Pour moi, jusqu’à présent, l’image l’avait emporté sur tout le reste. Et au-delà de la photographie, c’est la publication, le livre de photos qui me plait depuis toujours, les bouquins de Depardon des années 80, notamment. Toute l’histoire de la photo s’est faite pour moi à travers le livre. De l’autre côté, le disque en lui-même me fascine, notamment certains albums concepts qui sont vraiment singuliers. Plutôt qu’un rapport image/musique, j’entretiens un rapport à l’objet.

Mais dans vos textes, vous suggérez des images… Oui complétement ! D’ailleurs, mon équipe de production m’as plusieurs fois répété : « Mais pourquoi tu ne mets pas tes photographies dans la pochette de l’album ? ». Tout simplement parce que les images sont dans les textes. Rajouter une nouvelle image par-dessus me paraissait excessif. Et puis je ne me sens pas capable d’illustrer les images qui sont produites par les textes et la voix. Je l’ai déjà fait il y a quelques années, à travers un premier EP, sorte de mini album concept sous la forme d’un livre photo sur Berlin. Pour cet album, je tenais au contraire à ne pas tout mélanger. Est-ce que l’on peut dire que vous écrivez des chansons comme des instantanés ? Et, si vous n’étiez



pas passé par la photographie, auriez-vous eu la même approche dans le travail au texte ? Je ne sais pas. Je dirais qu’il y a certainement dans mon travail, une influence de la photographie mais une fois dans le réel. C’est-à-dire que quand j’écris, je rédige par petites notes. Il s’agit généralement de choses vécues, en grande partie, et puis après je tire vers la fiction. Un peu comme en photo, oui. Je pars du réel, d’une image réelle mais je tends à lui donner une dimension onirique. En tout cas il y a bien un côté instantané car j’écris très vite les textes, en cinq minutes, c’est léger, même si je peux passer après plusieurs heures à les travailler. Mais au delà, pour moi, le lien, l’approche évidente entre la photographie, l’instant photographique et le travail musical est l’enregistrement. Walter Benjamin parle bien d’enregistrement dans L’Œuvre d’Art et la Reproductibilité. Pendant un enregistrement musical, on fait une prise voix ou instrumentale de la chanson – même si on peut tricher en faisant plusieurs prises et en collant les morceaux – et on l’écoute après. On peut l’écouter, la réécouter, des dizaines, des centaines de fois si la chanson nous plaît. C’est pareil pour la photographie : on immortalise une image dans l’instant mais on peut la revoir de la même manière des dizaines et des dizaines de fois. Donc oui, il y a fatalement un lien, une influence directe de la photographie sur le travail au texte mais je n’ai pas vraiment cherché à le mettre en avant.

C’est une longue histoire… J’ai rencontré Rodolphe il y assez longtemps. C’est lui qui m’a permis de faire une première démo. Entre temps j’ai rencontré un autre producteur, Jean-Louis Pierot (des Valentins, ndlr), qui a produit le CD livre sur Berlin. Et après seulement j’ai rencontré Marc qui m’a tout de suite proposé de faire un album. Jusque-là je ne faisais que flirter avec l’idée… Et votre rapport à Gainsbourg ? (Sourire). On m’en parle beaucoup. C’est à cause de la voix je crois. Qu’est-ce que je peux dire ? J’adore son travail, c’est magnifique. Notamment Melody Nelson. Ces chansons sont des chefs d’œuvre mais je n’essaie absolument pas de l’imiter, alors comme je le sais j’ai mis sur l’album une chanson un peu clin d’œil qui s’appelle Variations Sur Unika. Histoire de dire « Ok, je suis au courant que ça peut faire penser à Gainsbourg, mais ce n’est pas Gainsbourg, il n’y a pas d’imitation ». Et finalement, en y regardant de plus près, l’influence n’est pas tellement gainsbourienne, mais plutôt du côté de Manset, même s’il y a des thématiques à la Gainsbourg, peut-être de l’érotisme sous-jacent… En tout cas, c’est une référence que je n’assume pas. Qui peut l’assumer ? C’est un géant !

Propos recueillis par Thomas Carrié Est-ce grâce à votre rencontre avec Rodolphe Burger et Marc Collin, le producteur de Nouvelle Vague que le déclic musical s’est fait ?

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou écourtée de certains passages.






L’ensemble des photographies mises en page dans cette publication restent et demeurent la propriété de leurs auteurs respectifs. Photo de couverture : Anna Francesca, photographiée par Michael Dürr.(Anna Francesca @Body and Soul, Make Up & Hair : Lydia Bredl @ Talent Drag, avec M.A.C Cosmectics, retouche digitale : Katharina Schmalzhofer – photo extraite de la série initialement publiée sur C-Heads magazine le 4 octobre 2015) Week-end : XL Recordings (visuels presse) pages 15 et 17 Vampire Madlib : Simon Betite, pour Crumb magazine, page 18 Sky Ferreira : Terry Richardson, page 23 Grünt (Jean Morel) : Simon Betite pour Crumb magazine, pages 24 et 29 Austra (Katie Stelmanis) : Pauline Darley, pour Crumb, pages 31 et 33 AlunaGeorge : Fiona Garden (visuel presse) page 34 et Simon Betite, pour Crumb magazine page 36 (photo extraite du portfolio du concert d’AlunaGeorge au Nouveau Casino, à Paris, en mai 2013, réalisé par Simon Betite et publié par Crumb le 10 mai 2013). Metronomy : Mathieu César pour Crumb magazine pages 43, 44, 45 et 47 et & Florent pour Crumb magazine page 48 Pierre Bertrand Burgalat : Pauline Darley, assistée de Maxime Stange, pour Crumb magazine, page 51 Michael Fassbender : Alice Hawkins, page 54, représentée par Patricia McMahon (photographie initialement publiée dans Esquire UK, juin 2012) Sébastien Tellier : Julot Bandit, représenté par Florence Faisan, pour Crumb magazine page 57 (photo initialement publiée en couverture édition .pdf digital de magazine n°13, mis en ligne le 17 mars 2012) Crumb Jungle : Mike Massaro, page 61 Django Django : Pavla Kopecna, page 63 Katerine : Visuel Presse, « Magnum », Philippe Katerine, page 64 Philippe Busy P (Pedro Winter) : Julot Bandit, représenté par Florence Faisan, pour magazine, page 71 Crumb Iggy Azalea : visuel presse, page 73 Salut C’est Cool & Flavien Berger : visuel Salut C’est Cool facebook page 77 Ma : Visuel presse, Jagwar Ma page 80 Jagwar Hanni El Khatib : visuel presse, Hanni El Khatib, page 84 Ayo : Diane Sagnier pour Crumb magazine, page 86 et Yann Orhan page 97 MØ : Thomas Skou (visuel presse), fourni by The Windish Agency, page 98 Hinds : Bella Howard, page 100 (Nylon magazine), visuel presse Ping Pong double page 102/103 et Ryan Kenny, page 105 (photographie initialement publiée sur le site web du magazine Oyster, avril 2015) : visuel presse, page 107 Foxygen Ödland : Ödland, photo officielle fournie par le groupe, page 109 Dominique A : Pauline Darley, assistée de Maxime Stange, pour Crumb magazine, page 110 The DØ : L.R - Dan Levy & Olivia Merilahti (visuel presse fourni par Six Degree Records), page 121 Soko : Diane Sagnier, pour Crumb magazine, page 123 Barbara Carlotti : Serge de Rossi, Atmosphériques, page 126 Bertrand Belin : Diane Sagnier pour Crumb magazine, page 128 BØRNS : Hobbes Ginsberg, page 131 (photographie initialement publiée sur le site web du magazine BEAT – thebeatjuice.com, janvier 2015) Alt-J : Yann Morrisson, pour Crumb magazine, page 132 et visuel presse Alt-J en double page 134-135 Zella Day : Jared Kocka / GAP, page 144 Yuksek : Diane Sagnier pour Crumb magazine, page 147 : Koury Angelo, page 151 Stromae Electric Guest : Diane Sagnier pour Crumb magazine, page 153 (photo initialement publiée en couverture édition .pdf digital de Crumb magazine n°9, mis en ligne le 16 juillet 2011) The Dodoz : Alexis Pech, pour Crumb magazine, page 155 The Shoes : Diane Sagnier pour Crumb (photo initialement publiée en couverture édition .pdf digital de Crumb n°13, mis en ligne le 17 mars 2012), page 157 Disclosure : Mike Massaro, Disclosure, page 163 et double page 164/165 London Grammar : Lindsey Byrnes, page 168 Klub des Loosers : Laurent Nalin (Collectif 5.6) pour Crumb, pages 170 et 173 Amarante : Yann Morrison, pour Crumb magazine, page 174 Rodrigo Jackson Scott : Fat Possum Records (visuel presse), page 178 HAIM : Ben Rayner, page 180 (stylisme : Lauren Blane, été 2012) et Katrina Dickson pour Jesse Kamn, page 182 Mikhael Paskalev : Visuel presse, Universal, Mikhael Paskalev, page 191 Prass : Ryan Patterson, page 193 Natalie Alan McGee : Justin Sutcliffe (photographie initialement publiée sur le site web du Telegraph, novembre 2013, visuels Creation Records, tous droits réservés et NME (archive), page 196 Robi : Frank Loriou, page 199 et Justine Tellier, pour Crumb, page 203 Love : Diane Sagnier, pour Crumb magazine, page 205 Gunther Destroyer : Visuel presse, Merge Records, Dan Bejar/Destroyer, page 209

CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES ET ICONOGRAPHIQUES ©

Franz Ferdinand : David Edwards, Franz Ferdinnd (visuel presse), page 220 CHVRCHES : Justine Tellier pour Crumb magazine, page 223 PHOTO (groupe) : Jean-Philippe Lebée, page 226 Charlotte OC : Burak Cingi (visuel presse) page 230 Twin Twin : Enzo Addi (photographie extraite du portfolio du groupe, par Enzo Addi, publié le 25 novembre 2013, lors d’une journée spéciale « Twin-Twin), assistant photo : Kamel Bentot, stylisme : Edem Dossou, assistante stylisme : Bénédicte), page 233 Hollysiz : Éric Guillemain / Grazia, page 249 (photographie initialement publiée sur le site web du magazine Grazia, août 2014) & Dimitri Coste, page 237 Jain : Visuel Come / Carcasse / Columbia Records / Jain, page 240 Émilie Simon : Lisa Carletta (visuel presse), page 250 Charlie Winston : Andrew Gura (visuel presse), page 254 La Fiancée : Charlotte Marcodini (visuel presse), page 257 Lulu Gainsbourg : Diane Sagnier, pour Crumb magazine, page 258 James Vincent McMorrow : Yann Morrison, pour Crumb magazine, page 260 Ben Howard : Diane Sagnier, pour Crumb magazine, page 263 Mina Tindle : Fox and Favour / Mina Tindle, page 276 1995 : Améli Monti, pour Crumb magazine, page 279 TOPS : Rebecca Storm, page 283 Uffie : Paul Blau page 284 et Ysa Pérez, double page 286-287 Nicolas Comment : autoportrait, Nicolas Comment, page 289 Séries par Miranda barnes I, pages 37-41 et II, pages 183-189 Série « Majunga Madagascar » par Maxime Leyravaud, pages 88-95 Série « Bleu » par Johann Bouché-Pillon, pages 114-119 Série « Sunbathing with Maggi » par Alessandro Casagrande, pages 136-143 Série portfolio Améli Monti, pages 158-161 Série portfolio « Araw », par Ludovic Zuili, pages 243-249 Cahiers boardculture : voir crédits directement associés Pages 293 et photo Michel Gondry page 297: DR. CRUMB.

Les séries reproduites ont été reprises telles quelles pour reprduction, avec les crédits associés. Les photographies du concert du groupe « Eagles Of Death Metal » au Bataclan le 13 novembre 2015, pages 212-219 sont de Manuwino. Le photographe les met à disposition, sur simple demande, pour toute publication à usage non commercial, sans modification, recadrage ni retouche supplémentaire. Contact : www.manuwino.com Tout oubli de mention de crédit photographique sera rétabli sur simple demande. Pour tout contact, merci décrire à hello@crumbmagazine.com

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Pendant plus de 5 années, CRUMB a construit son histoire sous forme de fanzine digital, brouillon et bouillonant, mené par une bande d’amis aux envies pleines d’imperfections. De ce grand brouhaha amateur est resté beaucoup de souvenirs musicaux et humains, des rencontres et quelques mots. Comme un territoire d’expression privilégié et sans pretention, par des rendez-vous donnés à de nombreux artistes de toutes les scènes : de Vampire Weekend à Barbara Carlotti, en passant par Madlib, Iggy Azalea, Austra, Dominique A, Alt-J ou encore Michael Fassbender… C’est aussi l’histoire d’un magazine web qui a connu des évolutions de forme, de style, de directions (avec ou sans fautes d’ortographes). On y vit surgir dans des interviews fleuves des révélations de la scène musicale française, comme Robi, les confessions d’initiatives militantes hip-hop de Grünt, des discussions psychédéliques avec Sébastien Tellier ou des rêveries échangées avec Destroyer. On y vit aussi le travail de jeunes talents de la photographie, qui ont accompagnés l’aventure en long, avec ses bouts de rien. Ce book digital retrace le fil rouge de ces cinq années, en 300 pages et plus de 70 interviews, riches en photos et en mots. Comme une trace laissée, minime et naïve, de ce que CRUMB était. 300 pages - 72 interviews.

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