La bonne et la mauvaise presse
Par Stéphane Haïtaïan*
Le ministère de la Culture vient de réitérer sa volonté de créer de nouvelles catégories pour encadrer les titres de presse. Le pouvoir politique avait déjà distingué la presse d’information politique et générale (quotidiens, news magazines...) de « l’autre » presse, la presse populaire, celle lue par le plus grand nombre, parfois seule lecture dans les familles. Le ministère veut une classification sans précédent des contenus rédactionnels (divertissement, connaissance…) à l’heure où ces contenus voyagent sans limite dans la sphère digitale. Voilà qui rappelle les propos de la ministre : « Quand on écoute France Inter, on sait qu’on n’écoute pas RTL ». Induisant ainsi une différence de valeur entre deux acteurs d’un même média. Qui va décider de la nature d’une information et de son utilité pour le lecteur ? Le Chasseur Français qui, au-delà du loisir de la chasse, accompagne les Français depuis 130 ans dans leur mode de vie rural et défend des causes nationales, est-il moins « utile » qu’un news magazine vendu à Paris ? Les magazines télé sont-ils moins utiles que Télérama parce qu’ils traitent de la culture populaire et non de la « bonne » culture ? Et la presse féminine qui accompagne les grands mouvements féministes depuis des décennies : à ranger aussi au rayon « divertissement » ?
Cette vision élitiste se double d’une discrimination économique aux effets pervers multiples : à la « bonne » presse, les aides directes et les tarifs préférentiels, à la « mauvaise » presse, les augmentations massives et le soutien « solidaire » de toute la filière. La ministre évoque les impôts qui financeraient la distribution des magazines de « divertissement », un raccourci pour stigmatiser les magazines les plus populaires et provoquer l’indignation. La réalité est plus complexe. Annoncer que Closer touche 500 000 euros de l’Etat, c’est un leurre : cet argent ne va pas au titre mais directement à La Poste, censée en échange pratiquer de tarifs préférentiels. Problème : les tarifs postaux ont explosé depuis 2009… Face à cette dégradation générale, la presse populaire augmente ses prix faciaux, impactant ainsi le lectorat le plus populaire.
Concurrence faussée. Cette discrimination engendre aussi une distorsion de concurrence avec les quotidiens : alors que la presse populaire soutient financièrement la distribution des quotidiens, ces mêmes quotidiens publient des suppléments TV ou féminins concurrents, ou proposent des thématiques people, télé, auto, sur leurs sites pour doper leur audience. La presse populaire en arrive donc à financer indirectement une concurrence directe. Enfin, quid des journalistes ? Doit-on déduire que celui travaillant dans un titre populaire n’est pas « égal » à son confrère ? Le ministère souhaite l’évolution des métiers mais c’est la « bonne » presse qui s’est partagé l’intégralité du fond Google. Il souhaite la création de nouveaux médias, mais combien de « nouveaux sites éditoriaux » vivent de la curation, mot créé pour ne pas dire « pompage » à l’ère digitale, des contenus produits par les magazines populaires ?
« La liberté d’expression, c’est la France », entendait-on en janvier. Force est de constater qu’elle devient de plus en plus sélective, excluant, d’un côté, nombre de titres historiques de la presse magazine et entretenant, de l’autre, un lien de dépendance forte et une connivence bien française entre la « bonne » presse et le pouvoir.
(*) Stéphane Haïtaïan est directeur exécutif Mondadori France - Pôle Star, Auto, Nature.
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