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Quand Internet bouscule le marché du travail

LinkedIn, Twitter, leboncoin... En quelques années, les sites communautaires sont devenus des outils incontournables pour les chercheurs d’emploi et les recruteurs, contraignant les acteurs traditionnels, notamment Pôle Emploi à évoluer.

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Par Nathalie Silbert

Publié le 12 mai 2015 à 17:00

Bien qu’il ait trouvé un poste de cadre marketing dans un groupe du CAC 40, Damien n’a pas changé ses habitudes. Tous les soirs après dîner, il se connecte à son compte Linkedin, le site de mise en relation professionnelle, afin de regarder si un message l’attend. Il jette aussi un œil à la page Facebook d’une poignée de sociétés qui l’intéressent, au cas où l’opportunité de ses rêves se présenterait. Au chômage, Amélie, elle, a décroché son job de conseillère de beauté à Limoges sur Leboncoin... 

Dans un monde connecté, le marché du recrutement ne pouvait échapper à la vague d’Internet. « Le mouvement s’est accéléré ces deux dernières années » constate Jean-Marc Mickeler, associé directeur des ressources humaines de Deloitte. Alors qu’hier, on achetait le journal pour éplucher les offres d’emploi, au 21ème siècle, on surfe sur la Toile pour accéder au site de Pôle Emploi, aux plates-formes de petites annonces – les « job boards » – telles Cadremploi, Keljob, RegionsJob, Monster. Ou à un des multiples autres cyber-recruteurs apparus sur le marché. Car, comme dans beaucoup de secteurs, le tsunami du numérique a fait émerger une kyrielle de nouveaux acteurs issus d’Internet, qui bouleversent codes et usages. Parmi eux, des « pure players » de l’emploi : agrégateurs tels Indeed ou Jobijoba, joueurs d’un nouveau type à l’image de Myjobcompany, positionné sur le créneau de la cooptation rémunérée, ou de Monkey Tie, un site de recrutement affinitaire qui rapproche recruteurs et candidats en croisant, grâce à son algorithme, la culture d’entreprise et la personnalité du demandeur...

Twitter, Facebook, leboncoin

Le symbole de cette révolution reste toutefois l’arrivée des réseaux sociaux, gratuits pour tout le monde, et désormais utilisés par un Français sur trois pour leur recherche d’emploi selon une enquête de Randstad. Premiers à avoir changé la donne, les réseaux sociaux professionnels Linkedin, né en 2003 en Californie, et Viadeo, créé un an plus tard en France. Plus de 9 millions de membres chacun dans l’Hexagone qui, en postant leur profil (diplômes, parcours professionnel...) espèrent multiplier les contacts et ainsi donner un jour un coup de pouce à leur carrière. «Ces sites ont introduit la culture anglo-saxonne du réseautage en France » relève Jacques Froissant, directeur général du cabinet de recrutement Altaïde.

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Au delà, LinkedIn et Viadeo affirment à l’unisson avoir transformé le marché du recrutement, en permettant aux employeurs de toucher des « talents passifs ». Un élargissement du marché prisé des DRH et des chasseurs de tête, pour qui ces outils sont également devenus indispensables. « 85 % du CAC 40 est client de notre activité recrutement, mais nous avons aussi des sociétés de taille moyenne. Et tous les secteurs sont représentés », indique Pierre Berlin, directeur Talent Solutions de Linkedin Europe. «Ce qui intéresse l’entreprise, ce n’est plus l’emploi du candidat, mais son employabilité » ajoute Dan Serfaty, cofondateur de Viadeo.

Et les réseaux « pro » ne sont plus les seuls à draguer le monde du travail. Avec pour ADN la mise en relation, les réseaux sociaux généralistes Twitter et Facebook, comme le site communautaire leboncoin, qui n’avaient pas vocation particulière à s’intéresser à l’emploi, sont eux aussi devenus des joueurs du marché. 

Outils de communication

Ce sont les utilisateurs qui ont créé l’usage, dit-on chez Facebook et Twitter. «En France, près d’un utilisateur sur deux utilise Twitter à des fins professionnelles », clame le site de micro-blogging. Pour beaucoup d’entreprises, la puissance de diffusion de ces réseaux généralistes représente un avantage substantiel : la CGPME a ainsi créé une page sur Facebook, «Les PME recrutent », «une réponse à l’obligation que nous avons d’aider nos adhérents à pourvoir des postes vacants ». De même, le « job board » Monster mise sur Twitter pour élargir l’audience des annonces postées sur son site.

Pour que ces réseaux soient efficaces, il faut qu’ils s’adressent à des communautés ciblées. C’est l’un des avantages de Twitter, à écouter la start-up Blablacar, partie pour recruter une centaine de designers et développeurs d’ici à la fin de l’année.« De plus, c’est gratuit et on s’adresse à des gens qui nous aiment plutôt qu’à des gens qui cherchent simplement un boulot », applaudit Laure Wagner, responsable de la marque employeur.

Pour autant, nombreux sont ceux qui considèrent que plus que le recrutement, Facebook et Twitter répondent à une autre attente des entreprises : «ce sont des outils de communication pour valoriser leur image d’employeur » estime Martin Villelongue, au cabinet de recrutement Michael Page. Avec un objectif : se montrer sous leur meilleur jour afin d'être bien placé dans la course aux talents.

30.000 PME - TPE conquises par leboncoin

Sur le marché du travail, la surprise a surtout été créée par leboncoin, qui revendique le rang de numéro 2 en nombre d’offres d’emploi publiées (plus de 146.000 début mai). Le site de vente entre particuliers a tiré parti d’un double avantage : un service géolocalisé et gratuit qui a d’abord séduit les artisans du BTP, la distribution, le petit commerce. Et a désormais conquis 30.000 PME - TPE cherchant à recruter localement. «On sent bien qu’on est un ovni dans le paysage » admet Antoine Jouteau, le directeur général du Boncoin. Si 95 % de ses annonces s’adressent aux cols bleus, l’« ovni » monte toutefois en puissance dans la recherche de cadres et s’interroge sur les services à développer pour attirer des offres s’adressant à ces derniers.

Salariés et entreprises trouvent leur compte à cette effervescence. Dans un pays qui compte 3,5 millions de demandeurs d’emploi sans activité, l’arrivée de nouveaux acteurs multiplie les opportunités pour ceux qui cherchent (et aussi pour les autres). En 2014, 80 % d’entre eux avaient utilisé le Web, selon le Crédoc. «Ne pas être présent sur les réseaux sociaux quand on est une femme de 45 ans à la recherche d’un job, c’est se couper du marché du travail ! » décrète Jacques Froissant. Avec une contrepartie : savoir gérer sa e-réputation. C’est-à-dire « se marketer : mettre à jour son profil, utiliser les bonnes idées pour qu’il soit valorisant et visible » égrène Martin Villelongue. Pas question en revanche de laisser traîner des photos compromettantes de fin de soirée bien arrosée... « C’est au candidat d’adopter une attitude responsable sur les réseaux » souligne Adeline Jobard, avocate au cabinet Franklin, tout en pointant le risque d’exploitation par les recruteurs des données publiées sur les réseaux.

Vivier de candidats plus large que dans le passé

Quant aux employeurs, ils doivent certes changer leurs méthodes, mais ils peuvent choisir dans un vivier de candidats bien plus large que dans le passé. «Lorsque vous postez une annonce sur Linkedin, vous touchez des profils intéressants qui n’iraient pas forcément sur votre site, ou ne sont pas en recherche active. Ce sera un atout pour eux lors de la pré-sélection en amont » affirme Jean-Marc Mickeler chez Deloitte.

Avec l’irruption des réseaux sociaux, la chasse est aussi devenue un sport prisé des DRH pour débusquer les hauts calibres. Indispensable pour trouver des oiseaux rares tels les ingénieurs informatiques qui, relève Fabrice Losson, directeur du recrutement de Sopra-Steria, « ne passent pas par les job boards ». Ou encore «cibler des Chinois installés en France afin de bâtir son activité en Chine » indique Frédérique Scavennec, directrice internationale du recrutement du groupe L’Oréal. A l’avant-garde, le géant des cosmétiques réalise aujourd’hui 20 % de ses embauches en allant traquer les talents – « français ou internationaux » – sur les réseaux sociaux.

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Ces derniers ont aussi l’intérêt pour les entreprises de faciliter les recrutements sur des métiers sur lesquels elles ont un déficit d’image, par exemple l’informatique à la Société Générale ou la recherche chez L’Oréal. Surtout, la dimension interactive réduit le risque d’exécution. « En amont de l’entretien de recrutement, on peut engager la conversation avec les candidats, cela nous permet de mieux les connaître, et en retour eux aussi nous connaissent mieux,» explique Franck La Pinta, responsable de stratégie digitale RH de la Société Générale. Avec une conséquence positive, la diminution du temps nécessaire pour pourvoir un poste. « Pour les recrutements expérimentés, il est rare aujourd’hui que l’on mette plus d’un mois alors qu’il y a quatre ans, cela prenait plutôt trois mois » confirme Jean-Marc Mickeler. Et sur Leboncoin, une annonce reste en ligne treize jours en moyenne...

Pôle Emploi bousculé

Comme dans d’autres industries, le numérique a obligé les acteurs traditionnels à revoir leur modèle. Le Figaro Classifieds, à la tête de Cadremploi et Keljob, a développé une « CVthèque » de 4 millions de profils. « Grâce à l’exploitation de la data, on va pouvoir suggérer des offres à ceux qui cherchent et des CV aux recruteurs » souligne son directeur général Thibaut Gemignani. En plus d’une base du même type, Monster a multiplié les innovations pour aider les recruteurs à dénicher des compétences sur les réseaux sociaux. «Avec TalentBin, nous proposons un agrégateur de profil unique qui indexe et classe toutes les traces laissées par les professionnels sur le web public. C’est utile pour trouver des talents high-tech actifs sur la Toile » rappelle Karl Rigal, responsable éditorial.

Pôle Emploi est lui aussi bousculé, même si «nous ne sommes pas dans une logique de concurrence » précise Thomas Cazenave, son directeur général adjoint. Pour autant, la pression du numérique contraint le service public de l’Emploi, longtemps en situation de quasi monopole sur le marché des offres, à évoluer. Et même d’une certaine façon, à redéfinir sa raison d’être – donc ses missions – afin de s’adapter aux nouveaux usages. Cette démarche l’a amené à ouvrir sa propre plate-forme d’annonces à des « job boards » privés afin de rester le site de référence, avec 322.000 offres d’emploi. Il projette aussi de diffuser sur Viadeo les profils des demandeurs d’emploi volontaires. Et bientôt, l’opérateur qui accompagne déjà 30.000 chômeurs à distance via Internet, ouvrira un  «Emploi store » offrant de multiples services digitaux : formation, simulation d’entretien d’embauche...

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde sur un point : le numérique a apporté transparence et réactivité au marché du travail. Son essor pose néanmoins la question de la régulation. « Un enjeu majeur », a jugé mi-mars le Conseil d’orientation de l’emploi. Dans la jungle d’Internet, qui vérifie que les annonces respectent les règles de non discrimination prévues par la loi ? Qui sanctionne ? Surtout, l’irruption du numérique dans le recrutement ne règle ni la question de l’adéquation de l’offre et de la demande, ni le lancinant problème de la formation. Un défi auquel Pôle Emploi s’attaque d’ores et déjà avec quatre Mooc. L’un d’eux aidera les demandeurs d’emploi à gérer leur profil sur Internet...

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