Tribunes

Post-a-job… post-a-joke ? Par Cédric Mendes

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Et si je vous disais que n’importe qui peut publier une offre d’emploi sur votre page Entreprise LinkedIn sans que vous n’ayez votre mot à dire ? Laissez-moi vous raconter une histoire.

Une offre d’emploi, surgie de nulle part, est venue s’épingler sur notre « Company Page » LinkedIn. Un collaborateur présumé du Groupe l’avait achetée avec sa carte de crédit et publiée de sa propre initiative, sans en alerter sa DRG, ni les administrateurs de la page en question.

Nous nous en sommes rendu compte par hasard, comme nous avons réalisé par la suite que nous n’avions pas la possibilité de la retirer. Nous venions de découvrir la fonctionnalité « Post-a-job » de LinkedIn.

Connaissez-vous VRAIMENT « Post-a-job » ?

Vous qui administrez une page Entreprise LinkedIn, sachez donc que n’importe quel membre LinkedIn, du moment qu’il a désigné votre entreprise comme l'employeur (1 clic), peut publier une offre d’emploi sur votre « Company Page » avec une simple carte de crédit (ou un compte PayPal...). Sans le moindre contrôle, hormis celui de la carte de crédit utilisée, bien sûr.

- Que cette publication d’un besoin de recrutement, au nom de l’entreprise et sur sa page officielle, ait respecté les procédures de validations hiérarchiques et fonctionnelles élémentaires, le recours à une solution de mobilité interne ou les simples règles d’engagement de dépenses;

- Que la DRH en soit informée ou que l’administrateur de la page Entreprise en question en soit seulement alerté;

- Que l’initiative provienne bien d’un recruteur, d’un RH, ou d’un interlocuteur habilité à recruter, voire même simplement d’un collaborateur avéré du Groupe;

- Que le besoin de recrutement existe réellement, que sa description lui soit fidèle et que le publieur de l’offre soit décisionnaire dans ce processus;

- Que l’offre soit rédigée en des termes conformes à la réglementation en vigueur et qu’elle respecte nos chartes rédactionnelles;

- Que les candidatures ainsi générées soient traitées par un professionnel compétent, avec toutes les garanties professionnelles, éthiques et réglementaires que les candidats sont en droit d’attendre;

- Que les administrateurs de la « Company Page », clients eux-aussi de LinkedIn, puissent avoir leur mot à dire…

Rien de tout cela ne semble importer pour LinkedIn. En clair, bien que responsable du Recrutement de mon entreprise, je ne suis plus incontournable dans le processus de mise en ligne d’offres d’emploi sur notre propre « Company Page », ni en capacité de toutes les administrer.

Impact sur la marque employeur

Nos candidats seront cependant les premiers à en pâtir, car je ne serai pas en mesure de garantir la qualité du traitement des candidatures qui découleront des offres publiées via « Post-a-job », ni leur suivi sur le long terme dans notre ATS (système de gestion des recrutements). Les candidats détournés des offres d’emploi validées et gérées, comme il se doit, par notre DRH, pourraient postuler à perte sur des processus de recrutement sans embauche possible et se faire une mauvaise opinion de l’entreprise à travers la gestion aléatoire de leur dossier par des « recruteurs-amateurs ».

Les salariés-publieurs, enfin, ne seront pas à l’abri de conséquences potentielles. Ne pas respecter une procédure, dans un domaine aussi sensible que les RH, exigera bien sûr une mise au point avec sa hiérarchie et sa DRH. S’exposer à ne pas respecter le cadre règlementaire du recrutement, notamment en matière de non-discrimination, pourra entraîner des conséquences autrement plus sérieuses, aussi bien pour le salarié que pour l’entreprise. La discrimination est un délit. Et je ne parle même pas des impacts potentiels sur une réputation employeur, que nous nous donnons par ailleurs tant de mal à promouvoir et à préserver.

Gare aux trolls !

Responsable également de notre Marque Employeur, je suis particulièrement inquiet des détournements potentiels de « Post-a-job ». LinkedIn ouvre en effet un magnifique terrain de jeu pour les blagueurs et les trolls du web, qui pour le prix d’une annonce et de quelques précautions, peuvent se permettre le luxe de lancer le recrutement d’un nouveau PDG pour leur société ou de publier un texte d’offre d’emploi indigne sur la « Company Page » d’un concurrent. Science-fiction ? Vraiment ?

Bien sûr, nous pouvons toujours faire retirer les publications « frauduleuses » de notre page Entreprise LinkedIn, du moins en théorie. Il suffit de s’en rendre compte, de le demander en présentant de solides arguments et d’attendre. Mais quid des dégâts d’image potentiels ou du devenir des candidats « détournés » des processus de recrutement de l’entreprise ? Pas d’indication à ce stade de nos échanges avec LinkedIn, qui nous propose simplement d'organiser un point téléphonique avec leur service juridique basé aux États-Unis.

Quelles conséquences ?

Pour l’instant, nous n’avons eu à déplorer qu’une publication « sauvage » sur notre page; mais elle s'y est maintenue un mois, sans que nous ne puissions rien y faire. Car ce n'était pas, à proprement parler, une fraude : le publieur se trouvait bien être un de nos salariés. C’était aussi, de fait, un client de LinkedIn. Il ne fallait donc rien décider à la légère. D’autant plus qu’un éventuel remboursement de quelques centaines d’euros aurait pu s’envisager. Nous avons ressenti moins de considération pour notre investissement, de quelques dizaines de milliers d’euros, et pour la relation client que nous entretenons depuis plusieurs années avec LinkedIn. En attendant, cette offre d’emploi a généré des candidatures, que notre recruteur en charge sur le périmètre est parvenu à

récupérer et à positionner sur un besoin de recrutement confirmé. Heureusement pour les candidats. Et pour nous.

La faute à qui ?

Pour LinkedIn, ce serait à nous d’interdire à nos collaborateurs de publier des offres d’emploi hors procédures internes. Peu importe que LinkedIn les sollicite pour le faire, c’est à nous de les dissuader d’accepter. Serions-nous mal organisés ? Un peu « has been » ? Devrions-nous acheter des produits de communication LinkedIn pour mieux sensibiliser nos collaborateurs ? Il s’agit de tout envisager, plutôt que de se priver de l’opportunité lucrative de vendre plusieurs fois la même plateforme, à une entreprise puis à des particuliers s’en réclamant. Et peu importe les conséquences. La suite continue de s’écrire, mais j’ai hâte de connaître l’opinion d’autres recruteurs sur ce sujet. Particulièrement ceux qui pensaient maîtriser leurs publications d’offres et leur marque employeur sur leur propre « Company Page ». Et qui n’avaient pas encore tout à fait digéré le doublement de son prix par rapport à l’année précédente… Avez-vous bien recompté vos offres en ligne récemment ?

A propos de l’auteur

Depuis plusieurs années, Cédric Mendes s’impose comme acteur engagé au service de l’emploi et des relations écoles au sein du groupe Colas. Son métier consiste à définir et à déployer des stratégies globales d’acquisition de talents, depuis le sourcing jusqu’à l’intégration des candidats, en s’appuyant notamment sur une politique de marque employeur active. Il coordonne la politique de recrutement, de relations écoles et de marque employeur pour le groupe Colas. Sa vision de la marque employeur active lui permet de manager des projets de grande ampleur et innovants