Le troisième lundi de janvier est un « Blue Monday » (ou blues du lundi) manifestement rentable sur le plan marketing. En ce lundi gris et froid, de nombreuses entreprises vous enjoignent sur les réseaux sociaux à combattre le « jour le plus déprimant de l’année » en achetant, au hasard, un coupon de réduction, un bracelet, un sweat ou du café. Vous pouvez aussi gagner une visite au château de Chambord ou un bouquet de fleurs, ou encore, pour conjurer la déprime, regarder une vidéo de Disneyland Paris… Bref, le Blue Monday est l’occasion de faire de la publicité pour à peu près tout.
L’existence d’une « dépression saisonnière » est indéniable selon les spécialistes, elle est liée à la luminosité et peut se conjuguer à des facteurs de stress qui peuvent en effet surgir après Noël. Le psychiatre Florian Ferreri vous explique d’ailleurs comment en sortir, par exemple en pratiquant une activité physique ou en faisant attention à son alimentation.
Mais le Blue Monday, lui, n’existe pas, comme le rappelle le chercheur en neurosciences Dean Burnett dans le Guardian. Il s’agit d’une invention d’un « psychologue » de l’université de Cardiff (Pays de Galles), qui a créé de toutes pièces une équation intégrant le nombre de jours depuis Noël, le nombre de jours depuis que nous avons abandonné nos bonnes résolutions, le temps qu’il fait, les dettes de Noël impayées, etc. Autant de variables « arbitraires et impossibles à quantifier ». Cliff Arnall, l’auteur de l’équation du Blue Monday, a admis en 2010 qu’il n’y avait rien de scientifique derrière ce calcul, et qu’il avait été commandé par une société de publicité pour le compte de l’agence de voyage Sky Travel.
Promotion de la pseudoscience
Outre le fait que le calcul du Blue Monday ne tient pas la route scientifiquement, M. Arnall s’est présenté comme « psychologue à l’université de Cardiff », un titre un peu abusif que l’on peut s’arroger après avoir donné des cours dans le centre d’études psychologiques de l’université. M. Arnall a apparemment donné des cours du soir pendant une brève période.
« Ce genre de calculs menace la compréhension que le public a de la science et de la psychologie. C’est également irrespectueux envers ceux qui souffrent de vraie dépression, car cela sous-entend qu’il s’agit d’une expérience temporaire et mineure, dont tout le monde souffre. » Dean Burnett en a apparemment fait les frais, en essayant à plusieurs reprises d’expliquer à la presse locale que le Blue Monday est une arnaque, sans succès.
Outre les potentiels dangers de la pseudoscience, le Blue Monday révèle un phénomène préoccupant, selon Polly MacKenzie, directrice d’un institut britannique, le Money and Mental Health Policy Institute. Toujours dans le Guardian, elle explique que les marques s’appuient sur le Blue Monday pour véhiculer l’idée qu’un achat peut « remonter le moral ». Ce qui n’est ni une généralité ni un comportement à promouvoir.
Les conséquences d’acheter quelque chose pour se sentir mieux peuvent être dérisoires : « Un peu moins d’argent sur son compte en banque, des placards qui débordent, concède Polly MacKenzie, ce n’est pas si grave. » Mais les choses sont très différentes pour les gens qui souffrent de vrais problèmes de santé mentale, dont la dépression. Selon une étude conduite par le Money and Mental Health Institute, sur 5 500 personnes souffrant de troubles mentaux, neuf personnes sur dix dépensent plus d’argent lorsqu’elles ne se sentent pas bien. Les achats déclenchent ensuite un sentiment de culpabilité, qui peut donner lieu à d’autres achats pour « se sentir mieux », et ainsi de suite.
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