Le grand chef nouvellement élu du conseil mohawk de Kahnawake, Joe Norton, n'entend pas modifier le règlement controversé qui interdit aux couples «mixtes» de vivre dans la réserve, malgré les démarches de cinq résidants qui s'apprêtent à déposer des plaintes pour discrimination à la Commission canadienne des droits de la personne. Il écarte du même souffle l'idée de tenir dans les prochains mois un référendum sur la question.

«Les gens ont tendance à l'oublier, mais la position de la communauté n'a pas changé depuis 150 ans: les non-autochtones ne peuvent pas résider à Kahnawake. Cette position est la mienne, elle fait consensus au sein du conseil et, même si je ne me risquerai pas à avancer un pourcentage, elle obtient un soutien massif dans la communauté», dit M. Norton, revenu le 20 juin à la tête du conseil qu'il avait déjà dirigé de 1980 à 2004.

Les cinq plaignants, dont l'identité n'a pas été révélée, sont épaulés par le Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR) et invoquent la Loi canadienne sur les droits de la personne. «Les gens commencent à se réveiller. Il y a quelques personnes qui sortent de l'ombre pour dire qu'elles sont discriminées. Mais pas juste parce qu'elles sont menacées d'éviction. On parle de diverses formes de refus à caractère discriminatoire dans l'accès aux services, au logement, à la propriété, à l'éducation», dit le directeur du CRARR, Fo Niemi.

Une loi qui remonte à 1981

Modifiée à quelques reprises, la «loi sur le membership de Kahnawake» remonte à 1981, dans les premières années du règne de Joe Norton, qui en a lui-même rédigé la première mouture. Seuls les Mohawks ont le droit de résider dans la réserve. Et selon le principe du «Marry Out, Get Out», ceux qui épousent un non-Mohawk doivent déménager.

Pour Joe Norton, cette règle est plus d'actualité que jamais. «Kahnawake, comme d'autres communautés autochtones, se bat pour maintenir son identité culturelle, linguistique et spirituelle, a-t-il dit hier, en entrevue au siège du conseil mohawk. Nous souhaitons préserver toutes ces choses qui nous distinguent - et elles seront menacées si les non-autochtones sont autorisés à vivre ici en permanence.»

À ces considérations d'ordre philosophique s'ajoutent des impératifs pratiques, dit-il: l'espace et les ressources sont limités dans cette communauté de 48 km2, où vivent 6500 personnes. «Si on ajoute du monde, on menace cet équilibre. L'inquiétude est qu'on finisse par se retrouver avec plus de non-autochtones que d'autochtones. C'est arrivé dans d'autres communautés du Québec, qui ne parlent à peu près plus leur langue.»

L'automne dernier, sept résidants de Kahnawake, dont le couple d'ex-athlètes olympiques Waneek Horn-Miller et Keith Morgan, se sont adressés à la Cour supérieure pour faire déclarer la loi discriminatoire en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Ils faisaient partie d'un groupe de 70 résidants sous le coup de menaces d'éviction. Selon leur avocat, Julius Grey, la cause devrait être entendue d'ici un an.

Joe Norton dit ne rien avoir contre les Mohawks qui se marient avec quelqu'un «d'une autre culture». «Mais on ne peut pas amener ça ici. Si certains trouvent ça difficile à accepter, je n'y peux rien. Je ne m'excuserai pas pour ça.»

Loi «raciste»

Au printemps, le ministre fédéral des Affaires autochtones, Bernard Valcourt, a qualifié la loi de «raciste» à la suite de cas d'intimidation et de vandalisme auprès de couples menacés d'éviction. Des propos qui n'émeuvent guère Joe Norton. «Le ministre a des motivations cachées, comme de ne pas s'asseoir avec nous pour discuter de nos revendications territoriales et de notre relation avec le Canada», dit-il.

Le grand chef affirme que certaines allégations d'intimidation ne sont que des «rumeurs». Il assure néanmoins que toute personne qui vit à Kahnawake a le droit de vivre en sécurité. «Sur une question aussi sensible, nous devons passer un message clair à la communauté: vous pouvez protester, mais il faut que ça se passe de façon pacifique, sinon, il y aura des conséquences.»

L'ancien grand chef Michael Delisle avait annoncé il y a quelques semaines son intention de tenir un référendum sur la question, afin de jauger le niveau d'appui au règlement. Son successeur ne croit pas que cela soit nécessaire à court terme. «Si, et je dis bien si, un référendum doit avoir lieu, ça ne sera pas maintenant et pas avant longtemps», a-t-il dit.

D'ici là, les plaintes des cinq résidants, qui allèguent une discrimination fondée sur la race et la situation de famille, suivront leur cours devant la Commission canadienne des droits de la personne. La disposition de la Loi sur les Indiens qui empêchait les membres des Premières Nations de porter plainte pour discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne n'est plus en vigueur depuis 2011, souligne M. Niemi, qui croit que la Commission canadienne n'aura pas le choix d'entendre les plaintes.

«Il y a des gens qui sont soit mariés avec des Blancs, soit des enfants de couples biraciaux qui se retrouvent sans statut. Ce sont des exclus. C'est un peu inquiétant. Des jeunes peuvent être forcés de quitter même s'ils sont nés là-bas ou y ont grandi toute leur vie», ajoute-t-il.