Comment instaurer le revenu de base, cette allocation qui séduit 60 % des Français ?
Mardi 19 mai 2015, alors qu’un sondage Ifop révélait que 60 % des Français sont favorables au revenu de base pour tous, un colloque intitulé Le revenu de base : un levier de transformation sociale pour l’économie de demain était organisé au Sénat. Rencontre avec Stanislas Jourdan, coordinateur du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), association qui milite en faveur de l’instauration d’un revenu de base.
Est-ce que vous pensez que les politiques sont vraiment prêts à mettre en place un revenu de base, ou est-ce que ce colloque est juste un effet d’annonce ?
Certains politiques, de tous les partis, commencent à avoir une appétence pour le sujet. Il y a donc une curiosité, une sensibilité, mais aussi une volonté sincère de lancer le débat. Il y a surtout une prise de conscience du fait que la numérisation risque de détruire bien plus d’emplois qu’elle n’en crée, et du fait que les formes de travail et de production de richesse subissent une métamorphose qui rend nécessaire une déconnexion partielle entre emploi et revenu. Le revenu de base paraît alors être l’outil le plus simple pour réaliser cette déconnexion. De plus, c’est un moyen efficace d’améliorer notre système actuel d’aide sociale.
Gaétan Gorce [sénateur, président du Collectif émergence], qui a provoqué ce colloque au Sénat, est encore sceptique, mais il lance néanmoins le débat, car il croit que l’heure des innovations de rupture est venue. Derrière ce colloque, il y a la volonté chez certains socialistes de continuer la discussion au sein du Parti. Chez les Verts, qui défendent officiellement cette proposition depuis 2013, il y a aussi une vraie volonté de creuser la question. Enfin, ce sujet est en débat aussi au Front de gauche depuis plusieurs années, tout comme chez Nouvelle Donne qui a lancé une commission de travail. Le fait marquant, aujourd’hui, c’est que le Parti socialiste commence à se réveiller sur cette question après l’avoir ignorée pendant longtemps. À droite, c’est un peu plus timide, même si Christine Boutin soutient le revenu de base depuis dix ans. Il y a donc une curiosité grandissante, mais il faudra encore un peu de temps avant d’obtenir un engagement fort de la classe politique pour aller vers la mise en place du revenu de base.
Y a-t-il des pays où le revenu de base existe déjà ?
Il existe une forme de revenu de base dans plusieurs pays dont l’Alaska, avec le Citizen’s dividend, le dividende citoyen. C’est un chèque qui se situe entre 1 000 et 2 000 dollars, versé à tous les citoyens, même les enfants, chaque année. La seule condition est qu’il faut habiter cinq ans de suite en Alaska, hiver compris ! Ce dividende est issu de la rente pétrolière. L’Iran a remplacé en 2010 son système de subventions aux combustibles et à l’alimentation par des transferts directs versés à chaque famille. Le Brésil a instauré le revenu de base dans sa constitution en 2004 et essaie de le mettre en place très progressivement par un programme qui s’appelle la Bolsa Família, la bourse familiale. Il y a assez peu de conditions requises pour bénéficier de cette bourse et l’intention du gouvernement est d’étendre ce programme, petit à petit, pour qu’il devienne finalement un revenu de base pour tout le monde, sans conditions. Enfin, la Suisse pourrait bien être le premier pays européen à mettre en place le revenu de base si le oui l’emporte lors du référendum de 2016.
Quelle échéance vous paraît plausible pour instaurer un revenu de base en France ? Et quelles sont les étapes nécessaires ?
Au Mouvement français pour un revenu de base, on travaille en pensant qu’on peut y arriver pendant la prochaine législature. C’est notre échéance, mais elle n’est pas gravée dans le marbre. Les étapes nécessaires à sa mise en place peuvent prendre du temps. Cela dépend aussi du modèle de revenu de base que l’on souhaite mettre en place : certains veulent le financer sur les impôts sur le revenu, d’autres par une taxe sur la consommation ou par une création monétaire. Il y a donc plein de possibilités, mais, ce qui est sûr, c’est qu’il faudra une réforme sociale et fiscale profonde visant à regrouper certaines aides, introduire le prélèvement à la source, individualiser toutes les prestations sociales et les impôts, et supprimer un certain nombre d’exonérations fiscales… Dans le cas d’un revenu de base par création monétaire, cela pourrait aller théoriquement plus vite, mais les politiques n’ont pas le contrôle de banques centrales ! Il faudra donc nécessairement quelques années entre l’engagement politique et l’accomplissement de ce processus-là. En guise de première étape, nous proposons d’expérimenter en amont le revenu de base au niveau local avec par exemple l’idée de se baser sur le RSA en le rendant inconditionnel. L’idée est simple : on ne change pas les règles de calcul actuelles du RSA (chaque fois que nos revenus du travail augmentent de 100 €, notre RSA diminue de 38 €), mais il ne sera plus nécessaire d’en faire la demande pour le toucher. Ce serait le service des impôts qui indiquerait directement aux CAF départementales qui a droit au RSA et pour quel montant pour que ces dernières procèdent au paiement. Il n’y aurait plus aucun contrôle pour vérifier si les gens cherchent un emploi : on leur ferait confiance. Cela mettrait immédiatement fin au problème du non-recours au RSA (qui concerne deux tiers des travailleurs pauvres ayant droit au RSA activité) et constituerait une forte simplification administrative. Et la hausse du coût budgétaire est relativement modérée.
Nous comptons convaincre les candidats aux prochaines élections régionales de défendre cette idée dans leur programme et de lancer des expérimentations dans leur région. De même, nous espérons que les conseils départementaux fraîchement élus s’essaient à l’expérimentation, puisque ce sont encore eux qui ont la tâche d’instruire le RSA.
Propos recueillis par Pascal Greboval et Diane Routex
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