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Madagascar, l’île des oubliés de tous

L’attentat qui a endeuillé la fête nationale rappelle la situation tragique du pays, laissé à l’abandon par des autorités politiques tout occupées à conserver leur pouvoir.

Publié le 29 juin 2016 à 12h16, modifié le 30 juin 2016 à 15h45 Temps de Lecture 3 min.

Le marché d’Ambohibary, à 150 kilomètres au sud d’Antananarivo, en décembre 2013.

26 Juin, jour de fête à Madagascar. On célèbre l’anniversaire de l’indépendance, obtenu de la France dans la douleur. On y chante l’amour du pays, de la terre sacrée des ancêtres, et les drapeaux s’affichent fièrement à tous les coins de rues et sur toutes les maisons. Mais dimanche dernier, cette 56e fête nationale a été ensanglantée par une attaque à la bombe qui a tué trois innocents : deux jeunes hommes et un bébé. Cette attaque est un attentat commis contre des familles, des enfants, venus profiter d’un concert au stade municipal de Mahamasina, à Antananarivo. On oublie que c’est la jeunesse et donc l’avenir du pays qui ont été symboliquement touchés.

A Madagascar, on oublie aussi que 90 % de la population vit en dessous du seuil d’extrême pauvreté, soit moins d’1,25 dollar par jour. Ses 23 millions de personnes se battent quotidiennement, pour survivre, pour remplir leur estomac au moins une fois dans la journée et pour espérer voir le lendemain. Pourtant, il suffit de se promener dans les rues de la capitale pour le constater. Des enfants d’à peine 3 ans mendient aux fenêtres de luxueux 4X4, des hommes et des femmes se lavent dans les canaux des eaux usées de la ville et ces mêmes eaux polluées servent par la suite à alimenter les ultimes parcelles urbaines de riz, de cresson, dernières preuves d’un patrimoine en danger.

Un quotidien si gris

Pourtant, ici, on est fiers d’être « malagasy » plutôt que « malgache », terme déconsidéré par la période coloniale et les mauvaises manières des Français d’accommoder à leur sauce le nom des habitants de l’île. L’histoire veut, pour la majorité des habitants, que le mot soit la contraction de « mal » et « gâché ». Ce qui explique l’animosité des gens qui, quand vous parlez français dans un bus et dites « malgache », vous jettent quelques regards de travers. Mais ce n’est pas la rancœur envers la France qui prime, car la France ici, on l’envie. Malgré tout.

Le 26 juin, jour de la fête nationale, on profite de la famille, on sort voir les feux d’artifices, seule illumination qui fait oublier ce quotidien si gris.

Car, depuis le début de l’hiver austral, dix corps sans vie ont été retrouvés dans les rues de la capitale, achevés par le froid, oubliés de tous. On oublie de dire que les Dahalo, dans le sud du pays, vont de village en village, pillant sans vergogne la seule richesse des hommes, le zébu. On oublie de dire que trente et une personnes ont péri dans une attaque, lâche et barbare, d’un taxi-brousse qui roulait vers un village, où un couple de médecins œuvrait encore pour le bien de villageois, oubliés eux aussi. On oublie que d’autres Dahalo, devant l’incapacité de leurs victimes à leur fournir trois cents têtes de bétail, ont tout simplement kidnappé les femmes et les enfants du village.

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On oublie de dire que le gouvernement ne souhaite plus voir son image souillée par le procès du bois de rose à Singapour et que, en toute simplicité, les élites de ce pays refusent de s’impliquer. On oublie de dire que les mafias, étrangères et nationales, dirigent cette île.

On oublie de dire tout cela, tout comme en Occident, et encore plus en France, on oublie de parler de ce lâche attentat de dimanche, où Augustin Avotriniaina Randriamboavonjy, 21 ans, Patrick Rakotonirina Tovoniala, 16 ans, et Tolojanahary, un bébé de 14 mois, ont été les premières victimes d’un gouvernement incapable de se soucier de ses propres citoyens.

Une dictature par dépit

On oublie de dire que les ambulances ne sont pas venues, car trop lentes, trop vieilles, trop chères. Ce sont les forces de sécurité, les Emmoreg, qui ont évacué les victimes. On oublie de dire que Madagascar est une dictature par dépit. On oublie de dire que les Malagasy sont oubliés de leurs dirigeants. On oublie de dire que les Malagasy sont des hommes comme les autres. On l’oublie, même à Madagascar.

Depuis le coup d’Etat de 2009, les « événements » comme on choisit de dire ici, la population malagasy ne s’est jamais vraiment relevée. Pourtant, c’est un beau pays. Un pays magnifique vous diront tous les Malagasy que vous croiserez.

Tout le monde ou presque connaît de Madagascar ses lémuriens, ses zébus, ses baleines. Mais personne ne se soucie du sort de ses 23 millions d’habitants. Oubliés de tous.

Arthur Bourgogne est étudiant en géographie à La Sorbonne.

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