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[ITW & REPLAY] Ady Suleiman : "Je veux faire de la musique, pas du business"

26 Août 2018

Chanteur et songwriter de la banlieue de Nottingham, Ady Suleiman s’est fait remarquer dès 2013 par Gilles Peterson.

Il sort une série d’EP néo-soul et reçoit les compliments (amplement mérités) de Chance, The Rapper, Joey Bada$$ et Michael Kiwanuka. Son premier album, Memories, est sorti en mars dernier : ce jeune homme réfléchi a préféré prendre son temps. Interrogé par le quotidien britannique The Independent, Ady a dit : “On veut emmener quelqu’un en voyage. J’ai l’impression que chaque chanson de ce disque a son importance, donc il n’y a pas un single qui se détache”. Il a raison : il suffit de se laisser prendre par la main et de partir en promenade sonore où les émotions sont palpables au moindre coin de rue. L’attente en valait largement la peine.

Il s’est passé 5 ans entre la signature avec un label et la sortie du premier album. C’est une éternité…

J’ai signé très jeune avec ce label, je n’avais que quelques chansons à cette époque à mon actif, lesquelles avaient attiré l’attention au Royaume-Uni. Je ne m’y attendais. Au départ, je ne voulais pas vraiment signer avec cette maison de disques. Mais mon manager m’a convaincu, disant que ce label voulait vraiment travailler avec moi. J’étais prudent car généralement quand on signe avec une maison, on attend de vous un album dans les deux années suivantes. Mais j’ai été novice dans le travail avec un label. Je n’ai sans doute pas appris aussi vite que j’aurais dû. Et j’ai très vite été malheureux dans cette manière de fonctionner, je n’ai pas vraiment réussi à faire la musique que je voulais faire dans cet environnement. Quand j’arrivais enfin à faire les chansons que je voulais, le label ne voulait pas les sortir parce qu’on n’avait pas encore suffisamment attiré l’attention. Ils voulaient attendre encore un peu. Je suis finalement devenu impatient. Sans vouloir manquer de respect à qui que ce soit au sein de ce label, il était mieux pour moi de le quitter. Quand j’ai retrouvé mon indépendance, je n’avais que la moitié d’un album. Il m’a donc fallu le terminer de mon côté, pour le sortir en indépendant. Cela a été long parce que c’est un mélange de pleins de choses : la façon dont je travaille, le type de musique que je fais, la sortie d’un disque…

Quelle est votre opinion sur l’industrie musicale après ce premier long départ ?

Mon opinion sur ce sujet change constamment. En ce qui me concerne j’ai beaucoup appris, mais j’ai toujours su que je voulais faire les choses à ma façon. Je veux faire de la musique, pas vraiment du business. L’industrie musicale est aussi une affaire de stratégie, c’est cool mais ça m’intéresse moins. J’ai simplement envie de composer, d’enregistrer et de sortir une chanson. Mais ce schéma de l’industrie musicale sied parfaitement à d’autres personnes. Le succès de certains artistes est lié et aidé par cette industrie. Et c’est très bien ainsi. Mais je pense que notre environnement actuel, avec des structures légères d’enregistrement et les plateformes de streaming, c’est le meilleur moment pour être indépendant. Le seul vrai problème quand on est indépendant, c’est l’argent ! Faire un album c’est cher. Les labels mettent de l’argent tout de suite sur la table pour aider à créer de la musique. En tant qu’indépendant, il faut trouver l’argent pour faire un disque. Mais l’industrie musicale dans son ensemble est en bonne santé, il y a une incroyable quantité de bonne musique, très diverse. Je n’aurai jamais un regard vraiment négatif sur elle. La seule vraie question en tant qu’artiste, c’est de savoir quel système nous convient.

Même si votre album a mis 5 ans à sortir, il y a une forme de cohésion tout au long du disque. Il donne l’impression d’un tout cohérent du début à la fin, comme un voyage fluide…

J’aime les disques qui s’écoutent du début à la fin sans mettre pause. J’avais peur que mon disque ne soit pas dans cette veine car il est composé de chansons composées à différentes périodes de ma vie. Quand j’ai repris l’enregistrement après mon départ du label, j’ai discuté avec l’ingénieur du son et je lui ai dit : « Faisons en sorte que toutes les chansons donnent l’impression d’avoir été enregistrées au même moment, au même endroit. »

En 2017, vous vous êtes exprimé publiquement sur vos problèmes mentaux, de manière très simple et décomplexée. C’était important pour vous de le faire dans une industrie qui n’en a pas forcément l’habitude ?

Pour moi, ce que je traversais était relativement normal. Quand on vous diagnostique une dépression ou une autre forme d’anxiété, on a un peu peur de ces formules lourdes de sens. Puis j’ai réalisé que des milliers de gens traversaient sans doute les mêmes choses que moi, sans forcément les comprendre. Parfois je me sentais timide devant une caméra ou sur scène mais je jouais le rôle d’un gars sûr de lui. En vieillissant quelque peu, j’ai compris qu’il fallait que je sois simplement moi, que je partage ce que je traversais. Au final, cela n’a pas été si difficile pour moi d’en parler et de transmettre tout cela à travers mes chansons. Et les nombreux messages que j’ai reçus m’ont conforté dans cette démarche.

Dans ce contexte, votre chanson « So Lost » est importante, car elle l’aborde frontalement…

J’avais 24 ans quand j’ai commencé à ressentir ces problèmes. A cet âge, je pensais me connaître. En passant à travers ces nouvelles émotions, j’ai été décontenancé. « So Lost » est un rappel de cette période. Heureusement je ne ressens plus aussi fortement les choses qu’à cette époque.

Dans votre démarche de création, la musique vient toujours avant les paroles. Pourquoi dans ce sens selon vous ?

Honnêtement, je n’ai pas un instinct de parolier. J’aime beaucoup écrire des paroles, vraiment. Mais je ne suis pas comme un rappeur ou un poète, qui noircit des cahiers à longueur de temps. Ce sont les mélodies qui viennent à moi. C’est ainsi que mon cerveau fonctionne. La musique développe des émotions chez moi.

Songez-vous déjà au prochain album ?

J’y songe mais je ne sais absolument pas quand il verra le jour. J’aimerais faire un concept album en fait. Je veux prendre le temps de savoir quoi et surtout comment. J’espère que cela ne prendra pas 5 ans comme le précédent ! (rires) Je travaille actuellement sur un EP totalement acoustique, juste ma voix et une guitare. Et au début de l’année prochaine, il y aura un autre projet dans une veine plus hip hop. Cela me mènera vers ce deuxième album.

Propos recueillis par Thomas Destouches