Comme beaucoup le savent, l’émission Cash Investigation a consacré un sujet au Data Marketing. Et oui, ce mardi, comme 3 millions de Français, j’ai regardé cette excellente émission, traiter d’un sujet que je connais bien, comme vous tous. Sauf que voilà, ce reportage a fait mal pour différentes raisons. Et si je trouve que l’équipe de production a parfois été un peu « à charge », il n’en reste pas moins que l’émission porte un coup au domaine de la Data Marketing, et que les marketeurs n’ont pas su (ni pendant, ni après) se défendre, et ont plus crédibilisé les propos d’Elise LUCET qu’autre chose…

 … Mal à la CNIL

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L’une des entités mise en cause par Cash Investigation fut la CNIL, et notamment sa Présidente: Isabelle FALQUE-PIERROTIN. Une interview qui portait sur la CNIL, et sa capacité à faire respecter la législation en matière de protection des données. Saluons tout d’abord le courage de la CNIL d’avoir accepté une interview face à une Elise LUCET fortement documentée, comme à son habitude dans Cash Investigation. Evidemment, il n’a pas été compliqué pour la journaliste de mettre la Présidente de la CNIL en difficulté.

Seulement, il aurait été juste, et important de rappeler de manière plus profonde tout l’intérêt de la CNIL, et tout ce que la CNIL nous permet d’éviter au quotidien. Oui, il aurait été utile de rappeler, à un public non averti, que la France est un pays loin d’être extrême en matière de libéralisation des données, et que la CNIL évite beaucoup d’abus de la part de l’industrie. Notamment dans le cadre de la géolocalisation, et face aux contraintes juridiques posées par les géants du web comme Facebook. Dans le cadre de cette interview, j’aurai aimé que l’équipe d’Elise LUCET soit moins « à charge » et honore l’importance de la CNIL, et le fait que la CNIL Française soit parfois citée en exemple dans le Monde.

… Mal au data marketing

Au-delà de ça, et contrairement à ce que beaucoup de pseudo-influenceurs semblaient laisser entendre, non, les pratiques reprochées mardi par Cash Investigation n’étaient pas connues par le grand public dans cette ampleur. Madame MICHU ne savait probablement pas jusqu’où pouvait aller cette analyse de datas. Et encore, les personnes dans le métier savent très bien que le reportage n’a pas montré la totalité du potentiel de l’exploitation des données, qui peut aller beaucoup plus loin que le simple profilage des consommateurs.

Sauf que pour décrire ces pratiques aux consommateurs non-avertis, il aurait été une nouvelle fois juste de ne pas l’aborder d’un aspect aussi négatif. On peut, par exemple, parler de l’utilité des bases de données dans le cadre de certaines enquêtes, de la lutte contre la fraude fiscale, ou dans le cadre du développement du réseau de donateurs des associations caritatives, mais nous rentrons là dans un autre sujet. Quoi qu’on en pense, ce documentaire a tout de même un peu enfoncé des portes ouvertes sur l’utilisation des datas par les marques: « Une marque peut donc savoir si une femme est enceinte, avant même que sa famille soit au courant ? ». Il est dommage que les marketeurs aient fuit les micros, car il y avait des éléments à répondre:

    1. Une marque ne s’intéresse pas du tout à ce que Madame Denise THOMAS (par exemple) soit enceinte. Elle s’intéresse à un groupe de femmes enceintes. Le nom et le prénom de la personne n’ont absolument aucune importance pour la marque (même si elle ciblait en fonction de l’origine géographique du prénom). La personne n’intéresse pas, le groupe de  consommatrices intéresse.
    2. Les programmes de fidélisation permettent de profiler des publics. Un programme de fidélité peut SUPPOSER qu’une femme est enceinte.
    3. Le point le plus simple: Comment cela se passait il y a 70 ans lorsque les commerces de proximité étaient encore développés ? Lorsque vous alliez acheter des couches à votre épicier ou votre pharmacien ? Non seulement il était au courant de votre incontinence, mais en plus il pouvait potentiellement le ragoter à tout le quartier… Et même encore aujourd’hui, votre para-pharmacien peut être au courant de votre santé, avant même vos proches.

… Mal aux marketeurs

Sauf que pour clarifier ces points, il aurait fallu des marketeurs suffisamment courageux pour répondre à l’excellente Elise LUCET. On se pose la question à chaque épisode, mais combien de temps faudra-t-il pour que les responsables intègrent les effets catastrophiques qu’ont les images de fuites face aux questions d’Elise LUCET ?

Notre métier de marketer n’était déjà pas très apprécié des Français, peu compris également, nul doute qu’il l’est encore moins avec ce reportage. Comment est-ce possible que des marketeurs reconnus et certainement très compétents continuent de fuir, en sachant pertinemment que les images sortiront devant 3 millions de téléspectateurs ? Leur image personnelle, et l’image de leur société en prend un coup à chacune de ces fugues improvisées. On peut reprocher beaucoup de choses aux politiques, mais dans ce type de situations, la plupart savent manier la langue de bois, répondre avec le sourire, et s’éloigner du sujet d’origine.
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Après, il est clair qu’accepter une interview « formelle » avec Elise LUCET est un vrai risque tant le piège est énorme pour la marque. Mais répondre, sans fuir, de manière sincère ou non, permettrait juste de faire face à des potentielles accusations et non pas de les éviter comme un … coupable justement. D’autant que lorsque l’on est le PDG d’un groupe comme Danone, on peut répondre, sans aucune honte, que l’on gère un groupe de plus de 100 000 salariés, et qu’on n’a pas le temps de répondre à une interview. Cela aurait été probablement moins mal perçu que fuir de cette façon.

… Mal à la com’ de crise

Et cette mauvaise attitude face aux micros, Danone a eu le don de la poursuivre sur les Réseaux Sociaux en pratiquant toutes les mauvaises pratiques de la gestion d’un bad buzz. Déjà, publier à 23h16, bien après le passage de Danone dans l’émission, après la fin de l’émission, l’horaire peut légitimement être mis en cause.

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Ensuite, après X émissions Cash Investigations, alors que vous avez une équipe de production, et une présentatrice de JT qui vient à votre siège, avec des ballons « Cash Investigation » sous vos fenêtres, comment ne peut-on pas s’attendre à un « lynchage » dans le documentaire ? Réagir par un simple tweet de ce type est tellement peu précis, tellement peu fourni, qu’il valait peut-être mieux ne rien dire.

 

Justement, ce qui fait d’autant plus mal à Danone, c’est que, dans le même temps, UNICEF faisait paraître un communiqué démontant, méthodiquement, les « accusations » de Cash Investigation. Déjà, le délai, le tweet et communiqué a été publié à 21h51 soit quelques minutes après les passages sur UNICEF. Autant dire que le communiqué avait été préparé très probablement en amont. Ensuite, UNICEF a le mérite de présenter un communiqué (sur lequel chacun peut se faire une idée), avec des éléments précis qui défendent la marque. Pratique de transparence, dans la réactivité, il n’y a pas grand chose à reprocher sur cette communication de crise d’UNICEF.

Encore une fois, comment DANONE peut se faire dépasser par une ONG dans un domaine où, il y a quelques années, un de leurs concurrents (plus ou moins lointain) s’était fait piéger de la même manière, à savoir Nestlé et le scandale Kit Kat.

Au final, il apparaît que l’émission, regardée par 3 millions de téléspectateurs, n’a pas donné une image très responsable de la data marketing. Et que personne n’a su défendre ce sujet au cours de l’émission. Il ne fait plus vraiment de doute que, sur ce sujet, les équipes marketing gagneront beaucoup à jouer la transparence, ou en tous cas, à clarifier ses politiques dans l’utilisation des données. L’UNICEF l’a fait à la suite de l’émission, et cela a été reconnu. Qui seront donc les suivants ? A vous de jouer 😉