OPINION ÉLECTIONS MUNICIPALES 2017

Où vont nos quatre musées de science ?

Tout n’a pas été dit au sujet de la gestion d’Espace pour la vie.

Si un simple tweet du maire de Montréal, Denis Coderre  – affirmant le 23 juin dernier : « Pas question [de] réforme administrative » – , semble suffire à stopper une réorganisation administrative, ce geste ne fait pas disparaître par enchantement le fond du problème.

Rien n’a filtré dans les médias sur les orientations que le directeur général, Charles-Mathieu Brunelle – toujours en poste malgré ce désaveu laconique – , entend suivre. 

Reviendra-t-il à une « réforme » des musées de science ? Que signifierait un statu quo ?

Rappelons que cette réforme prévoyait l’élimination de deux postes de directeur (Biodôme et Planétarium) et la transformation des deux autres (Insectarium et Jardin botanique), ce qui avait pour conséquence une fusion de plusieurs unités.

Aussitôt annoncée, cette réforme a suscité la réprobation générale parmi ceux qui s’y connaissent. Comment pouvait-on en effet penser mettre ensemble des expertises si différentes dans le but de « rationaliser » des services et diminuer les coûts ? Pourrait-on de même regrouper sans préavis le Musée des beaux-arts, le Centre canadien d’architecture, le Centre des sciences et le Centre d’histoire de Montréal ? Cela est évidemment impensable…

Aucune formation scientifique

Au milieu du tollé, les Amis du Jardin botanique de Montréal ont fait circuler une pétition demandant le retrait de cette réforme mal fagotée ; elle a recueilli 6000 signatures en 48 heures. D’autres voix crédibles se sont manifestées plus discrètement : quatre botanistes du Canada anglais ont pris la plume pour écrire au maire Coderre.

« Le Jardin botanique de Montréal est un vrai trésor national », soulignaient le président de l’Association botanique canadienne, Art Davis, de l’Université de la Saskatchewan, et ses collègues Frédérique Guinel, John Markham et Julian Starr. « Nous craignons qu’une institution scientifique qui est littéralement à la base de la science québécoise moderne devienne une entité mal définie avec un mandat et un message dilués », ajoutaient-ils avant de mentionner qu’ils trouvaient « dangereux le fait que le directeur d’Espace pour la vie n’a pas de formation botanique ou scientifique ».

À titre de Montréalais fortement attachés au Jardin botanique de Montréal et auteurs de recherches sur son fondateur, le frère Marie-Victorin, nous avons voulu en savoir plus sur l’architecte de cette réforme, Charles-Mathieu Brunelle, et nous avons constaté qu’en effet, ce dernier n’a aucune formation scientifique.

La Ville de Montréal affirme que M. Brunelle a été choisi à la suite d’un « concours international ». Mais le comité de sélection a-t-il vérifié la formation du candidat ? Il est permis de s’interroger : comment a-t-on pu donner à un autodidacte les clés de quatre musées employant des botanistes, zoologistes, astronomes et entomologistes chevronnés ?

Le navire amiral de la muséologie scientifique canadienne compte 650 employés : 300 « personnes associées aux recherches scientifiques », selon un document officiel. Il gère un budget de 69 millions. Près de deux millions de visiteurs s’y présentent chaque année. C’est la première destination muséale au Québec parmi 442 musées… et on se demande s’il y a un pilote dans l’avion !

Bien sûr, le monde des affaires regorge de self-made-men qui ont construit des empires à partir d’instinct et de flair, et sans aucune formation universitaire.

Mais on parle ici d’institutions scientifiques et on pourrait s’attendre à ce qu’un directeur général ait une base de connaissances reconnue par le milieu. 

Au Smithsonian Institution, un centre muséal américain auquel la structure d’Espace pour la vie peut se comparer, toutes proportions gardées, chaque musée est dirigé par un directeur qualifié. Par exemple, le Smithsonian National Museum of Natural History (en plusieurs aspects comparables au Jardin botanique de Montréal) est dirigé par Kirk Johnson, un paléontologue qui a écrit de nombreux ouvrages sur les fossiles et l’extinction des dinosaures. Et au sommet, on trouve un cardiologue de haute stature intellectuelle, le Dr David Skorton, qui a présidé l’Université Cornell pendant 10 ans ! De plus, ce directeur répond à un « conseil général » formé de scientifiques reconnus.

Les musées de science de la Ville de Montréal ont été fondés et administrés par des experts chevronnés qui leur ont valu une réputation mondiale, tant au chapitre de l’expertise muséologique que sur le plan de l’avancement des connaissances. Cette tradition doit être maintenue, voire améliorée, pour le bien de tous.

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