Apprendre à apprendre (4/4) : y’a-t-il des technologies pour apprendre à apprendre ?

Il n’y a pas de questions plus récurrentes (et plus lassante, il faut bien le dire) que celle de l’introduction des nouvelles technologies au sein de l’école. Quel peut être leur apport, et surtout, leur valeur pédagogique ? Nous permettront-elles d’apprendre différemment ? Dans les lignes qui vont suivre, on s’éloignera toutefois des débats – souvent rageurs – qui agitent les pédagogues ces temps-ci : on n’évoquera pas l’introduction des tablettes, de l’internet, des smartphones. On n’abordera même pas la question de l’apprentissage du code, du moins sous sa forme classique. Ni le bilan de l’apport des nouvelles technologies sur l’éducation (si ce n’est pour rappeler, qu’il n’est pas très brillant, comme nous le soulignons déjà ou comme le soulignait récemment un rapport Pisa et dans les classement de John Hattie sur les facteurs qui favorisent la réussite scolaire, aucun n’évoque des questions technologiques). L’apport des technologies dans l’éducation demeure donc pour l’instant très limité et peu décisif. Même en ce qui concerne les technologies expérimentales auxquels nous allons nous intéresser, force est de constater que les évaluations demeurent lacunaires.

La réalité virtuelle pour comprendre les systèmes complexes

Au fameux VHIL (Virtual Human interaction Lab) de Stanford (que nous avons plusieurs fois mentionné), on essaie d’utiliser la VR afin de stimuler l’empathie pour accroître la compréhension de phénomènes liés au développement durable. Ainsi, une simulation permet au participant de « sentir » le concept d’acidification des océans, un aspect important, mais mal connu du réchauffement climatique. Pour cela, le « joueur » est invité à « devenir » une créature marine, par exemple, ainsi que le raconte Motherboard, « un corail ». Au VHIL, utiliser la VR pour changer les comportements est une vieille habitude – en encourageant les humains à « devenir des vaches », ils ont ainsi pu provoquer une réduction de la consommation de viande chez leurs sujets. Mais dans ce cas, se demande l’auteur de l’article de Motherboard, le simple fait de s’identifier au milieu marin entraînera-t-il un comportement moins irresponsable envers ce dernier ? Un test, rapporté encore par Motherboard, donne un peu d’espoir de ce côté-là. Après l’expérience, un des expérimentateurs a, soi-disant accidentellement, renversé un verre d’eau dans la pièce. Pour nettoyer, les participants auraient utilisé 20 % de papier absorbant en moins par rapport à la norme… Mais cet effet sera-t-il « durable » ?

18963807455_4f7d527578_kLe principal inconvénient de la réalité virtuelle est l’isolement qu’elle impose au corps, séparé par des lunettes de son environnement immédiat. D’où l’intérêt de matérialiser la VR, de la rendre omniprésente, afin de faciliter l’interaction entre les différents participants, comme nous l’explique Wired. C’est précisément le propos d’une exposition éducative qui s’est tenue à New York, Connected Worlds, qui veut apprendre aux enfants les bases de l’écologie de manière interactive.

Le « monde virtuel » est projeté sur les murs et les sols de la salle. Un enfant peut toucher l’une des parois, et via le capteur d’une Kinect, un projecteur envoie l’image d’une petite graine qu’il est possible de faire grandir en une plante ou un grand arbre. Pour cela, des ressources sont nécessaires, et d’un simple geste de la main, l’apprenti(e) dirige vers sa création les flux d’eau nécessaires à sa croissance. Naturellement à mesure que les différents participants génèrent de nouveaux végétaux, la distribution des eaux s’en trouve modifiée.

Selon le concepteur Theo Watson, « permettre aux enfants de voir les connexions existant entre leurs actions et ce qui se passe dans le système – rendant ainsi visibles ces connexions – leur permet vraiment de poser des questions et de tester des hypothèses d’une façon qui ne saurait être possible dans une salle de classe« .

A noter que dans les deux expériences mentionnées, le travail du VHIL et l’expo new-yorkaise, se consacrent toutes les deux à l’exploration de systèmes écologiques. Coïncidence ? Effet de mode ? Pas sûr. Cela montre peut-être au contraire dans quel type d’enseignement la VR peut se montrer particulièrement efficace : la science des systèmes complexes qui impliquent des cascades d’interactions et un perpétuel aller-retour entre le local et le global. Il est douteux que la VR joue un grand rôle dans l’enseignement de la grammaire ou même des mathématiques traditionnelles. La compréhension de systèmes physiques, biologiques ou écologiques pourrait bien, en revanche, se révéler un domaine où elle se montrera précieuse.

L’immersion semble aussi particulièrement efficace lorsqu’il s’agit de donner un contenu émotionnel, voire « moral » à un enseignement. Cela aussi joue sans doute un rôle dans le choix privilégié de l’écologie.

Connected Worlds from Design I/O on Vimeo.

Le paradigme du Lego

Une autre innovation technologique dans le domaine de l’apprentissage nous vient du jeu vidéo avec Minecraft. Ce jeu de « Lego virtuel »s’est révélé particulièrement précieux en matière d’enseignement, au point de se retrouver distribué dans les écoles en Irlande du Nord.

On peut tout faire avec Minecraft. Des châteaux, des paysages, mais également des automates cellulaires (vidéo), voire des ordinateurs
Dans Boing Boing, Mimi Ito explique pourquoi, à son avis, Minecraft va révolutionner l’éducation. Ce n’est certes pas le premier jeu à révéler un potentiel, explique-t-elle. Sim City par exemple, a déjà démontré sa valeur dans ce domaine il y a des années. Et, bien sûr, il y a des outils comme Scratch destiné particulièrement aux enfants.

Mais Minecraft diffère de ses prestigieux prédécesseurs sur plusieurs points importants. Premièrement, c’est le jeu à potentiel éducatif le plus massivement répandu, bien davantage que Civilization ou Sim City. Minecraft connaît le même succès que Super Mario ou Bejeweled (l’ancêtre des jeux à « séries de 3 ») ?

Ensuite poursuit Mimi Ito, les enfants peuvent construire ensemble en ligne. Sur ce point, continue-t-elle, Minecraft est plus proche d’un système comme le Logo de Seymour Papert (ou Scratch) que d’un jeu éducatif traditionnel, qui se concentre sur un domaine particulier comme l’histoire ou les langues. Autrement dit, c’est plutôt une espèce de système de programmation.

De plus, ses possibilités d’évolution sont infinies. Les plus jeunes, dès quatre ou cinq ans, peuvent en grandissant élaborer des systèmes de plus en plus complexes. Enfin, et c’est un aspect important, les serveurs sont tenus par les joueurs eux-mêmes. Sur cet aspect, Minecraft se différencie grandement des mondes virtuels en ligne, comme Second Life, où les joueurs peuvent aussi bâtir des choses, mais restent prisonniers d’une plate-forme tenue entièrement par un opérateur extérieur.

Mimi Ito cite des initiatives destinées à utiliser Minecraft dans différents domaines, par exemple en histoire. Ainsi, le  » designer éducatif » Randy Fujimoto a-t-il créé, avec ses étudiants, un atelier reconstituant, pour les collégiens et lycéens, la tragédie des nippo-américains enfermés dans des camps aux Etats-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale.

A l’école Quest to Learn, un professeur a élaboré un modèle Minecraft de la cellule vivante. Avec toutes les interactions possibles au sein de la cellule correctement représentées et sur laquelle les élèves peuvent interagir et effectuer des expériences.

Du reste, Mimi Ito a monté une startup en compagnie de Katie Salen, à l’origine de Quest to Learn, et de Tara Tiger Brown, cofondatrice du Makerspace de Los Angeles, afin de développer spécifiquement ces aspects éducatifs de Minecraft.

Mais Minecraft, n’est rien d’autre,on l’a vu, qu’une forme de Lego « virtuelle ». Rappelons d’ailleurs que la version Mindstorms du jeu suédois a été élaborée d’après une idée de Mitchel Resnick du « Lifelong Kindergarden » au MIT, un labo du Medialab consacré à l’éducation (également à l’origine de Scratch, dont l’interface est d’ailleurs très proche d’un jeu de Lego). Le Monde nous apprend du reste que le Lego va bientôt faire son apparition dans les programmes de la prestigieuse université de Cambridge.

Imprimer ses idées ?

D’autres technologies peuvent se révéler utiles pour l’éducation. Le site Singularity Hub, par exemple, se penche sur l’impact que pourrait avoir l’impression 3D sur la salle de classe, se demandant s’il est maintenant possible de « rendre les idées tangibles« . L’avantage, cette fois, ne serait pas tant du côté de l’élève que de celui du prof ou de l’institution. En effet, l’usage de l’impression 3D permettrait la création de matériel d’enseignement traditionnellement beaucoup plus onéreux. Ainsi, explique l’article : « Dans certains cas, imprimer des équipements scolaires en 3D s’avère déjà moins onéreux que de les acheter. C’est le cas par exemple des modèles de molécules d’ADN. Ceux-ci coûtent environ 250 $, et il en faut un pour deux ou trois étudiants. Les imprimer revient beaucoup moins cher et permet également de fabriquer les pièces manquantes dès qu’on en a besoin ».

Au-delà de ces questions de coût, on peut se demander à quoi ressemblerait une éducation où nombre de concepts et d’idées seraient incarnés dans des objets. Au final, il n’y pas grande différence entre les techniques d’immersion de la réalité virtuelle (surtout dans sa forme concrète telle que réalisée dans Connected Worlds), le paradigme du Lego ou l’impression 3D d’objets éducatifs divers. Ils nous relient tous à la théorie du constructionisme (lui-même basé sur le constructivisme de Jean Piaget), qui part du principe que pour connaître véritablement un sujet, il faut être en mesure de le manipuler. L’apport de ces futures technologies sera peut-être donc, avant tout, de rendre la connaissance concrète et de faire en sorte que des formes de pensée jusqu’ici purement abstraites puissent, enfin, être littéralement « touchées du doigt ».

Rémi Sussan

Retrouvez le dossier « Apprendre à apprendre » :

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0 commentaires

  1. Mais dans ces exemples, qui apprend à apprendre ? Le professeur ou les élèves ?

    Minecraft est indubitablement un atout. L’imprimante 3D me semble plus anecdotique, surtout en France où à ma connaissance, et contrairement aux classes nord-américaines, les jeunes élèves sont rarement amenés à construire des objets en dehors des ateliers d’arts plastiques.

    Je suis convaincu que la qualité éducative intrinsèque d’un jeu a moins d’importance que sa qualité tout court (selon des critères usuels de « gamers »). Autrement dit, un bon jeu éducatif est un jeu qui a une bonne note sur http://www.jeuxvideo.com, si on se restreint aux catégories « stratégie » et « gestion ».
    Dans une classe idéale, un élève devrait pouvoir choisir un hobby qui le plait et s’y adonner à fond en s’étant fixé un objectif académique. Un peu comme une thèse de doctorat, mais au collège. Car c’est en creusant jusqu’au bout d’une discipline que l’on obtient le recul nécessaire pour savoir ce que c’est que comprendre, ce qui mène bien sûr à apprendre à apprendre.
    On peut imaginer des centaines d’objectifs académiques sur la base de Civilization, Starcraft ou SimCity.