Comment les marques "digital native" chamboulent les acteurs du retail

Elles sont nées en ligne mais ne vendent pas que sur Internet. Elles éliminent tous les intermédiaires mais ne vendent pas des produits low cost. Elles maîtrisent les réseaux sociaux sur le bout des doigts mais racontent aussi leurs histoires en boutique. "Elles", ce sont les digital native vertical brands ou DNVB. Voici comment elles fonctionnent et pourquoi les marques et les distributeurs traditionnels ont tout intérêt à s'y intéresser de près.  

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Comment les marques
Jimmy Fairly s'est lancé sur Internet en 2011. L'opticien en ligne dispose désormais de 15 boutiques et comptent en ouvrir 20 supplémentaires.

Sézane, Dollar Shave Club, Le Slip Français, Jimmy Fairly, Casper, Made.com, Bergamotte… Toutes ces entreprises ont un point commun : ce sont des DNVB. Ce nouvel acronyme assez barbare désigne les "digital native vertical brands". Ce sont des marques nées en ligne qui vendent et interagissent directement avec leurs clients sans passer par un réseau de distribution qu'elles ne maîtrisent pas.

"La notion d'intégration de la distribution chez une marque n'a rien de nouveau. C'est le cas par exemple d'Ikea, d'H&M ou encore de Zara (qui disposent de leurs propres magasins, ndlr). Dans le luxe, c'est aussi le modèle de base. Le nouveau phénomène remonte à cinq ans et il est directement lié au digital. Avec Internet (les ventes en ligne et les réseaux sociaux, ndlr), les barrières pour toucher les clients sont devenues beaucoup plus basses. Le digital a rendu possible une explosion de créativité", expose Xavier Faure, cofondateur de Spring Invest, un fonds d'investissement dédié aux innovations dans le retail.

Une Meilleure adéquation offre vs besoin

"Dans le modèle classique du retail, le distributeur est extrêmement jaloux de la relation client et divulgue très peu d'informations aux marques qui sont alors obligées d'aller les chercher elles-mêmes avec des logiques de couponings par exemple. Mais cela reste très macro comme vision. La nouveauté avec le web et les réseaux sociaux c'est qu'il est possible de gérer une relation individualisée avec des clients de façon massive à un coût extrêmement faible", poursuit Xavier Faure.

Ces nouveaux outils ont permis à de jeunes marques de se positionner sur des segments de marché mal desservis par le modèle traditionnel. Une inefficience qui s'explique par le prix de vente (gonflé par le recours à une multitude d'intermédiaires) et par le décalage entre l'offre et le besoin des consommateurs. "Dans le modèle classique, la création se fait assez loin du client, on se retrouve donc avec une innovation peu pertinente par rapport aux besoins et envies du consommateur", détaille le spécialiste.

Des marques "smart cost"

A quoi reconnaît-on une DNVB ? Cinq caractéristiques les distinguent : un positionnement relativement haut de gamme, une forte spécialisation, une place prépondérante des réseaux sociaux dans leur stratégie de croissance, une incursion dans le monde physique et, enfin, une part belle à l'expérience.

Les DNVB ne sont pas des marques low cost, mais plutôt des marques "smart cost". En réduisant sensiblement le nombre d'intermédiaires, elles parviennent à proposer des produits de bonne qualité à des prix abordables. "La vente en direct sur Internet nous permet de fabriquer localement et de nous couper d'intermédiaires", confirme Guillaume Gibault, CEO du Slip Français. "Depuis le début nous faisons fabriquer tous nos produits en France. Nous créons ou maintenons 97 emplois à temps plein auprès de 27 ateliers français", poursuit-il. Chez Bergamotte, les fleurs vendues en ligne sont acheminées par un circuit le plus court possible. La start-up assure qu'elles arrivent en atelier le lendemain de leur coupe. Dans le prêt-à-porter Sézane choisit aussi un positionnement haut de gamme : les chaussures coûtent environ 200 euros quand la maille s'approche des 100 euros.

Des premiers pas en "mono-produit"

Deuxième caractéristique : une forte spécialisation. De nombreuses marques digital native débutent par une approche mono-produit avant d'élargir leur offre une fois leur base client acquise. C'est le cas de la start-up Casper qui, à ses débuts, ne vendaient que des matelas. L'entreprise propose désormais aussi des oreillers, des draps et des protège-matelas. Même chose du côté de Bergamotte qui ne vend plus uniquement des fleurs, mais aussi des plantes grasses et des cactus. Elle prévoit même de se diversifier dans la décoration d'intérieur. "Quand vous démarrez avec quelques produits et que vous savez très bien les faire, cela vous permet de vous faire connaître et d'émerger plus facilement", explique Guillaume Gibault du Slip Français. Après s'être attaquée à la lingerie pour homme, la jeune pousse compte développer une offre pour les femmes, un marché qui serait 4 à 5 fois plus important.

Instagram comme chouchou

Les DBNV se distinguent aussi par leur très habile manipulation des réseaux sociaux. "La dimension acquisition client est clef dans ce modèle-là et repose en grande partie sur les réseaux sociaux", expose Xavier Faure. "Instagram est au cœur de notre stratégie", confirme Romain Raffard, l'un des fondateurs de Bergamotte. "C'est notre source numéro 1 d'acquisition. 40% du trafic de notre site vient d'Instagram. C'est plus élevé que le trafic généré par Google (référencement naturel et payant) et par Facebook réunis", assure l'entrepreneur. Sur l'application de partage de photos, Bergamotte compte plus de 60 000 abonnés. Une communauté conséquente bâtie à l'aide de membres influenceurs.

Le Slip Français privilégie lui aussi Instagram et Facebook. La start-up a dépensé plusieurs centaines de milliers d'euros en 2017 sur les deux plates-formes. "En moyenne, un euro dépensé nous permet de générer 1,5 à 2 euros de chiffre d'affaires", estime Guillaume Gibault. Instagram fait figure de chouchou pour son efficacité mais aussi pour son côté inspirationnel. Les marques l'utilisent comme un véritable outil de storytelling pour enrichir leur univers, faire découvrir les coulisses de leur collection et créer ainsi une sorte d'intimité avec leurs communautés.

Le storytelling jusqu'en boutique

Cette identité forte ne se construit pas qu'en ligne. "Une DNVB n'est pas qu'une marque sur Internet, mais une marque qui utilise les canaux existants de façon moderne pour faire croître sa notoriété", avance Guillaume Gibault. Résultat, quasiment toutes ont développé une présence physique. Le Slip Français compte aujourd'hui cinq boutiques physiques et est présent dans certains grands magasins, mais ses ventes en ligne représentent encore 70% de son chiffre d'affaires global. Le lunetier en ligne Jimmy Fairly dispose actuellement de 15 magasins et prévoit d'en ouvrir 20 supplémentaires. Bergamotte a ouvert son premier pop-up store en juin dernier à l'occasion de la fête des Pères.

De son côté, Sézane dispose d'un corner au Bon Marché, a ouvert des pop up stores en régions et dispose de deux "appartements" à Paris et New York. Né sous la forme d'un showroom (les clientes pouvaient essayer les articles, mais pas repartir avec), l'appartement de Sézane est devenu un véritable magasin. La marque a recruté il y a sept mois Daniela Leonini Bournazac, designer et ancienne directrice du magasin parisien Merci, pour "retailiser" son activité. "Je vois le magasin comme un lieu de destination. Il permet de créer de la proximité et de donner l'impression que l'on reçoit chez soi. C'est pour ça que notre marque digitale s'est lancée dans le physique", explique la directrice du retail qui a pour mission "d'événementialiser " les points de vente de Sézane.

Un magasin qui ne ressemble (surtout) pas à un magasin

Les DNVB se lancent donc dans le retail physique mais en redéfinissant le concept de magasin. A côté de son appartement parisien, Sézane compte un espace conciergerie où seront proposés des services de retouche, de cordonnerie et de pressing. La marque de prêt-à-porter a aussi ouvert une "librairie". Les clientes y retrouvent les articles de maroquinerie de la marque, des livres et de quoi s'installer pour prendre un café, "offert bien entendu", précise Daniela Leonini Bournazac. Ecoute, partage de bons plans… L'objectif du personnel de vente est de faire passer un bon moment aux client(e)s. Même son de cloche chez l'opticien Jimmy Fairly où les vendeurs perçoivent un variable sur la qualité du moment qu'ils font passer aux clients.

Est-ce que cette nouvelle manière de vendre a des conséquences sur l'activité des marques et des distributeurs traditionnels ? Oui et non. Mis à part le cas de Dollar Shave Club (qui s'est accaparée en quatre ans 16% du marché de la lame de rasoir aux Etats-Unis), les DNVB ne s'érigent pas comme de sérieux nouveaux concurrents. "Même si Sézane fait 100 millions d'euros de chiffre d'affaires, cela reste un tout petit acteur sur le marché de la mode féminine", note Xavier Faure. Sur son marché, Antonin Chartier, cofondateur de Jimmy Fairly fait preuve de la même objectivité : "Il existe 12 000 opticiens en France et nous n'avons que 15 boutiques. Donc il serait faux de dire que nous avons un impact en termes de parts de marché", admet-il. En revanche, l'entrepreneur est certain que sa façon de travailler est étudiée de très près par les acteurs traditionnels.

Des alliés pour contrer Amazon ?

De fait, la fraicheur de ces jeunes marques, leur capacité à créer du contenu et à "inspirer" leur communauté titillent les mastodontes (marque ou distributeur) du secteur. Certains font le choix de la collaboration. C'est le cas par exemple d'Aigle, d'Agnès B ou encore de Princesse Tam Tam qui ont noué des partenariats avec Le Slip Français. D'autres optent pour la pure et simple reproduction. C'est le cas de la marque Bic qui a copié le modèle de Dollar Shave Club en lançant une offre de vente en ligne de rasoirs masculins par abonnement en France.

Outre-Atlantique, les offensives sont plus franches. Le géant de la distribution Walmart s'est offert, en juin dernier, l'entreprise Bonobos pour 310 millions de dollars en cash. Andy Dunn, le fondateur de Bonobos, n'est autre que le père du concept de DNVB qu'il décrit dans un article publié en mai 2016 sur medium. Fondée en 2007 à New York, sa start-up a commencé par vendre des pantalons en ligne puis a peu à peu élargi sa gamme de produits avec des chemises, costumes et autres vêtements pour hommes. Elle dispose désormais de showrooms physiques et de corners dans les magasins Nordstrom, indiquent nos confères de LSA.

Les digital native vertical brands ne semblent donc pas constituer une menace pour les retailers, mais plutôt de véritables alliées pour leur permettre de passer dans l'ère de "l'expérientielle". Une carte qui leur permettra peut-être de mieux faire face Amazon... un rival bien plus inquiétant.

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